Soumettre les prestations familiales à des conditions de revenus, c'es accentuer la tendance en faveur de la colonisation à rebours. Vous vous doutez bien que j'y suis farouchement opposé.
J'aggrave mon cas : je suis favorable à la politique de Singapour qui indexe les allocations familiales sur le diplôme de la mère.
Mais, bien entendu, je ne me fais aucune illusion : la France est gangrenée par la mentalité socialiste.
TRIBUNE - Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)*, estime que la suppression ou le plafonnement du quotient familial serait contraire à l'esprit de la Constitution.
Ne pas confondre politique familiale et politique sociale
Les menaces sur la politique familiale et ses prestations universelles, considérées comme des niches fiscales à supprimer, fusent de toute part. En France, les campagnes électorales passent généralement sous silence les questions familiales, pourtant à la racine de la plupart des problèmes d'échec scolaire, de violence et d'insécurité qui font régulièrement la une des journaux.
Pour la gauche, la famille est un thème conservateur. Le centre n'en parle pas, de peur de paraître trop à droite. Quant à la droite, elle laisse ses extrêmes s'en accaparer. Il faut faire de la famille et des enfants une affaire publique, au cœur du débat des présidentielles de 2012.
La France n'a pas profité de sa présidence de l'Union européenne au second semestre 2008 pour mettre en avant la politique familiale, un des seuls domaines où son exemplarité pouvait l'être. Plus surprenant, c'est en Allemagne (qui perd il est vrai 300.000 habitants par an) que les initiatives se multiplient, elle consacre plus d'effort financier à la politique familiale que la France!
Les familles avec enfants investissent à un coût six fois moindre que ne peut le faire la société au travers des structures d'accueil pour l'éducation et le renouvellement du capital humain. Il n'empêche, elles ne sont pas assez aidées puisque le niveau de vie des familles en couple diminue avec le nombre d'enfants de moins de 18 ans (en moyenne de 13% avec le premier, de 2% encore avec le deuxième, puis de 5% à 10% par enfant à partir du 3e).
Politique sociale et politique familiale
Alfred Sauvy avait réussi à faire comprendre la différence entre politique sociale et politique familiale. La première corrige les inégalités de revenus, par l'impôt du même nom et par des transferts sociaux soumis à conditions de ressources. La seconde - dite de transfert «horizontal» par opposition à la première de nature «verticale» - a une vocation de redistribution entre ménages sans enfants vers les ménages avec enfants. Il s'agit de faire en sorte qu'au sein de chaque catégorie de revenu modeste, moyenne ou aisée, ceux qui ont des enfants ne soient pas pénalisés par rapport à ceux qui n'en ont pas.
Les transferts verticaux ne sont peut-être pas suffisants. Mais ils ne doivent pas se faire au détriment des transferts universels et horizontaux qui constituent un des fondements de la politique familiale de la France. Supprimer ou plafonner le quotient familial serait contraire à l'esprit de la Constitution, car la capacité contributive des familles avec enfants est moins élevée à revenu égal que celle des ménages qui n'ont pas d'enfant. Aussi, les contribuables riches sans enfants doivent, en toute équité, payer plus d'impôts que ceux qui ont des enfants.
Supprimer le quotient conjugal
La fiscalité et les transferts jouent un rôle déterminant dans les comportements. Les familles ne mettent pas au monde des enfants pour de l'argent, mais peuvent renoncer à un désir d'enfant pour des raisons économiques. Aussi nous souscrivons à la proposition socialiste de supprimer le quotient conjugal pour les couples sans enfant, surtout si cela permet de verser une allocation dès le premier enfant. En revanche, l'idée de supprimer le quotient familial sous prétexte qu'il profite plus aux contribuables aisés en le remplaçant par une réduction d'impôt forfaitaire par enfant nous paraît contraire à l'esprit de redistribution horizontale qui est au cœur de la politique familiale française. Il serait plus légitime de le conserver, quitte à rendre imposables les prestations familiales.
Un impôt juste et efficace doit être universel et proportionné aux revenus et aux capacités contributives des ménages suivant la taille des familles, voire modérément progressif. C'est presque le cas de la CSG qui représente 170% de l'impôt sur le revenu net (après versement de la prime pour l'emploi) mais est injuste puisqu'elle ne tient pas compte du quotient familial. C'est pour cela que le niveau de vie des ménages baisse de 5% à 10% à chaque enfant supplémentaire.
Les retraités, comme les actifs sans enfants, payent respectivement 1,5 et 1,7 fois plus de CSG que d'impôt sur le revenu. C'est beaucoup moins en proportion que pour les couples avec enfants (ratio de 2,4). Les couples avec 3 enfants payent au moins deux fois plus de CSG que d'impôt sur le revenu et les familles monoparentales avec un enfant; deux fois plus!
Dans notre rapport au Conseil d'analyse économique (CAE) sur «La famille, une affaire publique», écrit en 2005 avec Évelyne Sullerot, nous proposions de «familialiser» la CSG en attribuant 0,5 part par enfant.
Le ciblage social et la mise sous conditions de ressources des prestations familiales doivent rester limités, sinon la politique familiale ne sera plus qu'une politique sociale pour l'enfance, comme dans la plupart des autres pays européens en phase de quasi-suicide démographique.
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