vendredi, avril 16, 2021

L'énigme Pompidou-De Gaulle (A. Teyssier)

 J'apprécie les bouquins d'Arnaud Teyssier, bien qu'il écrive « de Gaulle », avec une minuscule.

Il a été maintes fois démontré que le « De » de « De Gaulle » est d'origine hollandaise comme « De Vries » avec une majuscule et non pas le signe français de noblesse comme « de monte-là-dessus-et-tu-verras-mon-cul » de n'importe quel connard mal baisé fin de race dégénéré du XVIème arrondissement, dont l'ancêtre est allé se faire chier aux croisades (s'il avait su que ses descendants tarés deviendraient des bourgeois parvenus en pire, il se serait directement empalé sur son épée plutôt que de s'emmerder à crapahuter jusqu'à Jerusalem sous un soleil de plomb). Ignorer cela en 2021, ça la fout mal.

Addendum : je ne retire pas un mot de ce que j'ai écrit ci-dessus mais il apparaît que Charles De Gaulle signait avec une minuscule. Ce qui prouve juste qu'il ne connaissant pas l'origine de son nom.

Attaquons.

L'énigme

L'énigme de la relation Pompidou / De Gaulle est non pas la séparation de la fin des années 60 mais leur réunion préalable.

Qu'est ce qui pouvait bien réunir l'homme du nord et l'homme du sud, le soldat et le paysan, le saint-cyrien et le normalien, le connétable et le jouisseur, le Résistant et l'attentiste, l'homme du destin et le grand bourgeois ?

Leur séparation est avant tout affaire de génération : par son vécu (la Revanche, la guerre de 14, celle de 40), De Gaulle avait toutes les raisons de ne pas composer avec le monde (au sens religieux), alors que Pompidou a fait une carrière honorable et n'avait aucune raison de s'opposer au monde.

Pompidou savait en théorie que l'histoire est tragique (ce qui creuse déjà un abime avec nos politiciens contemporains qui ne savent rien de rien), De Gaulle l'avait éprouvé en pratique.

De Gaulle a dit avoir pensé au suicide en septembre 1940, après l'échec de Dakar.

Ce qui distingue De Gaulle est l'effrayante solitude. Pompidou n'a jamais pu s'y résigner, il avait le grand défaut de tous les politiciens contemporains : il voulait être aimé. De Gaulle n'a jamais eu ce genre de préoccupations. Il traçait sa route, seul ou presque.

René Cassin, juriste, ancien combattant, grand mutilé de guerre, raconte ce dialogue à l'été 1940, au moment de négocier avec les Anglais le statut de la France Libre :

Cassin : Nous sommes bien d'accord. Nous ne sommes pas une légion française.

De Gaulle : ...

Cassin : Nous sommes la France.

De Gaulle : Bien sûr.

Et Cassin de conclure avec humour  : « Quiconque nous aurait écoutés par le trou de la serrure en aurait déduit que nous étions bons pour le cabanon ».

A ce moment, De Gaulle rechignait aux engagements de militaires (été 1940 !!!!) pour ne pas apparaître comme le chef d'une légion.

Face à ce moine-soldat, le discret Pompidou fait figure de fêtard exubérant.

L'intelligence

Pompidou était d'une intelligence supérieure, lumineuse. Tous, même ses ennemis, le reconnaissent.

Ses écrits sont un délice : droit à l'essentiel, nets, sans fioritures. On est à des années-lumière de la verbosité creuse d'un Macron.

Sa célèbre lettre sur les arbres aux bords des routes montre bien son style (quand on lit combien il est énervé par l'abattage de quelques arbres, on n'imagine pas sa colère face à nos horribles éoliennes).

Son intelligence lui a permis, contrairement à beaucoup d'autres, de trouver la bonne distance par rapport à De Gaulle : ni servile, ni indépendant (« Je ne respecte que ceux qui me résistent. Malheureusement, je ne les supporte pas. » Charles De Gaulle).

A la question « Qu'est-ce qui réunissait Pompidou et De Gaulle malgré leurs différences ? », la réponse est là : l'intelligence. De Gaulle, comme tous les grands chefs, savait attirer les talents (ce critère juge à lui seul nos derniers présidents) mais il en avait peu du calibre de Pompidou.

L'attentisme de Pompidou est une autre énigme. Il explique qu'il avait des sympathies pour la Résistance mais que l'occasion de s'engager concrètement ne s'est pas présentée. Venant d'un homme comme lui, c'est du foutage de gueule.

L'intelligence de Pompidou était aussi sa limite : elle l'empêchait souvent de passer à l'action (sans doute l'explication de sa non-Résistance). Pour qui voit loin et de haut, à la manière boudddhique, toutes les actions humaines tiennent toujours un peu de la vaine agitation. Il gardera un côté professeur de lettres.

Il manquait parfois d'intuition. Il ne croyait pas au retour au pouvoir du Général car il jugeait cet événement trop irrationnel.

Une des raisons de De Gaulle de s'attacher Pompidou est sa non-Résistance : les héros au sale caractère, bardés de titres de gloire, sont encombrants. Leur indépendance d'esprit est contradictoire avec l'obéissance, même si bien des Résistants se seraient faits tuer pour lui (à commencer par ses gardes du corps, tous anciens Résistants).

De Gaulle détestait ces Résistants qui croyaient avoir des droits sur lui. Avec Pompidou, il était tranquille.

La séparation

Dans une lettre à De Gaulle de 1959, quand il retourne dans le privé pour la dernière fois, Pompidou pointe sa différence avec lui : il n'est pas un homme du destin.

Pompidou n'est que supérieurement intelligent. De Gaulle est un visionnaire.

Comme les deux hommes ne sont pas médiocres, leur séparation se fera sur l'essentiel.

Pompidou voulait faire de la politique ordinaire, car il estimait que le temps des aventures épiques était passé. De Gaulle pensait que la France roulait vers la médiocrité (il avait assez bien anticipé l'esprit de notre époque) et que le temps lui était compté pour créer les derniers outils qui permissent aux Français de contrôler leur destin, s'ils le souhaitaient.

De Gaulle a plusieurs fois regretté qu'il lui manquât dix ans, c'était assez bien vu.

Pour De Gaulle, l'ordinaire n'était qu'une modalité de l'extraordinaire.

Beaucoup (à commencer par Pompidou et par les Français) ont cru que la participation était une lubie du Vieux. La participation gaullienne ne devait pas être une simple distribution d'actions mais « changer la condition sociale des ouvriers ». 

Pompidou a freiné des quatre fers.

Pompidou avait pourtant aussi bien compris que De Gaulle le potentiel inédit d'asservissement de la déchristianisation et de la société de consommation. Il a des pages très noires dans Le noeud gordien (malgré ses accès de dépression, De Gaulle est plus un guerrier, plus optimiste, que Pompidou).

Mais le lien de la participation avec cette idée générale de la décadence à arrêter quand il en était encore temps lui paraissait fumeux.

Il faut dire que De Gaulle n'a pas aidé. Il avait sur la participation les idées moins claires que sur d'autres sujets.

Mai 68

Les « zévénements » (comme disait Coluche) cristallisent ce désaccord de plus en plus marqué.

De Gaulle veut faire tirer dans les jambes des manifestants (flinguer Cohn-Bendit, qui peut penser que ce fût une mauvaise idée ?), les « raisonnables » l'en dissuadent.

Rappelons que, dans la philosophie politique gaullienne « raisonnable » signifie « faux intelligent, mou du genou, petit arrangeur, trop lâche pour peser sur les événements profonds -ceux qui comptent, centriste (l'insulte suprême) ».

Avec le recul, il est facile de voir que De Gaulle avait raison. Mai 68 était bien une crise de civilisation.

Mais, sans voir si loin, comprenons bien que le « raisonnable » Pompidou ne se sortait pas de cette crise qui n'en finissait pas de finir, et c'est le coup de majesté, en apparence fou, de De Gaulle disparaissant à Baden-Baden (Pompidou lui en voudra de ne pas l'avoir prévenu) qui a sauvé la situation.

C'est impossible que De Gaulle n'ait pas pensé à cela : le coup de majesté, comme on l'appelait sous l'Ancien Régime. L'assassinat du duc de Guise, l'assassinat de Concini, l'arrestation de Fouquet, l'exil des parlements : tous les moyens par lesquels le roi reprend par surprise son pouvoir menacé. Ce que, hélas, Louis XVI n'a pas su faire.

Rappelons les événements : le 28 mai, De Gaulle annonce qu'il annule le conseil des ministres du lendemain et part se reposer à Colombey. Le 29 mai au matin, les deux hélicoptères partent de Villacoublay mais personne ne les voit arriver à la Boisserie. On sait qu'ils se sont arrêtés, pour se ravitailler, puis plus rien De Gaulle a disparu.

A Paris, c'est la panique, courent les rumeurs les plus folles : De Gaulle s'est suicidé, il est parti chercher l'armée, etc. Mitterrand fait une conférence de presse, qui le discréditera pour longtemps, pour dire qu'il est prêt à assumer le pouvoir.

A 18h15, De Gaulle réapparaît à Colombey, on apprend qu'il est allé voir Massu à Baden-Baden.

Le lendemain, il fait une allocution à la radio, une de ses meilleures.

La suite est connue : manifestation monstre de soutien sur les Champs-Elysées, élections législatives écrasant l'opposition.

Le révolutionnaire et le banquier

Un jour, De Gaulle lança aux communistes « Le seul révolutionnaire, ici, c'est moi ! ».

Pompidou prend cette boutade au pied de la lettre. Selon lui, la principale qualité de De Gaulle et son principal défaut sont qu'il n'est pas pragmatique (contrairement à une vulgate répandue chez beaucoup de gaullistes disant que De Gaulle n'a pas de théorie, qu'il est un pur pragmatique. C'est un contresens absolu - bien pratique pour trahir le gaullisme, d'où sa popularité chez les pseudo-gaullistes) il ne se laisse pas plier par l'événement. Autant  qu'il peut, c'est lui qui plie l'événement à son but.

On n'est pas sûr que De Gaulle a lu Le Guépard mais on est sûr qu'il a vu le film (comme je n'ai pas trouvé la scène que je voulais vous montrer de « Il faut que tout change pour que rien ne change  »,  je vous mets le bal. C'est évidemment hors sujet) : 



De Gaulle a une capacité à saisir la bonne occasion extraordinaire. Pompidou le décrit comme un acteur qui attend en coulisses et bondit sur la scène quand il sent que son heure est venue, prenant tout le monde de court.

C'est pourquoi De Gaulle a toujours contre lui tout ce qui a peur du changement : les grands bourgeois,  les petits bourgeois, les corps constitués, les institutions, les syndicats, les églises, les patrons, les banquiers, les rentiers, les militaires, les juges, les avocats, les fonctionnaires, les sapeurs-pompiers, les gardiens de phare, les cheminots, les bouilleurs de cru, les comices agricoles, les fanfares municipales, les clubs de bridge, les sociétés de danse etc. Alors qu'est-ce qui lui reste ? Cette petite chose, le peuple.

Non seulement De Gaulle, mais le gaullisme : De Gaulle et Pompidou sont d'accord pour considérer qu'il y a dans la bourgeoisie français une veine violemment anti-nationale. En 2021, le macronisme en est une preuve éclatante (les gens qui ont voté Macron -premier ou second tour, c'est égal- et qui me disent « Mais tu sais, je me fais du souci pour la France », j'en connais une dizaine, me font éclater de rire. J'en profite, les occasions de rire sont peu nombreuses) mais le macronide n'est que le dernier clou du cercueil, les candidats de la bourgeoisie Giscard, Chirac, Sarkozy et Hollande ont fait leur part pour détruire le gaullisme, c'est-à-dire la France.

Bien que faisant cette analyse, Pompidou ne peut s'empêcher de se laisser plier par l'événement, de tomber du coté de ceux qui ont peur du changement.

C'est cruel de le réduire à son passage à la banque Rotschild mais il y a tout de même de ça.

L'essentiel, c'est que de Gaulle donnait à la politique une dimension religieuse (pas étonnant que le Testament politique de Richelieu ait été réédité pour la première fois depuis un siècle et demi sous son premier septennat) selon un modèle évident : le roi de France. D'où la solitude.

Il aurait pu reprendre le mots de Louis XV, lors de la séance dite de la flagellation (3 mars 1766), où il ramène (momentanément, hélas) les parlements rebelles (putain de juges de merde) à l'obéissance :

« Comme s’il était permis d’oublier que c’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison. Que c’est de moi seul que les Cours tiennent leur existence et leur autorité. Que la plénitude de cette autorité qu’elles n’exercent qu’en mon nom, demeure toujours en moi et que l’usage n’en peut jamais être tourné contre moi. »

Evidemment, Pompidou était un politicien ordinaire, même s'il était de qualité supérieure.

L'affaire Markovic en rajoute.

A l'été 1969, le cadavre d'un garde du corps d'Alain Delon est découvert dans un bois. De fil en aiguille, nait la rumeur de la participation de Mme Pompidou à des partouses, avec des photos grossièrement truquées à l'appui. Tout Paris s'en gausse. Pompidou est blessé jusqu'à l'âme. D'autant qu'il estime que De Gaulle ne le défend pas comme il devrait.

Pour autant qu'on le devine, l'opinion de De Gaulle tient en deux points :

1) Un homme d'Etat doit être indifférent à ces bassesses.

2) Pompidou paye ses mauvaises fréquentations (Saint Tropez, l'art contemporain, le cinéma ...). Il est vrai qu'on imagine mal Mme De Gaulle dans des parties de jambes en l'air ! Il se dit d'ailleurs que Mme De Gaulle a pesé sur son époux pour qu'il soutienne plus fermement son ancien collaborateur.

Le reférendum-suicide ?

Le sujet du référendum de 1969 est compliqué.

De Gaulle veut préserver l'unité nationale dans une société qu'il sent devenir individualiste (ce n'est pas nous, en 2021, alors que la nation a disparu et que le peuple français est en voie de disparition, qui le contredirons).

Son projet :

1) suppression du Sénat et transformation du conseil économique et social en deuxième chambre pour faire remonter les revendications de la base.

2) régionalisation sous l'autorité des préfets (pour ne pas créer de féodalités). Ce n'est pas la décentralisation mitterrandienne.

On a beaucoup dit que c'était un référendum-suicide. Mais, en réalité, De Gaulle aurait pu gagner si Pompidou ne lui avait pas subtilement savonné la planche.

Jean d'Ormesson, toujours beaucoup plus grand bourgeois hypocrite qu'aristocrate (voir ma tirade sur les aristos dégénérés fin de race au début de ce billet), a décrit son lâche soulagement à l'annonce de la défaite au référendum : enfin, avec « Georges et Claude », la belle vie bourgeoise, pleine de sales magouilles anti-nationales, allait pouvoir reprendre, comme si ce trublion de De Gaulle n'avait pas existé.

La conclusion ? Elle vient en 1976, lors d'un colloque rassemblant les protagonistes (Michel Jobert, conseiller de Pompidou, Bernard Tricot, secrétaire général de l'Elysée, etc.), ils tombent d'accord pour dire que « le projet du référendum était révolutionnaire ».

Au fond

Chateaubriand a écrit (repris par De Gaulle dans les Mémoires de guerre) qu'on mène les Français par les songes.

Pompidou avait bien des qualités, mais il n'a jamais pensé que sa mission était de mener les Français par les songes.

Or, il y a dans la pure raison un fond destructeur par assèchement, par étroitesse. Le rêve est, en politique, ce qui permet de voir plus loin que le bout de son nez.

C'est une manière d'envisager la vie : De Gaulle se vit comme un pasteur biblique, qui protège son troupeau des loups, le roi David menant les tribus d'Israël au combat, pas une gentille élégie pastorale au son de la flute avec banquets électoraux.

De Gaulle était un guerrier, pas Pompidou.

On a comparé les bibliothèques : beaucoup d'histoire chez De Gaulle, beaucoup de littérature chez Pompidou.

La trahison, c'est après.

Quelles que fussent les fractures entre De Gaulle et Pompidou, la vraie trahison vint après eux.

Giscard était une taupe de l'OAS dans l'entourage de De Gaulle et son âme damnée Poniatowski détestait le gaullisme.

Mitterrand, pas la peine d'en parler.

Quant à Chirac, Teyssier écrit sobrement qu'il n'avait rien de gaulliste en lui (n'oublions pas que le fameux « Arrêtez d'emmerder les Français ! » de Pompidou s'adressait à son jeune secrétaire d'Etat à l'emploi, nommé Jacques Chirac).

Après Chirac, il n'est même pas utile de retenir les noms.

Réconciliés par delà la mort

Sous le poing de pierre de la maladie, Pompidou a fini par comprendre, personnellement, que le pouvoir est un sacrifice et non une jouissance (Richelieu toujours) et, politiquement, que la France est toujours menacée de chute.

De Gaulle et Pompidou se rejoignent dans l'esprit du discours de Soljenitsyne, de 1976, Le déclin du courage : l'Occident, et spécialement la France, est toujours menacé de disparition quand il renonce au courage d'être conquérant.

Nos trois derniers présidents sont des psychopathes qui sont arrivés au pouvoir par esprit de jouissance, parce qu'ils n'ont jamais surmonté leur frustration de ne pas pouvoir coucher avec leur mère (même si le dernier est allé plus loin que les autres dans sa tentative d'accomplir ce fantasme).

Le sauveur, si nous le trouvons,  refusera le pouvoir, nous irons le chercher sous son lit comme Charrette.

En attendant, il faut pas lâcher prise, comme répétait De Gaulle.


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