Je suis en train de lire
Choses vues, de Victor Hugo. Inutile de vous dire que les journées de 1848 m'évoquent des événements récents.
Mais l'essentiel est dans l'extraordinaire
Discours de la servitude volontaire, écrit à 16 ans. La Boétie explique que le tyran (à entendre au sens large, le pouvoir) ne peut se maintenir que parce toute une machinerie administrative lui obéit. Que les fonctionnaires, chacun, individuellement, cessent d'appliquer les ordres, et le tyran devient aussi désarmé et impuissant qu'une bonne soeur dans une soirée des Strauss-Kahn.
C'est toute la question de la légitimité par rapport à la légalité : on obéit aux lois par habitude, comme dit Montaigne, mais aussi parce qu'on croit que le législateur essaie d'agir pour le bien commun (même si on désapprouve sa politique). C'est la légitimité. On obéit aussi parce qu'on croit qu'il peut faire mal sans échappatoire.
A partir du moment où on doute que le gouvernement ait à coeur le bien commun, on ne reste plus obéissant que par la peur. Et si les gens qui doutent s'aperçoivent qu'ils sont nombreux, la peur s'atténue. Le pouvoir a perdu sa légitimité. La police est composée d'hommes, qui eux aussi, sous l'influence de leurs concitoyens, peuvent cesser d'y croire et donc d'obéir. C'est pourquoi la police ne suffit pas.
Cette question de la légitimité (qui est le souverain ? Le peuple français ou les mandataires de Bruxelles ?) traine depuis des années et est devenue explosive depuis le « revote » du référendum de 2005.
C'est tout l'enjeu des manifestations de Gilets jaunes.
Ceux qui n'ont pas vu et pas entendu, ou pas voulu voir et pas voulu entendre, les Marseillaise et les drapeaux tricolores (et beaucoup de drapeaux régionaux aussi) des Gilets jaunes ne peuvent pas comprendre grand'chose à ce qui se passe.
Les Gilets jaunes font passer un message très clair : « La France, c'est nous, nous sommes le peuple et nous estimons, Macron, que tu n'es plus légitime ». Ont-ils raison ? (Pour ma part, je n'ai aucun doute qu'ils ont raison, mais mon avis ne suffit pas. Hélas !).
Dans toute démocratie en état de marche, il y a une seule manière de le savoir : aller au peuple. Les institutions françaises offrent deux possibilités d'aller au peuple : la dissolution de l'assemblée nationale ou le référendum. De Gaulle a fait les deux.
Emmanuel Macron refuse l'un et l'autre. Probablement parce qu'il n'a pas compris qu'il avait un problème de légitimité et parce qu'il n'est pas démocrate.
Il fait donc ce que font tous les tyrans bousculés : il oppose la légalité à l'exigence de légitimité.
Mais cela ne fait qu'aggraver le problème : si la force de la loi est ressentie comme injuste, les rebelles tournent enragés, et plus nombreux. Quand la question de la légitimité est posée non plus par des groupuscules mais par des masses, la répression (ordre de taper sur les GJ et de laisser faire les casseurs, loi sur les fake-news, loi "anti-casseurs" ...) devient contre-productive. La légalité est de peu de poids moral : tous les goulags étaient légaux. On ne gouverne pas la France contre son peuple, ce n'est pas un pays d'Orient habitué depuis des millénaires aux satrapes.
L'élection d'Emmanuel Macron était légale (à peu près : célérité suspecte de la justice dans l'affaire Fillon, financement opaque de la campagne) mais, du fait des circonstances, ne lui a pas permis de construire une légitimité.
Et ce couillon, fou comme un lapin de six semaines, n'a cessé de saper le peu de légitimité qu'il avait : insultes aux Français en France et depuis l'étranger, lois pour les
happy few, préférence multi-culturaliste, rappeurs en filet à gigot, bras d'honneur antillais etc. Il a fait tout ce qu'il pouvait pour apparaître non comme le mandataire de la France et des Français mais comme le délégué en France du parti de l'étranger.
Charles Gave répète que l'Etat et les fonctionnaires se comportent vis-à-vis de la France comme des colonisateurs en territoires soumis. Emmanuel Macron a endossé le rôle de colonisateur en chef avec un enthousiasme juvénile.
Bon. Et maintenant ?
Simple : dans le combat entre la légalité et la exigence de légitimité, c'est toujours cette dernière qui gagne. Le problème est de ne pas d'amasser trop animosité, pour permettre une sortie de crise pacifique, avant d'en arriver à la victoire inéluctable de la légitimité.
Ce n'est pas la voie choisie par Emmanuel Macron, qui ne change pas de politique (par exemple, signature du pacte de Marrakech) mais se contente de quelques reculs tactiques et pense diluer le problème dans une concertation à la con (au moins, Macron a compris que les demandes des Gilets jaunes n'étaient pas toutes matérielles). C'est lui qui est con, le fameux « brillant » ne brille pas par son intelligence de la situation.
Patrick Buisson est sur la même longueur d'onde :
“ La France des ronds-points réclame une restauration de la souveraineté du peuple ”
Puisque Macron ne met pas sa légitimité en jeu face au suffrage populaire, le conflit entre légalité et légitimité va continuer, avec des hauts et des bas. Les Gilets jaunes vont rentrer chez eux pour Noël. Et après ? Va-t-on encore se traîner trois ans et demi de paralysie pour cause de légitimité en charpie et d'hostilité latente ou patente ?
L'idéal serait que la révolte des Gilets jaunes ait une traduction institutionnelle, comme M5S en Italie, mais comment ? Avec qui ?
On est vraiment dans la merde. On y était déjà avant, mais ça se voyait moins. Les Gilets sont juste un révélateur. Et la prochain coup pourrait venir de là où tout le monde l'attend :
DRAGHI A CRÉE UNE PYRAMIDE DE MENSONGES. PIRE QUE MADOFF, ALORS QUE LES FORCES DE DÉFLATION RÉAPPARAISSENT.
Enfin, ne boudons pas notre plaisir, il pourrait ne pas durer : ce réveil du peuple français m'est une joie. Et voir qui ça dérange ne m'est pas un déplaisir.