jeudi, novembre 16, 2023

Et si je suis désespéré que voulez-vous que j'y fasse ? (Gunther Anders)

Gunther Anders (de son vrai nom Stern) est un philosophe, élève contestataire d'Heidegger, premier mari d'Hannah Arendt.

Il était très inquiet de l'évolution de la société moderne, à en devenir fou. Il a beaucoup réfléchi à la bombe atomique et à son potentiel suicidaire pour l'humanité.

Son maitre livre est L'obsolescence de l'homme (ça me rappelle que j'ai L'abolition de l'homme de CS Lewis à lire). Le titre est explicite sur la préoccupation d'Anders.

Mais je n'avais pas envie de lire un pavé. Alors cet opuscule de moins de cent pages me convient bien.

Je trouve Anders tel qu'on me l'avait décrit : subtil, caustique (il rappelle que, pour Heidegger, l'homme est un arbre, il ne se déplace pas, seul compte le temps, il n'y a pas d'espace), inquiet, juste.

La grande thèse qui justifie son inquiétude : l'homme n'a pas assez d'imagination. Il invente des choses (le nucléaire, la génétique) dont il est incapable d'imaginer les conséquences et cela finira par tuer l'humanité toute entière.


dimanche, novembre 12, 2023

Psychopathologie du totalitarisme (Ariane Bilheran)

Mes fidèles lecteurs savent qu'Ariane Bilheran fait partie du trio magique (ajoutez Louis Fouché et Laurent Toubiana) qui m'a permis de tenir le coup lors du délire covidiste, de vérifier que mes intuitions et mes analyses étaient justes, que je n'étais pas fou, que c'était bien les moutons qui étaient fous. Ca compte.

Ils ont rempli au fond la mission que l'Eglise a abdiquée (je ne m'en remets pas. Pas de messe de Pâques en 2020, plus qu'une trahison) : c'était à l'Eglise de dire qu'une épidémie ne justifiait pas de renoncer à son humanité.

Vous retrouverez beaucoup d'idées déjà énoncées dans des videos d'Ariane Bilheran, sur mon Twitter et sur ce blog.

Je me permets une recension sans coller à son texte.

Tyrannie, dictature et totalitarisme

La tyrannie cherche le pouvoir politique, le totalitarisme cherche le pouvoir total sur les corps et sur les âmes.

La tyrannie se calme quand l'opposition est muselée, le totalitarisme se déchaîne quand l'opposition est muselée (c'est pourquoi il est important de continuer à résister, pour retarder le déchainement totalitaire).

La tyrannie s'arrête quand le tyran est mort, le totalitarisme trouve un remplaçant car c'est l'idéologie, et non un homme, son moteur.

La dictature est provisoire, le totalitarisme a vocation à être éternel (le Reich de mille ans), même s'il n'y parvient jamais.

La masse et l'idéologie

La masse, c'est quand l'individu perd toute personnalité, abdique tout sens moral et se fond dans la foule.

L'idéologie est ce qui permet la formation de la masse, ce qui justifie que l'individu perde plus ou moins volontairement toute autonomie.

L'idéologie suit toujours le même schéma : une grande peur fantasmatique qui abolit toute la complexité du réel et justifie le sacrifice total de la personnalité des individus pour le bien du groupe.

L'idéologie, la grande peur fantasmatique : le complot juif menace l'existence du peuple allemand. Le réel : aucun complot ne peut menacer l'existence d'un peuple de 60 millions.

L'idéologie, la grande peur fantasmatique : un virus très dangereux nous menace et exige des mesures liberticides exceptionnelles. Le réel : les épidémies font partie de l'ordinaire de l'humanité, ne sont pas exceptionnelles, les mesures liberticides sont une catastrophe sanitaire et le COVID n'était pas un virus très dangereux.

L'idéologie, la grande peur fantasmatique : un réchauffement climatique menace l'existence de l'humanité. Le réel : aucun réchauffement ne peut menacer l'humanité, qui en a vues bien d'autres, nous avons tous les moyens techniques de nous adapter à un réchauffement sans même nous en apercevoir (il suffit de mettre la climatisation plus fort et d'irriguer plus !).

L'idéologie : l'immigration est une chance pour la France. Le réel : toutes les sociétés multiethniques sont multiconflictuelles et la France pouvait très bien se passer d'immigration. Par contre, je ne vois pas à quelle grande peur fanstasmatique l'idéologie immigrationniste répond. Je laisse ce point à votre sagacité.

Vous pouvez continuer cette liste.

L'idéologie est une prophétie auto-réalisatrice.

L'idéologie est une prophétie auto-réalisatrice : les idéologues se débrouillent toujours pour que les catastrophes qu'ils prévoient adviennent. C'est facile, puisque leur démarche nie la complexité du réel, ce qui ne peut que provoquer des catastrophes. De plus, les idéologues biaisent les perceptions dans le sens de leur prophétie en trafiquant les statistiques et les mesures (grand sport soviétique).

La prophétie : les koulaks planquent des blés. La réalisation : à force d'être persécutés, les koulaks ont effectivement caché des blés.

La prophétie : les juifs sont sales et pouilleux. La réalisation : les nazis ont privé les juifs de tout, ils sont devenus sales et pouilleux.

La prophétie : le complot juif menace l'Allemagne. La réalisation : à la fin de la guerre provoquée par les nazis, l'Allemagne était rasée.

La prophétie : le COVID est une épidémie très grave. La réalisation : le comptage des morts du COVID était fait de telle manière qu'il y avait une surévaluation grossière (un facteur 5 parait un minimum). De plus, les mesures prises (intubation, Rivotril, confinement, Doliprane dodo, interdiction de fait de soigner) garantissaient une forte mortalité artificielle, entièrement créée par les décisions gouvernementales.

Un exemple de croyance qui fabrique la réalité :


La prophétie : il y a un réchauffement climatique. La réalisation : tous les ans depuis cinq ans, les mairies écologistes (Paris, Grenoble, etc ...) battent le record d'arbres abattus (pour construire des pistes cyclables). L'effet d'ilot de chaleur urbain est renforcé, les urbains perçoivent un réchauffement.

La prophétie : il y a une crise énergétique. La réalisation : les attaques contre le nucléaire, la promotion des énergies intermittentes, les fâcheries internationales, la restriction des permis d'exploration, tout concourt à faire paraitre aux Français l'énergie rare et chère, alors qu'en réalité, il n'y a aucune raréfaction de l'énergie au niveau mondial.

La prophétie : on va manquer d'eau. La réalisation : les différentes lois prétendues écologistes désorganisent à ce point la gestion de l'eau en France qu'il se pourrait bien qu'on en manque, artificiellement. Et si ça ne suffit pas, les préfets prendront des arrêtés de rationnement, ce qui donnera aux gens l'impression qu'il y a une pénurie. Je peux y ajouter la lutte contre les « mega-bassines » (ce vocabulaire d'enfants de 5 ans).

La prophétie : nous allons avoir besoin d'immigrés pour payer nos retraites. La réalisation : à force d'assommer les Français de taxes, d'impôts, de réglementation, de charges, plus personne ne veut travailler et faire des enfants, il y a donc besoin d'importer de la main d'œuvre (qui d'ailleurs ne travaillera pas).

Une fois que vous avez intégré ce mécanisme d'auto-réalisation de l'idéologie totalitaire, vous pouvez allonger la liste vous-même.

Vous comprenez bien alors que ceux qui disent à propos de nos dirigeants « Ils sont nuls et incompétents » passent à côté du problème. Ils sont peut-être nuls et incompétents, mais ce n'est pas le fond du problème. Le fond du problème est qu'ils sont des idéologues, donc des pervers.

Je note que, hors de son domaine d'expertise, le climat par exemple, Ariane Bilheran montre un bon jugement sans trop s'aventurer.

La coupure

Pour que l'homme se transforme en individu-masse, il doit être coupé de toutes ses attaches traditionnelles, de la famille au club de pétanque, en passant par l'Eglise et par la famille, par son histoire, etc.

Le délire covidiste en fut un cas tellement exemplaire (ne va pas voir mamie, tu vas la tuer. Muselière. PaSS. Reste en télétravail. Visites à l'hôpital verboten. Messe verboten. Funérailles verboten etc.) qu'il est inutile d'expliquer plus avant de quoi il s'agit à ceux qui l'ont vécu.

Evidemment, quand Macron déclare « nous devons déconstruire notre histoire », il s'intègre parfaitement dans cet horrible tableau.

Le système totalitaire

Le système totalitaire est une promesse de régression ab utero : « Abdique toute autonomie et l'Etat va te prendre totalement en charge comme quand tu étais dans le ventre de maman ».

Là encore, le délire covidiste fut archétypal. Durant le confinement, pour beaucoup, l'appartement ou la maison où ils étaient obligés de rester faisaient fonction d'uterus géant. Récemment encore, certains me faisaient part de leur nostalgie du confinement !

La particularité de notre époque est que notre totalitarisme est aussi multiforme que nos peurs (voir les listes d'exemples ci-dessus), et non pas concentré sur une seule peur comme naguère.

L'essence du totalitarisme est le Mensonge sur la condition humaine : personne ne peut nous faire régresser jusqu'à la naissance, même pas l'Etat, et nous devons tous affronter la complexité de la vie et la peur de la mort.

Le Mensonge se décline en plein de petits mensonges pratiques.

Parmi eux, le noyautage et le pourrissement des institutions : elles restent en place mais sont vidées de leur sens. Auguste, Hitler et Macron ont largement pratiqué.

Auguste ne s'est jamais proclamé empereur, il consultait le sénat qu'il méprisait. La république de Weimar n'est juridiquement morte qu'en 1945. Quant à la France de 2023, vous savez bien que c'est une démocratie purement formelle (et les formes même sont de moins en moins respectées) et que le choix électoral est factice, puisqu'il est impossible changer de politique, par exemple en sortant de l'UE ou en arrêtant l'immigration.

Dans ce mensonge politique généralisé, l'opposition contrôlée, l'opposition qui s'oppose sur des détails mais jamais sur l'essentiel, l'opposition fausse qui prend la place de l'opposition vraie, joue un rôle central. On la retrouve sous diverses formes dans tous les régimes totalitaires (« Il y a des tensions dans le Politburo », « Le Reichsmarshall trouve que le Führer va trop loin / pas assez loin », « Le danger Le Pen, le danger Zemmour » etc.).

Certains butent sur la notion de contrôle. Il ne s'agit pas de dire que Macron téléphone à Zemmour, à Mélenchon et à Le Pen pour leur donner des ordres. Il s'agit de dire que l'accès aux medias et aux financements est contrôlé, sous condition, révocable ad nutum.

Zemmour, Mélenchon et Le Pen savent qu'il y a des tabous à respecter s'ils veulent continuer à être autorisés à apparaitre sur la scène : on peut critiquer la propagande LGBT mais pas l'homosexualité en soi, l'évocation du Frexit est interdite, la dérive liberticide ne doit être combattue qu'anecdotiquement (la surenchère de propositions liberticides par « l'opposition » est symptomatique : qu'est-ce qui arrange plus le pouvoir que de lui donner encore plus de pouvoir ?), etc.

Tenter de s'opposer dans le cadre totalitaire, c'est jouer un jeu dont votre adversaire change les règles en permanence à sa guise, c'est être dupe et, en définitive, complice.

La liberté que veut supprimer le totalitarisme n'est pas binaire, fromage ou dessert ?, d'ailleurs le totalitarisme fausse toujours le choix en jouant sur la culpabilisation (l'ignoble « Les soignants ont la liberté de ne pas se "vacciner" ... en perdant tout . Sauf l'honneur.»).

La liberté humaine, c'est fondamentalement la conscience de n'être qu'un point dans un univers infini. C'est fromage et dessert, ou ni fromage ni dessert, ou ce fromage là mais pas celui-là, ou juste un petit dessert, ou pas de fromage mais deux desserts ...

La liberté est nourrie de l'intime, le dialogue avec vous-même, votre for intérieur. « L'homme qui n'est jamais moins seul que quand il est seul » d'Aristote.

Etat d'exception permanent, destruction du droit et abolition de l'intime

Le totalitarisme marche au chantage permanent au bien commun : à cause du méchant ennemi (le juif, le virus, le terroriste, le « carbone » etc.), vous devez renoncer à votre liberté avec joie. Les cons « fact checkers » écrivaient « libertay » pour se moquer des hommes choqués par le délire liberticide covidiste. Pour eux, la liberté n'est pas sacrée, même pas respectable, c'est un sujet de moquerie parce qu'elle est l'ennemi de la fusion totalitaire, du collage tous ensemble dans le ventre de maman.

Il y a de nombreux signes du totalitarisme, mais l'un des plus flagrants, des plus difficiles à manquer, c'est que le pouvoir passe son temps à faire peur, pour ensuite proposer des « solutions » liberticides aux peurs qu'il a agitées. Il paraît (c'est un vieux souvenir que je n'ai pas réussi à vérifier) que Sicherheit (sécurité) était le mot le plus utilisé de la langue nazie.

D'exception en exception, l'arbitraire permanent  devient la norme et le droit est détruit, même s'il reste une légalité d'opérette pour rassurer les lâches. On vote toujours, mais dans le vide, sans vrai choix. Les zeks, les détenus du goulag, se présentaient par l'article de loi qui les avait fait condamner :  « Je suis un article 36 », « Je suis un article 17 » etc.

L'intime est aboli non seulement par l'arbitraire permanent mais par le bombardement incessant de sons et d'images. Quand Bernanos déclare « la modernité est une conspiration permanente contre toute forme de vie intérieure », il décrit le mécanisme du totalitarisme au niveau individuel.

Soljenitsyne ne dit pas autre chose dans son célèbre discours d'Harvard de 1978 sur le déclin du courage, quand il raconte qu'il a été assailli par le bruit et pales images de l'Amérique et qu'il faut éteindre la radio et la télévision « au nom du droit de votre âme immortelle au silence ».

Le premier devoir des Français face au totalitarisme, c'est de jeter leur télévision à la poubelle. De le faire vraiment, pas juste de dire « la télé, c'est nul », tout en la laissant régner au milieu du salon.

La responsabilité individuelle

Ariane Bilheran est sans ambiguïté : même si on peut trouver des explications psychologiques à l'emprise totalitaire, les collaborateurs du totalitarisme, les obéissants, sont pleinement responsables au sens juridique de leurs actes. Les considérer comme irresponsables serait une trahison de ceux qui, placés dans les mêmes conditions, ont résisté.

Je note ces phrases :

« Avec le totalitarisme, plus on monte dans la hiérarchie des décideurs politiques, plus le cynisme est élevé et plus l'intention de nuire est présente. » (je disais la même chose en critique de la notion de banalité du Mal.)

« Pour un paranoïaque, la parole n'a pas valeur d'engagement, elle n'est qu'un outil au service du délire. Et l'on voit bien que, chez les politiques, la parole a moins de valeur que dans la mafia traditionnelle. »


Détruire l'âme

Le totalitarisme emploie principalement 4 techniques d'assujettissement :

1) La perversion du langage (« Le malade asymptomatique », « les quartiers populaires », « les incivilités » etc). La déréalisation est constante, l'euphémisation est une arme au service de la perte de contact avec le réel.

2) Le clivage. Tous les choix sont binaires, manichéens, pour moi ou contre moi. La culpabilisation est associée à cette technique « Tu n'as pas de muselière ! Tu veux tuer les vieux ? ».

3) Les injonctions paradoxales (« Pense aux autres, sois altruiste : reste enfermé chez toi et ne vois personne »). La principale injonction paradoxale de notre temps est en quelque sorte sa devise : « Sois toi-même : fais et pense comme tout le monde ».

Dans cette technique, sous prétexte de sécurité, le pouvoir multiplie les micro-consignes tatillonnes, les fameux « petits gestes », qu'il faut absolument refuser car ils vous engagent inconsciemment à valider le délire totalitaire et à accepter les grands sacrifices.

4) L'isolement. Tous les liens non-étatiques sont attaqués, il ne reste plus que des atomes sous la tutelle de l'Etat puissant.

Les super témoins

Par un mécanisme mystérieux, le pouvoir totalitaire épargne des témoins qui ont la capacité d'analyser ses crimes (Soljenitsyne, Arendt, Klemperer ...), des super témoins.

Inutile d'insister sur la traduction en grec de témoin, martyr.

Viktor Klemperer et son épouse sont parmi les douze juifs, sur six mille, survivants de Dresde (sauvés par le fameux bombardement). Il n'y avait pas dix hommes en Allemagne capables d'analyser la langue nazie comme il l'a fait (ce qui ne l'a hélas pas empêché ensuite de collaborer au régime de la RDA).

Ariane Bilheran cite un cas spectaculaire de témoin : harcèlement, y compris sexuel, en entreprise par un directeur régional avec détournements de fonds, la totale. Le type paranoïaque au dernier degré se méfiait de tout le monde ... sauf de sa secrétaire, qui ne disait rien mais archivait tout.

Hannah Arendt est le type même du témoin qui a tout compris et ne se raconte pas d'histoires, illustrant dans sa personne le proverbe juif : « Les pessimistes ont fini à Hollywood (dans son cas, à New York), les optimistes à Auschwitz ».

Pourquoi les témoins ? Le témoin par excellence a répondu, dans le plus célèbre dialogue de l'histoire de l'humanité (à part « Luke, je suis ton père ») : « Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix ». Ce à quoi le représentant du pouvoir totalitaire (par certains côtés, l'empire romain était proto-totalitaire) répond : « Qu'est-ce que la vérité ? ». Sur ces mots, il sortit.

La contagion et l'immoralité

Il ne fait aucun doute que le délire paranoïaque totalitaire est contagieux.

J'ai vu des gens qui s'en foutaient du rhume de Wuhan virer leur cuti en quelques jours.

Qu'est-ce qui est contagieux ? L'idéologie, le traumatisme ou le déni ?

Ariane Bilheran répond que c'est le traumatisme. L'idéologie et le déni arrivent comme conséquences.

C'est parce que mes voisins ont peur que je finis par avoir peur.

Je me demande souvent pourquoi j'ai résisté au délire covidiste et pas mon entourage. La réponse est simple mais n'explique pas grand'chose : parce que je n'ai pas été traumatisé par la peur du COVID.

Voir Salomon compter les morts tous les soirs sur internet (je n'ai pas la télévision, gros avantage) ne m'a pas effrayé, ça m'a scandalisé. Je me suis dit immédiatement que c'était scandaleux qu'un gouvernement effraie sa population avec des chiffres bidons (tout de suite, j'ai douté qu'on puisse rassembler quotidiennement des chiffres exacts. De plus, je me suis précipité pour me renseigner sur le nombre de morts total en France en période normale pour relativiser). J'ai rapidement évité cette cérémonie macabre et je n'ai pas applaudi à la fenêtre comme les cons.

Ariane Bilheran insiste sur la responsabilité individuelle mais reconnait qu'il faut être psychiquement très solide pour résister à la contagion du traumatisme. Elle cite un chiffre de 1 à 2 %. Si je compte les non-"vaccinés" autour de moi, je trouve plutôt 5 % (j'exclus les non-"vaccinés" sous pression très forte d'un autre non-"vacciné").

Ensuite, le discours idéologique habille le traumatisme. Et le déni explique qu'il n'y a pas eu de traumatisme, qu'on a juste « fait au mieux dans une situation difficile, personne n'aurait fait mieux » et que, d'ailleurs, « va en Corée du Nord si t'es pas content » (entendu/lu des dizaines de fois).

Vient alors l'immoralité.

Car le traumatisé par le délire paranoïaque totalitaire sait au fond de lui qu'il a été traumatisé et qu'il a accompli, qu'il continue à accomplir, des actes immoraux et ridicules (tous ces débiles avec leur muselière et leurs gestes à la con).  Pour extérioriser ce malaise qu'il ne veut pas s'avouer, il n'a qu'un moyen : essayer de faire disparaître ceux qui sont des preuves vivantes qu'il est débile, ceux qui résistent. Et pour cela, tous les moyens sont bons (le paSS, le confinement sélectif, la piquouse forcée, les fours, le goulag ...). D'authentiques saloperies créent des précédents et justifient les prochaines saloperies encore pires.

Il y a trois catégories de totalitaires actifs : les paranoïaques qui élaborent la doctrine, les pervers qui l'appliquent et les psychopathes qui font le geste ultime (pousser les gens dans les fours, persécuter la petite vieille qui n'a pas signé son auto-attestation, etc). Bien sûr, ces profils ne sont pas étanches.

La violence du traumatisme explique qu'il y a des phases de relaxation du délire totalitaire. Si la pression était maintenue constamment, la population décompenserait massivement et le pouvoir la perdrait. A la fin de l'Allemagne nazie et de l'URSS, il y a une vague de suicides et même des suicides collectifs (Les suicidés de Demmin).

On m'a raconté deux cas de dépression de gens qui, à cause des effets secondaires des "vaccins", ont ouvert les yeux sur le délire covidiste « on a fait tout ça pour rien ».

Les quatre interdits

Les quatre interdits qui structurent un psychisme adulte sont :

Interdit du meurtre (y compris symbolique)

Interdit de l'inceste  (y compris symbolique)

Interdit de nier les différences de génération  (y compris symbolique)

Interdit de nier les différences des sexe  (y compris symbolique)

Il est aisé de constater que le totalitarisme actuel s'attaque à ces quatre interdits. Ce n'est pas un hasard, puisqu'il s'agit de faire régresser les adultes et de les faire redevenir des enfants, dépendants psychiquement de maman-Etat.

Les appels aux meurtres, et pas que symboliques, ont été nombreux lors du délire covidiste, variations sur le thème « Laissons crever les non-'vaccinés' ». Ca recommence avec Israël/Palestine.

Interdit de l'inceste, inutile d'insister : la classe dirigeante, c'est pedoland, « Epstein, sur tous les murs, j'écris ton nom ».

Nier les différences de générations. « Mets ton masque sinon tu va tuer mamie », alors que normalement c'est l'inverse, les vieux protègent les jeunes. J'ai entendu un boumeur dire « Les enfants masqués, je m'en fous ». Et ça continue avec l'économie de rente, dont le fonctionnement est entièrement orienté vers les vieux au détriment des jeunes.

Nier les différences des sexes. Là encore, inutile d'épiloguer, c'est l'actualité de tous les jours, de toutes les heures.

Les prochains : pourquoi la révolution dévore toujours ses enfants.

Le collage (tous collés dans le ventre de maman-Etat, sans divergence d'intérêts, d'opinion, de caractère, d'humeur, la grande fusion dans la matrice. « Tousse ensemble, tousse ensemble » comme ironisaient les impies dans mon genre pendant le culte covidiste) ne fonctionne évidemment jamais, puisque les hommes réels sont toujours des individus séparés (ce qui ne les empêche pas d'être bien dans leur peau, s'ils ont une vie intérieure).

Mais la promesse du collage est si forte qu'on n'y renonce pas (on remarque que le christianisme a eu l'intelligence de transférer cette promesse de collage « ils ne feront plus qu'un » dans un autre monde). Donc, devant l'échec évident, il faut trouver des coupables, des boucs-émissaires.

Au début, c'est facile : on persécute les résistants notoires, puis les sympathisants. Mais, comme l'échec du collage est toujours là et que les résistants ne sont que quelques pour-cents, on en vient vite à persécuter les obéissants, qui sont d'autant plus déboussolés qu'ils ont obéi.

La blague soviétique « Ton arrestation prouve que tu es coupable, l'instruction va déterminer de quoi. » n'en est pas vraiment une. Pour le délire totalitaire, nous sommes tous coupables d'être des hommes séparés, qui, même avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent pas rester collés.

Quelle est la facilité ? Persécuter le totalitaire à côté de toi, qui, en plus, risque de te piquer ton pouvoir.

Et voilà pourquoi la révolution finit toujours par persécuter ses propres enfants.

Et voilà pourquoi, dire « Je vais obéir et tenter de passer entre les gouttes » n'est pas une si bonne idée.

Les gens ont-ils veauté pour ça ?

Aucun candidat ne s'est présenté aux élections en disant « Je vais établir un régime techno-totalitaire comme vous n'en avez jamais vu. Votez pour moi ! ». Alors, les Français (c'est valable pour tout l'Occident, mais c'est la France qui m'intéresse) sont-ils responsables ?

Oui, parce qu'ils ont laissé s'établir la société régressée, immorale, qui favorise l'accession au pouvoir des plus pervers. C'est mai 68, « jouir sans entraves », Cohn-Bendit et Gainsbourg faisant la propagande de l'inceste sous les applaudissements de la foule, les encouragements à « rester jeune », « cours, le vieux monde est derrière toi » et tout ce bazar.

Prenons deux exemples : Mitterrand et Macron.

Mitterrand, cet arriviste sans scrupules, n'aurait jamais pu être élu par un peuple de Spartiates. Pour son élection, il a fallu un peuple de jouisseurs infantilisés au point de croire la fadaise qu'il allait « changer la vie ».

Pour Macron, c'est encore pire : ce sale type, qui a épousé sa mère symbolique,  (qui pourrait être son père), porte sur lui qu'il est givré pervers. Des individus normaux, solides, pas des gibiers de propagande, rejettent instinctivement un tel candidat.

Il est important de comprendre que l'idéologie du bonheur fragilise les hommes. En effet, la vie humaine est tragique, faire de la quête du bonheur le but de la vie ne peut que générer de la déception, de la frustration et, à la fin, de la fragilité à la manipulation.

La modernité, totalitaire par nature

La modernité est totalitaire par nature.

Parce qu'elle est la forclusion du Père mise en actes.

Concrètement, l'homme est atomisé par la division toujours plus fine des tâches. Il a perdu toute autonomie. La perte de l'autonomie matérielle nous fait perdre notre autonomie psychique. Nous sommes à l'époque des adolescents éternels.

Depuis 50 ans, l'abrutissement par les écrans nous a fait passer à un stade supérieur de la déshumanisation. Pour la première fois, l'intelligence s'écroule, les gens deviennent bêtes du fait de leur mode de vie.

Et nous n'en sommes qu'au début : voyez cette terrifiante video (même moi, je regarde des videos pour dénoncer les videos !!!) d'Eric Sadin sur la déshumanisation par l'« intelligence » artificielle (c'est dommage que l'intervieweur ne soit pas au niveau) : IA : le devenir légume de l'humanité ?.

Depuis Bentham, la modernité, c'est l'utilitarisme, l'obsession de l'optimisation. Et le stade ultime de l'optimisation, donc de la modernité, c'est de tuer les inutiles : les bébés non voulus, les handicapés, les malades, les vieux, et, à la fin, les gueux surnuméraires.

Le judéocide nazi n'est pas une anomalie de la modernité, c'en est le couronnement.

Les massacres de masse atténuent la frontière entre la vie et la mort. Rendre la mort quotidienne, ça calme l'angoisse existentielle des pervers paranoïaques. Ce n'est pas un hasard si notre société abolit les rituels qui marquent la séparation entre les morts et les vivants et vraiment pas un hasard si les covidistes ont interdit les funérailles. Si, un jour malheureux, vous êtes tenté de veauter Edouard Philippe (ça serait surprenant de la part de mes lecteurs, mais sait-on jamais ?), souvenez vous que c'est le cinglé qui a empêché les familles en deuil d'enterrer dignement leurs morts.

Les traumatismes transmis

En résumé, comme Mattias Desmet mais plus finement, Ariane Bilheran nous dit que le totalitarisme se développe quand des pervers (cette notion est absente chez Desmet) profitent de la vulnérabilité psychique de la population, quand beaucoup de gens sont fragiles psychiquement. Elle a en quelque sorte inventé la psychologie statistique, comme il y a la thermodynamique statistique (la thermodynamique statistique consiste à tirer des équations macroscopiques sur la chaleur à partir du comportement des particules).

Bien sûr, la population est fragile psychiquement à cause de la modernité (les écrans, l'isolement, la destruction de la famille, etc).

Mais Ariane Bilheran se demande s'il n'y a pas des traumatismes hérités, comme les deux guerres mondiales.

Jusqu'à la lie

D'après Ariane Bilheran, il n'y a pas d'exemple de délire paranoïaque collectif, que ce ce soit en entreprise, en famille ou dans un pays, qui ne soit allé jusqu'au bout, jusqu'à la destruction du corps social qui en est victime.

On peut ne pas entrer dans le délire paranoïaque collectif : Lénine aurait pu rester un comploteur raté dans les cafés de Zurich, Hitler un agitateur munichois, Hollande et Macron des bureaucrates incapables. Mais, une fois qu'on y est entré, impossible d'en sortir autrement que par la catastrophe.

Les juifs qui sont partis d'Allemagne au début des années 30 avaient une intuition juste.

Le choix de la vie héroïque

Le contraire de la grande fusion totalitaire, c'est le choix de la vie héroïque. Savoir qu'on est né d'un homme et d'une femme, qu'on souffre et qu'on va mourir et de ne pas être, malgré cela, infantilisé par la peur.

C'est la vie humaine de référence depuis que le monde est monde. Mais il y a toujours eu des pulsions totalitaires, à cause de la dureté de cette vie, un texte de Thucydide est frappant d'actualité sur le naufrage moral d'Athènes aux pires heures de la guerre du Péloponnèse.

Les hommes de 2023 sont particulièrement fragiles, eux qu'un système fou prétend protéger du tragique de la vie.

Avec Dieu au goulag

Avec Dieu au goulag
est le livre d'un prêtre qui a passé 23 ans goulag.

La première leçon : lâchez prise.

Lâchez prise, pas au sens du yoga dévoyé, qui, en cultivant votre égocentrisme, vous rend encore plus malheureux.

Comprenez que des obsédés du contrôle comme les totalitaires sont imbattables à ce jeu, refusez de jouer leur jeu, celui du contrôle, de l'opposition, de la colère, de la violence. Méditez l'échec des Gilets Jaunes. Notamment, refusez de jouer le jeu des medias : refusez de vous émouvoir pour leurs images, refusez de prendre à votre compte les querelles qu'ils vous montrent.

Ne culpabilisez jamais. Ce sont des pervers, ce sont eux les coupables. Vis-à-vis d'eux, vous n'êtes coupable de rien. Si vous êtes harcelé ou arrêté, vous n'avez commis aucune faute, vous êtes juste victime de l'arbitraire totalitaire.

Cultivez votre jardin intérieur, cultivez vous et transmettez. Le totalitarisme est toujours une idéologie de la table rase.

Acceptez la transcendance. On a moins peur de l'Etat quand on sait que Dieu vous regarde.

Ca me fait penser à Claude Tresmontant qui dit que, dans la Bible, le contraire de l'intelligence n'est pas la stupidité, mais le péché.

Aidez autour de vous sans prosélytisme (argumenter ne sert qu'à dresser les défenses de l'hypnotisé). Le totalitarisme déteste l'amitié.

Soljenitsyne, Sakharov et Jean-Paul II ne se sont pas opposés en organisant des manifestations, mais en témoignant. Une journée d'Ivan Denissovitch et L'archipel du goulag ont plus fait pour la chute de l'URSS que tous les complots de la CIA.

Et, ultime conseil d'Ariane Bilheran : peuplez votre vie intérieure, apprenez par cœur des classiques (comme dans Fahrenheit 451 !). Les chrétiens connaissent des prières et des chants par cœur. Vous pouvez aussi apprendre les fables de La Fontaine, par exemple, ou l'apologie d'Athènes de Périclès, ou le discours de séduction de Solal dans Belle du Seigneur, le choix est infini.

L'humanité ne finira pas. Après le passage de la tempête totalitaire, il restera toujours des hommes à qui transmettre.

Lisant Le cheval d'orgueil de Pierre-Jakez Heliaz, j'ai été impressionné par son grand-père, sabotier breton, né dans les années 1860. Illettré mais pas inculte, il connaissait une foule d'historiettes et de contes, plusieurs pour chaque circonstance de la vie. Je ne doute pas une seconde qu'il avait un psychisme plus solide, parce que nourri de ces histoires, que nos modernes abrutis par les écrans qui ont pourtant tous les livres du monde à portée de clic.

Soyez le grand-père de Pierre-Jakez Heliaz.

Et commencez donc par lire Ariane Bilheran.

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Addendum : j'ai oublié de remercier le restaurateur de Port Vendres (il se reconnaitra) qui nous a fait passer devant des boumeurs qui lui présentaient leur PaSS en nous disant « Allez y, le paSS, pas la peine, je sais que vous l'avez » (en sachant bien sûr que nous ne l'avions pas).

Je remercie aussi ce restaurateur qui nous a casés dans un coin et est venu nous expliquer en fin de repas, embarrassé, qu'il était dénoncé par des clients quand il ne vérifiait pas le Pass.

Je ne remercie pas ce restaurateur dont nous étions des clients réguliers qui nous a vidés comme des malpropres.

A propos du Pass, nous avons remarqué que plus on montait dans l'échelle sociale des restaurants, plus la paranoïa covidiste était ostentatoire. La bourgeoisie, cette classe satanique (mais, bon, je radote).






samedi, novembre 04, 2023

Killers of the flower moon


Certains crient au chef d'œuvre, c'est très exagéré mais c'est un bon film avec de bons acteurs. Et qui rappelle que les Etats-Unis sont un pays raciste (comme la France et le Québec ne l'ont jamais été).

samedi, octobre 28, 2023

La terre plate (Violaine Giacomotto-Chara & Sylvie Nony)

« Nos ancêtres médiévaux croyaient que la Terre était plate. C'est avec les grandes découvertes qu'ils ont compris que la Terre était ronde ».

C'est un lieu commun fort répandu. Je  ne sais pas combien de Français y croient, mais la totalité des journalistes et pas mal d'enseignants, c'est sûr.

Or, c'est totalement faux. Depuis l'antiquité grecque, l'Occident sait que la Terre est ronde.

Les auteurs analysent l'histoire de cette idée fausse.

Une époque bénie

Le moyen-âge (même si ce concept historique est trompeur, tout le monde comprend) est une époque d'extraordinaire énergie intellectuelle et spirituelle.

Sa richesse donne le tournis : Saint Louis, Saint Bernard, Saint Thomas d'Aquin, les cathédrales, les vitraux, la botanique, la philosophie ...

Certains (Rémi Brague, par exemple) pensent que la modernité est l'épuisement de toute cette énergie qui a été accumulée pendant les cinq siècles du moyen-âge (l'an mille, 1492, pour faire simple). 

Au Moyen-Age, on savait (car le savoir antique n'était pas complètement perdu et nous n'avons pas eu besoin pour le transmettre des arabes, mais des byzantins (1)) que la Terre était ronde, on connaissait sa circonférence à 10 % près (résultat de la remarquable expérience d'Eratosthène) et on avait même une idée (assez théorique) du climat en cinq bandes (deux bandes polaires, deux bandes tempérées et une bande équatoriale).

Le savoir en grec était perdu mais une partie du savoir grec était passée par le latin et l'autre par Byzance. On n'avait perdu que la partie la plus pointue : on savait que la Terre était ronde, on avait une idée de sa circonférence mais l'expérience d'Eratosthène était perdue.

Les auteurs dressent une liste intéressante de livres de référence au Moyen-Age.

« Au Moyen-Age, on savait que la Terre était ronde. » Qui était « on » ? Réflexions sur le savoir académique et sa diffusion dans un monde où l'écrit était très cher et donc peu répandu. On ne sait pas vraiment si paysan du Périgord croyait que la Terre était ronde (on ne sait pas non plus s'il croyait qu'elle était plate).

Mais, grâce aux ouvrages de vulgarisation, on peut descendre au niveau de l'artisan lisant-écrivant et là, il n'y a aucun doute : la Terre est ronde.

Au passage, ça met à bas le mythe du religieux médiéval obscurantiste, puisque tout ce savoir ne pouvait se transmettre sans les encouragements de l'Eglise. En fait, le Moyen-Age était par bien des aspects plus éclairé que la Renaissance.

Umberto Eco a fait beaucoup de mal, à notre époque, avec ses conneries anti-cléricales. Les religieux ressemblaient plus à Guillaume de Baskerville qu'au méchant Jorge (même si j'admets que Jorge est un bon prénom de méchant, n'est-ce pas ?).  Eco est impardonnable, puisqu'il ne peut pas être taxé d'inculture.

A la décharge d'Eco, le film d'Annaud est beaucoup plus caricatural que le livre (avec ses longs passages en latin. Comment un machin pareil a-t-il pu être vendu, lu ?, à vingt millions d'exemplaires ?).

L'idéologie de la table rase

Bien entendu, cette légende noire de « au Moyen-Age, on croyait que la Terre était plate » vient, comme d'habitude, de ces enculés des pseudo-Lumières, pour qui rien de bien ne devait avoir existé avant eux et « l'infâme » (l'Eglise) était coupable de tous les maux.

Tous ces gens reprenaient quelques phrases idiotes de Lactance niant l'existence des antipodes au prétexte que les hommes y marcheraient sur la tête. C'était ignorer (volontairement ou non) que Lactance ne faisait pas autorité au Moyen-Age.

On retrouve bien évidemment cet enfoiré de Voltaire à la manœuvre. C'est extraordinaire : dès qu'il y a une saloperie à faire, un mauvais coup, il répond présent. C'est un des personnages les plus vils de l'histoire de France.

Mais le mythe « Au Moyen-Age, on croyait que la Terre était plate » a pris seulement au XIXème siècle, avec les conneries positivistes. Pour justifier ce culte scientiste, il était nécessaire que la flèche du progrès fût monotone, passant progressivement de l'obscurité à la lumière.

Ainsi, l'époque qui se voulait éclairée et méprisait ses prédécesseurs a propagé un nombre de bobards record (le droit de cuissage en est un autre exemple).

L'affaire Galilée s'en mêle et, hop !, « consensus »

A la fin du XIXème siècle, la vulgarisation fait une joyeuse salade, entre « ils croyaient que la Terre était plate », l'affaire Galilée (qui n'a rien à voir avec la rotondité de la Terre. C''est l'héliocentrisme, est-ce que la Terre tourne autour du Soleil ?) et « C'est Christophe Colomb qui a prouvé que la Terre était ronde ».

En particulier, les Etats-Unis deviennent un champ de bataille entre les protestants qui font de Colomb un militant anti-catholique et les catholiques qui en font un quasi-saint. Plus rien à voir avec l'histoire.

L'idée reçue s'installe, elle va de soi, plus personne ne l'interroge. Elle « fait consensus ». Parce que (classification de Pareto), elle est fausse mais utile (utile pour renier le Père, pour renier l'Eglise, pour renier le trop lourd devoir d'être des héritiers spirituels).

Pourtant, comme pour d'autres consensus trompeurs (suivez mon regard), il n'y a pas besoin d'être un érudit pointu pour soupçonner qu'il y a un loup. Il suffit de savoir que le Moyen-Age n'est pas obscurantiste, ce qui n'est tout de même pas la mer à boire, ce n'est pas un exploit universitaire d'avoir entendu parler de Saint Thomas d'Aquin ou de Guillaume d'Ockham.

La légende noire de la scolastique

Rabelais et Montaigne sont à un sommet de mauvaise foi lorsqu'ils critiquent la scolastique en la caricaturant.

Cela me rappelle Jacques Martin et Olivier de Kersauson aux Grosses Têtes se moquant des jésuites qui les avaient instruit, pour finir par reconnaître qu'ils leur devaient leur culture.

La stupidité des ingrats.

Dommage que la modernité ait pris ces évaluations malhonnêtes pour argent comptant.

Et puis, pendant qu'on y est, au Moyen-Age, on ne brulait pas de sorcières à tire-larigot, c'est venu à la Renaissance (Jeanne d'Arc est à la charnière). Et la dissection à des fins scientifiques n'était pas interdite. Et on savait que la Terre était ronde.

Je me permets de vous renvoyer à la liste Wikipedia des inventions médiévales.

Enfin, les auteurs ne sont pas sans humour, ce qui est rarissime chez les universitaires.

Bref, cet opuscule est plaisant et, à notre époque qui s'appelle Mensonge, un tout chti bout de vérité, cela fait du bien.

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(1) : évidemment, la scandaleuse censure universitaire d'Aristote au Mont Saint Michel et de son auteur ne reprochait à Sylvain Gouguenheim d'avoir tort mais d'avoir raison. Déjà en 2009, il n'y avait plus rien à tirer de l'université française, juste à y mettre le feu et à danser sur les cendres. Ceux qui font mine aujourd'hui de découvrir la vérole gauchiste à l'université sont des clowns.


jeudi, octobre 12, 2023

Maigret et Maigret.

J'ai regardé les deux séries télévisées de Maigret : celle avec Jean Richard, 1967-1990, et celle avec Bruno Cremer, 1991-2005. C'est très marrant de faire une comparaison au long cours.

Il n'y a pas photo, la première est nettement meilleure.

La seconde série règle le principal défaut de la première : l'anachronisme. Celle-là est censée se dérouler à l'époque du tournage, les années 70-90, alors que Maigret fait très peu appel à la police scientifique et évoque souvent la peine de mort. La série Cremer se déroulant dans les années 50, ce défaut disparait.

Mais, sur tous les autres plans, la première est bien meilleure.

Le personnage de Maigret est plus bonhomme, plus rond, plus d'humour. Les relations avec son épouse sont plus justes (c'est normal, c'était l'épouse de jean Richard dans la vie !).

Dans la seconde série, il y a des fautes d'écritures, des situations ou des propos qui jurent.

Mme Maigret se laisse parfois aller à des paroles vulgaires ou féministes qui ne vont pas du tout dans le personnage. La vraie Mme Maigret est plus subtile.

Deux exemples de fautes de scénario :

La tête d'un homme : l'assassin est supérieurement intelligent et désespéré. Il joue avec Maigret à risquer sa tête. Dans la série Cremer, il est rendu par un histrion sans répartie, les dialogues ne sont pas à la hauteur.

Maigret et l'enfant de chœur : le truc, c'est que l'enfant dit la vérité à un détail près, Maigret est le seul à le croire et se prend d'affection parce qu'il se revoit à son âge. Dans la série Cremer, l'enfant est un menteur pathologique, ça ne colle pas que Maigret s'identifie à un menteur pathologique. De plus, l'histoire est pimentée par le fait que l'enfant a de la sympathie pour l'assassin, ce qui est effacé de la série Cremer.

Je n'ai pas lu les romans de Simenon, je ne sais pas si l'une des séries est plus fidèle que l'autre.

Saint Paul et le mystère du Christ (C. Tresmontant)

J'aime bien Claude Tresmontant parce qu'il a les idées et l'expression très claires :

1) Sa philosophie est ce qu'il appelle le réalisme intégral. Ce réalisme consiste à considérer que Dieu existe, que l'homme a une âme et que Jésus est l'incarnation de Dieu. Pour lui, le matérialisme (l'homme n'est que matière, il n'a pas d'âme, Dieu n'existe pas, Jésus est un maitre de sagesse comme les autres) n'est pas réaliste, il ne prend pas en compte tout le réel.

2) Il parle les langues anciennes (hébreu, grec, araméen) ce qui lui permet un accès direct aux textes. Il est mort en récitant la Bible en hébreu ancien (c'est plus classe que d'être euthanasié en Belgique par une buveuse de bière obèse).

3) Pour lui, le Nouveau Testament (les quatre évangiles, l'apocalypse, les actes et les épitres) est bien plus proche temporellement du Christ que ne le dit l'exégèse moderne. L'exégèse date ces textes de l'an 90-100 alors que Tresmontant les situe dans les dix à vingt après la mort du Seigneur.

Evidemment, un. ouvrage sur Saint Paul est un choix qui n'a rien d'anodin.

L'Apôtre qui empêche Jésus d'être un hippie

Saint Paul est celui qui empêche le Christ d'être un hippie, un maitre de sagesse baba cool comme il y en a tant dans l'histoire de l'humanité. C'est pourquoi il irrite tous ceux qui aimeraient réduire Jésus à son humanité, le ramener à des schémas connus, lui enlever ses particularités gênantes, bref, le faire redescendre sur terre.

En effet, Saint Paul insiste lourdement sur deux points. En réalité, il ne dit que cela :

1) Le Christ est Dieu incarné, qui s'est sacrifié sur la croix pour notre salut.

2) L'Eglise est le corps du Christ.

Le second point est particulièrement irritant pour tous les mécréants parce qu'il oblige à l'humilité. En effet, si on accepte ce point, il faut se soumettre à l'Eglise, qui est divine, mais qui est aussi une institution humaine imparfaite composée d'hommes imparfaits.

Or, le refus de l'humilité, l'hubris, est le vrai fond de l'anti-catholicisme. C'est toujours, d'une manière ou d'une autre, le meurtre du Père.

Tresmontant fait essentiellement de la paraphrase des Actes et des Epîtres. Mais il apporte son grain de sel.

Il fait remarquer que, dans la Bible, le contraire de l'intelligence n'est pas la stupidité, mais le péché.

Il compare même le peuple d'Israël à Charlot : il subit les avanies des méchants, tombe et se relève. Un auteur qui apprécie le génie de Chaplin a toujours ma considération.


lundi, septembre 25, 2023

The making of the atomic bomb (Richard Rhodes)

Livre passionnant, même s'il s'attarde un peu trop sur les éléments biographiques des acteurs.

Il retrace l'histoire de la bombe atomique, des premiers travaux sur les radiations au XIXème siècle jusqu'aux bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki (la bombe H, c'est un autre livre : Dark sun).

Je vous invite à le lire (hélas en anglais).

Quelques réflexions :

Les hommes font l'histoire mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font.

C'est un peu raide de commencer par cette citation de Karl Marx rabâchée, mais elle est très adaptée.

Dans les années 1900, beaucoup imaginent libérer l'énergie contenue dans les atomes par une réaction en chaine. L'auteur HG Wells, inspiré par le physicien Frederick Soddy, futur Prix Nobel, en parle même dans un de ses romans en 1914.

Mais, à mesure que la connaissance du noyau atomique progresse, sa mystérieuse stabilité est mieux comprise et « le consensus scientifique  prouve » (si vous voyez dans le choix de ces termes une malice contemporaine de ma part, vous n'avez pas tort (1)) qu'il est impossible de fracturer un noyau.

Les Français Joliot-Curie ratent la découverte de la fission de l'uranium alors qu'ils avaient fait les bonnes expériences et avaient toutes les données expérimentales en main, parce qu'ils refusaient de voir ce qu'ils avaient sous les yeux. Ils avaient déjà raté de même la découverte du neutron, ce sont les serial losers de la physique atomique.

Lorsque Otto Hahn et Lise Meitner (un couple dans le travail mais pas dans la vie) établissent le 13 janvier 1939 la preuve qu'ils ont réalisé une fission de l'uranium, ils doutent tellement qu'ils en parlent d'abord à Niels Bohr avant de publier. Celui-ci les encourage. La nouvelle se répand comme une trainée de poudre chez les physiciens.

Dès 1934, la physicienne Ida Noddack a contesté l’idée que la fission atomique était impossible, mais les esprits n’étaient pas mûrs. La nouvelle de la possibilité théorique d’une bombe atomique est instantanément publique dans le tout petit cercle des atomistes avant que quiconque puisse arrêter l’information.

Cela n’a pas de sens de penser que les physiciens auraient dû arrêter leurs recherches : avec la fission, ils ont trouvé une chose qu’ils ne cherchaient pas et dans laquelle ils ne croyaient pas (pour la bombe H, la situation est différente). Plus tard, quelques physiciens, dont Niels Bohr et Lise Meitner, refusent de participer au projet Manhattan (Bohr sera nommé conseiller de Manhattan, mais n'y prendra pas une part active).

C'est un scandale que Lise Meitner, discrète jusqu'à l'effacement, n'ait pas reçu le prix Nobel en même temps qu'Otto Hahn.

Fermi fait une prédiction : une chance sur dix pour que l'énergie atomique soit exploitable.

Alors, en 1939, à la veille de la guerre, il y a une discussion fort éclairante entre Fermi et Szilard : Fermi estime qu'à 1/10 de probabilité, il est prudent de continuer à chercher. Szilard qu'à 1/10 de probabilité, le risque est trop grand, qu'il faut mettre le couvercle sur tout cela et passer à autre chose.

En réalité, cette discussion est oiseuse : trop de gens savent déjà pour arrêter le cours des choses.

Niels Bohr a un éclair de génie. Il quitte la table où il dinait et se précipite à son bureau pour noter l'idée fugace qui est en train de lui échapper. L'U235 (0,7 % dans l'uranium à l'état naturel) a une réaction différente de l'U238 et c'est ce qui explique la difficulté d'interprétation des résultats expérimentaux, qui mesurent non pas un phénomène, mais deux phénomènes mélangés. Dans la foulée, Bohr fournit l'explication théorique.

Mais cela ne rapproche guère la bombe atomique : en 1939, on ne sait pas séparer les isotopes.

La machine s'emballe. Ou pas.

Le 22 avril 1939, les Français Joliot, von Halban et Kowarski montrent qu'une fission d'U235 émet en moyenne 3,5 neutrons : la réaction en chaine devient théoriquement possible.

En juillet, Szilard et Fermi pensent à utiliser le graphite et l'eau lourde comme modérateurs (l'eau ordinaire absorbe trop de neutrons, elle éteint la réaction en chaine). Szilard ne veut pas mettre les mains dans le cambouis et trouve un étudiant pour faire les manipulations à sa place. Fermi, expérimentateur compulsif, est choqué et évitera Szilard autant que faire se peut.

Les savants allemands s'y mettent très vite et bien (la course aux armements n'est donc pas une illusion. Enfin, pas tout à fait. Voir la conclusion de ce billet). Mais, ensuite, ils se fourvoient sur l'eau lourde (il se peut que le calcul de Walther Bothe, anti-nazi, sur le graphite ait été volontairement erroné) et ils ne croient plus à la bombe, ils s'orientent vers la production civile d'énergie, qui n'est pas prioritaire pour leur gouvernement.

Le Japon aussi.

En octobre 1940, Roosevelt est longuement informé de la lettre d'Einstein et de Szilard décrivant la possibilité d'une bombe atomique.

En 10 mois, on est passé d'une hypothèse théorique que le consensus refusait à une possibilité pratique connue au sommet de l'Etat.

Et puis ... plus rien. Sur décision de Roosevelt, un comité bureaucratique est mis en place pour coordonner les efforts. Il se révèle contre-productif : ses trois membres ne comprennent pas l'enjeu, ils croient avoir à faire à une lubie de savants fous.

Les Anglais, poussés par deux immigrés allemands (Frisch, le neveu de Lise Meitner, et Peierls) crée aussi un comité atomique, mais composé de physiciens. Il a donc une tout autre mentalité que le comité américain. Il comprend les potentialités de l'U235 et décide d'étudier la séparation d'isotopes. Nous sommes au printemps 1940.

La course à l'eau lourde (les Français achètent à la Norvège le seul stock d'eau lourde existant et le transfèrent en Angleterre dans des conditions rocambolesques, en pleine débâcle) induit les Allemands en erreur (involontairement : les connaissances ne sont pas assez fermes pour que cela soit une intoxication délibérée).

Les échanges des deux côtés de l'Atlantique permettent aux Américains de ne pas être à la traine malgré leur carence de soutien politique.

Au printemps 1941, les Américains découvrent le plutonium en bombardant l'uranium et savent immédiatement qu'il est fissile.

Bizarrement, la bureaucratie américaine n'arrive toujours pas à prendre la mesure des enjeux.

Deux personnages subalternes mais clés dans la chaine de commandement bloquent la diffusion de l'information parce qu'ils ne comprennent pas et voudraient réserver les fonds à d'autres projets. Il faut l'envoi officiel du rapport britannique sur la possibilité d'une bombe atomique en octobre 1941 pour débloquer enfin la situation. Roosevelt est informé, il est alors impossible de continuer à jouer l'obstruction. Un an a plus ou moins été perdu.

En octobre 1941, Heisenberg vient à Copenhague sonder Bohr sur la bombe atomique, laissant à celui-ci l'impression fausse que les Allemands sont très avancés.

Robert Manhattan

Le 6 décembre 1941, les atomistes se réunissent à New York pour se concerter sur un programme.

On passe alors de la théorie à l'ingénierie :

1) Comment séparer industriellement l'U235 de l'U238 ?

2) Comment fabriquer industriellement du plutonium ?

3) Comment déclencher une réaction en chaine ?

Malgré l'entrée en guerre des Etats-Unis, ça patachonne encore quelques temps, faute d'organisation. Ce n'est pas avant septembre 1942 et la nomination par les militaires du général Leslie Groves comme chef de projet, que l'entreprise est vigoureusement prise en main.

Edeward Teller se désintéresse de la bomba A, considérant qu'il a fait le tour des problèmes théoriques qu'elle pose et commence à s'intéresser à la « Super », la future bombe H. Il dira que l'été 1942 été le plus stimulant intellectuellement de sa vie.

En octobre, Robert Oppenheimer est nommé directeur scientifique, choix doublement astucieux : ses accointances gauchistes permettent d'avoir barre sur lui en mettant sa loyauté en doute, il a ce type de personnalités bulldozers qui vont au bout de ce qu'elles font. Il deviendra le symbole du projet Manhattan.

Quand ils décident de s'organiser enfin, les Américains le font naturellement, parce que c'est ce qui fonctionne, en se rapprochant des règles de Kelly Johnson, le patron de Lockheed : prenez les meilleurs, mettez les tous au même endroit, ne chipotez pas sur les moyens que vous leur donnez, les effectifs doivent être réduits et la responsabilité généreusement déléguée, secret absolu, un seul interlocuteur chez le client qui a tout pouvoir de dire oui ou non.

Trois sites : Los Alamos pour les bombes (U235 et Pu), Hanford pour la production de plutonium, Oak Ridge pour la production d'U235.

Après 3 ans à merdouiller de manière difficilement compréhensible, les Américains ont le feu au cul.

Le 2 décembre 1942

Date historique : la pile atomique CP1 sous la direction de Fermi diverge. Pour la première fois, l'homme maitrise l'énergie atomique.

La Chicago Pile-1 (CP-1), constituée d'un habile empilage de 50 000 briques de graphite représentant 400 tonnes de carbone avec, répartis à l'intérieur, 6 tonnes d'uranium et 36 tonnes d'oxyde d'uranium devient critique le 2 décembre 1942, dans une ancienne salle de squash, sous les gradins du Stagg Field à Chicago.

Cette épisode ne va pas sans anecdotes savoureuses, par exemple le recrutement de l'équipe de football américain du campus pour manipuler les lourdes briques d'uranium et de graphite. Mais les témoins ont conscience de participer à un instant historique.

Szilard sert la main de Fermi et lui dit « C'est peut-être un jour noir de l'histoire de l'humanité ».

Un problème de concordance des temps

L’échelle des phénomènes mécaniques et explosifs est la milliseconde. L’échelle des phénomènes atomiques est la nanoseconde, un million de fois moins. Là est la difficulté de conception de la bombe atomique.

La théorie est simple : on réunit deux ou plus masses sous-critiques de matière fissile pour passer le seuil de criticité et boum !

En pratique :

_ si la réaction en chaine démarre avant que les masses soient correctement rassemblées, pétard mouillé (équivalent de quelques tonnes de TNT quand même). D’où les problèmes de géométrie et d’explosifs rapides.

_ si la réaction en chaine démarre trop lentement, la matière fissile se disperse avant que l’explosion ait atteint son plein potentiel. D’où l’ajout d’activateurs de neutrons (polonium) au centre du corps fissile et l’enveloppe de confinement (ce qui compte, ce n’est pas la résistance du matériau de l’enveloppe, rien ne résiste, mais son inertie, retarder de quelques nanosecondes la dispersion).

On ne peut pas expérimenter la réaction en chaine et, à l’époque, on ne pouvait pas la simuler (mais il y a eu des expériences risquées s'en approchant). C’est un véritable exploit intellectuel d’avoir réussi à comprendre et à calculer correctement ce qui se passe pendant ces quelques nanosecondes.

Ca ne se passe pas toujours aussi bien : la deuxième explosion de bombe H, Castle Bravo, en 1954, a été 50 % plus puissante que calculé, parce qu’il y a eu un rebond imprévu de la fusion (des éléments fusionnés ont fusionné entre eux, comme dans une soirée chez Dominique Strauss-Khan). Des spectateurs ont été irradiés. Cela met en perspective l'excellence de la conception de la bombe A.

Le général Groves, dont la qualité principale n’est pourtant pas la modestie, disait qu’il était parfois mal à l’aise d’être entouré de tant d’esprits supérieurs.

Oppenheimer (c’est lui qui a conceptualisé les trous noirs, il aurait eu le Prix Nobel s’il n’était pas mort relativement jeune), Von Neumann (qui faisait des blagues en grec ancien avec son père à 6 ans, a inspiré le Dr Folamour de Kubrick), Bohr (quasi absent de Los Alamos), Teller étaient des génies, des gens qui comprenaient des choses que les autres ne comprenaient pas, qui pensaient à des choses auxquelles les autres ne pensaient pas. Des gens comme Fermi et Lawrence étaient « seulement » brillants et travailleurs.

L’implosion

La bombe à uranium est de conception si simple (un bloc d’uranium projeté sur un autre bloc d’uranium par un pseudo-canon) qu’il n’y a pas eu de test, que le premier essai a été le bombardement d’Hiroshima (avec l’idée que, si ça foirait, il y aurait quand même une explosion impressionnante).

En revanche, la bombe à plutonium est nettement plus complexe. Pour des histoires d’impuretés (Pu240) amorçant la réaction en chaine trop tôt, la milliseconde de la solution canon est une mise en place trop lente (on est dans des ordres de grandeurs qui donnent le tournis). La solution est une implosion (on entoure la boule creuse de plutonium d’explosifs déclenchés tous en même temps . C’est environ 100 fois plus rapide que la solution canon). Cette solution est si complexe que Oppenheimer et Fermi n’y croient pas mais laissent faire. En quelques nanosecondes, la matière fissile se vaporise. L’implosion, c’est comme essayer de retenir une boule d’eau en serrant le poing.

Deux problèmes :

_ il faut que les détonateurs soient synchronisés de l’ordre de la microseconde.

_ les fronts d’onde des explosions de compression doivent être plans et non sphériques comme naturellement, pour ne pas que la matière fissile s’échappe à la frontière des sphères (l’eau qui s’échappe entre les doigts). Le problème a été résolu avec des lentilles explosives : des trucs qui ressemblent à des charges creuses, avec des explosifs rapides pour faire le cône et des explosifs lents à l’intérieur du cône. Bonjour le type qui a calculé ça à la mano en 1943.

Les essais des lentilles explosives consomment une tonne d'explosif par jour pendant 6 mois ! 20 000 explosions tests au total. C'était la première fois qu'on usinait des explosifs. Il n'y a pas eu d'accident.

Il y a aussi quelques problèmes métallurgiques avec le plutonium pour que la sphère creuse se déforme symétriquement, mais c’est anecdotique par rapport au reste.

Un activateur de neutrons de la taille d'une noisette mais à la géométrie très étudiée (et toujours secrète) est au centre du dispositif. Il n'émettra que quelques neutrons (moins d'une dizaine !) mais, par la magie de la fonction puissance, ils seront des millions quelques nanosecondes plus tard.

Une entreprise industrielle inédite

Les industries d'armement ont toujours eu des liens avec les sciences mais l'ambition du projet Manhattan est inédite. Jamais une arme à la pointe de la science n'avait été industrialisée.

Pour produire quelques kilogrammes de matière fissile, il faut multiplier par des millions les techniques de laboratoire pour en produire quelques milligrammes. C'est un projet gigantesque.

Il y a beaucoup de problèmes de recrutement : la guerre, c'est le plein-emploi et même la pénurie de main d'œuvre. C'est ainsi que Norma Jean Baker se retrouve à peindre des avions.

Tout le monde ne hurle pas d'enthousiasme à l'idée d'aller vivre dans des cahutes inconfortables au fin fond de trous paumés. Surtout que 90 % des employés ignorent sur quoi ils travaillent. Même des scientifiques quittent le projet, pour aller travailler en ville sur les radars, les sonars, les fusées de proximité, dont on peut pas dire qu'ils soient inutiles à l'effort de guerre.

Aussi surprenant que cela puisse paraitre, le développement et la fabrication des bombes atomiques ont couté à peine plus cher (un peu en dessous de 2 milliard de dollars) que le développement du bombardier B29 (beaucoup des coûts cachés dans le développement des moteurs) qui transporte ces bombes et environ 10 fois moins que le programme Apollo. La concentration des talents et des efforts ...

Anecdote : tension et hystérie

A notre époque débile (2023) où l'hystérie collective et l'exaltation stupide du consensus (une conjonction très dangereuse) sont devenues la norme, cela vaut le coup de raconter cette anecdote, qui vient d'Oppenheimer lui-même.

La semaine précédant l'essai Trinity, en juillet 1945, la tension est à son comble à Los Alamos.

Un matin, des gens s'aperçoivent qu'un objet volant non-identifié passe dans le ciel. La foule grossit et certains se mettent même à tirer à la mitrailleuse sur cet objet.

Un astronome de Los Alamos, un brin soucieux, se rend dans le bureau d'Oppenheimer et lui dit : « Vous êtes au courant qu'il y a des gens qui tirent sur Vénus ? ».

Trinity 16 juillet 1945

Première explosion atomique de l'histoire.

Les spectateurs (placés à 10 km ou à 20 km) sont unanimes : le plus impressionnant est la boule de lumière (silencieuse, puisque le son n'a pas encore parcouru la distance) qui donne l'impression qu'un projecteur est dirigé directement vers soi et parait durer une minute (deux secondes en réalité). Aucune photographie ne peut rendre cette sensation.

L'essentiel de l'énergie atomique est libérée en rayons gamma et en neutrons, qui ionisent l'air alentour et produisent des rayons X très intenses. La boule de feu est le siège de phénomènes complexes qui transforment ces radiations en lumière visible, radiations diverses, chaleur et énergie mécanique.

Il y a ensuite le premier flash thermique, produit par le refroidissement de la boule de feu de plusieurs millions de degrés à environ 300 000 °C. Un deuxième flash thermique dans les longueurs d'onde habituelles (ultraviolet, infrarouge) vient ensuite avec l'expansion de la boule feu.

L'onde de choc, pour puissante qu'elle soit, impressionne moins que la boule de lumière. Fermi, expérimentateur dans l'âme, a préparé des petits papiers qu'il laisse tomber au passage de l'onde de choc. Il évalue ainsi la puissance de la bombe à 10 kT (18 en réalité).

Après la  satisfaction de la réussite de « la plus grande expérience de physique jamais réalisée », beaucoup d'acteurs sont pris de malaise devant la puissance qu'ils ont déclenchée. C'est une chose de savoir en théorie, c'en est une autre de voir en pratique. Ils ont la gueule de bois.

Comment utiliser la bombe ?

Je l'ai déjà expliqué dans la recension de Atomic Tragedy: Henry L. Stimson and the Decision to Use the Bomb Against Japan (Sean L. Malloy ) : les autorités politiques se sont mêlé très tard, trop tard, de l'utilisation de la bombe.

En mars 1944, a lieu un entretien désastreux entre Niels Bohr, qui endosse le rôle de penseur moral, politique et philosophique de la bombe atomique et de son usage, et Winston Churchill. Celui-ci se présente sous son plus mauvais jour : bougon, obtus et manquant singulièrement de jugement (c'est son plus gros défaut) : il dit à Bohr que la bombe atomique n'est qu'une bombe de plus, qu'elle ne change pas la philosophie de la guerre et qu'elle ne nécessite aucune mesure particulière. Bohr est durablement et défavorablement choqué.

Les autorités politiques commencent à s'intéresser à l'usage concret de la bombe en avril 1945. Il faut bien dire que, à part Stimson, le Secrétaire d'Etat à la Guerre, les quelques uns mis au courant ne sont pas à la hauteur des enjeux. Truman est un abruti, mais, du moins, il a le bon sens de s'inquiéter. Tokyo et Kyoto sont rayées de la liste des cibles pour des raisons culturelles.

De nos jours, beaucoup se demandent pourquoi les Américains ne se sont pas contentés d'une démonstration dans le désert. Plusieurs raisons :

1) Le gouvernement japonais a repoussé plusieurs contacts de paix, et comme il y a peu de bombes disponibles, il semble risqué d'en gaspiller dans une démonstration inutile. Le fanatisme des Japonais à Iwo Jima et Okinawa a marqué les esprits des décideurs.

2) Une raison qui rejoint la première : le gouvernement japonais est dysfonctionnel, ce qui rend difficilement interprétables des signaux qui paraissent contradictoires et pousse le gouvernement américain au maximalisme. Cette situation est toujours très dangereuse. Et les signaux de jusqu'auboutisme de la part des Japonais ne manquent pas.

3) Les bombardements atomiques paraissent aux décideurs le moyen de mettre fin le plus rapidement possible à la guerre, ce qui est un but hautement louable.

4) Les rapports avec l'URSS ont joué. Mais moins qu'on ne l'a dit, parce que les Américains sous-évaluaient la capacité des soviétiques à acquérir rapidement la bombe.

Le général Eisenhower, prévenu à la conférence de Potsdam des bombardements atomiques, exprime poliment (ce n'est pas son théâtre d'opérations) son désaccord. Il considère que c'est une faute morale des Etats-Unis d'utiliser les premiers une telle arme.

La conclusion est plus terre à terre : quand un pays en guerre dépense deux milliards de dollars pour développer une arme, il l'utilise.

Je suis persuadé que, au vu des atrocités commises par les uns et par les autres dans cette guerre, n'importe lequel des belligérants aurait pris la même décision.

Hiroshima et Nagasaki

Les deux bombardements atomiques, c'est en gros un total de 400 000 morts. Il n'y a pas de bombardement moins discriminant : la mortalité est directement proportionnelle à la distance de l'épicentre. 100 % à l'épicentre, presque 0 à 3 km.

Nagasaki est bombardée parce que les Américains ne reçoivent pas de reddition japonaise après le premier bombardement atomique. En fait, il s'agit d'un quiproquo à 200 000 morts : la dévastation d'Hiroshima est telle que toutes les communications avec Tokyo sont coupées et que les Américains connaissent bien mieux l'état d'Hiroshima que le gouvernement japonais.

Malgré tout, le bombardement de Nagasaki n'est pas vain. C'est à peine croyable mais l'empereur doit forcer la main de son gouvernement pour obtenir une reddition (presque) sans conditions.

Certains pensent que la plus grande faute morale des Américains est cette exigence de reddition sans conditions (qu'ils ont fini par amender) qui a poussé les Japonais à l'extrême. Mais c'est une conséquence indirecte de la conclusion bâclée de la première guerre mondiale : plus jamais ça.

En tout cas, Truman, secoué par les premiers rapports, interdit l'usage de la 3ème bombe disponible.

Il n'empêche : depuis le 6 août 1945, l'humanité sait qu'elle a les moyens de s'auto-détruire.



L'arme-miracle ?

Une théorie dit qu'il n'y a jamais d'arme-miracle renversant le cours d'une guerre, car, si vous acquerrez une technologie de pointe que l'ennemi n'a pas, elle est tellement chère que vous ne l'avez jamais en quantité suffisante.

La bombe atomique vérifie cette théorie : les deux bombardements atomiques n'ont pas fait plus de dégâts que les 3 nuits de bombardement conventionnel du 9 au 13 mars 1945 (tempête de feu à Tokyo et à Nagoya), mais les bombardements conventionnels étaient renouvelables le mois suivant alors qu'il aurait fallu attendre 6 mois pour avoir une bombe atomique supplémentaire en plus des 3 disponibles (Hiroshima, Nagasaki et une qui n'a pas été utilisée).

Un goût du savoir aujourd'hui perdu.

Les conditions du développement de la science atomique sont aujourd'hui perdues :

1) un extraordinaire goût du savoir et de la découverte (le même qui fournira les ingénieurs pour aller sur la Lune). De nos jours, peu de jeunes gens ambitieux envisagent de faire carrière dans la science, à l'époque c'était l'inverse.

Les Américains qui psychologisent tout, ont étudié le profil des physiciens atomistes. Souvent une insécurité due à l'absence de père compensée par une plongée dans la science.

Et les QI de 160 étaient courants dans les labos atomiques ! L'ingénieur qui a mis au point les lentilles explosives a décidé d'apprendre le poker à Von Neumann et de le plumer. Effectivement, il l'a plumé ... au début.

Prenons un exemple : en 1914, à 16 ans, Leo Szilard prédit que l'Allemagne perdra la guerre et que la Russie sera détruite. Il dira plus tard qu'il était au pic de ses performances intellectuelles.

En 1937, il écrit qu'il s'exilera aux Etats-Unis un an avant le début de la guerre. Avant ? Comment pourrait-il connaitre la date de déclenchement des hostilités ? Pas mal vu : il s'exilera 9 mois avant.

Comme entre les marins et les pilotes, se dégage une hiérarchie du compagnonnage, indépendante des hiérarchies officielles. Parmi les atomistes, Niels Bohr est la référence, le sage.

Le problème des QI de 160 est qu’ils peuvent être catastrophiques quand ils s’égarent. Mieux vaut ne pas avoir de QI de 160 que de prendre le risque d’avoir des QI de 160 hors de contrôle. Dans une société saine, il n’y a pas vraiment de problème : il n’y a pas d’individus incontrôlés.

2) des systèmes éducatifs occidentaux exceptionnellement performants, l'exact opposé des universités woke actuelles. Ernest Rutherford, « le Newton de l'atome », sort du fin fond de la Nouvelle-Zélande.

De nos jours, tout à l'inverse, Samuel Huntington a classé le désintérêt pour le savoir parmi les cinq symptômes de décadence de l'Occident. C'est pourquoi des exploits scientifiques comme la bombe atomique, aller sur la Lune ou même le Concorde sont devenus impossibles : nous n'en avons plus ni le goût ni les capacités.

Hitler perd les atomistes juifs

Interrogé sur l'exil des savants juifs, Hitler répond que l'Allemagne peut se passer d'eux. S'il y a un domaine où c'est faux, c'est bien la science atomique.

Seule une centaine d'atomistes juifs part en exil, mais ce sont tous des pointures, des Nobel ou des graines de Nobel.

Après guerre, Lise Meitner regrette d’être partie d’Allemagne en 1938, sous la pression des lois raciales, alors, que, en morale, elle aurait dû s’exiler dès 1933.

Elle écrit une lettre très dure (non expédiée) à Otto Hahn à propos des savants qui sont restés comme lui en Allemagne pendant toute la guerre. Il y a tout de même une morale : l’Allemagne devient vassale et la science allemande ne retrouve pas son prestige, le flambeau étant passé aux Etats-Unis.

Mais on s'aperçoit que cette course à l'armement (les gens de Los Alamos étaient motivés pour empêcher Hitler d'avoir la bombe avant eux) était sans doute un leurre dès le départ.

Ironie de l'histoire humaine.

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(1) : Michael Polanyi, physicien contemporain de l'ère de la découverte atomique, a des considérations très fines sur la preuve en science. Nul doute que les clowneries du « consensus » carbophobe l'auraient fait rire ou pleurer mais ne l'auraient pas surpris.

Pour Polanyi, la preuve scientifique est le fruit d'un état d'esprit. Etat d'esprit résultant d'un compagnonnage entre maitre et élève où le premier donne au second assez d'assurance pour le contester.

Autrement dit, pour Polanyi, le consensus est bien la preuve scientifique ultime, mais à la condition expresse que la contestation de ce consensus ne soit pas seulement permise, mais encouragée, récompensée, imprégnée dans la culture.

Nous sommes à l'exact opposé de La Science™ institutionnalisée de 2023 « Conteste la thèse officielle et je te flingue, je te coupe les crédits, puis BFM et l'Express te trainent dans la boue ».

En réalité, La Science™ est un culte du cargo : on mime les gestes de la science en croyant faire venir le savoir mais en niant totalement l'essentiel : l'esprit, comme les iliens mimaient l'aéroport en croyant faire venir les biens matériels.

Ceci explique notre stagnation scientifique depuis quelques décennies, voire notre régression (dans le domaine climatique, par exemple. Nous en savons moins aujourd'hui qu'il y a 30 ans, parce que nous restons religieusement figés dans des dogmes faux).


lundi, août 21, 2023

Pourquoi je suis moyennement démocrate / Pourquoi je serais plutôt aristocrate (Vladimir Volkoff)

Ces deux opuscules de moins de 100 pages sont écrits sur un ton léger, mais qui peine à dissimuler l'inquiétude de Volkoff.

Quand on essaie de tirer un bilan réaliste de la démocratie (exercice  classique), on est très loin du « pire régime à l'exception de tous les autres » que nous serine la nouvelle religion droits-de-lhommiste.

La démocratie a, comme tous les régimes politiques, ses avantages et ses inconvénients, dont le poids varie en fonction des circonstances, et ses dégénérescences possibles. Aristote a fait le boulot, je ne vais pas recommencer.

Volkoff remarque qu'il n'y a aucune raison que la majorité veuille et connaisse le Bien et le Juste.

De toute façon, les gens qui cherchent à obtenir le pouvoir sont malsains, les systèmes où on donne le pouvoir à des gens qui ne le cherchent pas sont meilleurs.

Il fait aussi remarquer qu'aucune démocratie véritable n'a jamais fonctionné correctement (à part la démocratie suisse) : les démocraties athénienne et américaine s'appuyaient massivement sur l'esclavage, ce qui est moyennement démocratique.

Le principal reproche moral que fait Volkoff à la démocratie, c'est son absolutisme. Elle ne tolère aucune opposition interne (« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ») et fait la guerre extérieure pour se répandre (guerres coloniales au XIXème siècle, guerres américaines au XXème).

Aucune monarchie n'a jamais eu ce comportement prosélyte fanatique.

Pour Volkoff, la démocratie moderne est ce qui se fait de plus proche du totalitarisme.

Limitons à nos circonstances : la démocratie est-elle le meilleur régime possible pour un peuple gravement décadent ?

D'abord que le peuple français soit gravement décadent est difficilement contestable : on le voit aux mœurs, aux comportements, à la culture, aux principe et même au physique (1).

Mais, surtout, Volkoff en vient au point essentiel : la démocratie est-elle possible en nos temps de matraquage médiatique incessant, où les opinions divergentes sont systématiquement insultées et ridiculisées ? 

Réponse claire : non.

Remarque : c'est écrit en 2002, donc bien avant le « re-vote » du référendum de 2005 et le délire macrono-covidiste.

C'est pourquoi Volkoff est pour une aristocratie, le gouvernement des meilleurs. Et se heurte à l'éternelle difficulté des aristocraties : comment distinguer et faire accéder au pouvoir les meilleurs ? Et comment empêcher que le pouvoir les corrompe ?

Il a bien conscience que nous sommes en ploutocratie : une démocratie dégénérée où le pouvoir va à ceux qui ont les finances pour acheter les votes, soit directement (c'est ce que font pour se maintenir ceux qui sont déjà au pouvoir, avec l'argent des impôts) soit indirectement (par la propagande omniprésente et insidieuse).

Malheureusement, sur la question pratique, Volkoff s'évapore.

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(1)  : une plage française en 1970. Pas d'obèses, pas de téléphone, pas de « difficultés », pas de burkini.












vendredi, août 04, 2023

Christine: SOE Agent & Churchill's Favorite Spy (Madeleine Masson)

La vie de Krystina Skrabek, dite Christine Granville, illustre bien la phrase (avec un rien de coquetterie) de d'Astier de la Vigerie sur les Résistants : « Nous étions des ratés ».

Une enfance libre

Krystyna Skrabek est née en 1915 d'un comte polonais volage et d'une fille de banquier juif. Élevée très librement, elle excellait dans les activités d'extérieur, équitation, marche, natation ... En revanche, elle était réputée pas très douée de ses mains, on dit qu'elle ne savait ni coudre ni tirer. Elle parlait un français impeccable, comme souvent les Polonais de la haute à cette époque.

Sans être laide, loin de là, elle n'était pas une beauté de concours, mais il émanait d'elle un grand charme, du à sa forte personnalité. Elle trainait une ribambelle d'hommes derrière elle.

Ses parents furent ruinés par la crise de 1929 et rien dans son éducation ne l'avait préparée à gagner sa vie.

Elle  tenta de travailler dans un garage FIAT à Varsovie mais fut intoxiquée par les fumées (cela lui servirait plus tard).

Mariée et divorcée à 18 ans, remariée, elle vivota jusqu'à la guerre. Il se disait déjà qu'elle était un agent anglais usant de ses multiples contacts dans la haute société polonaise. On n'en a pas de preuves.

La guerre l'a probablement sauvée d'une déchéance inéluctable : elle était inadaptée à vivre de son travail dans une société ordinaire.

Un agent exceptionnel

Son pays envahi, elle se mit à la disposition des Anglais.

La guerre révéla son talent exceptionnel d'espionne. Jugement, sang-froid, imagination, endurance.

A l'hiver 1940, elle se rendit en Pologne occupée en passant par la Hongrie et par la montagne.

Arrêtée par la Gestapo, elle se mordit la langue, fit croire à une tuberculose (le voile sur les poumons made in FIAT, bien utile) et parvint à s'échapper (les Teutons, ces grands hypocondriaques).

Avec son amant, elle fit passer des dizaines, probablement des centaines de pilotes polonais.

Elle ramena de Pologne des documents extraordinaires : les préparatifs allemands de l'attaque de l'URSS. Churchill demanda immédiatement qu'ils soient transmis à Staline ... qui crut à une intoxication.

Mise sur la touche pendant deux ans au Caire suite à d'obscures bisbilles au sein du gouvernement polonais en exil, elle en profita pour se perfectionner (parachute, radio, etc.).

Parachutée dans le Vercors, elle obtint la reddition d'un poste allemand par l'intermédiaire des Polonais qui y étaient enrôlés. Elle survécut à la débâcle de ce maquis grâce à ses capacités de marcheuse.

Elle avait un talent particulier avec les animaux. Histoire incroyable s'il n'y avait pas eu des témoins : un chien d'une patrouille allemande la détecta et, au lieu d'aboyer, la lécha et la suivit.

A Digne, en août 1944, trois officiers anglais étaient en attente d'exécution pour espionnage, elle prit contact avec le geôlier et le corrompit, avec un sang-froid remarquable (elle parlait plutôt d'inconscience !).

L'après-guerre

L'après-guerre fut terrible: les Anglais se comportèrent en parfaits ingrats et ne l'aidèrent pas. Très instable, elle était probablement atteinte de ce qu'on appelle aujourd'hui un syndrome post-traumatique.

Les talents de la dame étaient évidents, vraiment dommage que les Anglais n'aient pas fait le moindre effort, probablement par xénophobie latente. 

Assurément, elle avait une mauvaise réputation : un peu tendance à coucher avec les hommes avec qui elle partageait ses aventures. Ca passait moins bien à l'époque.

Il est très probable (c'est un anglicisme pour dire « certain ») que Christine, qui fut la maitresse de Ian Fleming, a inspiré la première conquête de James Bond, Vesper Lynd.

Elle se retrouva hôtesse de cabine sur une ligne maritime et mourut poignardée en 1952 par un marin jaloux (qui sera pendu).

C'est vraiment une fin très triste pour une femme aussi talentueuse.

Dans la ferveur de ses amis à garder sa mémoire, il y avait sans doute le remords de ne pas l'avoir aidée plus de son vivant.



jeudi, juillet 13, 2023

Pierre CLOSTERMANN Journal de sa vie opérationnelle Janvier 1943 - Août 1945 (George-Eric Coisne)


L'auteur compare :

> Le Grand Cirque (3 millions d'exemplaires vendus).

> le carnet de vol de Pierre Clostermann.

> les journaux de marche et d'opérations (JMO en français, ORB en anglais) des unités où il a volé.

Il relève de nombreuses erreurs, qui sont aussi des licences d'auteur. Clostermann regroupe souvent plusieurs incidents disparates dans une seule mission. Il s'attribue aussi quelques aventures arrivées à d'autres.

D'un point de vue historiographique, c'est intéressant : les ORB et le carnet de vol contiennent aussi des erreurs.

C'est qu'ils étaient écrit quand on pouvait, quelques fois plusieurs jours après l'action.

C'est l'occasion de revenir sur la mort du commandant René Mouchotte le 27 août 1943.

Dupérier, successeur de Mouchotte et militaire de carrière qui n'aimait pas Clostermann pour son côté fantasque (les militaires de carrière sont de grands psychologues, comme chacun sait), lui reproche d'avoir, en tant qu'ailier, abandonné Mouchotte et l'interdit de facto de vol (en ne l'inscrivant plus pour aucune mission). Ce qui entrainera le transfert de Clostermann dans une escadrille anglaise où il sera, finalement, plus à l'aise.

La version de Clostermann qui est que Mouchotte est mort de fatigue a quelque vraisemblance : il se plaignait d'un épuisement général et, quand son corps a été retrouvé après guerre, il n'était ni blessé ni noyé. Il est donc possible que son cœur ait lâché.

Il participe au débarquement en Normandie, après quoi mise au repos.

En 1945, Clostermann retourne en opérations après passage de six mois en état-major à Paris à se tourner les pouces (on n'avait pas tellement d'as, on ne voulait pas les perdre).

Le rythme d'opérations est effréné, puisque la Luftwaffe a ratiboisé les autres escadres alliées lors de l'opération surprise Bodenplatte (qui a aussi marqué la fin de la Luftwaffe en tant qu'armée cohérente). Les pilotes carburent aux amphétamines.

Ca ne dure que quatre mois mais très intenses.

Puis la paix.

jeudi, juillet 06, 2023

Le complot de la Réserve Fédérale (Anthony C. Sutton)

Livre de 1995.

Les suppôts du pouvoir emploient l'épithète « complotiste » pour disqualifier les opposants auprès des crétins (qui sont hélas fort nombreux).

Parlons donc d'un complot avéré et documenté. Et pas des moindres puisqu'il aboutit en 1913 à la création de l'organisme peut-être le plus puissant du monde : la Réserve Fédérale américaine (FED).

Qu'est-ce que la FED ?

Dans un régime d'étalon (par exemple bi-métallique or-argent), il n'y a pas besoin de banque centrale. Un organisme d'émission (la Monnaie de Paris, par exemple) émet autant de monnaie qu'il y a de métal disponible et le tour est joué. Les taux fixés aujourd'hui par les banques centrales sont fixés par le marché et voilà.

Avant la création de la FED, la politique monétaire était du ressort du Congrès, mais c'était réduit à pas grand'chose.

Milton Friedman proposait une fixation de l'émission de monnaie par un algorithme, ce qui ressemble fortement au Bitcoin.

Il y a alors une concurrence des monnaies : si l'organisme émetteur se comporte de manière à déprécier sa monnaie (le rognage des pièces), les gens peuvent utiliser d'autres monnaies (c'était courant au moyen-âge).

Les banques centrales ont été créés pour financer les guerres (France 1800). Elles ont le monopole de la monnaie et l'utilisation en est obligatoire (puisque l'idée sous-jacente à la création des banques centrales est toujours de pervertir la monnaie, il faut bien forcer les gens à utiliser cette monnaie de singe). Kaputt la concurrence des monnaies sur un territoire donné.

La FED est une banque dont les actionnaires sont d'autres banques. Hé oui, ce n'est pas un organisme public, mais semi-public. Pourtant, elle bénéficie d'un privilège public exorbitant : le monopole de la monnaie.

La FED est une banque centrale indépendante : ses décisions ne sont pas sujettes à l'autorisation du président des États-Unis ou d'une autre partie du gouvernement fédéral, elle ne reçoit pas de budget du Congrès, et les mandats des gouverneurs sont beaucoup plus longs que ceux des élus fédéraux. Le gouvernement peut cependant exercer un contrôle : l'autorité de la Fed est définie par le Congrès et celui-ci peut exercer son droit de surveillance (congressional oversight). Les membres du bureau des gouverneurs, y compris le président et le vice-président, sont nommés par le président des États-Unis et confirmés par le Sénat. Le gouvernement nomme également les hauts fonctionnaires de la banque et fixe leur salaire.

En réalité, la combinaison de la complexité du système et de la longueur des mandats fait que le contrôle démocratique sur la FED est inexistant. On peut d'ailleurs dire à peu près la même chose du FBI (1908) et de la CIA (1947). Et de la BCE.

On notera au passage que le délit d'initiés est consubstantiel à la FED puisqu'il y a des gens qui, plusieurs fois par an, savent à la minute près dans quel sens vont évoluer les marchés de taux. Il est comique que deux membres de la FED aient été grondés récemment (on leur a fait les gros yeux et une commission sénatoriale rendra un rapport en ... 2027) pour quelques dizaines de millions de dollars alors que certains calculateurs estiment ces profits depuis la création de la FED en dizaines de milliards de dollars (sans compter les profits plus subtils, comme un pouvoir illimité).

Une opposition farouche des Pères Fondateurs

L'opposition des premiers dirigeants américains (à part Hamilton, vendu aux banquiers new-yorkais) est sans ambiguïté : la création d'une banque centrale fédérale, c'est la fin de la démocratie.

L'argument brûlant d'actualité est simple : une banque qui dispose du privilège de manipulation de la monnaie peut fausser les élections. Trump s'en est suffisamment plaint (mais bien sûr, on l'a traité de « complotiste ». Comme c'est facile !).

Thomas Jefferson a continué sa carrière politique pour empêcher cette création. On peut se demander si la polémique récente sur les esclaves de Jefferson n'arrangeait pas les financiers.

Le dernier président à avoir été violent dans son opposition est Andrew Jackson (1836). Ensuite, la finance a patiemment grignoté de l'influence.

Tous ces présidents sont critiqués comme démagogues par les universitaires. Car il y a une règle implicite mais très forte aux Etats-Unis : si on veut faire carrière (université, politique, journalisme), on ne critique pas le principe de la FED. Seuls des marginaux (Hayek, Ron Paul) peuvent se le permettre.

Il y a un tabou carriériste aussi fort en Europe sur l'Euro et l'UE.

Le grignotage : communisme et planche à billets

La famille Roosevelt, celle de deux présidents des Etats-Unis, est fondatrice et dirigeante pendant longtemps de la Banque de New-York, une de celles qui vont être à l'origine de la FED.

Sutton exhume une brochure de Clinton Roosevelt (un prénom pareil, c'est prémonitoire) qui ressemble étrangement au manifeste du parti communiste, avec quelques années d'avance et écrit par un banquier.

Et c'est logique : les cocos et les financiers communient dans la destruction du vieux monde et de tous les liens non-matériels.

Un argument plus technique : le communisme a besoin de la planche à billets pour se financer. Et la planche à billets a besoin des nécessités du communisme pour justifier son existence. Ces deux phrases expliquent toute la vie monétaire et l'Etat-Providence en parallèle depuis 1945. Et, aujourd'hui, le parallèle entre Monnaie Numérique de Banque Centrale et Great Reset.

Et la création d'une banque centrale est le cinquième point du Manifeste du Parti Communiste de Marx en1848. Je remarque qu'Hitler détestait l'étalon or.

Sutton insiste un peu trop sur le fait que Marx aurait été payé par les banquiers (il travaillera plus tard pour le New York Tribune) : cette thèse est très fragile et elle n'apporte rien, ces idées étaient dans l'air. Comme la plupart des socialistes, c'était un sale type (méchant, envieux ...).

Lincoln est coincé par la nécessité de financer la Guerre de Sécession et doit céder du terrain aux banquiers.

Le complot de 1910

En 1907, JP Morgan et ses copains new-yorkais orchestrent une panique boursière. Episode documenté par une commission parlementaire de 1976 (mieux vaut tarte que jamais, n'est-ce pas ?).

Cette panique, présentée à l'époque évidemment comme un phénomène naturel, sert d'argument pour la FED : « Avec une banque centrale, ça ne serait pas arrivé ».

Toute l'ironie (pour ne pas dire plus) de l'argument est que la FED jouera un rôle central et délibéré dans le krach de 1929 ; le but (atteint) étant d'éliminer le maximum d'institutions financières indépendantes « quoi qu'il en coûte » (c'est-à-dire une guerre mondiale, fort lucrative pour certains).

En 1910, des banquiers se réunissent sur Jekyll Island sous de faux noms, c'est donc bien un complot (deux d'entre eux en ont témoigné dans leurs mémoires).

Plan en 2 étapes :

1) Faire élire Woodrow Wilson en 1912, qui fait campagne contre Wall Street, alors que les deux tiers de son budget de campagne viennent de quatre financiers. C'est déjà un énorme mensonge anti-démocratique.

2) Faire passer la loi sur la FED en utilisant l'opposition contrôlée, qui soulève un tas d'objections, sauf les deux tabous essentiels, qui sont étouffés : la concession d'un monopole public à des intérêts privés, l'absence de responsabilité démocratique.

La loi sur la FED est très probablement anticonstitutionnelle. En effet, en commission de convergence Sénat-Chambre des Représentants, ont été introduits des amendements qui n'avaient été votés par aucune des deux chambres. Wilson (le même enculé qui plus tard sabotera la paix au détriment de la sécurité de la France) s'empresse de signer la loi le surlendemain.

Sutton dresse la liste (assez amusante d'un certain point de vue) des allers-retours public-privé de Paul Volcker, mythique gouverneur de la FED.

Aujourd'hui, la FED est intouchable.

On ne peut critiquer son fonctionnement et, encore moins, son principe, sans voir sa carrière brisée par de mystérieux maléfices (des financements qui se tarissent, des commanditaires qui se dédissent, une mauvaise réputation qui s'installe, des rumeurs qui courent, des invitations qui se raréfient, un éditeur qui a piscine etc.). Ce qui est très compréhensible : des fortunes colossales, tout un système de richesse et de pouvoir, dépendent de la FED.

La FED est l'instrument principal de l'euthanasie de la classe moyenne et de la fin de la démocratie.

A Montfaucon !

Conclusion : les financiers sont vraiment des êtres par essence sataniques (les exceptions ne font que confirmer la règle : pour faire métier de manier l'argent, il faut n'avoir aucune morale). Le moyen-âge avait bien raison de s'en méfier comme de la peste et d'en pendre quelques uns à intervalles réguliers.

Tant que nous vénérerons Mammon et que nous ne reprendrons pas le fil de cette saine pratique, nous serons dans la merde.