C'est assez mal écrit, pénible à lire. Le style de Pierre Chaunu est heurté, elliptique, souvent obscur.
Mais cette disgrâce physique, ce pied-bot de l'écriture, ne doit pas vous décourager. Le sujet est passionnant.
Deux grandes périodes d'accélération de la déchristianisation de la France : 1760-1770 à Paris et 1970-1980 dans toute la France.
Notre sujet du jour est la première de ces deux périodes.
Pierre Chaunu pense que le motif psychologique de la Réforme (il y a des motifs politiques, sociologiques, ecclésiaux, etc.) est que le clergé a trop insisté sur les tourments de l'Enfer, rendant la crainte du Jugement Dernier insoutenable. La foi seule des Protestants soulage en partie cette peur, puisqu'il « suffit » de croire pour être sauvé.
Le ver est dans le fruit.
« Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie. »
Cette citation de Blaise Pascal est des plus célèbres. Elle dit bien l'angoisse de son époque.
Le bouleversement du monde ne vient pas du système de Copernic mais de la lunette de Galilée.
Depuis les Grecs, l'univers était ordonné à l'échelle humaine, approximativement. Un homme, les pieds sur Terre ou pas loin, pouvait espérer un jour atteindre le ciel et, pourquoi pas ?, les étoiles. Avec la lunette astronomique, la sphère céleste croît en quelques années de plusieurs ordres de grandeur.
Pour simplifier, le dieu des juifs est le dieu du temps, de l'histoire, et le(s) dieu(x) des Grecs est le dieu de l'espace, des lieux. Le christianisme a réconcilié tout cela tant bien que mal mais, au XVIIème siècle, ce compromis craque aux entournures.
Comme Edward Feser, alors que le sujet, le contexte et l'auteur sont différents, Pierre Chaunu regrette l'effondrement de la scholastique.
Il fait remarquer que le XVIème siècle est théologiquement très pauvre. Sous la pression des Réformés, on est revenu à des interprétations littérales des textes bibliques, méthode depuis longtemps marginalisée par la scholastique. L'hypothèse protestante, à savoir que chacun peut lire et comprendre les textes bibliques sans intermédiation, est tout simplement fausse.
La catastrophique querelle janséniste
La théologie de la querelle janséniste, entre la grâce efficace et la grâce suffisante, est absconse, mais son fond socio-politique est très clair : dispute entre la piété populaire volontiers laxiste des jésuites et le rigorisme des jansénistes (ils ont une attirance sado-masochiste pour l'Enfer) .
Pour vous la faire courte, le janséniste Antoine Arnauld voulait éloigner le peuple des sacrements (De la fréquente communion, 1643).
Les jansénistes ont une soif de distinction par le masochisme qui m'évoque les connards de bobos qui se déplacent à l'aide du très inconfortable et très dangereux vélocipède pour « sauver la Planète ». Je note qu'ils ont la même pulsion de régenter et de pourrir la vie du petit peuple qu'ils méprisent et qu'ils détestent à un point difficilement imaginable (enfin si, vous pouvez l'imaginer si vous connaissez des bobos) au nom d'un Bien supérieur qu'eux seuls se pensent suffisamment intelligents pour connaitre.
Il me plait de penser que Blaise Pascal, qui fut le plus talentueux, ô combien, propagandiste des jansénistes mais qui avait le souci concret des petites gens, fut rattrapé par la mort avant que de s'éloigner d'eux, lassé par leur intransigeance (certains signes permettent de le supposer).
Leurs héritiers en seront les très fumeuses Lumières, dont Chaunu, qui les déteste, dit que leur légèreté doctrinale n'avait d'égale que leur habileté médiatique (pour l'exprimer avec un mot anachronique). Nos modernes bourgeois détruisant les écoles occidentales pour se préserver de la concurrence des enfants d'ouvriers n'ont rien inventé : Voltaire écrivait déjà qu'il ne fallait pas apprendre à lire et à écrire au bas peuple, afin qu'il se tienne tranquille. « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas qu’il soit instruit ; il n’est pas digne de l’être… ».
Comme les querelles autour du manichéisme et du pélagianisme (en plus de la violence musulmane habituelle) ont favorisé l'islamisation de l'Afrique du Nord, il ne fait aucun doute que l'interminable querelle janséniste a largement contribué à détacher des Parisiens de la Foi.
Le roi, Louis XIV, prend parti contre les jansénistes. Et de plus en plus violemment à mesure que ceux-ci lui résistent. Le jeune roi a été marquée par la Fronde et il ne tolère pas ce qu'il considère comme une agitation séditieuse.
Une crise gallicane
La plupart des évêques n'en ont absolument rien à foutre des histoires de grâce, qui ne passionnent qu'une poignée de fanatiques. La querelle janséniste intéresse nos mitrés parce qu'elle leur fournit un prétexte pour désobéir à Rome et flinguer les jésuites (je n'apprécie pas les jésuites, mais cette phobie des jésuites, très exagérée, est dévastatrice pour la crédibilité de l'Eglise. Les enculés dans le style de Voltaire en feront leurs gorges chaudes).
L'Eglise gallicane (au passage : « gallicane » vient du mot latin qui signifie « gaulois ». Je dis ça pour les crétins qui croient qu'il n'y a pas équivalence entre français et gaulois) est une sorte de mafia qui protège son impunité.
Puis il y eut l'affaire de la régale, une histoire d'impôts sur les évêchés vacants. Un embrouillamini.
Le pape Innocent XI, un homme pas mauvais mais obtus et peu intelligent (bêtement canonisé), fort mal conseillé (les mauvais papes ne datent pas de 2013), prend le parti des jansénistes. On se retrouve donc dans cette situation absurde et très dommageable où les gallicans, dont l'essence est de désobéir à Rome, sont soutenus par le pape contre le roi de France.
A la mort d'Innocent XI, en 1689, les choses s'apaisent partiellement. Mais la querelle janséniste traine depuis 40 ans et n'est pas finie.
La faiblesse du roi
Certes, en 1710, la fermeture et la démolition de l'abbaye de Port Royal sont ordonnées et, en 1713, c'est chose faite : les bâtiments sont rasés et les tombes labourées. Mais il est bien tard et le roi vieillissant.
Le jansénisme (beaucoup de points communs avec l'écologisme) est une fascination morbide pour l'Enfer, qui nie la bonté divine. C'est aussi une contestation politique des bourgeois de la ville contre le roi allié aux classes populaires (ce n'est pas un hasard si nous retrouverons ce schéma lors de notre sanguinaire révolution).
Le plus frappant de ce jansénisme finissant est que le roi et Rome ont été impuissants, malgré des décisions parfois violentes, à ramener à la raison des évêques et un parlement parisien exaltés de fanatisme irresponsable. La magistrature parisienne a été égale à elle-même : bête, nocive et imbue de ses privilèges.
Avec le recul, il nous est plus facile qu'aux contemporains de voir ici l'émergence de l'opinion publique urbaine d'une part et des bureaucraties (versaillaise, parisienne et romaine) d'autre part. Le pouvoir du roi, pourtant légitime (la légitimité, c'est de faire le bien du pays. Ca n'est le cas ni de l'opinion publique ni des bureaucraties. C'est le cas du roi) est érodé.
De nombreux jansénistes ou héritiers du jansénisme se trouveront parmi les partisans de la constitution civile du clergé.
Interminable
Avec la mort du roi (1er septembre 1715) et la régence, le jansénisme est relancé (second jansénisme). Cette querelle interminable nous parait ridicule, et elle l'est. Elle est même lamentable.
On ne comprend pas l'âpreté et la durée de cette querelle si on ignore la méchanceté foncière de la doctrine janséniste. Par exemple, les jansénistes soutenaient sans sourciller que les enfants morts-nés étaient voués à l'Enfer.
Cela rappelle encore une fois nos écolos et leur méchanceté foncière. Ils nous expliquent en permanence que nous sommes trop nombreux pour le bien de « la Planète » (que ne donnent-ils pas l'exemple en se suicidant ? Ah non, ce sont toujours les autres, les gueux, les pue-des-pieds, qui sont « trop nombreux », pas leurs majestés urbaines bolchéviques).
Et que fait-on quand des gens sont trop nombreux ? Quand on est « gentil », on les encourage à ne pas se reproduire. Mais l'histoire nous a prouvé qu'il y a des solutions plus radicales pour se débarrasser des gens « trop nombreux ». Et ça a déjà commencé : si la coupure d'électricité en Espagne, provoquée par les énergies loufoques des écolos, n'avait pas duré 12 heures mais 36, il y aurait eu des morts par centaines de milliers (zéro police, zéro pompier, zéro hôpitaux, zéro ravitaillement etc).
Ce détour par nos modernes écolos vous aide à comprendre pourquoi les opposants aux jansénistes refusent de rendre les armes : cette doctrine les révulse, à raison. Et réciproquement, pourquoi mon opposition aux écolos n'est pas de circonstance mais fondamentale.
On peut dire que le jansénisme ne disparait pas vraiment, que notre très sanguinaire révolution en est l'héritière directe.
Le concile Vatican 1 (1870-1871) mettra un terme définitif aux querelles théologiques dont les jansénistes prenaient prétexte.
... et dommageable
Il y un fanatisme du masochisme janséniste très destructeur (pensez au gros connard qui va à vélo au boulot l'hiver pour bien étaler sa supériorité morale de « sauveur de Planète ». Comment ne pas le détester ?).
Les jansénistes inventent les billets de confession : les sacrements ne sont donnés qu'à des gens qui peuvent prouver qu'ils ont été confessés par un janséniste.
On assiste à des scènes hallucinantes : des interrogatoires théologiques avant l'extrême-onction ou la communion.
Les anti-jansénistes retournent l'instrument contre les jansénistes.
Dans les années 1750, l'archevêque de Paris exige des billets de confession par un non-janséniste et le parlement de Paris (des magistrats) condamne, au nom de l'ordre public, à la prison les curés parisiens qui refusent les sacrements pour défaut de billet de confession. Les curés parisiens se trouvent donc pris entre deux feux, entre leur hiérarchie et le parlement. Leur recours est la fuite en province pour échapper au ressort du parlement de Paris.
Les jansénistes implantent délibérément des fidèles dans certaines paroisses, par exemple Saint Etienne du Mont, pour provoquer des incidents : soit le curé demande des billets de confession et il est dénoncé au parlement, soit il donne les sacrements aux jansénistes sans demander de billets de confession et il est dénoncé à son archevêque. Nos modernes gauchistes, avec leur moderne testing, n'ont rien inventé : c'est la même engeance de vipères à l'esprit délateur.
Chaque partie envenime la situation, surtout le parlement. Les magistrats y apportent leur esprit méchant, buté et verbeux.
Les magistrats français ont toujours été un danger public parce qu'ils cumulent l'esprit petit-bourgeois (juriste n'est pas le profession la plus déliée d'esprit, pour le dire gentiment) et l'irresponsabilité. Voltaire disait d'eux : « Les bœufs-tigres : stupides comme des bœufs, féroces comme des tigres ».
Etonnez vous ensuite que la pratique religieuse des Parisiens vacille.
Pré-romantisme ?
Le jansénisme des années 1750 n'a plus grand'chose à voir avec celui du siècle précédent, mis à part le fanatisme.
Il tombe dans un sentimentalisme sirupeux qui cherche à faire pleurer dans les chaumières sur les pauvres jansénistes persécutés. On est à mille lieues de l'intelligence d'acier de Blaise Pascal.
Les curés parisiens
Les curés parisiens restent très longtemps en poste dans leur paroisse (30, 40 ans) et sont plutôt bien vus. Exemplaire, Jean-Denis Cochin, curé de Saint Jacques du Haut Pas pendant 26 ans, fonde l'hôpital qui porte son nom.
Par contre, il traine à Paris tout un tas de prêtres (environ 800), aux missions mal définies, plus ou moins oisifs, qui donne une fort mauvaise image de l'Eglise.
Le roi Voltaire
Le roi de Paris au XVIIIème siècle est évidemment Voltaire.
Hyper-parisien, il a un grand talent (ses contes sont un délice), mais il est bas : méchant, persifleur, moqueur, superficiel, affabulateur, rancunier, vaniteux ...
Il hait son père qui se décarcasse pour lui donner la meilleure éducation et les meilleures conditions de vie. Il va jusqu'à s'inventer une naissance adultère rocambolesque pour renier son père. Cette plus qu'ingratitude vous juge déjà le personnage.
Une fois dépouillé de ses grâces mondaines et de ses pirouettes langagières, M. François-Marie Arouet, dit Voltaire, est un très très petit homme.
On a les grands hommes qu'on peut.
Il n'en reste pas moins qu'il exerce son magistère malfaisant sur Paris. Son anti-christianisme obsessionnel (il faudrait un mot plus fort que « fanatique » pour le décrire) est célèbre. Pas besoin d'être un psychologue de renommée mondiale pour le relier à la haine du père, chez cet homme sans enfants.
Evidemment, beaucoup de contemporains estiment ce triste sire à sa juste valeur. Mais que faire contre la faveur publique d'une foule de crétins ? Il aurait fallu un Bossuet pour le remettre à sa place, on imagine son compte réglé en quelques mots par Blaise Pascal (la réputation de Descartes ne s'est jamais remise de « Descartes, inutile et incertain »), mais l'époque n'en produisait plus.
Pierre Chaunu trouve du style pour cingler ce prototype d'égoïste individualiste moderne, sans ascendance, sans descendance, sans famille, sans amis (juste des faire-valoir), juste Moi, Moi Moi.
Mais Chaunu conclut tout de même que le plus dommageable ne fut pas Voltaire, mais le gallicanisme : l'Eglise de France, obsédée de ses particularismes et de ses querelles minables (tout cela sera balayé en 1789 et tout ce qui paraissait important la veille remis à sa juste place) n'avait pas la puissance intellectuelle pour répondre aux enjeux de l'époque.
Il n'est donc pas étonnant que de nombreux parisiens s'en soient détachés.
L'athéisme et la pulsion de mort
L'athéisme, selon, Chaunu, « est la somme totale de toutes les monstruosités de l'esprit humain : il y entre de l'orgueil, du fanatisme, de l'ignorance, de l'audace et une manie destructrice qui font un désert du brillant spectacle du monde et qui avoisinent beaucoup la démence ».
Louis-Sébastien Mercier, chroniqueur parisien, est un cas intéressant. Proche des « philosophes », il n'en est pas moins mal à l'aise avec leur esprit fanatique borné. Il s'intéresse aux femmes célibataires et se scandalise qu'il y ait si peu d'enfants (dans les années 1800), lui qui a eu trois filles.
Au fond, il partage le diagnostic de Rémi Brague. La question existentielle n'est pas « La vie vaut-elle la peine d'être vécue ? » mais « La vie vaut-elle la peine d'être donnée ? ». L'homme est le seul animal qui a besoin de raisons pour se reproduire.
Or, il semble à Mercier, à Chaunu et à Brague qu'il y a une relation directe, même si elle n'est pas flagrante, entre le désir de donner la vie et la croyance que la vie, qui est pourtant tragique, est bonne en soi parce que donnée par Dieu, parce qu'il y a un au-delà paradisiaque.
Bref, l'athéisme est la raison fondamentale de la dénatalité.
Puis, en 1789, vint la catastrophe.
En octobre, à son frère qui se lamentait « Que faire ? », Madame Elisabeth, le seul homme de la famille, répondit abruptement « Et si vous faisiez le roi ? ».
On n'imagine pas Saint Louis, Charles V ou Louis XIII hésitant une seconde à faire emprisonner ou exécuter tous les séditieux bavasseurs de café.
Mais Louis XVI (comme Nicolas II) avait perdu foi en sa mission divine et il est mort en chrétien mais comme un con.