Comme il m'arrive de lire des articles de journaux sur mon téléphone, des collègues naïfs ont pu croire que j'étais une proie facile pour le livre électronique. Ces innocents m'en ont donc vanté les mérites. Les malheureux !
Si je lis des journaux électroniquement, c'est que je ne leur accorde guère plus de valeur qu'au papier toilette. Les livres, c'est différent.
Le livre, c'est l'outil de la permanence de la pensée humaine : on peut lire en 2012 la Bible, Hérodote, Montaigne ...
L'électronique, lui, est par essence éphémère : cinq heures loin d'une prise électrique, et c'est fini.
Le livre est chaud, proche de l'homme. Il est fait de papier, provenant de tissu ou de bois et quelquefois de cuir. Le livre est végétal et animal. L'électronique est froide, faite de silicium, de métal, de verre et de plastique. L'électronique est minérale.
Chaque livre a une personnalité, c'est un ouvrage, à la fois d'écriture et d'édition. Dans la liseuse, ce n'est qu'un amas de bits.
Bien que l'électronique soit, en certaines circonstances, plus pratique, le livre est infiniment plus agréable à manipuler.
L'électronique permet aussi de céder au prurit de l'accumulation compulsive, mais il est préférable d'avoir peu de livres, que l'on médite et que l'on comprend, que beaucoup de livres qu'on survole sans profit.
La liseuse électronique est à la littérature ce que la musique d'ambiance dans les gares est à l'art musical.
Si je cédais à la mode du livre électronique, je me soumettrais à la mode du jetable et de l'éphémère. Je trahirais ce qu'est, par essence, un livre. J'abdiquerais aussi devant l'idée que l'homme est tout matériel et que les raisons qui ne sont pas d'ordre matériel ne comptent pas.
Ces idées, qui se ramènent toutes à la conception de l'homme comme amas de cellules transitoires, sont déjà suffisamment fortes aujourd'hui. Plus un pas en arrière.
L'honnêteté m'oblige à avouer que mon intransigeance ne me coûte rien, je n'en ressens aucun frustration : j'éprouve une répulsion instinctive pour le livre électronique, que ma réflexion ne fait que mettre en mots.
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