Il s'intéresse à 4 chefs de maquis qui ont eu des ennuis après la guerre.
Georges Guingouin
Le premier de la liste est l'immense Georges Guingouin (c'est un communiste et un franc-maçon avec lequel je ne partage guère d'idées, pour dire le moins, mais il faut reconnaitre les hommes de qualité).
Instituteur communiste limousin né en 1913, il est en froid avec « le Parti » (rien que que cette désignation montre que ce n'est pas un parti politique normal mais une secte) depuis le pacte germano-soviétique.
Organisateur né, il diffuse de la propagande dès 1940. En 1941, il plonge dans la clandestinité et organise un maquis.
Son coup de génie est de comprendre qu'il ne faut pas se mettre les paysans à dos mais, au contraire, leur rendre des services.
Ainsi, il faut sauter les botteleuses pour envoyer le fourrage en Allemagne. Les paysans sont donc forcés de garder leur fourrage.
Il émet des bons de réquisitions en signant Le préfet du maquis, ce qui permet aux paysans de se justifier vis-à-vis des autorités de Vichy.
Début 1944, il met au point un modus vivendi avec les gendarmes : ils font semblant de le poursuivre et il fait semblant de leur échapper.
Il s'intègre à l'organisation de la Résistance par le gouvernement d'Alger, les MUR (Mouvements Unis de Résistance).
Toutes ces initiatives sont très mal vues de la direction du parti communiste, qui n'aime ni les paysans ni le gouvernement d'Alger.
En 1944, les efforts d'organisation portent leurs fruits : le maquis limousin est un des plus efficaces.
Guingouin a très bien compris, contrairement aux chefs du Vercors, le principe de la guerilla : beaucoup se déplacer, frapper, disparaitre. Pris à partie au mont Gargan par une colonne allemande épaulée par la milice, il préfère se retirer plutôt que d'insister inutilement. On considère que les Allemands ont eu plus de pertes, qu'ils n'ont pas pu manœuvrer comme ils voulaient et que c'est donc une victoire de la Résistance (on comparera à la bataille du mont Mouchet, en Haute-Loire, où le résultat est inverse).
On a beaucoup débattu de l'utilité militaire des maquis, soit pour l'exagérer soit pour la minimiser.
Malraux, dans son discours pour Jean Moulin, prétend que le maquis limousin a retardé la division Das Reich. Aujourd'hui, on pense plutôt que cette division avait l'ordre (visite d'Himmler à Montauban en avril 1944) de prendre son temps pour terrifier la population française.
Mais, rien que l'obsession allemande des maquis est une victoire : elle mobilise de gros moyens qui pourraient être mieux employés ailleurs. Et puis les maquis pouvaient commander des bombardements ciblés redoutablement efficaces (deux heures montre en main pour faire sauter un dépôt d'essence de la division Das Reich à Chatellerault), rien à voir avec le travail d'ivrognes, l'expression est d'un Résistant, des Américains.
En juin, Guingouin reçoit l'ordre du PCF de s'emparer de la ville de Limoges, il refuse catégoriquement, arguant des massacres d'Oradour et de Tullle. La direction communiste, qui n'en a strictement rien à foutre de la vie des innocents, et qui trouve même cela mieux s'il y a des martyrs, lui en voudra beaucoup.
Après la guerre, Guingouin ne cesse d'être emmerdé par le parti communiste : il en est exclu en 1952 (pour avoir demandé des comptes à la direction sur son attitude pro-allemande entre 1939 et 1941) et un procès se tient entre 1952 et 1954 l'accusant d'exécutions sommaires sur la base de faux témoignages communistes et avec la complicité d'un juge pétainiste, il est même tabassé jusqu'au coma en prison par les gardiens !
Heureusement, des Résistants non-communistes se mobilisent et tout finit bien.
Il est acquitté en 1959 et le substitut déclare qu'il ne comprend même pas comment des poursuites ont pu être engagées.
Les communistes ne feront amende honorable qu'en 1998, quatre ans avant la mort de Guingouin, qui les enverra poliment se faire cuire un œuf.
J'ai écrit à Georges Guingouin à la fin de sa vie, mais un assistant m'a répondu qu'il était trop faible pour rencontrer qui que ce soit.
Robert Leblanc
Robert Leblanc est un cafetier normand, né en 1910. Son parcours est très similaire à celui de Guingouin.
Le maquis Surcouf ressemble au maquis limousin en ceci qu'il est organisé avec une grande rigueur et tient les militaires de carrière dans une position subordonnée. Le drame du Vercors est d'avoir filé le manche à des ganaches qui voulaient jouer aux soldats de plomb. Je n'ai guère d'estime pour les officiers de la raie-publique et j'ai de très solides raisons historiques pour cela (mais ce n'est pas le sujet).
Disons juste qu'il y a les soldats et les guerriers et que, dans les maquis, il y avait peu de soldats et beaucoup de guerriers (je détourne une citation à propos de Marc Bloch, universitaire à lunettes . Un jour, quelqu'un lui a dit « Il y a des soldats qui ne seront jamais des guerriers. Vous, vous êtes un guerrier plus que beaucoup de soldats »). Allez, au passage, une pensée pour Jehan Alain, frêle organiste et compositeur à lunettes, père de trois enfants, qui, en 1940, retarde, seul derrière sa mitrailleuse, une section allemande avant d'être abattu. Si nos généraux avaient été de cette trempe, les choses se seraient passées autrement.
En 1948, Leblanc est accusé d'exécutions sommaires de prisonniers allemands évadés. Même cinéma : policier et juge pétainistes qui se vengent, presse qui propage les calomnies, intervention des amicales de Résistants, acquittement.
Il meurt en 1956 dans un accident de la route.
Roger Landes
De nationalité franco-britannique, Roger Landes, pseudonyme Aristide, est officier du SOE (Special Operations Executive).
Sans lui et sans son activité inlassable, les maquis du sud-ouest auraient eu bien du mal à s'organiser.
Les raisons politiques ne justifient pas tout. Il y a la manière : les officiers subalternes du SOE avaient beaucoup donné à la France (104 noms sur le monument aux morts de Valençay). Des formes polies pour aboutir au même résultat auraient été judicieuses.
L'ingratitude est un défaut constant chez de Gaulle qui lui a mis à dos plus d'un homme de bonne volonté, lui a attiré des mépris et des haines dont il aurait pu se dispenser.
Heureusement, Jacques Chaban-Delmas, plus humain que son maitre, organise en 1950 une réception de Roger Landes à Bordeaux pour la remise de ses décorations françaises, qui tourne à la marche triomphale.
Landes se marie avec une Française, qui n'est autre que son agent de liaison.
Henri Romans-Petit
Henri Petit (Romans est son pseudonyme) est un capitaine aviateur de réserve qui s'est déjà illustré pendant la guerre précédente. Il forme et dirige le maquis de l'Ain.
C'est le maquisard qui pousse le plus loin la logique de la guerilla, en formant ses chefs de groupe à frapper et à se retirer (et en se fâchant avec les militaires de carrière qui veulent jouer aux soldats de plomb).
Après des accrochages sanglants avec les Allemands au printemps 1943, il prend une décision simple mais cruciale : les camps n'auront plus de réserves de vivres, ils se fourniront autant que de besoin auprès des civils par des bons de réquisition (tous honorés après la guerre). Ainsi, les camps peuvent déménager en quelques minutes.
Il décide aussi qu'il n'y aura pas de camps dans la partie plane de l'Ain, exclusivement utilisée pour les parachutages. Et comprend que, pour des raisons politiques et militaires, la liaison avec Londres est très importante.
La confiance régnant, beaucoup d'armes tombent du ciel. La Trappe des Dombes a caché des dizaines de tonnes d'armes et de matériel de sabotage !
Le maquis de l'Ain est terriblement efficace, les armées alliées remontent la vallée du Rhône avec un mois d'avance sur les plans. Les Allemands, à leur habitude, se vengent en massacrant des civils.
A la Libération, Romans-Petit est emprisonné quelques semaines par le commissaire de la république Yves Farge, autre Compagnon de la Libération, qui l'accuse d'abus de pouvoir (le site de l'ordre omet de signaler cet emprisonnement).
Yves Farge n'ayant pas eu l'élégance d'expliquer son erreur de jugement (Romans-Petit ne pouvait même pas être soupçonné de représenter une menace pour le pouvoir gaulliste), on en est réduit aux conjectures ; les tenants et aboutissants de cette incarcération restent mystérieux. Peut-être l'influence néfaste de certains RMS (Résistants du Mois de Septembre). Comme disait Aragon, c'était un temps déraisonnable.
Intéressant : un des subordonnés et ami de Romans-Petit lui a écrit quelques années plus tard pour lui présenter ses excuses. Il explique qu'il a hésité à venir le délivrer avec un groupe de combat (dans les circonstances du lieu et de l'époque, ça n'aurait pas fait un pli) mais qu'il a décidé contre pour ne pas donner une mauvaise image de la France aux Américains qui occupaient la ville. Avec le recul des années, il le regrettait, concluant que la modération est souvent mauvaise conseillère, une fausse bonne idée.
Je suis d'accord : la vie humaine est tragique et la modération est inadaptée à la plupart des circonstances de la vie.
Conclusion
Tous ces Résistants d'exception ont retrouvé des professions banales (instituteur, entrepreneur en camionnage, publicitaire ; pour Roger Landes, je ne sais pas) et n'ont pas fait de politique (sauf Guingouin deux ans maire de Limoges).
La plaie du monde, ce sont les toqués qui veulent du pouvoir sur les autres.

Ah! La guerre... c'était le bon temps...
RépondreSupprimerIl y eut aussi des maquis "militaires" qui combattaient en compagnies et sections comme le maquis Duguesclin de Rignac (Aveyron). Après quelques scores retentissants, l'unité a été versée dans l'armée Rhin et Danube du général de Lattre et fit campagne jusqu'à la capitulation.
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