samedi, mars 05, 2022

Le temps des chefs est venu (François Bert)

J'ai acheté ce livre suite à la conférence limpide que j'ai collée en fin de billet.

François Bert essaie de prendre la politique française par un angle original : discuter des hommes plutôt que des programmes et des idées.

C'est cohérent avec la philosophie de l'élection présidentielle française. Bert bazarde les histoires de RIC et de démocratie participative et demande : « Comment choisir un chef pour la France ? ».

Il n'y a pas de mauvais soldats, il n'y a que de mauvais chefs.

Je n'aime pas beaucoup voir cette maxime militaire appliquée à la politique.

Même s'il y a des exceptions comme Macron et Zemmour, nos politiciens ont en général un cursus honorum (maire, député, ministre, ...) qui fait que le peuple a amplement le temps de les juger et de s'en débarrasser s'ils ne conviennent pas.

Si les chefs sont mauvais, c'est que le peuple est mauvais, manquant de courage et d'intelligence.

Passage en revue des présidents.

Bert est critique de de Gaulle, grand visionnaire mais chef moyen. Mongénéral est trop cassant et trop ingrat pour faire un bon chef. Je partage ce diagnostic. L'attitude constante « Ca passe ou ça casse, avec moi ou contre moi » lui a fait rater bien des occasions.

Les deux fois où il a commandé en tant que militaire (Montcornet et Abbeville), il n'a pas été très bon, faute d'avoir écouté d'excellents conseils.

La différence entre Napoléon et de Gaulle ? Berthier (mauvais les rares fois où il a commandé en personne, mais chef d'état-major exceptionnel. On dit que son absence à Waterloo - suicide ? Accident ?- explique la défaite). Et d'une manière générale, les maréchaux.

Napoléon avait un entourage d'une qualité exceptionnelle et dans tous les domaines : les grands chefs suscitent les grands adjoints. 

On connait l'histoire de l'arrivée de Bonaparte à l'armée d'Italie. Les officiers vétérans (à 35 ans !) avaient décidé de ne pas se découvrir devant ce blanc-bec nommé par la faveur politique de Paris. Seulement, quand il est arrivé, pas un n'a été capable de soutenir l'éclat de son regard (d'après Talleyrand) et tous se sont découverts.

De Gaulle s'est souvent plaint de manquer d'hommes de qualité, mais comme lui a fait remarquer Jean Mauriac, Moulin ou Brossolette ou d'autres, ne pouvaient être taxés d'hommes de basse qualité. Combien l'intransigeance gaullienne a-t-elle perdu d'hommes éminents ?

L'entourage de de Gaulle n'était pas nul, loin de là, mais il aurait pu être meilleur.

Pompidou a la préférence de Bert.

Quant aux autres n'en parlons pas, les portraits sont au vitriol.

La république des vendeurs de bagnoles d'occasion

Beaucoup traitent Macron de vendeur de bagnoles d'occasion. Ce n'est pas une simple boutade, cette insulte révèle la vérité profonde du personnage.

Les qualités pour être élu sont opposées  aux qualités pour diriger et les partis politiques ne sont pas faits pour gouverner mais pour conquérir le pouvoir. C'est le paradoxe démocratique.

Depuis Jacques Chirac, ce paradoxe a été poussé à un niveau suicidaire du côté de la séduction. Il était évident, avant même leur élection, que Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron n'avaient aucune des qualités d'un chef.

Dès qu'on s'abstrait un instant des passions partisanes et des emportements sentimentaux, ça saute aux yeux. Comment ces girouettes plus ou moins agitées ont-elles pu succéder à Saint Louis ?

Nos dirigeants sont des héros de cocktails et des baroudeurs de meeting. Quand vient le temps de l'action, la vraie, il n'y a plus personne.

Prêtre, prophète et roi

Bert reprend la formule du baptême « prêtre, prophète et roi ». (c'est pareil chez les orthodoxes et chez les catholiques).

Prêtre : le relationnel, le vendeur de bagnoles d'occasion.

Prophète : le cérébral, celui qui a des visions.

Roi : celui qui sait ce qu'il faut faire. On remarque que le roi a un style (style Henri II, style Louis XV, ...) mais pas de doctrine (on ne parle pas de « saintlouisisme » ou de « louisquatorzisme » mais on parle de colbertisme et de gaullisme).

Bert pense qu'on se trompe de catégorie pour de Gaulle et que ça explique bien des malentendus : c'est un prophète plus qu'un chef.

Définition du chef

Qu'est-ce qu'un chef ?

C'est un homme qui sait tirer vers le sommet de col en col. S'il oublie le sommet, il n'entraine personne, s'il ne pense qu'au sommet, il perd tout le monde en route.

95 % d'écoute pour sentir la situation et 5 % de décisions. La qualité principale du chef est le discernement.

Le chef n'est pas le premier de la classe : connaître la botanique tropicale par coeur n'aide pas vraiment à traverser la jungle. Gamelin est sorti major de sa promotion de Saint-Cyr, on connait la suite.

Le narcissique est centripète : il ramène tout à lui. Le chef est centrifuge : il donne, son énergie, sa vision, ses envoyés, ses directives ...

Le chef se reconnaît (voir la différence entre Napoléon et de Gaulle) à ce qu'il est capable de s'attacher les talents. Juger un chef sur son entourage n'est pas une erreur, c'est au contraire une marque de bon sens.

Les Américains (et nous à leur suite) veulent croire que tout s'apprend. C'est faux. Etre chef découle d'une disposition de caractère innée, ou acquise très tôt, ce qui revient au même.

Croyez vous que des siècles de coaching transformeraient Français Hollande en chef ? Ou Albert Einstein (pour ne pas prendre un exemple sorti de la fange) ?

Puisqu'être un chef est avant tout une question de caractère, il n'est pas incongru de se fier aux signes qui révèlent un caractère. Par exemple, ne pas voter pour un type qui épousé sa mère parait un réflexe de sauvegarde élémentaire (visiblement pas, pour quelques millions de Français).

Jeanne

Comme exemple de chef hors de pair, Bert choisit Jeanne d'Arc.

La capacité sans cesse renouvelée de Jeanne d'aller à l'essentiel est tout à fait frappante (elle frappait d'ailleurs André Malraux, qui en parle dans son discours d'hommage).

Dans ses deux années de vie publique, il y a très peu déchets. Presque tous ses mots et presque toutes ses actions sont justes. Elle possède la faculté de discernement au plus haut point.

Elle restaure la confiance de Charles VII en lui-même, réconcilie le duc de Bretagne avec le roi, libère Orléans, écrase les Anglais à Patay (il y a du Bonaparte à Friedland dans son action à Patay) et fait sacrer le roi à Reims. En 5 mois, elle résout les problèmes de la France qui trainent depuis 9 ans. Net et sans bavures.

Elle sait utiliser son entourage. Elle dompte (avec un certain humour) les vieux briscards, Dunois, La Hire, Poton de Xaintrailles. Elle sait écouter ses confesseurs puisque, lors de son procès, elle justifiera son habit d'homme avec un argument tout droit sorti de Saint Thomas d'Aquin.

Bien sûr, elle s'attire la haine sans limite de l'énarque (si vous me permettez cet anachronisme) de l'entourage royal, La Trémoille. C'est ce qui la perdra, mais elle l'avait prévu (« Je ne crains que la trahison »).

Un trou

Bert nous décrit le chef idéal, mais quand il s'agit d'en choisir un pour mettre à la tête de la France, il y a un vide. Comment faire ? Pas de réponse.

Une piste : le duo. Louis XIII-Richelieu, de Gaulle-Pompidou, ça marchait très bien. Le chef, contrairement à l'étymologie, n'est pas forcément le plus haut des deux dans la hiérarchie.

Mais on reste sur sa faim.