Le modèle des plaques de Reason est le standard d'étude des accidents aériens.
Il considère qu'il existe des failles latentes à tous les niveaux et qu'un accident se produit quand ces failles concourent, comme des trous à travers des plaques qui, alignés, laissent passer la lumière (voir illustration).
Ce modèle est très puissant, parce qu'il permet d'élargir quasiment à l'infini la recherche des causes d'accident en ajoutant des plaques. Toutes les plaques sont équivalentes, il suffit que le trou d'une plaque soit bouché, n'importe lequel, pour que l'accident ne passe plus.
Par exemple, si on imagine que la défaillance des pitots est un élément essentiel de la chute d'AF447 (ce qui reste encore à prouver), on a les différents trous dans les plaques de Reason comme suit (liste non exhaustive) :
> Thales qui construit des pitots qui givrent
> l'AESA qui certifie des pitots qui givrent
> Airbus qui monte des pitots qui givrent
> Airbus qui ne tient pas compte des premiers retours d'expérience signalant que ces pitots sont dangereux ou qui minimise ce danger
> l'AESA qui ne tient pas compte des premiers retours d'expérience signalant que ces pitots sont dangereux ou qui minimise ce danger
> Air France qui ne tient pas compte des premiers retours d'expérience signalant que ces pitots sont dangereux ou qui minimise ce danger
> la préparation du vol AF447 qui le fait passer dans une zone orageuse
> les pilotes qui choisissent de ne pas se dérouter
> les pilotes qui ne maitrisent pas l'avion en panne
L'avantage de ce modèle, comme dit précédemment, c'est qu'on peut rajouter des plaques à l'infini. Par exemple, si les pilotes choisissent de ne pas se dérouter, est-ce pour des impératifs économiques, psychologiques, autres ?
L'inconvénient, aux yeux de certains, de ce modèle est qu'il met en cause beaucoup de monde.
Or, le BEA est bien connu pour être tout à fait poli et rechigner à faire de la peine aux amis, surtout lorsqu'ils sont gros et puissants, genre Airbus, Air France, la DGAC, l'AESA, etc ...
C'est pourquoi il utilise une autre méthode. Il part de l'événement final et reconstitue les causes qui l'ont favorisé.
Or, l'événement final est toujours du aux pilotes, puisque ce sont eux qui sont aux commandes. On peut toujours imaginer que si l'équipage avait été composé de Mermoz, Guillaumet et Saint-Exupéry, l'avion s'en serait sorti. Et, effectivement, on connaît des équipages qui, par des réactions extraordinaires, ont sauvé un avion en perdition.
La méthode du BEA est donc très susceptible de conclure à une faute de pilotage et, surtout, plus on s'éloigne de l'événement, moins on est susceptible d'être mis en cause, c'est-à-dire qu'il est peu probable que Thales soit gravement embêté pour ses pitots.
N'oublions pas que lors de l'analyse de l'accident de Concorde, des Anglais avaient, hélas avec quelques raisons, traité les Français du BEA de menteurs (1).
Ce ne sont pas des mensonges francs et massifs, c'est plutôt qu'on ne risque pas de trouver les causes d'accident qu'on fait bien attention de ne pas chercher.
N'oubliez jamais qu'entre le BEA, la DGAC, le SNPL, Air France et Airbus, ce sont toujours les mêmes aux hommes qui tournent, parfois de père en fils, tous hauts fonctionnaires, sortis des mêmes moules, des mêmes ministères, qui se tutoient en privé et se retrouvent quelquefois le week-end.
Noël Forgeard, PDG d'Airbus au moment des premiers incidents, Pierre-Henri Gourgeon, PDG d'Air France, Claude Lelaie, chef pilote d'Airbus et Paul-Louis Arslanian, directeur du BEA, sortent tous de la promo 1965 de Polytechnique (ça ne s'invente pas, et les journalistes ne risquent pas d'en parler) Le patron actuel d'Air France, Pierre-Henri Gourgeon, est le fonctionnaire qui a certifié l'A330 (ça ne s'invente pas non plus).
Je pense que cette connivence est le plus grand danger que court la sécurité des vols en France (2) (3).
Pendant ce temps, on va traiter les pilotes du dimanche comme des assassins en puissance soumis à toutes les rigueurs et à tous les embarras administratifs. Mais, je m'en veux de le rappeler, sur les vingt dernières années, les pilotes du dimanche ont moins de morts sur la conscience qu'Air France.
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(1) : pour ceux que ça intéresse : http://www.guardian.co.uk/world/2001/may/13/davidrose.focus
(2) : la réputation est un bien très précieux, or les réputations du BEA, d'Air France et d'Airbus ne se portent pas au mieux. Pour l'instant, ça reste dans le milieu des gens informés, ça n'atteint pas le grand public, bien tenu dans l'ignorance par des medias peu curieux. Cependant, internet est très dangereux dans ces cas-là : les éléments permettant de saper le discours officiel sont disponibles avec quelques coups de Google et un peu de temps. C'est un processus cumulatif, comme une digue qui cède. Le niveau de défiance monte mais ne provoque aucun effet, mais il existe un seuil critique qui pourrait entrainer du jour au lendemain la fuite des clients. Or, on ignore où se trouve ce seuil. C'est pourquoi toute augmentation de la défiance est dangereuse.
(3) : les causes «simples» d'accident sont éliminées depuis longtemps. Restent les risques systémiques complexes. Or, la connivence et les petits arrangements entre amis, ont justement pour but d'éviter la mise en cause du système. Cette structure empêche donc qu'on s'attaque à certaines causes d'accident. Ainsi, on se met des obstacles pour améliorer la sécurité.
Cher Franck,
RépondreSupprimerL'incompétent complet en aéronautique que je suis vous lit avec le plaisir du novice qui se dit qu'il est très intelligent, tant il comprend aisément ce qui lui est dit.
Merci pour tous ces éclairages.
Au passage, ce que vous décrivez dans ce dernier post n'est jamais qu'une énième version d'un classique du public choice : le régulateur capté par les régulés.
Mais faire comprendre à des Français que le monopole de formation notamment -l'endogamie scolaire - ou d'investigation n'est pas propice à la manifestation de la vérité, bon courage.
Cordialement,
Et merci de vos lumières
Helas Franck je crains que vous n'ayez raison. il est beauccoup plus facile de lyncher des pilotes morts que de remettre en cause les abrutis qui nous gouvernent et le système qui les a frabriqués.
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