lundi, décembre 14, 2020

Ils détestaient De Gaulle (F. Broche)

 L'auteur, un gaulliste, dresse la longue, très longue, liste des anti-gaullistes.

Je saisis mieux ce qui me sépare d'eux :

1) le style : je suis un admirateur de Jeanne d'Arc. Ce que le gaullisme a de fou et d'excessif, et même de grandiloquent, ne me gêne pas. Les raisonnables et les raisonneurs m'emmerdent.

De plus, le gaullisme est éminemment populaire. Comme Jeanne d'Arc ! Au moment où la cour l'abandonnait, les Français priaient pour elle. Au moment où la  bourgeoisie du Figaro et le bourgeoisie du Monde communiaient dans la haine de De Gaulle, le peuple votait pour lui.

L'anti-gaullisme relève d'un snobisme petit-bourgeois ou d'un dandysme grand-bourgeois, aucun des deux n'est populaire. C'est rigolo cinq minutes, parce que certains anti-gaullistes ont du talent, mais c'est au fond puant.

2) la politique : refuser le gaullisme, d'accord, mais pour quelle politique alternative ? C'est très simple : la soumission, soit à Washington, soit à Moscou. Les plus honnêtes l'assument. L'anti-gaullisme rassemble ceux qui pensent que la France ne mérite pas l'indépendance. La Suisse, le Bénin, le Mali, oui ; la France, non.

L'objection à cet argument qui revient souvent : « De Gaulle a fait entrer les loups communistes dans la bergerie de la fonction publique, spécialement de l'éducation et nous sommes américanisés comme jamais. L'action de De Gaulle a donc été au mieux vaine, plus probablement néfaste. L'indépendance gaulliste est une illusion, pour ne pas dire une escroquerie ».

Cet argument est fallacieux (sauf peut-être sur l'éducation nationale, parce que le problème est plus tardif et qu'il aurait sans doute pu faire autrement) :

1) Même en admettant que De Gaulle aurait échoué, l'objectif de l'indépendance nationale est louable. Cela renvoie dans leurs buts ceux qui ne songeaient qu'à se trouver un maître.

2) Le jeu de bascule entre les Américains et les Soviétiques était le seul possible pour garantir cette indépendance nationale.

3) De Gaulle est responsable de beaucoup de choses mais tout de même pas des décisions de ses successeurs.

Dans sa galerie de portraits, François Broche égratigne particulièrement un anti-gaulliste tiède : Raymond  Aron.

D'ambiguïté en ambiguïté, de finasserie en finasserie, à force de se vouloir raisonnable et pondéré, d'excès de subtilité en excès de subtilité, de réserve en réserve, Aron rate ce que les événements imposent de radicalité dans les choix et passe pour un imbécile.

Je trouve ce portrait au vitriol très mérité : depuis longtemps, Aron me paraît une fausse valeur. Le centrisme est toujours un naufrage intellectuel et une trahison nationale.

Je me sens plus à l'aise avec un anti-gaulliste farouche : au moins, lui croit en quelque chose.

Cependant, le recul du temps est cruel pour les anti-gaullistes. Il faut bien considérer le monceau hallucinant des conneries empilées par les anti-gaullistes : Franco, Hitler, fasciste ... Ils n'ont pas dit que De Gaulle mangeait des enfants au petit déjeuner mais c'est juste un oubli.

Et puis, on retombe toujours sur le même problème : l'anti-gaullisme, c'est la soumission nationale. Les anti-gaullistes répondent à cela que l'indépendance nationale gaulliste est une illusion et que de toute façon, les nations, c'est dépassé.

Quand je vois comment les vieilles nations reviennent (Russie, Chine, Inde, Corée, etc), 50 ans après la mort de De Gaulle, je me dis que le discours des anti-gaullistes vieillit mal.

Le principal défaut de De Gaulle était de ne pas être un séducteur, à la Jules César ou à la Bonaparte. il était ingrat et cassant (« Je ne respecte que ceux qui me résistent. Malheureusement, je les supporte pas. » Il faut faire la part à l'humour de cette citation). On a glosé sur le fait qu'aucun de ses officiers de la 4ème DCR ne l'a rejoint à Londres.

Mais De Gaulle avait pour lui la profondeur historique. Cela rendait ses ennemis éphémères, futiles, mesquins et c'est bien ainsi qu'ils apparaissent aujourd'hui et ils tombent dans l'oubli, même Mitterrand malgré ses deux mandats présidentiels. L'anti-gaullisme est toujours, au fond, une trahison de la nation française au nom d'intérêts particuliers.

Même le ressentiment des pieds-noirs, bien compréhensible, ne vole pas haut. Tout simplement parce que les pieds-noirs qui volaient haut ont compris tôt que l'indépendance de l'Algérie était inéluctable et ont fait leurs bagages avant les autres, discrètement, dans de bonnes conditions.

Les plus grotesques anti-gaullistes sont ceux de deuxième ou de troisième génération, que je rencontre quelquefois sur internet. Eux n'ont vraiment rien compris. La haine de De Gaulle est la haine d'une politique qui élève. On retombe toujours sur le fondamental du pétainisme : « Céder au voeu des Français de se coucher ».

Mais De Gaulle aussi tombe dans l'oubli, parce que la France acculturée oublie tout et n'a plus envie de rien (sauf qu'on la laisse mourir tranquille) comme les compagnons d'Ulysse mangeant les lotos.

Addendum : une petite crise d'antigiscardisme primaire, ça ne peut pas faire de mal (oui, le centrisme est le vichysme de temps de paix) :

samedi, décembre 12, 2020

Le roi tué par un cochon (M. Pastoureau)

Michel Pastoureau est spécialiste des représentations animales et des couleurs.

En 1131, le prince Philippe, « roi désigné » (en ces temps où la monarchie capétienne est mal assurée, le prince est couronné du vivant de son père), espoir de la monarchie et de ses parents, est tué par un cochon diabolicus.

Alors qu'il rentre de promenade ou de chasse (on ne sait trop) avec sa joyeuse bande de compagnons adolescents, un cochon vagabond des faubourgs de Paris se fout dans les pattes de son cheval, provoquant une lourde chute qui lui fracasse le crâne sur les pavés.

Dans les années qui suivent cette souillure initiale, les malheurs s'enchainent pour la monarchie capétienne : une croisade ratée, le remariage funeste d'Aliénor d'Aquitaine ...

Sous l'impulsion de Suger et de Saint Bernard, le culte marial est très fort. Les deux symboles de la Vierge sont le bleu et le lys. Suger dépense une fortune pour mettre au point pour sa basilique de Saint Denis le bleu verrier qu'on appellera « bleu de Chartres ».

A notre époque divagante où un archevêque de Paris fait un caprice pour marquer Notre-Dame de son empreinte avec des vitraux modernes, il n'est pas inutile de donner un repère : les vitraux représentaient la moitié du coût total d'une cathédrale. C'est dire s'ils n'étaient pas pris à la légère. Pensez y quand vous visitez une cathédrale (à Chartres, n'oubliez pas vos jumelles. Je ne serais d'ailleurs pas étonné que des suppôts de Satan y mettent le feu).

Dans les années 1140 (on n'a pas la date précise), il est décidé, cinq siècles avant le voeu de Louis XIII (dans des circonstances pas si différentes), de consacrer la France à la Vierge.

C'est donc tout naturellement que la monarchie a pris comme nouveaux emblèmes le bleu et le lys. Le bleu, c'est le ciel. Le lys, c'est la pureté marial et la fragilité christique. La France n'a pas pour symbole un léopard, un lion ou un aigle, ni une fleur avec des épines, mais une fleur pure et fragile.