samedi, octobre 28, 2023

La terre plate (Violaine Giacomotto-Chara & Sylvie Nony)

« Nos ancêtres médiévaux croyaient que la Terre était plate. C'est avec les grandes découvertes qu'ils ont compris que la Terre était ronde ».

C'est un lieu commun fort répandu. Je  ne sais pas combien de Français y croient, mais la totalité des journalistes et pas mal d'enseignants, c'est sûr.

Or, c'est totalement faux. Depuis l'antiquité grecque, l'Occident sait que la Terre est ronde.

Les auteurs analysent l'histoire de cette idée fausse.

Une époque bénie

Le moyen-âge (même si ce concept historique est trompeur, tout le monde comprend) est une époque d'extraordinaire énergie intellectuelle et spirituelle.

Sa richesse donne le tournis : Saint Louis, Saint Bernard, Saint Thomas d'Aquin, les cathédrales, les vitraux, la botanique, la philosophie ...

Certains (Rémi Brague, par exemple) pensent que la modernité est l'épuisement de toute cette énergie qui a été accumulée pendant les cinq siècles du moyen-âge (l'an mille, 1492, pour faire simple). 

Au Moyen-Age, on savait (car le savoir antique n'était pas complètement perdu et nous n'avons pas eu besoin pour le transmettre des arabes, mais des byzantins (1)) que la Terre était ronde, on connaissait sa circonférence à 10 % près (résultat de la remarquable expérience d'Eratosthène) et on avait même une idée (assez théorique) du climat en cinq bandes (deux bandes polaires, deux bandes tempérées et une bande équatoriale).

Le savoir en grec était perdu mais une partie du savoir grec était passée par le latin et l'autre par Byzance. On n'avait perdu que la partie la plus pointue : on savait que la Terre était ronde, on avait une idée de sa circonférence mais l'expérience d'Eratosthène était perdue.

Les auteurs dressent une liste intéressante de livres de référence au Moyen-Age.

« Au Moyen-Age, on savait que la Terre était ronde. » Qui était « on » ? Réflexions sur le savoir académique et sa diffusion dans un monde où l'écrit était très cher et donc peu répandu. On ne sait pas vraiment si paysan du Périgord croyait que la Terre était ronde (on ne sait pas non plus s'il croyait qu'elle était plate).

Mais, grâce aux ouvrages de vulgarisation, on peut descendre au niveau de l'artisan lisant-écrivant et là, il n'y a aucun doute : la Terre est ronde.

Au passage, ça met à bas le mythe du religieux médiéval obscurantiste, puisque tout ce savoir ne pouvait se transmettre sans les encouragements de l'Eglise. En fait, le Moyen-Age était par bien des aspects plus éclairé que la Renaissance.

Umberto Eco a fait beaucoup de mal, à notre époque, avec ses conneries anti-cléricales. Les religieux ressemblaient plus à Guillaume de Baskerville qu'au méchant Jorge (même si j'admets que Jorge est un bon prénom de méchant, n'est-ce pas ?).  Eco est impardonnable, puisqu'il ne peut pas être taxé d'inculture.

A la décharge d'Eco, le film d'Annaud est beaucoup plus caricatural que le livre (avec ses longs passages en latin. Comment un machin pareil a-t-il pu être vendu, lu ?, à vingt millions d'exemplaires ?).

L'idéologie de la table rase

Bien entendu, cette légende noire de « au Moyen-Age, on croyait que la Terre était plate » vient, comme d'habitude, de ces enculés des pseudo-Lumières, pour qui rien de bien ne devait avoir existé avant eux et « l'infâme » (l'Eglise) était coupable de tous les maux.

Tous ces gens reprenaient quelques phrases idiotes de Lactance niant l'existence des antipodes au prétexte que les hommes y marcheraient sur la tête. C'était ignorer (volontairement ou non) que Lactance ne faisait pas autorité au Moyen-Age.

On retrouve bien évidemment cet enfoiré de Voltaire à la manœuvre. C'est extraordinaire : dès qu'il y a une saloperie à faire, un mauvais coup, il répond présent. C'est un des personnages les plus vils de l'histoire de France.

Mais le mythe « Au Moyen-Age, on croyait que la Terre était plate » a pris seulement au XIXème siècle, avec les conneries positivistes. Pour justifier ce culte scientiste, il était nécessaire que la flèche du progrès fût monotone, passant progressivement de l'obscurité à la lumière.

Ainsi, l'époque qui se voulait éclairée et méprisait ses prédécesseurs a propagé un nombre de bobards record (le droit de cuissage en est un autre exemple).

L'affaire Galilée s'en mêle et, hop !, « consensus »

A la fin du XIXème siècle, la vulgarisation fait une joyeuse salade, entre « ils croyaient que la Terre était plate », l'affaire Galilée (qui n'a rien à voir avec la rotondité de la Terre. C''est l'héliocentrisme, est-ce que la Terre tourne autour du Soleil ?) et « C'est Christophe Colomb qui a prouvé que la Terre était ronde ».

En particulier, les Etats-Unis deviennent un champ de bataille entre les protestants qui font de Colomb un militant anti-catholique et les catholiques qui en font un quasi-saint. Plus rien à voir avec l'histoire.

L'idée reçue s'installe, elle va de soi, plus personne ne l'interroge. Elle « fait consensus ». Parce que (classification de Pareto), elle est fausse mais utile (utile pour renier le Père, pour renier l'Eglise, pour renier le trop lourd devoir d'être des héritiers spirituels).

Pourtant, comme pour d'autres consensus trompeurs (suivez mon regard), il n'y a pas besoin d'être un érudit pointu pour soupçonner qu'il y a un loup. Il suffit de savoir que le Moyen-Age n'est pas obscurantiste, ce qui n'est tout de même pas la mer à boire, ce n'est pas un exploit universitaire d'avoir entendu parler de Saint Thomas d'Aquin ou de Guillaume d'Ockham.

La légende noire de la scolastique

Rabelais et Montaigne sont à un sommet de mauvaise foi lorsqu'ils critiquent la scolastique en la caricaturant.

Cela me rappelle Jacques Martin et Olivier de Kersauson aux Grosses Têtes se moquant des jésuites qui les avaient instruits, pour finir par reconnaître qu'ils leur devaient leur culture.

La stupidité des ingrats.

Dommage que la modernité ait pris ces évaluations malhonnêtes pour argent comptant.

Et puis, pendant qu'on y est, au Moyen-Age, on ne brulait pas de sorcières à tire-larigot, c'est venu à la Renaissance (Jeanne d'Arc est à la charnière). Et la dissection à des fins scientifiques n'était pas interdite. Et on savait que la Terre était ronde.

Je me permets de vous renvoyer à la liste Wikipedia des inventions médiévales.

Enfin, les auteurs ne sont pas sans humour, ce qui est rarissime chez les universitaires.

Bref, cet opuscule est plaisant et, à notre époque qui s'appelle Mensonge, un tout chti bout de vérité, cela fait du bien.

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(1) : évidemment, la scandaleuse censure universitaire d'Aristote au Mont Saint Michel et de son auteur ne reprochait à Sylvain Gouguenheim d'avoir tort mais d'avoir raison. Déjà en 2009, il n'y avait plus rien à tirer de l'université française, juste à y mettre le feu et à danser sur les cendres. Ceux qui font mine aujourd'hui de découvrir la vérole gauchiste à l'université sont des clowns.


jeudi, octobre 12, 2023

Maigret et Maigret.

J'ai regardé les deux séries télévisées de Maigret : celle avec Jean Richard, 1967-1990, et celle avec Bruno Cremer, 1991-2005. C'est très marrant de faire une comparaison au long cours.

Il n'y a pas photo, la première est nettement meilleure.

La seconde série règle le principal défaut de la première : l'anachronisme. Celle-là est censée se dérouler à l'époque du tournage, les années 70-90, alors que Maigret fait très peu appel à la police scientifique et évoque souvent la peine de mort. La série Cremer se déroulant dans les années 50, ce défaut disparait.

Mais, sur tous les autres plans, la première est bien meilleure.

Le personnage de Maigret est plus bonhomme, plus rond, plus d'humour. Les relations avec son épouse sont plus justes (c'est normal, c'était l'épouse de jean Richard dans la vie !).

Dans la seconde série, il y a des fautes d'écritures, des situations ou des propos qui jurent.

Mme Maigret se laisse parfois aller à des paroles vulgaires ou féministes qui ne vont pas du tout dans le personnage. La vraie Mme Maigret est plus subtile.

Deux exemples de fautes de scénario :

La tête d'un homme : l'assassin est supérieurement intelligent et désespéré. Il joue avec Maigret à risquer sa tête. Dans la série Cremer, il est rendu par un histrion sans répartie, les dialogues ne sont pas à la hauteur.

Maigret et l'enfant de chœur : le truc, c'est que l'enfant dit la vérité à un détail près, Maigret est le seul à le croire et se prend d'affection parce qu'il se revoit à son âge. Dans la série Cremer, l'enfant est un menteur pathologique, ça ne colle pas que Maigret s'identifie à un menteur pathologique. De plus, l'histoire est pimentée par le fait que l'enfant a de la sympathie pour l'assassin, ce qui est effacé de la série Cremer.

Je n'ai pas lu les romans de Simenon, je ne sais pas si l'une des séries est plus fidèle que l'autre.

Saint Paul et le mystère du Christ (C. Tresmontant)

J'aime bien Claude Tresmontant parce qu'il a les idées et l'expression très claires :

1) Sa philosophie est ce qu'il appelle le réalisme intégral. Ce réalisme consiste à considérer que Dieu existe, que l'homme a une âme et que Jésus est l'incarnation de Dieu. Pour lui, le matérialisme (l'homme n'est que matière, il n'a pas d'âme, Dieu n'existe pas, Jésus est un maitre de sagesse comme les autres) n'est pas réaliste, il ne prend pas en compte tout le réel.

2) Il parle les langues anciennes (hébreu, grec, araméen) ce qui lui permet un accès direct aux textes. Il est mort en récitant la Bible en hébreu ancien (c'est plus classe que d'être euthanasié en Belgique par une buveuse de bière obèse).

3) Pour lui, le Nouveau Testament (les quatre évangiles, l'apocalypse, les actes et les épitres) est bien plus proche temporellement du Christ que ne le dit l'exégèse moderne. L'exégèse date ces textes de l'an 90-100 alors que Tresmontant les situe dans les dix à vingt après la mort du Seigneur.

Evidemment, un. ouvrage sur Saint Paul est un choix qui n'a rien d'anodin.

L'Apôtre qui empêche Jésus d'être un hippie

Saint Paul est celui qui empêche le Christ d'être un hippie, un maitre de sagesse baba cool comme il y en a tant dans l'histoire de l'humanité. C'est pourquoi il irrite tous ceux qui aimeraient réduire Jésus à son humanité, le ramener à des schémas connus, lui enlever ses particularités gênantes, bref, le faire redescendre sur terre.

En effet, Saint Paul insiste lourdement sur deux points. En réalité, il ne dit que cela :

1) Le Christ est Dieu incarné, qui s'est sacrifié sur la croix pour notre salut.

2) L'Eglise est le corps du Christ.

Le second point est particulièrement irritant pour tous les mécréants parce qu'il oblige à l'humilité. En effet, si on accepte ce point, il faut se soumettre à l'Eglise, qui est divine, mais qui est aussi une institution humaine imparfaite composée d'hommes imparfaits.

Or, le refus de l'humilité, l'hubris, est le vrai fond de l'anti-catholicisme. C'est toujours, d'une manière ou d'une autre, le meurtre du Père.

Tresmontant fait essentiellement de la paraphrase des Actes et des Epîtres. Mais il apporte son grain de sel.

Il fait remarquer que, dans la Bible, le contraire de l'intelligence n'est pas la stupidité, mais le péché.

Il compare même le peuple d'Israël à Charlot : il subit les avanies des méchants, tombe et se relève. Un auteur qui apprécie le génie de Chaplin a toujours ma considération.