L'histoire assassinée, c'est d'actualité.
Grosse colère, bienvenue, de Jacques Heers. Il s'insurge contre tout ce qui assassine l'histoire :
La mémoire
Histoire et mémoire ont des buts et des méthodes opposées. Il est dangereux de les confondre.
Ce n'est pas l'abus totalitaire flagrant des «lois mémorielles» qui me fera dire le contraire.
Le fétichisme des chiffres
Heers ne comprend pas la nécessité que ressentent les historiens de vouloir à tout prix présenter leur domaine comme une science, avec le fétichisme des chiffres qui en découle.
Il cite quelques exemples de ridicules fétichismes de la statistique.
Si vous mesurez la population médiévale avec les documents fiscaux, vous risquez quelques contre-sens bien comiques.
Les contribuables étaient nettement plus nombreux que ceux qui payaient réellement des impots. Cela fait que si, pour une année donnée dans une paroisse, vous utilisez le rôle des contribuables, et pour l'année suivante, le registre des contributions, vous allez en tirer la conclusion que la population a dramatiquement chuté !
Le problème fondamental est que les documents chiffrés n'ont pas été établis à l'usage des historiens, ils sont entourés de non-dits, quelquefois falsifiés. Il est confortable, mais stupide, de compter sur eux pour nous sortir de l'incertitude sur le passé.
L'application de schémas idéologiques
Jacques Le Goff, militant, décrivant le Moyen-Age à travers le prisme de la lutte des classes fait bouillir le sang de Jacques Heers.
Au Moyen-Age, les solidarités et les oppositions étaient surtout locales. La division en classes n'y est absolument pas pertinente.
La propagande scolaire
L'histoire est continue, elle n'est qu'une suite de périodes de transition comme disait Bainville. La division, à des fins pédagogiques, en périodes marquées ayant leurs caractères propres, avec un début et une fin est un piège pour l'esprit.
Heers en admet la nécessité pour l'école, mais trouve que les historiens peinent à se détacher de ces fausses catégories.
L'exemple de propagande scolaire que prend Jacques Heers est celui de la lutte contre l'hérésie cathare.
A des fins de propagande anti-cléricale (c'était l'époque qui voulait ça), l'histoire républicaine a montré l'invasion du comté de Toulouse comme une horrible affaire religieuse. En réalité, c'était surtout une invasion politique, afin d'étendre le royaume de France. Comme, pour diverses raisons, la république tenait à donner une bonne image de Saint Louis, tout cela fut recouvert d'un voile pudique.
Et nos modernes idiots de reprendre toutes ces fables. Et Jacques Heers de tempêter quand il croise sur l'autoroute un panneau «Vous entrez en pays cathare». Il n'y a jamais eu de pays cathare !
Et il ajoute perfidement qu'il y aurait bien plus de raisons en Vendée d'y avoir un panneau «Vous entrez en pays chouan». Mais ce n'est pas politiquement correct. Vous aurez compris que ce n'est pas un grand partisan du politiquement correct et que son enthousiasme républicain est très modéré.
L'immense apport des arabes à la civilisation européenne, le mythe de la richesse des échanges en Terre Sainte et le commerce des épices
Au moins, dans la polémique autour d'Aristote au mont Saint-Michel, on sait de quel coté Herrs se trouve ! Il ridiculise la légende de la transmission de la pensée grecque à l'occident à travers les arabes. La véritable gardienne de la pensée grecque était Byzance et le voyage d'occidentaux à Byzance était fréquent (et Byzance n'avait absolument rien d'arabe). Il en rappelle quelques exmples connus. D'ailleurs, il aurait également pu utiliser un argument de bon sens : si les arabes avaient été si importants dans la transmission de la pensée grecque, comment se fait-il qu'ils n'en aient rien retenu ?
Quant à l'extase sur la merveilleuse tolérance de Saladin signant un traité de paix, Heers rappelle qu'il avait été battu à plate couture et qu'il a pris violemment sa revanche dès qu'il a pu.
Quand on parle du mariage des croisés avec des autochtones, on «oublie» qu'elles étaient chrétiennes. Autant pour la richesse des échanges entre chrétiens et musulmans.
Enfin, réduire la navigation des Portugais autour de l'Afrique à des aspirations purement mercantiles permet de se dissimuler l'objectif de conquête politique et même religieuse.
CNRS et universités
Heers s'offusque du «national» de CNRS, y voyant à juste titre le signe d'une volonté de contrôle politique de la recherche. D'organisme aidant momentanément les chercheurs, il est devenu un réservoir de fonctionnaires titularisés qui ne cherchent plus beaucoup et trouvent encore moins.Toute pensée originale, iconoclaste ou dérangeante pour la pensée conforme y ait bien entendu bannie, puisque c'est un des buts de cet organisme.
Même chose pour les universités.
On peut citer le cas bien connu de Reynald Secher. Jeune chercheur, à l'occasion du bicentenaire de la révolution française, il démontre, documents et analyse étayée à l'appui, comme il se doit, que les guerres de Vendée furent précurseurs des génocides modernes. Il a l'immense tort d'avoir raison. Quelqu'un qui se trompe contre la pensée conforme n'est pas dangereux, mais un type qui a raison contre la pensée conforme est dangereux, il faut l'éliminer. Résultat : une polémique monstre et une carrière foutue en l'air, progression totalement bloquée pendant des années.
Aujourd'hui, vingt ans plus tard, ses travaux sont reconnus mais le mal est fait, et le message est bien passé : «Les tenants de la pensée conforme sont sans pitié. Si vous vous opposez à eux, vous sacrifiez votre carrière. Certes, on vous fera peut-être des excuses vingt ans plus tard, mais ne comptez pas progresser d'ici là.» Je comprends que ça fasse peur à plus d'un.
J’ai lu le livre de Heers il y a quelques années, et l’ai également trouvé très intéressant. Hélas, qui s’intéresse à ces « détails » ? Bien peu de monde je le crains – et mes oreilles saignent assez fréquemment quand j’entends mes amis, gens relativement cultivés pour la plupart, la maltraiter sans même s’en rendre compte.
RépondreSupprimerCe petit mot pour relever, dans le cadre de la propagande scolaire, certaines manipulations que l’on peut trouver sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, et que j’avais notées alors que je travaillais sur un projet de traduction d’un ouvrage en anglais.
La BNF propose donc un "dossier pédagogique sur les Croisades » :
http://classes.bnf.fr/idrisi/pedago/croisades/
La façon de présenter celles-ci n’oublie pas, bien entendu, de faire remarquer que le jihad est pour ainsi dire une réaction aux croisades (exemple de piste pédagogique donnée : « À travers l'ensemble de ces documents, montrer en quoi le djihad représente une réponse des musulmans aux violences des croisades et un devoir religieux »). C’est grossier dans le principe, mais apparemment ça marche. Là où je fus surprise, c’est par le niveau de manipulation, jusqu'à la traduction des textes anciens.
L’un de ceux qui figuraient dans le livre sur lequel je travaillais comportait un passage écrit par Foucher de Chartres. Je me dis alors qu’en « googlant », je tomberai peut-être sur le texte français - et hop, du temps de gagné. Et je suis effectivement tombée sur cet extrait, recouvrant bien une partie de ce que je devais traduire :
http://classes.bnf.fr/idrisi/pedago/croisades/foucher.htm
dont voici la fin:
« [...] On se sert des diverses langues du pays ; et les langues jadis parlées à l'exclusion les unes des autres sont devenues communes à tous, la confiance rapproche les races les plus éloignées. La parole de l'Écriture se vérifie : "Le lion et le bœuf mangeront au même râtelier." Le colon est maintenant devenu presque un indigène ; qui était étranger s'assimile à l'habitant. »
Toutefois, certaines discordances entre le texte anglais et cette version française m'ont alors donné envie de vérifier (merci Gallica de mettre à disposition les Recueil des historiens des croisades !)... Mon latin est fort rouillé, mais il semble très douteux et assez anachronique que le sens à donner ici à « fides » (auquel le texte anglais, traduit, donnait le sens de « foi », « des gens de toutes origine rassemblés par la Foi ») soit celui de « confiance ». Sans parler de la dernière phrase :
Traduire « Qui erat alienigena, nunc est quasi indigena, … » (« Celui qui est né ailleurs est maintenant presque indigène,…»)
par «Le colon est maintenant devenu presque un indigène… », le tout suivi de ce bout de phrase évoquant l’assimilation (sans ici réellement trahir le sens du latin, certes)… hem!
Au minimum, cela fait quand même très wishful thinking bien moderne, non ?…
Raynald Seycher a reçu des menaces de mort lorsqu'il a sorti son livre "Le génocide franco-français: la Vendée-Vengé" en 1986 au PUF. Il avait eu l'outrecuidance de rappeler que les massacres de population dans cette région l'avait été sur ordre express du Comité de Salut Public. Cela ne l'empêcha pas d'écrire en 1991 un nouveau livre chez Olivier Orban "Juifs et Vendéens: d'un génocide à l'autre". Après la bataille de Savenay le 23 décembre 1793, le général Westermann rendit compte au Comité de sa mission en ces termes: « Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’aviez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. Un chef des Brigands, nommé Désigny, a été tué par un maréchal-des-logis. Mes hussards ont tous à la queue de leurs chevaux des lambeaux d'étendards brigands. Les routes sont semées de cadavres. Il y en a tant que, sur plusieurs endroits, ils font pyramides. On fusille sans cesse à Savenay, car à chaque instant il arrive des brigands qui prétendent se rendre prisonniers. Kléber et Marceau ne sont pas là. Nous ne faisons pas de prisonniers, il faudrait leur donner le pain de la liberté et la pitié n’est pas révolutionnaire.»
RépondreSupprimerTous les documents relatifs à cette tragédie sont consultables aux archives nationales, départementales ou de l'armée à Vincennes. Plusieurs généraux refusèrent d'accomplir l'horrible mission et en mars 1794, deux bataillons refusèrent de marcher à Fontenay le Comte.
On aimerait entendre sur ce sujet, à seule fin de rétablir la vérité, nos modernes Diafoirus. Las, les génocides sont au péril de la mémoire, comme on dit "au péril de la mer": l'océan peut les engloutir dans l'oubli (postface de "Juifs et Vendéens: d'un génocide à l'autre").
L'utilisation de l'histoire a des fins partisanes est une tendance politique compréhensible.
RépondreSupprimerLe drame est que cette perversion atteint un niveau à la fois grotesque et dangereux.
Par exemple, prétendre, comme certains le font si souvent, que la France est de longue tradition une terre d'immigration est un mensonge éhonté.
Au contraire, bien qu'au carrefour de l'Europe, la France, avant l'invasion migratoire de ces trente dernières, a été d'une grande stabilité ethnique et culturelle. On peut à bon droit parler de «nos ancêtres les Gaulois».
A propos de mensonges - et même s'il s'agit d'économie (et de faits actuels), tout ceci procède de la même méthode de dissimulation systématique et de manipulations en tout genre! Voici un texte fort instructif, il me semble, qui va clairement à contre-courant de beaucoup d'idées actuelles...
RépondreSupprimerendettement et inflation