La culture, c'est ce qui permet que le monde ne reste pas un chaos insensé.
C'est reconnaître une musique à la radio, avoir une idée de l'histoire d'un endroit qu'on visite. C'est ce qui fait qu'une centrale nucléaire n'est pas une énigme, qu'on trouve les mots pour décrire l'émotion devant un paysage, qu'un sentiment ou une situation ne paraissent pas inédits même si on les rencontre pour la première fois etc. La culture est ce qui met de l'ordre dans la vision du monde.
De Gaulle n'a pas écrit au hasard que la culture générale est l'école du commandement.
Or, nos hommes politiques, pour ce que l'on peut en deviner, sont bien peu cultivés.
Notamment, ils ont une culture technique quasi-inexistante. On en arrive à l'absurdité de Michel Rocard, fils d'un physicien de génie, confondant trou dans la couche d'ozone et effet de serre. Et ce sont ces gens qui décident des politiques de santé, de nucléaire et d'OGM. Ils ne peuvent qu'être totalement prisonniers de leurs conseillers. Quant à leur inculture économique, elle éclate dans chacune de leurs décisions, dans chacun de leurs discours.
Ils ont tous un parcours similaire : ils se cultivent jusqu'aux alentours de 23 ans dans le but utilitaire de passer les concours puis, lancés dans la vie trépidante de la politique professionnelle, ils ne lisent guère plus de quatre ou cinq livres par an, voire moins. Leur culture est très étroite et datée.
Par comparaison, alors que j'estime que ma culture a de graves lacunes, j'achète quarante livres par an, j'en lis une trentaine (comme Umberto Eco, je pense que la partie la plus importante de ma bibliothèque est celle des livres que je n'ai pas encore lus). J'ai changé quatre fois d'employeur au début de ma carrière (dont un groupe public et une PME). Ma culture, vermisseau que je suis, est plus diversifiée et plus fraiche que celle de 90% de nos politiciens professionnels.
Le noeud du problème est évidemment qu'on fasse profession de politique de 23 à 80 ans, ce qui est un excellent moyen de se fermer totalement l'esprit.
Ce n'est pas un hasard si aucun de nos politiciens ne cultive l'amitié d'un non-politicien comme Clemenceau celle de Monet ou De Gaulle celle de Malraux.
La politique devrait être une occupation, non une profession. Cela passe par des mesures très concrètes : limites d'âge inférieures et supérieures, non-cumul des mandats, non-renouvellement.
Quelques contributions de commentateurs :
Curmudgeon :
Quand les politiques entrent en sacerdoce, généralement à un âge tendre, ils ont bouclé un bagage culturel qui est ce qu'il est, et qu'ils transportent à peu près tel quel dans leurs mornes pérégrinations.
Ainsi il est vraisemblable que, vu son parcours, Hollande, par exemple, est un peu plus "cultivé" que Sarkozy (au sens scolaire). Mais ensuite, comme la politique est une activité professionnelle et que, sous nos climats, on n'y voit pas pléthore de Cincinnatus, les politiques, dans leur généralité, n'ont quasiment jamais l'occasion de se poser, d'exercer un métier éloigné de leurs habitudes (donc, si possible, pas avocat de lobbying), de se donner des loisirs pour la réflexion de fond (économie, histoire, politologie, sociologie, géopolitique, philosophie, techniques, religion, etc., le genre de choses que vous évoquez), de voyager, de rencontrer toutes sortes de gens d'autres milieux et de parler longuement avec eux.
On se demande si le cumul des mandats en France n'est pas, pour une part, le résultat d'un sourd tenaillement : si je fais les marchés en période pré-électorale, est-ce que je ne vais pas finir par rencontrer, entre tomates et brocolis, quelques spécimens de ces animaux exotiques dont on m'a tant parlé, les "vrais gens" ? Vous avez remarqué aussi le grand classique du journalisme d'enquête pour baroudeur buriné : "Monsieur le Ministre, savez-vous quel est le prix d'un ticket de métro ?".
Nos amis politiques, que nous chérissons tous à cause de leur fragilité psychologique et intellectuelle, souffrent donc d'un extrême rétrécissement culturel, d'un provincialisme étriqué, d'une ignorance noire de l'histoire ,à portée suffisante, de notre pays (avant la dernière guerre, la Révolution au mieux, c'est, grosso modo, le ténébreux tunnel du Moyen Age) et des pays voisins. Ils ne peuvent que s'imprégner des fluides ambiants et les restituer comme des éponges. Ce n'est pas entièrement de leur faute.
Le temps est rare, et donc si on fait de la politique en permanence, on sacrifie sa vie familiale, et on sacrifie son appréhension du monde, de ce monde que, justement, on est censé dominer du regard en vue de l'action bien informée.
Comme Sarkozy, par caractère, est vibrionnant, il donne l'impression d'être superficiel, agité, creux, inculte (je passe sur notre admiration commune, l'aède Galouzeau de Villepin, authentique tamponné du coquillard).
Mais la plupart des autres, sous leur vernis, leur prestance classique, le sont tout autant. Ils font illusion à ceux qui, du même club, partageant leur supposée culture, veulent bien s'auto-persuader que leur champion est un être tout de délicatesse.
Si on n'a pas le temps de s'informer en profondeur, et on n'a en général pas le temps de s'informer en profondeur, alors il faut au moins acquérir des petites bases solides, et se donner un entourage de bons conseillers. Là encore, c'est facile à dire, mais aucune de ces deux procédures n'est à courte portée, elles supposent même le problème déjà résolu dans son principe. Si je ne sais rien en économie, comment diable est-ce que je vais bien pouvoir m'y prendre pour sélectionner de bons économistes comme conseillers ? Bon, je vais déléguer la sélection à mon grand ami de toujours, sur qui je pompais les exos de maths au lycée. Mais lui-même, fan de chichourle, comment va-t-il s'y prendre ?
Le sort qui accable les politiques est le même qui accable, mettons, un scientifique comme Axel Kahn quand cet estimable savant pérore sur le libéralisme, Adam Smith, l'égoïsme : ficeler tant bien que mal un vague vieux fagot d'à-peu-près, de poncifs creux, d'erreurs monumentales. Heureusement, finalement, que les mathématiques et les sciences dures ne font pas partie officiellement de La Culture, parce que sinon, vous imaginez un peu ? Etre obligé de faire semblant d'avoir des choses à dire sur, je ne sais pas, l'énergie nucléaire (Que Sais-Je ? n° 317) ?! J'ai une grosse suée rien que d'y penser.
Pour améliorer un peu les choses, il y aurait bien une solution. Seulement elle va à rebours du "sens de l'Histoire" (l'expression est sortie de la mode, mais l'idée est toujours vivante) : si l'Etat décroît, parce que les politiques n'ont plus la prétention de tout savoir, alors les politiques, délivrés de la pression d'un encyclopédisme illusoire, se concentreront mieux sur les tâches qui sont à leur hauteur, celles où ils excellent.
Les Césars de l'Empire romain d'Orient se croyaient légitimés à intervenir dans les questions théologiques. Si vous acceptez l'idée d'une distinction entre Eglise et Etat, vous n'avez plus à être théologien, ou à imaginer que vous l'êtes, ou à feindre de l'être. Le principe est alors : "Chacun son métier, les vaches seront bien gardées". C'est une des raisons qui justifient la séparation du Politique et de l'Economique. Quel soulagement pour nos amis les politiques, dont voulons le bien, si nous n'attendions plus d'eux une compétence à 360° !
Sans doute avez-vous lu le roman Petit frère, d'Éric Zemmour. Le narrateur y décrit comment son ami, politicien « gaulliste », s'est desséché le cerveau à force de faire du « terrain » (c'est-à-dire non pas la connaissance concrète de la vie de la Cité, mais du tractage complètement clientéliste sur des marchés).
Plus la fonction élective se borne à préparer sa réélection (ce qui est rationnel : qui n'est pas en campagne perpétuelle finit par être battu), plus l'homme politique moderne s'atrophie intellectuellement à parler à des cons.
L'importance que les Français accordent à "la" "culture" est assurément sympathique, encore qu'il s'agisse souvent d'une pose, et que, on voudra bien l'observer, ladite culture soit exclusivement conçue comme littéraire, philosophique et artistique. Des messieurs qui ne savent pas ce que c'est qu'une marge d'erreur sur les sondages, qui croient qu'une augmentation de 200 % veut dire un doublage du nombre initial, ou qui verdissent de rage devant "le carbone", sont réputés être "cultivés". On peut trouver réconfortant qu'une nation unanime s'enthousiasme (à ce qu'on nous dit) pour ou contre le dernier Prix Goncourt. Et il n'est pas déshonorant d'être sensible à la belle rhétorique. Peut-être que c'est une scène sublime de voir François Hollande converser au sommet avec le Penseur de la Complexité©, Edgar Morin, l'homme qui vous sort tout à trac le dernier quatuor de Beethoven. Mais à force de demander au dernier sous-secrétaire d'Etat quel est actuellement son "livre de chevet", et à force de se gargariser des prétentions littéraires des gouvernants, on finit par l'oublier : la vertu principale d'un maire, d'un ministre, d'un président de la République ne réside pas là. Léon Blum était un homme très cultivé. Panégyrique ici :
http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/celebrations2000/lblum.htm
Mais il a conduit une politique économique malavisée. Quand Alfred Sauvy l'a rencontré après la guerre, il s'est aperçu que Léon Blum n'avait toujours rien appris sur l'économie. Harry Truman, sans diplôme d'études supérieures, méprisé par Roosevelt, a été moqué comme ancien fermier et marchand de chemises. A-t-il été un président si mauvais pour autant ? François Mitterrand tournait des jolies phrases (un peu naphtalinées tout de même), mais s'est fait élire sur un programme économique affligeant (même pour moi à l'époque, qui n'étais pas un grand savant), ce qui, vu ses prétentions idéologiques à régenter l'économie d'un grand pays, est tout de même une escroquerie caractérisée. Pompidou, lui aussi cultivé dans le genre français, avait eu la sagacité de se frotter à l'économie et à la finance, ce qui est tout de même un peu plus futé. Mon plombier est un homme qui, tout en travaillant sur ses tuyaux, est équipé d'écouteurs lui diffusant de la musique classique super-raffinée. C'est très bien. Mais ce qui est encore mieux, c'est que c'est un bon plombier.
Roman Bernard :
Vous l'avez dit : la coquetterie française quant à « la culture » (entendue par l'intelligentsia auto-proclamée comme une création coupée de toute référence identitaire et traditionnelle) est une pose, qui, une fois déclamés les vers pompeux, n'embraye en général sur rien d'authentiquement culturel. Dominique de Villepin est un bon exemple de politique « cultivé », à cet égard : des discours ronflants pour celer sa vacuité. Mais c'est bien parce qu'il s'agit de pose que cette culture-là n'est pas requise chez les hommes politiques. En revanche, un authentique homme d'État doit avoir une certaine culture (authentique), sans laquelle il est incapable d'avoir une vision. Sarkozy est le pendant de Villepin : sous prétexte que la culture de celui-ci est creuse, il prétend que l'on n'a pas besoin d'avoir un minimum de culture pour gouverner un pays. Il aurait au moins pu s'instruire un peu sur l'histoire des idées avant de commencer sa carrière politique.
Cela lui aurait permis de voir que son discours dérivait vers la gauche.
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