mercredi, juillet 24, 2024

De sable et d'acier. Nouvelle histoire du débarquement (Peter Caddick-Adams).

Je ne peux pas dire que ce livre soit une découverte totale. L'histoire du débarquement en Normandie, je maitrise déjà assez bien.

Mais ce livre est un pavé et j'ai appris quelques petites choses.

Pour ce billet, je pars du principe que tout le monde a vu le film Le Jour le plus long (lu le livre, c'est mieux) et a quelques notions.

La préparation

L'entrainement

Il y a eu plus de morts à l'entraînement que pendant l'opération elle-même. Mais des morts étalées sur 4 ans puisque les premiers entrainements au débarquement datent de 1940.

L'entrainement s'est intensifié les six derniers mois. Il se faisait à balles réelles. D'où quelques victimes.

Il y a la catastrophe du 28 avril 1944 : des vedettes lance-torpilles allemandes font irruption dans une répétition de débarquement et coulent plusieurs navires. Plus de 700 morts. Dix officiers porteurs des plans d'Overlord sont parmi les victimes. Par miracle, les dix cadavres sont retrouvés avec les plans. Cet accident a été tenu secret jusqu'en 1974.

L'entrainement ne peut pas tout : il faut attendre le 9 juin pour constater que les plus gros navires de débarquement, les LST, peuvent s'échouer directement sur les plages normandes, sans pontons de transbordement, ce qui améliore considérablement la logistique (on pensait les plages normandes pas assez pentues pour permettre ce qui s'est fait en Sicile).

A l'issue de l'entrainement, l'optimisme est très prudent. Les généraux pensent que le débarquement réussira ... avec 50 % de pertes.

La Big Week

Six mois avant le débarquement, la supériorité aérienne n'est pas acquise.

En février 1944, la Big Week : l'USAAF et la RAF se relaient jour et nuit pour pilonner l'Allemagne pendant une semaine. Les pertes sont importantes mais la Luftwaffe est obligée de monter défendre ses villes. Elle subit des pertes matérielles et humaines qui sont pour elle irréparables.

Le déclin de la Luftwaffe commence. Pas trop tôt par rapport au débarquement.

Les bombardements sur la France

C'est un marronnier qui revient désormais tous les 6 juin : les larmes de crocodile des anti-Américains sur les victimes françaises des bombardements préparatoires au débarquement.

Je n'en discute plus sur Twitter, c'est inutile : ceux qui en parlent cherchent juste un prétexte pour exprimer leur anti-américanisme, pas une discussion historique honnête et sérieuse.

Faisons le point :

1) Beaucoup de bombardements ont tapé à côté des objectifs, sur des quartiers d'habitation, provoquant une fureur plus ou moins justifiée (Pierre Clostermann en parle).

2) Dans les conditions techniques de l'époque, il était possible de faire plus précis mais en prenant beaucoup plus de risques pour les équipages (en volant plus bas). Et pour un résultat marginalement meilleur : les groupes spécialisés dans le bombardement de précision étaient peu nombreux.

Même les unités françaises qui prenaient un soin tout particulier à essayer de réduire les victimes civiles n'ont pas réussi à les éviter.

3) Les Américains étaient moins préoccupés que les Anglais des victimes françaises. Churchill était très inquiet et a demandé l'arrêt de ces bombardements, c'est l'intervention de Roosevelt qui a fait qu'ils ont continué.

4) Il y a eu moins de 10 000 victimes civiles de la préparation du débarquement (sur 60 000 victimes de bombardement au total). C'est toujours trop mais on est très loin des craintes de Churchill.

5) Ces bombardements ont été efficaces : les mouvements de l'armée allemande ont été très gênés.

Bref, les morts civiles de bombardement sont le prix de la liberté. Les Alliés auraient pu mieux faire, mais très marginalement. La polémique a plus de raisons d'être pour Saint Lô et Caen, bombardements totalement inutiles d'un point de vue militaire.

Est-ce que les Américains considéraient les Français comme des sous-hommes vaguement sympathiques, des Indiens d'Europe ? Oui. C'est probablement le plus choquant.

La polémique sur les bombardements a donc un petit fond de vérité, mais elle est enflée au-delà de toutes proportions raisonnables.

Au sein des Alliés, il y a aussi une polémique sur l'utilisation des bombardiers lourds. Les azimuthés du bombardement stratégique, Spaatz et Harris, sont persuadés de pouvoir remporter la guerre à eux tout seuls et ils ne veulent pas lâcher un seul appareil pour la préparation du débarquement. A part leur petit entourage de courtisans, tout le monde sait que c'est absurde. Heureusement, la pression de Churchill et de Roosevelt règle le problème.


Le renseignement allemand

Aussi étrange que cela puisse paraitre, les renseignements allemands à la base ont assez bien deviné que le débarquement aurait lieu en Normandie. Mais l'organisation darwinienne (plusieurs service en compétition féroce sur le même sujet) de l'Etat nazi a empêché cette analyse de se transformer en décisions au sommet.

De plus, les Allemands ont commis une erreur d'analyse majeure sur la date : pensant que les Alliés débarqueraient à marée haute et plutôt par lune partielle, ils ont calculé des dates potentielles complètement erronées.

L'opération

La réussite des dragueurs de mines

C'est un aspect de l'opération pas très exaltant mais qui inquiétait beaucoup le commandement. Avec une telle densité de navires, les mines auraient pu faire des ravages. Les dragueurs de mines ont fait un excellent travail, mieux qu'espéré.

L'étonnant succès des Ruperts

Les Ruperts sont ces mannequins lâchés en deux points de l'arrière du front (en plus des vrais parachutages) accompagnés de 6 SAS chargés de diffuser des sons enregistrés.

Ils sont très mal représentés dans le film Le jour le plus long. Loin d'être des mannequins réalistes, ce sont des sacs de sable et d'explosifs dessinant vaguement une silhouette humaine. Surtout, ils explosent en arrivant au sol, laissant peu de traces interprétables.





Les Ruperts distraient jusqu'au soir du 6 juin, une division blindée et une division parachutiste. Excusez du peu. Les points de largage ont été bien choisis, rendant l'opération, si elle n'avait pas été factice, dangereuse, d'où la réaction allemande.

C'est sans doute une des opérations les plus rentables de l'histoire des guerres : quelques centaines de mannequins et six parachutistes pour deux divisions.


Utah Beach

C'est, du côté de Cherbourg, la plage stratégique. Sword, du côté de Caen, est son pendant. Les plages entre les deux bouchent l'intervalle.

Le débarquement à Utah n'a pas été la promenade de santé qu'on présente habituellement. Les parachutistes, qui ont beaucoup fait pour que cela se passe pas trop mal, ont eu la moitié de pertes.

Les Américains sont remarquablement commandés par Teddy Roosevelt, fils et cousin de présidents des Etats-Unis.




Omaha Beach

Le désastre d'Omaha a trois causes :

1) La défaillance des renseignements alliés, qui n'ont pas compris, malgré les informations de la Résistance, que la plage était bien fortifiée.

2) L'état de la mer. Beaucoup de soldats sont morts noyés à cause de rampes abaissées trop tôt (les pilotes de chalands ont plusieurs rotations à faire, ils craignent de s'échouer. L'entrainement ne les a pas préparés à des conditions si mauvaises). La plupart des radios sont perdues.

3) La décision de débarquer dans la première vague des blindés, qui se sont faits allumer comme à la fête foraine par l'artillerie allemande et n'ont servi à rien, mais ont perturbé le débarquement des fantassins.

Probablement que les Allemands auraient rejeté les Américains à la mer s'ils étaient sortis de leurs abris pour contre-attaquer.

Le général Cota (Robert Mitchum dans Le jour le plus long) et son adjoint Canham sauvent la journée. Cota se balade en première ligne en agitant son Colt 45. Il comprend qu'il faut oublier le plan et avancer coûte que coûte, quitte à se faire tuer en avançant, plutôt que de rester sur cette plage qui est un piège mortel.

Canham est blessé alors qu'il coupe lui-même des barbelés.

Les pertes d'officiers atteignent 50 %. Dans toutes les armées de toutes les guerres depuis l'âge des cavernes, les grosses pertes d'officiers indiquent que la situation n'est pas bonne.

Le capitaine Goranson (qui a inspiré en partie le rôle de Tom Hanks dans Le soldat Ryan) des Rangers prend une des ces initiatives qui renversent le cours d'une bataille. Débarqué au mauvais endroit, sur le mauvais objectif, il décide d'attaquer à revers la fortification qui se trouve devant lui. Or c'est le point d'appui allemand le plus meurtrier, celui qui bloque la plage. Il y passe la journée, perd les deux tiers de ses hommes, mais à 16h00, le complexe de fortifications est nettoyé. Il n'a pas fait de prisonniers.

Vers 9h00, comprenant que les choses se passent mal, les navires de bataille se rapprochent de la côte au risque de s'échouer, certains sont même mitraillés depuis les bunkers. Mais les fantassins ont raconté le réconfort de se faire survoler par des obus amis de 356 mm. L'USS Texas a vidé ses soutes, 200 obus de 356 mm. Je n'aurais pas aimé être dessous. Avec le recul, il apparait que des obus fumigène auraient été bien utiles (encore une chose que les répétitions n'avaient pas permis de voir).

La réussite des Canadiens Juno    

Ce sont les plus méconnus. Il arrive qu'Hollywood montre des Anglais, jamais des Canadiens.

C'est dommage, car c'est le débarquement le plus réussi avec Utah : bon séquençage du débarquement, répartition des engins spéciaux judicieuse.

Caen, Gold et Sword

Caen se trouve à 12 km des plages les plus proches. Tous les acteurs, Alliés et Allemands, ont bien identifié cette ville comme le pivot d'une défense de la Normandie en provenance de l'est. D'autant plus que Caen ouvre aussi la Normandie sur la plaine de Falaise, qui libère les forces armées de l'enchevêtrement du bocage.

C'est donc un objectif majeur du débarquement, qui doit être atteint dès le jour J, ou J+1 au plus tard.

Les Anglo-canadiens parcourent les 6 premiers kilomètres vers Caen en 12 heures. Ils mettront 2 mois pile pour parcourir les 6 km suivants. A la guerre, les occasions perdues se rattrapent rarement (en septembre 1914, les Français ont peut-être perdu la « course à la mer » pour avoir démarré deux jours trop tard, à cause de l'épuisement des troupes).

La cause de cet échec majeur (c'est le gros échec du débarquement) n'est pas un mystère. Cet imbécile vaniteux de Montgomery n'a pas mis la priorité et les moyens qu'il fallait sur cet objectif. Eisenhower finit par lui retirer de fait le commandement des forces terrestres en septembre 1944 (il le conserve nominalement, mais, en pratique, c'est autre chose).

Il aurait fallu débarquer sur une plage à l'est de l'Orne, pour couper l'arrivée des renforts à Caen par l'est, ce que certains avaient envisagé (il faut toujours se méfier de l'anachronisme, de penser à des choses avec le savoir rétrospectif). C'était risqué, mais moins que les 80 000 victimes (dont 3000 morts civils français) de cette interminables bataille. A la guerre, l'incompétence des généraux est payée par le sang des soldats  (l'inverse est vrai : les pertes de la 2ème DB diminuent quand elle est sous le commandement de Leclerc et non de de Lattre de Tassigny).

Certes, Montgomery était contraint par la logistique du débarquement sur les plages. La tempête du 19 juin a gêné. Mais cela n'explique pas tout.

Le gros talent de Montgomery a été de se faire une image de général très britannique à un moment où le moral flanchait, c'est bien mais pas suffisant. Comme on dit chez les modernes, il a atteint son seuil d'incompétence en Normandie.

Les débarquements anglais ont aussi été de gros bordels, mais comme il n'y avait pas Hollywood pour en faire tout un cinéma, on s'en fout.

Une réussite en demi-teinte

Les débarquements ont été une réussite, surtout à Utah Beach, puisque les Alliés n'ont pas été rejetés à la mer.

Tout de même, certains vétérans ont dit que cela leur rappelait la bataille de la Somme, avec des ordres de marche bien trop détaillés et contraignants et une préparation d'artillerie totalement inefficace, dont la seule fonction fut de laisser à l'ennemi le temps de se préparer.

Même erreur en septembre 1944 avec l'opération Market-Garden.

En revanche, quand ça merdé, il y a eu de très bonnes improvisations. Par exemple, quand les croiseurs ont fait de l'appui-feu rapproché, en observant ce que les quelques blindés sur la plage visaient. On imagine les dégâts si cela avait été préparé (distribuer aux troupes débarquées des fumigènes et leur dire « Les bateaux tireront là où vous mettrez les fumigènes »).



Célèbre photographie d'Omaha Beach In the jaws of death

En revanche, pour les Allemands, c'est une claire défaite.

Empêcher les Alliés de débarquer était impossible, du fait de l'appui-feu des croiseurs et de l'aviation, mais ils pouvaient espérer les tronçonner et les empêcher de se déployer.

Le général Marcks, pourtant considéré comme un des meilleurs généraux allemands, se rate complètement, comme un joueur de football en méforme. En se laissant distraire par les Ruperts, il manque l'occasion d'attaquer les Anglais à un moment critique. Il est tué à Saint-Lô le 12 juin.

Néanmoins, fidèle à sa réputation d'agressivité, la Wehrmacht réussit à couvrir Caen en réagissant plus vite que les Anglais. Le temps perdu ne se rattrape pas. Les historiens disent « Pour faire ce qu'a fait une section le jour J, il fallait un bataillon à J+1 et une division à J+2 ».

A partir de J+2, les aérodromes de fortune s'installent sur la tête de pont et la supériorité aérienne écrasante des Alliés fait qu'ils ne peuvent plus être battus.

A ce moment là, la première semaine de juin 1944, les généraux allemands savent que la guerre est perdue (à l'est, l'opération Bagration, qui démontre l'excellence opérationnelle de l'Armée Rouge, déclenchée le 22, va achever de les convaincre). En deux mois, les Allemands perdent un million d'hommes.

Pourtant, la guerre va encore durer un an. Mais c'est une autre histoire.

samedi, juillet 13, 2024

Un p'tit truc en plus

 Comme je dois être un des très rares en France qui n'avaient pas encore vu ce film, je ne vais pas m'éterniser.

Deux braqueurs, père et fils, se réfugient dans une colonie de vacances pour handicapés, afin d'échapper à la police.

C'est bien fait, sans mièvrerie. C'est marrant, on passe un bon moment.

Les fins observateurs auront remarqué la plaque « Simone Veil » à la fin du film. Il est très douteux que ce soit un hommage.

On notera, phénomène désormais habituel, que ce film est boudé par Paris dans les mêmes proportions qu'il est plébiscité par la province (« si l'on examine les chiffres relayés par le site CBO Box-office, les entrées parisiennes du film représentent moins de 10% du total. A la date du 29 mai, les entrées représentaient 345 000 entrées à Paris sur un total de 4,5 millions »). Les Parisiens sont vraiment des connards, des handicapés mentaux dans leur genre, mais ce n'est pas une découverte.

samedi, juillet 06, 2024

Sidney Cotton: The last plane out of Berlin (Jeffrey Watson)

Sidney Cotton illustre parfaitement l'idée (de bon sens, mais que si peu comprennent) qu'il est vain d'attendre des hommes extraordinaires qu'ils agissent comme des gens ordinaires.

Beaucoup de crétins se sont moqué, pendant le délire covidiste, des excentricités de Raoult. Mais, sans ses excentricités, il n'aurait été qu'un petit prof de médecine de merde, qui aurait pensé toute sa vie comme tout le monde et n'aurait jamais rien découvert.

D'Astier de la Vigerie disait avec coquetterie des premiers Résistants : « Nous étions des ratés ».

Australien né en 1894, Sidney Cotton est l'inventeur de la reconnaissance stratégique moderne, homme à femmes, cycliquement riche et sur la paille, il a inspiré en partie Ian Fleming pour James Bond.

Il est aviateur naval pendant la première guerre mondiale, mais c'est ensuite que sa vie prend un tour intéressant.

En 1938, il se fait payer, en tant que civil, un Lockheed Electra (alors la pointe de la technique) conjointement par le Deuxième Bureau et par le MI6.

L'authentique Electra de Cotton 

Il se balade au-dessus au dessus de l'Allemagne comme homme d'affaires, avec des caméras dernier cri qu'il a installées lui-même, prenant en photos toutes les installations d'intérêt militaire. Son assistante, Pat Martin, est une superbe jeune femme (affectée d'un pied bot, mais parait-il que cela nuisait peu à sa beauté) de 27 ans sa cadette. Inutile de faire le calcul : elle avait 17 ans. Il la libérera ensuite en lui disant d'aller faire sa vie avec un homme de son âge. Elle en gardait un souvenir ému (ça se comprend : faire l'espionne à 17 ans en compagnie d'un homme riche, séduisant et sympathique, une vie de rêve).


Bien sûr, il a fait les premiers voyages à vide, pour laisser aux Allemands le loisir d'inspecter son appareil sous toutes les coutures. Les Allemands ne sont peut-être pas totalement dupes, mais comme ils ont un intérêt politique à faire peur aux Britanniques, ça passe.

Il s'acoquine avec l'entourage de Goering. Comme il ne manque pas de toupet, Cotton emmène des nazis voler en même temps qu'il prend des photos (les appareils sont vraiment bien dissimulés, c'est du travail d'artiste).

En août 1939, Cotton a l'idée saugrenue, qui donne des sueurs froides à ses commanditaires (toute sa vie, il sera un électron libre) de sauver la paix lui-même par l'intermédiaire de Goering. Bien sûr, cela échoue. Mais il a le douteux privilège d'être le dernier pilote étranger à quitter Berlin juste avant le début de la guerre, il a eu chaud aux fesses.

La reconnaissance stratégique

Incorporé dans la Royal Air Force pour des raisons administratives, il est toujours aussi peu militaire.

Il installe son équipe de pirates dans un coin isolé d'un aérodrome civil (Heston).

Il réclame deux Spitfires, à l'époque où ils valent leur poids en or massif. On les lui refuse. Pas grave, il s'arrange avec Supermarine pour aller les chercher à l'usine. Gros bordel administratif et susceptibilités froissées.

Ils les dépouillent de tout leur équipement militaire (blindage, mitrailleuses etc) et les truffent de caméras et de réservoirs. Le RAE (Royal Aircraft Establishment) de Farnborough (la sépulture de Napoléon III est à Farnborough), l'équivalent de notre STAé, lui dit que ça ne marchera jamais, à cause des problèmes de centrage.

Les Spits de Cotton volent plus haut, plus vite et beaucoup plus loin (distance franchissable multipliée par 3) que les Spits ordinaires. Nouvelles susceptibilités froissées.

Il recrute des pilotes un peu particuliers. Le dicton est « Un pilote de grande reconnaissance, c'est un pilote de chasse avec un cerveau », en fait il préfère les pilotes de bombardier, plus posés, plus réfléchis.

Il professionnalise toute la chaine jusqu'à l'interprétation. Il remplace les bonnes vieilles loupes par de l'optique dernier cri.

Il va lui-même présenter ses albums de photos à Churchill, à l'époque premier Lord de l'Amirauté (la Navy aide Cotton pour des questions de rivalités avec la RAF, c'est comme ça que Ian Fleming, officier de marine, a fait sa connaissance). Nouvelles susceptibilités froissées, rengaine connue.

Ah oui, et Cotton se balade dans Londres en respectant très approximativement le code de la route, dans une Hotchkiss rouge, un peu l'équivalent d'une Ferrari. Le truc discret.

Beaucoup de susceptibilités froissées, certes. Mais il est soutenu par quelques pontes, tout simplement à cause de son efficacité. Avec 10 fois moins d'avions que les unités de reconnaissance classiques, il rapporte plus de photos, et meilleures.

Ses Spitfires ont vu la colonne blindée allemande qui traversait les Ardennes.

Un des problèmes de ces reconnaissance à haute altitude est que les vols sont détectables par les trainées de condensation (hello, les crétins qui croient aux chemtrails).

La bureaucratie fait la peau de Cotton

Comment vient à Cotton l'idée, objectivement idiote, d'aller repêcher contre rémunération Marcel Boussac en pleine débâcle de 40 ? Finalement, cela ne s'est pas fait, mais cette histoire a entachée la réputation de Cotton comme si cela s'était fait.

Bien entendu, ses ennemis s'en donnent à cœur joie, mais bon, il a un peu cherché. On lui reproche aussi d'avoir généreusement distribué l'argent de la RAF à des amis. C'est vrai, mais ils avaient des compétences que la RAF n'avait pas. Qu'est-ce qui coûte le plus ? De l'argent jeté par les fenêtres pour un truc qui marche ou entretenir, en comptant chaque shilling conformément aux procédures, une escadrille totalement inefficace ? La réponse des bureaucrates, ces sous-hommes, vous la devinez.

Mais il est vrai qu'il y avait des accusations plus sérieuses : le mélange militaire/civil missions/affaires laisse un goût désagréable, on n'est jamais loin de la concussion. Et puis, il vend des armes américaines pour son propre compte aux Français.

Les Français le détestent. Son côté mythomane nuit à sa crédibilité. Et sa manière de se balader avec une escorte de jolies femmes fait bien peu militaire, et les militaires français sont assez coincés (même si une rumeur, infondée, bien sûr infondée, dit qu'il est allé au bordel avec Vuillemin, le chef d'état-major de l'armée de l'air).

Bref, le proverbial vase et la non moins proverbiale goutte d'eau ...

Il est privé de son unité et restera conseiller technique. Mais les bureaucrates de la RAF ont quand même été assez avisés pour se débarrasser de lui quand son unité était sur les rails. La Bataille d'Angleterre n'est même pas commencée que la carrière de Cotton comme aviateur est finie.

Puis il est emmerdé pour avoir travaillé avec une puissance étrangère ... les Etats-Unis. La bêtise bureaucratique à front de taureau. A l'époque, la politique britannique était de tout faire pour attirer les Américains dans la guerre (on est à quatre mois de Pearl Harbour).

Probablement une dénonciation de la RAF : pour des raisons que j'ai expliquées dans un autre billet, la hiérarchie de la RAF des années 40 était, à quelques brillantes exceptions près qui ont sauvé les meubles, un ramassis de sales cons. La RAF, eu égard aux moyens énormes qui lui étaient alloués, fut plutôt un échec. Les villes allemandes ont été rasées, et alors ? Pour quel impact militaire, économique et politique ? Plus d'officiers aviateurs britanniques sont morts pendant la deuxième guerre mondiale que d'officiers d'infanterie pendant la première guerre mondiale.

On ne sait pas bien ce que Cotton a fait entre 1940 et 1945. Probablement pas grand'chose.

Trafiquant d'armes

Après la deuxième guerre mondiale, il y a : des guerres de décolonisation, des armes et des avions bradés, des pilotes au chômage.

Cotton n'est pas le seul à avoir l'idée d'additionner tout cela. Il gagne des fortunes, qu'il dépense aussitôt en prostituées et en drogue.

Les prostituées, c'est affaire de goût. Mais la drogue à 50 ans, ça fait vraiment minable (à tous les âges, d'ailleurs).

Dans les années 50, alors qu'il aurait pu profiter des quelques millions qu'il lui restait, il s'embarque dans une histoire d'achat de concession de pétrole. Il se fait rouler dans la farine par les Saoudiens (il est bien trop brouillon et impulsif pour l'emporter face à des arabes patients et retors) et sort ruiné de cette aventure.

Une triste fin

Il se remarie en 1951 avec sa secrétaire de trente ans sa cadette (une de ses ex-épouses a fait remarquer qu'il n'aurait pas supporté le choc d'une femme qu'il n'aurait pas dominée). Ils ont deux enfants. La misère après l'affaire saoudienne (qui n'arrête pas les folles dépense de Sidney) détruit le mariage.

Son épouse, aigrie avec quelque raison, dira toute sa vie qu'un seul mois du temps de leur splendeur leur aurait permis de finir leur vie tranquilles au lieu de quoi Sidney Cotton a fini sa vie en tapant les uns et les autres et n'a laissé que des dettes.

Il meurt en 1969.

Une reconnaissance (!) tardive

Aujourd'hui, Sidney Cotton est considéré comme le père de la reconnaissance stratégique : avions spécialement adaptés, matériel photographique de pointe, notamment la prise de photos déroulante, équipe d'interprétation professionnelle.

Ces éléments existaient plus ou moins dans d'autres forces aériennes, mais jamais systématisés ainsi (Saint-Exupéry était un pilote de « grande reconnaissance », mais c'était le moyen-âge par rapport à ce que faisait Cotton).

C'est avec Cotton qu'ont lieu les reconnaissances systématiques en profondeur, en territoire ennemi.

mardi, juin 25, 2024

Rome, Naples et Florence (Stendhal)

Je n'aime pas Stendhal.

Je suis une brute : pour moi, égotisme rime trop facilement avec nombrilisme et cela m'ennuie terriblement, à m'en décrocher la mâchoire à force de bâillements. J'apprécie les natures plus vigoureuses. J'ai bien du mal à comprendre comment un homme aussi énergique que Jean Prévost a pu s'éprendre de ce mollasson de Stendhal.

J'ai pourtant lu sans déplaisir la Chartreuse, pourtant je ne suis pas allé au bout (Stendhal non plus, d'ailleurs).

Mais (banalité) quel styliste !

« Le 15 mai 1796, le général Bonaparte fit son entrée dans Milan à la tête de cette jeune armée qui venait de passer le pont de Lodi, et d’apprendre au monde qu’après tant de siècles César et Alexandre avaient un successeur. »

J'ai attaqué Rome, Naples et Florence en me disant que nous avions au moins l'Italie en commun. Raté ! L'ouvrage m'est tombé des mains.

Bref, Stendhal, c'était mon dernier essai.

lundi, juin 24, 2024

L'affaire Bernard Natan. Les années sombres du cinéma français (Dominique Missika)

La « grande famille » du cinéma français dans toute sa splendeur.

Il me plait d'autant plus d'évoquer ce sujet que la résurgence de la judéophobie (1)  en France ne cesse de m'inquiéter.

Bien sûr, il y a la judéophobie musulmane, transplantée en France par le Grand Remplacement.

Mais pas seulement, d'autres (Soral, Meyssan, Jovanovic, Durain  etc), sous prétexte de critiquer le « judaïsme talmudique » et le « sionisme », remettent au goût du jour les pires clichés anti-juifs : peuple comploteur pratiquant les sacrifices humains. Et certains d'entre eux sont catholiques !

Ils se croient supérieurement intelligents, ayant compris des choses cachées que les naïfs dans mon genre ne comprennent pas. Il sont juste méchants et idiots : la complexité du monde les dépasse, ils ont besoin de s'inventer des mécanismes cachés simples. Les demi-habiles sont une calamité biblique.

Je soupçonne qu'il y a aussi une soumission femelle, plus ou moins consciente, au mâle viril du moment : le barbu musulman.

Quittons ce préambule.

Un passionné de cinéma

Nohum Tannenzapf est un juif roumain né en 1886. Passionné d'image, assez vite, il s'oriente vers le cinéma.

Il immigre en France. Il se marie à une Française.

En 1911, il est condamné pour outrages aux bonnes mœurs pour des films « grivois ». Ses ennemis en feront plus tard des tonnes sur ce sujet, le qualifiant, comme un dirait aujourd'hui, d'acteur porno. C'est très exagéré.

Il faut noter, pour remettre les choses dans le contexte, que beaucoup de maisons de production s'y livrent pour arrondir des fins de mois, parfois difficiles.

Il fait une « belle guerre », suivant l'expression de l'époque. Sa condamnation est effacée et il est naturalisé sous le nom de Bernard Natan.

Avec la réussite, les ennuis, et la jalousie, commencent.

Le premier en France, il tente une intégration verticale de la production de films, avec des techniques de pointe.

Première faute : il étale trop sa réussite, très parvenu, nouveau riche. On ricane dans son dos. Bien des pique-assiettes ayant profité de ses largesses et de ses soirées fastueuses sauront s'en méchamment souvenir. Il ressemble (hasard ?) au châtelain juif joué par Dalio dans La règle du jeu (un film que j'adore, mais c'est une autre histoire).

Il aide financièrement Mélies qui, tombé dans la misère, tient une petite boutique de fleurs à la gare Saint Lazare.

En 1929, il rachète ses parts à Charles Pathé et l'entreprise devient Pathé-Natan. Charles Pathé a alors une attitude ignoble, déshonorante : il savonne la planche, dans le dos, en traitre, de celui à qui il a vendu ses parts. Deuxième faute de Natan : il ne se méfie pas de Pathé.

Natan finance aussi les balbutiements de la télévision.

Mauvaise date : 1929, c'est l'année du krach de Wall Street, qui fera sentir ses effets en France deux ans plus tard. Pathé-Natan, comme tous ses concurrents, souffre beaucoup. Natan doit se battre pour survivre et ce n'est pas toujours blanc-bleu.

En 1936, Pathé-Natan dépose le bilan mais continue son activité.

En 1938, Natan est arrêté pour escroquerie après une campagne de presse immonde et condamné en 1939 à cinq ans de prison. C'est la vengeance des jaloux et des judéophobes.

La justice aussi est immonde. Le réquisitoire du procureur a un ton et un vocabulaire pamphlétaires, bien loin de la sérénité et de la mesure qui siéent à un magistrat. Le célèbre avocat Maurice Garçon, pourtant anti-juif, en est choqué.

Il y a bien eu escroquerie, mais fort légère, et les victimes en étaient des margoulins, elle a été grossie hors de proportion et la peine est très excessive.

On notera que Pathé n'a pas été liquidée et fut florissante après ce passage à vide. Il semble qu'Ernest Mercier, polytechnicien fondateur de ce qui s'appelle aujourd'hui Total, fut à la manœuvre pour profiter de la chute de Natan (Mercier est lié à la famille Dreyfus, difficile de l'accuser de judéophobie).

Natan est l'une des « vedettes » des expositions anti-juives organisées après la défaite.

En 1942, toujours en prison, il est déchu de sa nationalité française et livré aux autorités allemandes en tant que juif apatride (rappelons que c'est un décoré de guerre). Il meurt en 1942 à Auschwitz.

Sa réhabilitation commence en 1996, pour le centenaire de Pathé, et une plaque d'hommage est dévoilée à la FEMIS.

Un milieu de pourris

Cette histoire n'est à la gloire ni de la France ni du milieu du cinéma.

Jean Dréville poursuivra Marcelle Natan de ses injures jusqu'à la fin de sa vie. Elle est belle, la hauteur d'âme des « grands » artistes.

Un mot de conclusion : la Mal est partout en l'homme. Mais les gens de cinéma et de télévision vivent d'images et, souvent, de leur image. Cet état de fait, de profession, prédispose aux sentiments les plus bas. Il est dans l'ordre des choses que ce soit un milieu de pourris.

L'équipe du Splendid, vachement cool, n'est-ce pas ? Et bien, Anémone raconte que les Lhermitte, Jugnot et compagnie ont monté en douce une société sans lui en parler pour la spolier d'une partie des bénéfices du Père Noël est un ordure.

Cette grande dégueulasserie met en perspective l'élan purificateur qui s'est emparé des moralistes du cinéma français depuis quelques temps.

J'aime le cinéma, mais je n'ai jamais compris qu'on puisse admirer les gens de cinéma pour autre chose que pour leurs qualités professionnelles. Les opinons des acteurs et des metteurs en scène sur la vie, la mort, l'amour, la politique, je m'en fous comme de colin-tampon.

Le Caravage et de La Tour étaient des voleurs et même un petit peu des assassins,. Il ne serait pas venu à l'esprit de leurs commanditaires de tenir compte de leur avis sur quoi que ce soit à part la peinture.


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(1) : je préfère ce mot à « antisémitisme », plus flou, plus ambigu.

samedi, juin 22, 2024

Mosquito (Rowland White).

Une ode au meilleur avion de la deuxième guerre mondiale, le De Havilland Mosquito.

Il a excellé dans tous les rôles : chasseur, bombardier, reconnaissance et même transport (il a notamment transporté Niels Böhr hors de Suède).

Une hérésie selon le conformisme de l'époque : un avion en bois. Mais du bois sophistiqué, l'ancêtre des matériaux composites, un sandwich de bouleau et de balsa. Est-ce à dire que le conformisme a toujours tort ? J'ai tendance à le penser.

Hermann Göring aurait fulminé : « Non seulement ils font cet avion merveilleux, mais en plus, ils le font en bois, même pas un matériau stratégique, n'importe quel fabricant de pianos peut le faire ».

Le bureau d'études de Beechcraft, étudiant les plans du Mosquito, conclut que c'est un avion « sans utilité militaire ». Pas ce qu'ils ont fait de meilleur. Ce jugement peut étonner : les qualités du Mosquito sautent aux yeux, même si leur exploitation militaire peut poser problème. Tel est le poids du conformisme.

Evidemment, le projet est rejeté par l'administration, et Mr De Havilland s'arrange avec un officier moins con que la moyenne pour se faire financer une partie en douce (c'est pourquoi le bordel dans l'administration n'est pas forcément une mauvaise chose : ça laisse des marges de manœuvre aux intelligents, mais aussi aux imbéciles).

Le pilote et l'observateur-navigateur sont côte à côte. On a fait remarquer à Mr De Havilland que ce n'était pas le meilleur choix aérodynamique, il a répondu que son interlocuteur méconnaissait le prix de la chaleur humaine dans le stress du combat.

Les Allemands ont tenté une copie du Mosquito (subtilement baptisée Moskito) mais ils ont eu des problèmes de collage. La mise au point du collage est toujours la difficulté avec les avions en bois, un des fils De Havilland est mort quand un prototype s'est désintégré en vol, à cause d'une mauvaise colle.

Le Mosquito, avion pittoresque

Quand on a interrogé Keith Miller, champion de cricket et ancien pilote de Mosquito, sur la pression dans le sport, il a répliqué : « La pression, c'est quand tu as un Messerschmidt au cul. Le cricket, ce n'est pas de la pression ».

Les anecdotes sur le Mosquito sont innombrables. Un jour, un navigateur penché sur sa carte voit passer une ombre très rapide, il demande à son pilote :

_ Qu'est-ce que c'était ?

_ Un clocher.

C'est ce qui s'appelle voler bas.

La partie arrière était sans doute trop fine, d'où une certaine fragilité structurelle. Mais cela reste un avion formidable. Il a le taux de pertes le plus bas de tous les avions alliés alors qu'il effectuait des missions de pirate.

La spécificité opérationnelle du Mosquito était d'emporter le chargement d'un B17, plus 4 canons et 4 mitrailleuses, à la vitesse d'un Spitfire (et même un peu plus), jusqu'à Berlin, avec un navigateur. Sans le navigateur, les Mosquitos n'auraient pas pu voler aussi bas. Monopilotes, ils se seraient rapidement perdus. Quand on déboule à 500 km/h à 100 pieds/sol (voire moins), toute l'attention du pilote est à l'évitement des obstacles.

Les Mosquitos pouvaient aussi voler très haut, ce qui les rendait intouchables d'une autre manière.

Embry

Les Mosquitos sont commandés par Basil Embry (ultérieurement, Sir Basil Embry).

Il fait partie des marginaux de la Royal Air Force ne partageant pas l'idéologie du bombardement stratégique et qui ont tous eu des ennuis à un moment de leur carrière : HCT Dowding (le vainqueur de la Bataille d'Angleterre), Keith Park (Malte), Sidney Cotton (l'inventeur de la reconnaissance stratégique et un des modèles de Ian Fleming pour James Bond), Sailor Malan etc.

Embry est une légende de la RAF : en 1940, survivant d'une attaque de Blenheim malheureuse, il est fait prisonnier et tue ses gardes pour s'évader. Sa tête est mise à prix par les Allemands. Il vole aussi souvent que possible (sous pseudonyme), notamment les missions difficiles, ce qui le rend immensément populaire auprès de ses hommes (beaucoup moins auprès de ses chefs, que son franc-parler prend à rebrousse-poil).

C'est lui qui va chercher des étudiants d'Oxford un week-end pour les former comme opérateurs radar pour la chasse de nuit (évidemment, contre toutes les règles administratives). Première sortie, première victoire.

Aux missions de Mosquitos, il apporte ses qualités : rigueur, audace et imagination. Il recrute dans le personnel au sol des maquettistes (bien entendu, en contournant leurs fonctions officielles) afin d'avoir en quelques heures une maquette de la cible à partir des photos de reconnaissance.

Il met en place une équipe de navigateurs spécialisés dans la préparation de mission, en exigeant d'eux qu'ils tiennent à jour la position des batteries de DCA ennemies, un travail de Titans, même avec l'aide des services spécialisés.

A des fins de propagande et de debriefing, Embry fait filmer les raids les plus spectaculaires par un Mosquito caméra.

Il fait aménager en bout de piste un dépôt de bombes pirate, ce qui permet de charger directement les avions en cas d'urgence, avec un colosse qui porte sur son dos les bombes de 500 lb de la soute aux avions !

Ce travail paye : prévenue par la Résistance (les missions Jedburgh, un Français, un Américain, un Anglais, faisant la liaison avec la Résistance et les missions Sussex, des SAS en assistance de la Résistance,  étaient d'une efficacité redoutable) d'un dépôt d'essence de la division Das Reich à Châtellerault, son escadrille décolle trois-quart d'heures plus tard. Deux heures après la réception du renseignement, le dépôt d'essence a cessé d'exister.

Je ne suis pas sûr que toutes les forces aériennes de 2024 soient capables d'une boucle aussi rapide.

A Copenhague, Embry vole tellement bas qu'il s'enfile une avenue entre les immeubles. Avec cet humour anglais bien connu, un de ses pilotes dit : « Tiens, le Vieux fait du tourisme ».

Comme tout Anglais qui se respecte, il a fini sa vie éleveur de moutons. Il a eu 5 enfants.

Mosquitos contre Gestapo

Les Mosquitos ont un  ennemi « personnel » : la Gestapo. Prison d'Amiens, siège de la Gestapo à La Haye, siège de la Gestapo à Arrhus, siège de la Gestapo à Copenhague.

La précision des bombardements est stupéfiante, les quatre coins de la prison d'Amiens sautent, libérant les prisonniers. Il y a quelques victimes collatérales, mais pour l'époque, c'est très impressionnant (et aujourd'hui encore, d'ailleurs).

Bien dans leur manière, les gestapistes ont tenté une parade : les boucliers humains. Mais les Résistants estiment que le jeu en vaut la chandelle.

Seul vrai drame : à Copenhague, un Mosquito heurte un pylône d'éclairage (bas, c'est bas) et s'écrase. Les suivants se trompent de cible et bombardent l'incendie, détruisant une école, tuant 85 enfants et 18 adultes.

En revanche, 18 des 26 boucliers humains réussissent à s'évader, ce qui est inespéré.







Rowland White écrit à l'américaine, c'est-à-dire sans aucun style, avec tous les trucs qu'on apprend à l'université (semer des allusions au destin futur des personnages pour inciter le lecteur à continuer, varier les points de vue, etc). C'est insipide comme un thé sans thé.

Mais le sujet est intéressant. Ce livre est un hommage à un avion et à des hommes qui le méritent.

C'est du cinéma, dans la réalité ils volaient plus bas :

jeudi, mai 23, 2024

Le pape des escargots (Henri Vincenot)

Roman des années 70. L'humour bourguignon de Vincenot.

La Gazette, chemineau hors d'âge, manchot épisodique (surtout lorsqu'il entend le mot « travail »), se prétend druide (c'est bien possible) et pape des escargots. Son territoire est réduit par l'autoroute et par l'extension de la ville de Dijon.

Il prend sous son aile Gilbert, jeune illettré mais sculpteur de génie.

Le vieux curé, en croquenots et soutane, leur commande un groupe sculpté, une pièta bourguignonne, pour le pèlerinage des estropiés et ils en profitent pour restaurer la chapelle (c'est bien la première fois depuis très très très longtemps que la Gazette travaille).

Malheureusement, le vieux curé meurt. Et le jeune curé en costard (que nos deux compères commencent par prendre pour un représentant en machines agricoles) ne veut pas entendre parler de pèlerinage, vaine superstition pour cet imbécile au cœur sec. 

Dépité et embrigadé par deux margoulins du marché de l'art (un juif et un inverti, on imagine le scandale aujourd'hui), Gilbert « monte » à Paris, où il est pris en main par une jeune Russe (qui est en réalité une Bretonne).

Le directeur des beaux-arts se nomme Fumassier. La proximité avec « fumiste » n'est pas un hasard !

Tout cela ressemble beaucoup au style de René Fallet, sur des thèmes similaires. C'est plaisant. Fallet est plus fantaisiste, mais si vous aimez la Bourgogne, c'est Vincenot qu'il vous faut.

lundi, mai 06, 2024

Les guimbardes de Bordeaux (Stephen Hecquet)

Peut-on détester l'auteur du courageux Faut-il réduire les femmes en esclavage ? ? Hélas, oui.

Stephen Hecquet était un brillant avocat (il a sauvé José Giovanni de la guillotine), mort à quarante ans, en 1960, d'une maladie cardiaque. Il faisait partie du groupe dit des hussards, autour de Roger Nimier.

Dans cet ouvrage, Les guimbardes de Bordeaux, il fait un éloge du pétainisme, qui est, en filigrane, un éloge de la lâcheté. Ce snobisme à deux balles est très irritant, indigne de l'auteur.

Le style « retour de Vichy »,  avec en toile de fond la réhabilitation des salauds et des traitres sous prétexte d'artistes maudits et de dandysme, on en a soupé. Je trouve Céline, Rebatet et Brasillach méprisables. Jugement sans bémol et sans concession, parce qu'ils n'en méritent pas.

Les anti-gaullistes sont ceux qui reprochent à De Gaulle de se prendre pour Jeanne d'Arc. Les gaullistes sont ceux qui l'approuvent. J'aime le grain de folie des gaullistes.

Les anti-gaullistes auraient dit de Jeanne « Elle est bien courageuse, cette brave fille, mais, tout de même, elle n'est très pas raisonnable. Envoyons là au bucher pour nous arranger avec les Anglais ». Brasillach a écrit un très beau texte sur Jeanne sans comprendre qu'il la trahissait chaque jour de sa vie.

Décidément, j'ai du mal avec ces dandys hypnotisés par leur nombril. Les écrivains sont des gens qui, par définition, se payent de mots, prennent des poses. Ce ne sont pas des humains bien intéressants.

Quand tout tout est dit, Hecquet reste, comme beaucoup de détraqués, un adolescent attardé en révolte contre son père. C'est amusant cinq minutes, quand l'auteur a du talent (c'est le cas d'Hecquet), mais ça ne va quand même pas pisser bien loin.

J'ai arrêté la lecture quand Hecquet écrit que les événements de 1944 ne valident absolument pas l'analyse gaullienne de 1940 et que tout se serait mieux passé si De Gaulle n'avait pas existé et si la capitulation avait été totale. C'est tellement con que cela ne vaut pas la peine de poursuivre. Il y a des gens qui croient que c'est intelligent de soutenir des positions minoritaires parce qu'elles sont minoritaires. C'est puéril.

Hecquet est anti-catholique, De Gaulle est catholique, c'est le fond de l'opposition : Hecquet est du côté de Cauchon, De Gaulle du côté de Jeanne d'Arc.

A la fin, un intellectuel parisien qui se complait dans la bassesse par pusillanimité est moins intéressant qu'un humble curé de campagne qui cache des conteneurs de Stens dans son presbytère.

Pendant que M. Hecquet se branlait la nouille, des jeunes du même âge faisaient autre chose. Jeanne Bohec apprenait aux Bretons à faire sauter les trains et Andrée de Jongh dirigeait le plus grand réseau d'évasion du continent.

dimanche, mai 05, 2024

La guerre du Péloponnèse (Victor Davis Hanson)

Livre très désagréable. L'auteur part du principe que le lecteur connait par cœur la guerre du Péloponnèse et multiplie les allusions incompréhensibles, c'est vraiment pénible.

J'ai lu Thucydide il y a plus de trente ans et je revendique le droit de n'en garder que quelques souvenirs : l'apologie d'Athènes de Péricles, la peste (qui était probablement le typhus), la mort de Péricles, l'exécution des stratèges vainqueurs, le désastre de Sicile, les trahisons d'Alcibiade ...

Pourtant, ce livre a de l'intérêt, c'est pourquoi j'ai fait l'effort de le lire jusqu'au bout.

Il est classé par thèmes (les batailles, les sièges, la guerre navale ...) d'une manière qui rejoint approximativement la chronologie.

Une guerre absurde semée de décisions absurdes

L'exécution des généraux vainqueurs (parce qu'ils n'ont pas pris le temps d'enterrer ou de repêcher leurs morts) et le désastre de Sicile (engager, et perdre, le gros de ses forces dans une expédition lointaine, périphérique, sans intérêt stratégique) font partie des décisions les plus stupides de l'histoire de l'humanité, pourtant bien fournie.

Le mécanisme est toujours le même : un beau parleur, mû par ses intérêts personnels (le plus souvent corrompu par l'ennemi), pousse l'assemblée des citoyens par des discours enflammés, en ridiculisant les raisonnables, à des décisions contraires à tout bon sens.

Cela pose deux questions :

> pourquoi les politiciens athéniens de talent étaient-ils très corruptibles ? Richelieu était très riche par corruption, mais il n'a jamais pris une décision contraire aux intérêts de la France.

> pourquoi l'assemblée les suivait-elle ?

Hanson explique cela par :

> la peste au début de la guerre. Ces événements épouvantables et la mort d'un quart de la population ont cassé la cohésion sociale et les normes morales d'Athènes.

> la génération d'Alcibiade est née dans l'Athènes prospère et impériale. Ce furent des enfants gâtés et non des héros.

Le triste destin d'Athènes, qui avait tous les atouts au début de la guerre et a fini par la perdre, fut pendant des siècles une mise en garde contre la démocratie (ça l'est toujours, pour les très rares qui ont encore la culture classique).

Mais la décision initiale de Péricles n'appartient pas à la catégorie des malheurs de la démocratie.

Rassembler toute la population dans l'enceinte de la ville pendant que l'ennemi tente en vain de ravager la campagne (couper à la main des milliers d'oliviers, c'est plus facile à dire qu'à faire) n'était pas idiot. Hélas, cela a provoqué l'épidémie.

Il n'en reste pas moins que, sur la fin de la guerre, Athènes a refusé deux propositions de paix avantageuses et a perdu des batailles navales tout à fait gagnables. Il y avait probablement une perte de compétence (comme nous en 1940 par rapport à 1914) dans cette guerre étalée sur trois décennies qui a épuisé le potentiel humain des cités belligérantes.

Quelques années plus tard, après la défaite athénienne, c'est Sparte qui tombe dans la déchéance, signe supplémentaire que sa victoire n'était pas solide.

Les massacres

Ces trente ans de guerre sont semés de massacres, qui ont choqué les contemporains.

Dès le début, en rupture avec les traditions, les belligérants ont considéré que ne pas massacrer les soldats, les marins et les civils vaincus au cours d'une bataille ou d'un siège serait un aveu de faiblesse auquel il était impossible de se laisser aller.

Les guerres antiques étaient plus cruelles que les guerres de notre âge classique, cependant on était là plus près de la fureur des guerres civiles que de la guerre entre puissances.

Comme l'esclavage, ces cruautés dégradent toujours ceux qui s'y livrent, même avec les « meilleures » raisons du monde.

Une rupture

Tous les observateurs, de quelque camp qu'ils soient, sont d'accord sur un constat : cette guerre a brisé l'esprit grec (comme la guerre de 14 a brisé l'esprit européen). Plus rien ne sera jamais comme avant, en mal.

Les arts se dégradent, l'intelligence se perd, l'esprit civique disparait etc.

Il y a des guerres qui dynamisent au moins le vainqueur, les guerres puniques lancent la carrière de Rome. Pas la guerre du Péloponnèse, tous les belligérants y perdent.

C'est une guerre de fin de cycle, où le trop-plein de puissance de prospérité s'exprime et se détruit. Et détruit aussi la puissance et la prospérité.

Et nous ? Certains croient à une guerre de fin de cycle entre la Chine et les Etats-Unis.

Les Américains sont obsédés par cette guerre du Péloponnèse. A juste raison me semble-t-il : l'impérialisme américain risque bien de finir comme l'impérialisme athénien.

A aucun moment, Athènes n'a pu ou n'a voulu prendre en compte les inquiétudes de ses voisins qui avaient un modèle politique différent, il s'est toujours trouvé un démagogue pour exalter l'impérialisme démocratique et pousser l'agora à refuser la modération. C'est la cause majeure de cette guerre.

Dans les dernières années de la guerre, un coup d'Etat oligarchique a renversé la démocratie à Athènes. Elle avait épuisé ses charmes par une série de décisions malencontreuses. L'oligarchie n'est peut-être pas mieux, mais il était temps d'essayer autre chose.


jeudi, avril 18, 2024

Joseph Caillaux (Jean-Denis Bredin)

De Joseph Caillaux, il nous reste des vignettes : l'inventeur (pour la France) de l'impôt sur le revenu, son épouse qui abat le directeur du Figaro (on devrait faire cela plus souvent), l'emprisonnement en 1917 et le procès en Haute Cour. Moins connu, le vote des pleins pouvoirs à Pétain en 1940.

Cet homme, qui avait de grandes qualités, dont de Gaulle disait qu'il était le premier homme d'Etat moderne, est passé à côté de son destin politique. Pourquoi ?

Il avait deux défauts rédhibitoires :

1) Une vanité impérieuse qui lui créait des ennemis inutiles.

Comparez avec Churchill, autre grand vaniteux : il avait toujours un trait d'humour contre lui-même qui lui évitait de trop blesser. Même ceux qui le méprisaient n'arrivaient pas vraiment à le détester (sauf Hitler).

Caillaux, c'est l'inverse : il parvient à s'aliéner même ses alliés naturels.

2) Une légèreté surprenante. Légèreté au sens péjoratif.

Pourquoi, au milieu de dix décisions ou comportements judicieux, glissait-il une décision ou un comportement stupide qui affligeait ses partisans ?

Qu'avait-il besoin d'écrire des lettres à ses maitresses parlant de politique en termes cyniques, que le Figaro publia en feuilleton ? Certes, Mme Caillaux y mit bon ordre à coups de Browning 1906 (une excellente arme de poche. Mme Caillaux était passée à un stand de tir s'exercer), mais tout de même ...

Dans le principe, je n'ai rien contre le fait que les victimes se vengent des journalistes, ce n'est que la juste contrepartie de leur pouvoir exorbitant de ruiner des vies, mais Caillaux a pris cette affaire bien trop à la légère sans se rendre compte des dégâts sur sa famille.

L'impôt sur le revenu

En 1907, Caillaux fait voter, avec beaucoup d'habileté et de ténacité, l'impôt sur le revenu, au taux qui laisse songeur de 3 %. Il ne sera effectif qu'en 1917, suite à des obstructions du sénat.

Caillaux n'a sans doute pas mesuré les rancœurs qu'il suscitait.

Les objections des opposants méritent réflexion.

Les imbéciles (y compris l'auteur de cette biographie, qui est tout de même un socialiste) y voient la défense étroite d'intérêts particuliers. Il y a certes de cela, mais il faut s'aveugler pour méconnaitre qu'un siècle plus tard, elles ont été entièrement validées par la suite de l'histoire.

Ces objections étaient : inquisition fiscale, abolition de la vie privée, extension indéfinie du pouvoir de l'Etat, possibilités infinies de clientélisme.

Depuis longtemps, l'Etat a quitté la fonction d'agent de la vie en société qui s'occupe de la guerre, de la diplomatie, de la police et de la justice pour devenir un dieu barbare qui dévore la société. Et l'institution de l'impôt sur le revenu est une étape importante de ce suicide des sociétés occidentales par le socialisme étatiste.

A la même époque dans les pays anglo-saxons, la théorie disant que les classes supérieures ont le devoir de manipuler la démocratie est à la mode.

Clemenceau (dont Caillaux est ministre des finances) se montre féroce. Son surnom « le Tigre » n'est pas forcément un compliment. Il fait tirer sur les viticulteurs du Midi, il fait tirer sur les ouvriers en grève, comme jamais un gouvernement de droite ne se serait permis. Il y gagne une réputation de sanguinaire, d'un homme qui aime le sang. Il est discrédité.

Caillaux, qui a des défauts mais n'a pas la goût du sang, est fort mal à l'aise.

1914 et 1917

En deux occasions dramatiques, Caillaux eut pu jouer un rôle décisif que sa légèreté (1914) et sa solitude (1917) ont empêché.

En 1914, il était pris par le procès de son épouse (acquittée !!!! le 28 juillet 1914). De toute façon, il n'aurait rien pu faire : l'Allemagne s'étant persuadée que le temps jouait contre elle, la guerre était inévitable.

Mais on peut toujours rêver du gouvernement Caillaux-Jaurès, un temps envisagé. Aurait-il pu quand même éviter la guerre ?

En 1917, il a été en but à l'acharnement de Poincaré (son « ami ») et de Clemenceau. Mais les négociations de paix de 1916 (bien plus avancées qu'on ne l'a dit par la suite) avaient déjà échoué sur le bellicisme allemand.

Je reproche par ailleurs à Clemenceau de ne pas avoir été assez belliciste en 1918 : si la guerre avait continué un mois de plus, l'Allemagne aurait été envahie et le XXème siècle changé ... ou pas. Poincaré envoie à Clemenceau une lettre le mettant en garde contre l'arrêt prématuré de la guerre tellement insultante que celui-ci exige qu'il la retire.

Comme beaucoup des ennemis de Clemenceau, Caillaux soupçonnait me Tigre d'être tenu par les Anglais, ce qui lui a permis un bon mot : « Je veux bien que son nom soit donné à des écoles, mais à condition que ce soit dans la classe d'anglais » (malgré l'américanomania qui sévissait en France, on ne se faisait guère d'illusions dans les hautes sphères sur la bienveillance des anglo-saxons à notre égard).

Caillaux, Poincaré et Clemenceau s'accusent mutuellement d'allégeances étrangères : Caillaux d'être l'homme des Allemands, Poincaré d'être l'homme des Russes et Clemenceau d'être l'homme des Anglais.

Devant l'effondrement du moral  après les désastres de 1917, quoi de mieux que de terroriser les politiciens en faisant un procès féroce et injuste au meilleur des opposants et de prévenir la recherche d'autres solutions que la continuation de la guerre ? Caillaux sera condamné par la Haute Cour en 1920, dans une ambiance déjà changée, et amnistié en 1925, mais Clemenceau avait atteint son but, faire taire les opposants.

Le dossier de Caillaux était vide. Plus exactement, il était plein d'insinuations risibles et inconsistantes suscitées par Poincaré et Clemenceau. La condamnation de Caillaux (en prison de 1917 à 1920) est totalement inique. 

Les ennemis de Caillaux apparaissent pour ce qu'ils sont : des minables, méchants et rancuniers. Ils ont l'un et l'autre laissé leurs noms à des places et à des rues, à des hôpitaux, mais ce n'est pas un hasard s'ils n'ont aucun héritage politique et sont peu à peu tombés dans l'oubli. Ils n'ont rien fait, à part des mots venimeux à la Audiard, qui méritât qu'on se souvînt d'eux. La guerre, ce n'est pas eux qui l'ont gagnée, mais des pauvres bougres magnifiques d'héroïsme.

La guerre et la paix

Caillaux est pacifique (évitant la guerre autant que possible), voire pacifiste (voulant la paix même quand la guerre est nécessaire). Il ne partage pas l'exaltation romantique belliqueuse de bien des intellectuels (BHL n'a rien inventé) et des politiciens de cette époque.

L'opposition à la guerre de Caillaux est singulière. Elle n'est pas une opposition de principe comme les pacifistes mais une analyse (juste et très rare à l'époque) que cette guerre là sera une catastrophe pour les belligérants, vainqueurs et vaincus.

Le portrait de Poincaré et de Clemenceau que trace le débat sur la guerre et la paix est au vitriol : ambitieux, arrivistes, sans scrupules, sanguinaires, se détestant mais se ressemblant.

Quand on décide à vingt ans de devenir président de la république et qu'on y parvient, comme Poincaré, on est forcément malsain. Poincaré est le type qui consacre plus de pages dans son journal à la mort de son chat qu'aux milliers de Français tués au front.

Caillaux aurait dit (c'est du moins ce qu'il raconte, 30 ans plus tard) après l'élection de Poincaré à la présidence de la république en 1913 « Nous aurons donc la guerre ». Je ne sais s'il l'a vraiment dit, mais qu'il ait eu un pressentiment de cet ordre est fort probable.

Caillaux était persuadé que Poincaré avait tout fait pour provoquer la guerre. C'est une exagération due à sa haine bien compréhensible. Que Poincaré n'ait rien fait pour éviter la guerre est déjà un crime assez lourd.

Du fond de sa cellule, à l'armistice, il prédit avec justesse (comme souvent) « La France deviendra une colonie américaine ».

Caillaux et la loi de 1973

Des mal-comprenants font une fixette sur la loi de 1973 (qui est passée à l'époque inaperçue, et pour cause : c'est une loi technique, en réalité sans importance ni politique ni économique) et qu'ils appellent, pour que leur intention judéophobe soit claire, « loi Pompidou-Rotschild ».

Leur thèse est la suivante : « Il y avait un arbre à argent gratuit au milieu de la cour de la Banque de France, l'Etat pouvait se financer sans problème et sans conséquences néfastes. Les méchants juifs ont coupé cet arbre magique en 1973 et, depuis, tout va de mal en pis ».

C'est bien entendu absolument idiot : d'une part, la loi de 1973 ne fait que répéter un interdit de 1936, d'autre part, il faut ne rien connaitre à l'histoire de France pour croire que les problèmes de dettes étatiques commencent en 1973. Quand la dette de l'Etat est financée par la planche à billets, cela crée une inflation catastrophique, c'est aussi vieux que le monde (il n'y a pas un bouton magique qui permet de régler l'inflation au « bon » niveau).

D'ailleurs, la BCE contourne depuis 2008 cette loi de 1973 et ses équivalents européens, à coups de LTRO et de quantitative easing, et je ne vois pas que la situation économique et financière de la France se soit améliorée. En revanche, je vois bien l'inflation.

La planche à billets crée de l'inflation et du communisme (l'Etat a, artificiellement, les moyens de s'immiscer partout). C'est simple : l'Etat devrait avoir zéro dette, ne jamais s'endetter, jamais, jamais, jamais. Cette saine politique enlèverait une des causes majeures de guerre : justifier l'endettement et la spoliation par la guerre (hé oui, cette très vilaine tentation existe depuis la nuit des temps).

Que vient faire Joseph Caillaux dans cette histoire ?

C'est que, en 1924, moins de trois mois après son amnistie, il est nommé (au grand scandale de la droite) ministre des finances du Cartel des Gauches.

A l'époque où l'arbre magique à argent gratuit existait encore dans la cour de la Banque de France, le parlement fixait le plafond des avances que notre banque centrale pouvait consentir à l'Etat. Rien de plus démocratique.

Or, Caillaux se trouve confronté à l'affaire des « avances occultes ». Devant la gabegie de l'Etat et la dette de guerre insolvable (« L'Allemagne paiera » pas), la Banque de France contourne le plafond fixé par le parlement : elle rachète en sous-main la dette étatique des banques privées de connivence (exactement le système mis en place par la BCE depuis 2011 ! En matière de magouilles, on n'invente jamais rien).

Mais Caillaux a été usé par les épreuves, il a tout de même subi trois ans de prison et un long procès. Il n'a plus le ressort nécessaire pour remettre en ordre les finances publiques et ses soutiens radicaux-socialistes n'ont pas les idées claires sur le sujet, ils débattent sans fin d'une taxation du capital (déjà).

Il laisse trainer l'histoire des avances occultes et tout le reste.

1940

Dans les années 30, Caillaux devient le parrain du sénat, pas de position officielle (à part la présidence de la commission des finances) mais son influence est considérable. Il se permet des allusions à son procès en Haute Cour qui font rire ses collègues. Il défait trois fois le gouvernement Blum (il était de l'ancienne gauche : social mais libéral, pas socialiste).

En 1939, comme beaucoup de politiciens, Caillaux est rongé d'inquiétude par la nullité de nos généraux. Il est vrai qu'il a toujours méprisé les militaires et ne s'en cachait pas.

Le 14 juin 1940 (le jour où les Allemands entrent dans Paris), Pierre Laval lui rend visite en Auvergne, où il prend les eaux avec son épouse.

Conversation étonnante : Caillaux, qui a pourtant tourné pacifiste idéologique plus que simple pacifique rationnel, explique à Laval que l'Angleterre ne peut être envahie (la Royal Navy est trop forte), qu'elle a les ressources de l'empire, qu'elle va continuer la guerre et qu'il serait bon que la France envisage de poursuivre la lutte à ses côtés. Une préfiguration du discours du 18 juin ! Comme quoi les idées de De Gaulle n'étaient pas si isolées. Pendant ce temps, ce crétin et ce traitre de Weygand expliquait à qui voulait l'entendre que l'Angleterre allait « avoir le cou tordu comme un poulet » (peut-on en vouloir à Caillaux de mépriser nos généraux ?).

Pourtant, un mois plus tard, Caillaux vote les pleins pouvoirs à Pétain. Il se justifie en disant que le moment de la lutte à outrance est passé. Justification bien faible. Plus vraisemblablement, les événements d'Oran l'ont influencé et son pacifisme a repris le dessus.

Puis il s'enferme dans son fief sarthois de Mamers. Le seul contact qu'il a avec le gouvernement de Vichy durant toute la guerre, malgré les sollicitations, c'est une lettre cinglante qu'il envoie pour prendre la défense d'une postière juive qu'il a connue quand il était aux armées en 1914. Il écoute religieusement la BBC.

Il meurt en novembre 1944, dans le quasi-anonymat.

La république des phraseurs

C'est un lieu commun de dire que le IIIème fut une république d'avocats, de journalistes et de professeurs. Bref de fatigants blablateurs qui adoraient s'écouter parler, à coup de références classiques. Et l'opposition à cette république ? Qu'a fait Maurras toute sa vie si ce n'est des phrases ?

Cela donne des envolées lyriques et des répliques d'anthologie. Pour quel résultat ? Une guerre atroce en forme de suicide collectif ? La France était vraiment loin de Richelieu et de Mazarin. On comparera l'engagement fou de la IIIème république dans la première guerre mondiale et l'habile louvoiement de Richelieu pour impliquer la France le moins possible dans la guerre de 30 ans.

Dans ce marigot ennuyeux et fort peu pragmatique, le réalisme d'acier d'un Caillaux avait de quoi séduire les âmes bien nées, les hommes d'action. D'où la fidélité de certains partisans du difficile Caillaux.

Toujours est-il qu'en deux occasions historiques, Caillaux avaient les bonnes idées, celles qui évitaient  la catastrophe, et qu'il a manqué à la France qu'il réussisse, il n'a même pas été près de tenter quoi que ce soit. C'est pourquoi son nom n'est qu'une note de bas de page dans notre histoire.

Peut-on dire que c'est la faute de son épouse ? En partie, oui. Mais il a manqué à Caillaux la chance, ce petit quelque chose en plus, qui ne fait pas forcément les grands hommes mais qui fait au moins les hommes qui arrivent au pouvoir au bon moment.