Par André Grjebine* * Philosophe, essayiste, directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales de Sciences po.
[06 février 2006]
Il y avait le syndrome de Munich, par référence au recul en 1938 des gouvernements britannique et français face à Hitler. Il y a eu ensuite celui de Stockholm, mis en évidence en 1978, désignant la propension des otages partageant la vie de leurs geôliers à adopter peu ou prou leur point de vue. Dans la suite de ces manifestations des reculades occidentales, y aura-t-il désormais un syndrome de Copenhague ?
Que les caricatures de Mahomet publiées au Danemark, puis en Norvège, et ces jours-ci en France et dans d'autres pays européens aient provoqué une telle indignation dans les pays musulmans donne une idée du chemin qui leur reste à parcourir avant de devenir des démocraties libérales. Après la réaction indignée de la Fédération des journalistes arabes, basée au Caire, dont on mesure ainsi la tolérance et l'esprit critique, ce sont des voix officielles, celles des ministres de l'Intérieur de 22 pays arabes, qui se sont élevées contre une pleine liberté d'opinion en condamnant ces publications et en demandant des sanctions contre les journaux coupables. Certaines organisations musulmanes implantées en Europe, l'UOIF par exemple, ne sont pas en reste.
Mais le plus inquiétant n'est pas là. Il est dans le chemin de la repentance sur lequel s'engagent, l'un après l'autre, les gouvernements occidentaux. Ceux-ci commencent par déclarer qu'ils ne sauraient remettre en question la liberté de la presse dont ils se déclarent d'ardents défenseurs, avant d'exprimer leurs regrets et de préciser que la liberté de la presse doit s'exercer dans le respect des croyances et des religions. Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ne sont pas loin d'avoir réhabilité la notion de blasphème que l'on croyait oubliée dans les pays occidentaux. Louise Arbour, commissaire pour les droits de l'homme des Nations unies, n'a-t-elle pas désigné deux experts «en racisme» pour enquêter sur ce qu'elle appelle «un manque de respect pour la foi» ?
Toutes ces déclarations témoignent d'une profonde incompréhension de ce qu'est l'esprit de tolérance. En effet, si chacun est libre de professer les opinions qu'il veut, la tolérance suppose que chacun puisse également contester n'importe quelle religion.
Dans un Etat démocratique, la seule limite que l'on peut exiger des adversaires d'une religion comme de ses fidèles est de ne pas dériver vers le racisme, c'est-à-dire de critiquer autant qu'ils veulent les croyances, mais de ne jamais stigmatiser de supposées caractéristiques ethniques. Se moquer d'une religion, ce n'est pas se moquer d'un peuple. Rien ne permet d'attribuer une telle dérive aux caricaturistes danois. On ne peut malheureusement en dire autant de la presse de plusieurs Etats musulmans qui fustige régulièrement les juifs en tant que tels, quand elle ne construit pas des procès d'intention contre eux fondés sur des faux comme le Protocole des sages de Sion.
Comme le suggère Umberto Eco, dans Le Nom de la rose, ce que toutes les institutions religieuses craignent le plus, c'est le rire, la remise en question décapante de la Révélation.
Il n'y a rien de plus redoutable que des hommes qui sont incapables de relativiser leurs croyances et qui entendent forcer les autres à les partager, ou au moins, à leur interdire de mettre ces croyances en question.
C'est pourquoi il est fondamental de défendre le droit de rire pour aider ceux qui entendent défendre la liberté et la tolérance à l'intérieur même de l'islam, comme Salman Rushdie, Ayaan Hirsi Ali aux Pays-Bas ou Shabana Rehman en Norvège. Le flambeau de la lutte contre l'intolérance religieuse, allumé au XVIIIe siècle, par Voltaire et d'autres philosophes des Lumières, ne doit pas s'éteindre, ou plutôt il doit être rallumé. Si les gouvernements des pays démocratiques devaient se répandre en excuses, ils feraient un premier pas vers une reconnaissance de la charia islamique en tant que droit commun de l'humanité.
lundi, février 06, 2006
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RépondreSupprimerTransmanches: Caricatures, fanastismes et obscurantismes