A ma grande honte, cet excellent ouvrage de Juliette Sibon est resté trois ans (la mémoire infinie d'Amazon fait foi) au premier rang de ma bibliothèque sans que j'y touche.
Le titre dit tout ou presque.
Les expulsions des juifs sont étudiées de Philippe Auguste à Louis XII.
La persécution des juifs n'était pas un fait d'Eglise mais une manière pour l'Etat naissant d'affirmer son autorité (et de récolter beaucoup d'impôts).
Le roi était celui qui déclenchait les persécutions, mais aussi celui qui les arrêtait (différence fondamentale avec la judéophobie moderne, style Hitler : la judéophobie de nos rois n'était pas totale et illimitée, pour la raison toute bête que, à la fin des fins, on ne peut pas occulter que Jésus était juif).
On manque de documents sur ces questions sans qu'on comprenne bien pourquoi. Est-ce qu'on s'en foutait ou est-ce qu'on en avait honte ?
Les reproches faits aux juifs dans l'ère moderne sont doubles : religieux, le peuple déicide, et politique, le peuple apatride.
A partir de Philippe Auguste, le politique l'emporte progressivement et c'est une innovation : on dit traditionnellement que l'Etat médiéval chasse les juifs pour des raisons financières, pour les spolier. Juliette Sibon montre que c'est faux ou partiel.
L'Etat médiéval chasse les juifs parce qu'il se modernise, parce que les notions de frontières administratives et de nationalité commencent à s'affirmer. L'expulsion du peuple apatride est une manifestation de cette affirmation.
La France a inventé l'expulsion alternative, comme les moteurs alternatifs : le roi expulse les juifs, mais avec des conditions plutôt favorables, et les rappelle assez vite. Comme s'il les expulsait à regret.
Le pot aux roses est le suivant : chaque fois qu'il expulse les juifs ou les rappelle, le roi s'immisce dans le domaine de ses vassaux, puisque les édits d'expulsion ou de rappel ne sont pas limités au domaine royal, ils s'appliquent à tout le royaume (pas tous, on sent une hésitation, une prudence).
Autrement dit, ce va-et-vient des juifs est une manière détournée pour le roi de France d'imposer son pouvoir à ses vassaux un peu trop indépendants, de sortir de la féodalité et de se diriger vers la centralisation administrative.
Thèse innovante. Comme quoi, 800 ans après, on peut toujours apporter de nouveaux éclairages.
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(1) : si vous voulez une image plus juste du moyen-âge, lisez Régine Pernoud.
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