Sur l’essentiel, ce livre ne nous apprend rien puisque De Gaulle nous avait déjà tout dit à l’été 1940 : le choix de l’armistice est nécessairement celui de la trahison et du déshonneur. On ne joue pas au plus fin avec un ennemi comme Hitler, on le combat à mort.
Les nostalgiques du pétainisme alignent les arguments qui ne valent pas un pet de lapin, puisqu’ils s’accrochent sur des détails pour tenter de faire oublier cet essentiel.
Ce que François Delpla démontre, c’est que même sur ces détails, ils ont tort. Pétain prétendait sauver les meubles, il n’a rien sauvé du tout. De bout en bout, le gouvernement Pétain a été la marionnette de Hitler, qui en a fait exactement ce qu’il voulait. Cette situation de subordination absolue était contenue dans le choix initial de la compromission.
Par exemple, Arno Klarsfeld, en publiant un statut des juifs annoté dans un sens aggravant par le maréchal Pétain lui-même, croit abonder dans le sens paxtonien d'un Etat français menant une politique anti-juive indépendante des Allemands.
Delpla montre que, dès le mois d'aout 1940, les Allemands font passer des messages suggérant que des mesures anti-juives seraient bien vues de l'envahisseur. Et les suggestions de gens qui occupent la moitié du territoire et détiennent 2 millions de prisonniers ne sont-elles pas en quelque sorte des ordres ?
C'est tout le problème du pétainisme : le statut des juifs est annoté par Pétain, pas par Hitler, mais cela prouve-t-il que Pétain était indépendant ou que Hitler était plus habile que lui et le menait là où il voulait ? Vous vous doutez de ma réponse, qui est celle de Delpla, qui est celle de l'histoire regardée en face.
Le gros argument des pétainistes est que l'armistice aurait été un piège mortel pour Hitler, en l'empêchant de conquérir l'Afrique et de couper les Anglais des Indes.
C'est de la pure foutaise. Pour trois raisons :
1) Rien, absolument rien, n'indique que les défaitistes autour de Pétain aient eu l'idée de piéger Hitler. C'est une justification qu'ils s'inventent a posteriori, comme toutes les conneries qu'ils racontent (l'histoire leur a donné tort de manière éclatante, aveuglante même, ils sont bien obligés de nous servir, de se servir, d'énormes mensonges pour persister à s'aveugler). Ils crevaient d'envie de s'avilir, c'est tout.
2) Le canal de Suez a été fermé pendant toute la guerre. Le conquérir n'aurait pas changé grand'chose. Churchill aurait été en difficulté comme après la chute de Singapour, mais il s'en serait probablement sorti.
3) François Delpla démontre que Hitler n'a jamais eu la moindre intention d'axer son effort vers le sud, que sa visite à Franco était un leurre, qu'il a obtenu exactement l'armistice qu'il voulait. Donner à l'ennemi exactement ce qu'il veut, on a connu actes de résistance plus farouches.
D'ailleurs, faisons un sort à tous ces pseudo-résistants vichystes. Résister quand on a commencé par déposer les armes est stupide et inefficace. Le précédent d'Iéna ne vaut pas face à Hitler.
Weygand se présente comme le premier d'entre eux. C'est absurde, c'est un traitre et probablement le plus évident.
Rappelons ce qu'est Weygand en mai-juin 1940 : un général en chef qui, au lieu de se battre jusqu'au bout et d'ouvrir des options à son gouvernement, s'efforce (avec succès, hélas), pour des raisons mesquines et personnelles (peur d'une révolution communiste), de rendre la défaite la plus totale possible et d'acculer son gouvernement à l'armistice. Si ce n'est pas de la pure trahison, qu'est-ce que c'est ? Les vieux Romains auraient exécuté séance tenante un tel général sans discuter et ils auraient eu bien raison.
Son activité ultérieure prouve qu'il ne regrettait rien et n'avait rien compris. Il y a un gouffre entre un vrai Résistant comme De Gaulle et un pseudo-résistant comme Weygand. Ce n'est pas en 1941 qu'il fallait résister mais en 1940.
Ce genre de vieille ganache qui a échoué dans sa mission et n'en continue pas moins à pontifier comme s'il était un général vainqueur est insupportable. Et puis, qu'il ait consenti après guerre à être le point de ralliement des pétainistes le rend particulièrement odieux. Un général en chef vaincu, ça se tait et ça se fait oublier.
De plus, crime difficilement pardonnable à mes yeux, il fut de ces catholiques institutionnels qui affadissent le message révolutionnaire du Christ. J'imagine que Léon Bloy l'aurait taillé en pièces, transformé en chair à saucisse.
De Gaulle lui a refusé les obsèques nationales en 1965. Il a bien fait.
Je ne saurais dire pourquoi, il y a des personnages historiques qui, comme Weygand, provoquent chez moi une aversion instinctive (plus que Pétain, par exemple). C'est irrationnel : le pauvre homme est mort et enterré depuis longtemps, il ne peut plus se défendre. Les événements qui le concernent sombrent de plus en plus dans un lointain passé.
Revenons à Delpla. Il montre à quel point les pétainistes furent les dupes d'Hitler, de bout en bout, comment il leur a passé un anneau dans les naseaux et les a menés où il voulait.
Ce livre devrait donc mettre un point final à toutes les apologies plus ou moins déguisées du pétainisme qu'on entend en ce moment. Nous savons qu'il n'en sera rien, puisque la querelle historique dissmule en fait une querelle politique contemporaine : vaut-il mieux se coucher ou se tenir debout ? Se coucher est plus confortable.
Addendum :
Une leçon toujours actuelle.
Des signes montrent que, dès l'échec devant Moscou, en décembre 1941, Hitler considère qu'il ne peut plus gagner la guerre, mais seulement ne pas la perdre, en divisant les Alliés, sur la base de l'anti-communisme des anglo-saxons.
Or, les pétainistes semblent beaucoup plus aveugles, plus crédules et engagés par leur choix initial de la soumission au vainqueur. Pucheu, par exemple, s'imagine être là « pour 15 ans ».
Ce qui me fait dire que, lorsqu'on a abdiqué sa souveraineté, on perd toute lucidité stratégique.
Inutile que je m'étende sur ce que je considère comme toujours actuel dans ce constat.
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