lundi, mai 06, 2024

Les guimbardes de Bordeaux (Stephen Hecquet)

Peut-on détester l'auteur du courageux Faut-il réduire les femmes en esclavage ? ? Hélas, oui.

Stephen Hecquet était un brillant avocat (il a sauvé José Giovanni de la guillotine), mort à quarante ans, en 1960, d'une maladie cardiaque. Il faisait partie du groupe dit des hussards, autour de Roger Nimier.

Dans cet ouvrage, Les guimbardes de Bordeaux, il fait un éloge du pétainisme, qui est, en filigrane, un éloge de la lâcheté. Ce snobisme à deux balles est très irritant, indigne de l'auteur.

Le style « retour de Vichy »,  avec en toile de fond la réhabilitation des salauds et des traitres sous prétexte d'artistes maudits et de dandysme, on en a soupé. Je trouve Céline, Rebatet et Brasillach méprisables. Jugement sans bémol et sans concession, parce qu'ils n'en méritent pas.

Les anti-gaullistes sont ceux qui reprochent à De Gaulle de se prendre pour Jeanne d'Arc. Les gaullistes sont ceux qui l'approuvent. J'aime le grain de folie des gaullistes.

Les anti-gaullistes auraient dit de Jeanne « Elle est bien courageuse, cette brave fille, mais, tout de même, elle n'est très pas raisonnable. Envoyons là au bucher pour nous arranger avec les Anglais ». Brasillach a écrit un très beau texte sur Jeanne sans comprendre qu'il la trahissait chaque jour de sa vie.

Décidément, j'ai du mal avec ces dandys hypnotisés par leur nombril. Les écrivains sont des gens qui, par définition, se payent de mots, prennent des poses. Ce ne sont pas des humains bien intéressants.

Quand tout tout est dit, Hecquet reste, comme beaucoup de détraqués, un adolescent attardé en révolte contre son père. C'est amusant cinq minutes, quand l'auteur a du talent (c'est le cas d'Hecquet), mais ça ne va quand même pas pisser bien loin.

J'ai arrêté la lecture quand Hecquet écrit que les événements de 1944 ne valident absolument pas l'analyse gaullienne de 1940 et que tout se serait mieux passé si De Gaulle n'avait pas existé et si la capitulation avait été totale. C'est tellement con que cela ne vaut pas la peine de poursuivre. Il y a des gens qui croient que c'est intelligent de soutenir des positions minoritaires parce qu'elles sont minoritaires. C'est puéril.

Hecquet est anti-catholique, De Gaulle est catholique, c'est le fond de l'opposition : Hecquet est du côté de Cauchon, De Gaulle du côté de Jeanne d'Arc.

A la fin, un intellectuel parisien qui se complait dans la bassesse par pusillanimité est moins intéressant qu'un humble curé de campagne qui cache des conteneurs de Stens dans son presbytère.

Pendant que M. Hecquet se branlait la nouille, des jeunes du même âge faisaient autre chose. Jeanne Bohec apprenait aux Bretons à faire sauter les trains et Andrée de Jongh dirigeait le plus grand réseau d'évasion du continent.

dimanche, mai 05, 2024

La guerre du Péloponnèse (Victor Davis Hanson)

Livre très désagréable. L'auteur part du principe que le lecteur connait par cœur la guerre du Péloponnèse et multiplie les allusions incompréhensibles, c'est vraiment pénible.

J'ai lu Thucydide il y a plus de trente ans et je revendique le droit de n'en garder que quelques souvenirs : l'apologie d'Athènes de Péricles, la peste (qui était probablement le typhus), la mort de Péricles, l'exécution des stratèges vainqueurs, le désastre de Sicile, les trahisons d'Alcibiade ...

Pourtant, ce livre a de l'intérêt, c'est pourquoi j'ai fait l'effort de le lire jusqu'au bout.

Il est classé par thèmes (les batailles, les sièges, la guerre navale ...) d'une manière qui rejoint approximativement la chronologie.

Une guerre absurde semée de décisions absurdes

L'exécution des généraux vainqueurs (parce qu'ils n'ont pas pris le temps d'enterrer ou de repêcher leurs morts) et le désastre de Sicile (engager, et perdre, le gros de ses forces dans une expédition lointaine, périphérique, sans intérêt stratégique) font partie des décisions les plus stupides de l'histoire de l'humanité, pourtant bien fournie.

Le mécanisme est toujours le même : un beau parleur, mû par ses intérêts personnels (le plus souvent corrompu par l'ennemi), pousse l'assemblée des citoyens par des discours enflammés, en ridiculisant les raisonnables, à des décisions contraires à tout bon sens.

Cela pose deux questions :

> pourquoi les politiciens athéniens de talent étaient-ils très corruptibles ? Richelieu était très riche par corruption, mais il n'a jamais pris une décision contraire aux intérêts de la France.

> pourquoi l'assemblée les suivait-elle ?

Hanson explique cela par :

> la peste au début de la guerre. Ces événements épouvantables et la mort d'un quart de la population ont cassé la cohésion sociale et les normes morales d'Athènes.

> la génération d'Alcibiade est née dans l'Athènes prospère et impériale. Ce furent des enfants gâtés et non des héros.

Le triste destin d'Athènes, qui avait tous les atouts au début de la guerre et a fini par la perdre, fut pendant des siècles une mise en garde contre la démocratie (ça l'est toujours, pour les très rares qui ont encore la culture classique).

Mais la décision initiale de Péricles n'appartient pas à la catégorie des malheurs de la démocratie.

Rassembler toute la population dans l'enceinte de la ville pendant que l'ennemi tente en vain de ravager la campagne (couper à la main des milliers d'oliviers, c'est plus facile à dire qu'à faire) n'était pas idiot. Hélas, cela a provoqué l'épidémie.

Il n'en reste pas moins que, sur la fin de la guerre, Athènes a refusé deux propositions de paix avantageuses et a perdu des batailles navales tout à fait gagnables. Il y avait probablement une perte de compétence (comme nous en 1940 par rapport à 1914) dans cette guerre étalée sur trois décennies qui a épuisé le potentiel humain des cités belligérantes.

Quelques années plus tard, après la défaite athénienne, c'est Sparte qui tombe dans la déchéance, signe supplémentaire que sa victoire n'était pas solide.

Les massacres

Ces trente ans de guerre sont semés de massacres, qui ont choqué les contemporains.

Dès le début, en rupture avec les traditions, les belligérants ont considéré que ne pas massacrer les soldats, les marins et les civils vaincus au cours d'une bataille ou d'un siège serait un aveu de faiblesse auquel il était impossible de se laisser aller.

Les guerres antiques étaient plus cruelles que les guerres de notre âge classique, cependant on était là plus près de la fureur des guerres civiles que de la guerre entre puissances.

Comme l'esclavage, ces cruautés dégradent toujours ceux qui s'y livrent, même avec les « meilleures » raisons du monde.

Une rupture

Tous les observateurs, de quelque camp qu'ils soient, sont d'accord sur un constat : cette guerre a brisé l'esprit grec (comme la guerre de 14 a brisé l'esprit européen). Plus rien ne sera jamais comme avant, en mal.

Les arts se dégradent, l'intelligence se perd, l'esprit civique disparait etc.

Il y a des guerres qui dynamisent au moins le vainqueur, les guerres puniques lancent la carrière de Rome. Pas la guerre du Péloponnèse, tous les belligérants y perdent.

C'est une guerre de fin de cycle, où le trop-plein de puissance de prospérité s'exprime et se détruit. Et détruit aussi la puissance et la prospérité.

Et nous ? Certains croient à une guerre de fin de cycle entre la Chine et les Etats-Unis.

Les Américains sont obsédés par cette guerre du Péloponnèse. A juste raison me semble-t-il : l'impérialisme américain risque bien de finir comme l'impérialisme athénien.

A aucun moment, Athènes n'a pu ou n'a voulu prendre en compte les inquiétudes de ses voisins qui avaient un modèle politique différent, il s'est toujours trouvé un démagogue pour exalter l'impérialisme démocratique et pousser l'agora à refuser la modération. C'est la cause majeure de cette guerre.

Dans les dernières années de la guerre, un coup d'Etat oligarchique a renversé la démocratie à Athènes. Elle avait épuisé ses charmes par une série de décisions malencontreuses. L'oligarchie n'est peut-être pas mieux, mais il était temps d'essayer autre chose.