mardi, mars 07, 2006

Régression française et désintégration européenne

Baverez est en pleine forme ! Comme lui, je vis très mal la politique actuelle de la France que j'assimile à une régression funeste.

Le protectionnisme chauvin, même rebaptisé "patriotisme économique", n'a jamais été une idée ni élaborée ni pertinente. Voir l'économie comme une guerre, c'est le degré zéro de l'analyse économique. Le protectionnisme a toujours été un instrument aux mains de certains producteurs cul et chemise avec l'Etat pour mieux exploiter les consommateurs.

Dernier exemple en date : nos gouvernants semblent d'accord sur la "pilule empoisonnée" anti-OPA. Ca n'a ni queue ni tête : les seuls qui sont attaqués, lors d'une OPA, sont les dirigeants de l'entreprise cible, pourquoi les aider à se défendre ? Ca n'a pas de sens, quel est intérêt pour la collectivité que M. X plutôt que M. Y dirige Tartempion International ? Encore faut-il y avoir pensé trente secondes pour le comprendre. A ma connaissance, la seule chose qui rend les dirigeants étrangers infréquentables est qu'ils n'ont "fait" ni l'X ni l'ENA.

Mettons nous dans l'hypothèse extrtême : toutes les entreprises du territoire français sont controlées par des capitaux étrangers. Et alors ? Si les capitaux se sont investis ici plutôt qu'ailleurs, c'est que les capitalistes y trouvaient intérêt et tant qu'ils continuent à y trouver intérêt, ils alimentent la machine économique française.

Aujourd'hui, les capitaux français s'investissent à l'étranger, est-ce préférable à des capitaux étrangers investis en France ?

Attribuer nos maux à des causes extérieures (la mondialisation, les Chinois, Bruxelles, les plombiers polonais etc.) est, quand on y réfléchit (mais y réfléchit-on ?) assez fantastique : si les causes de notre déclin étaient extérieures, les pays dans la même situation extérieure que nous partageraient nos difficultés, or les contre-exemples abondent. Nos difficultés ont donc une origine interne : bonne nouvelle, si le mal est en nous, nous pouvons le guérir.

Alors pourquoi ce succès du protectionnisme ? Bastiat l'avait déjà expliqué : les effets bénéfiques de la liberté sont diffus, ses effets dommageables sont localisés (et se voient), pour le protectionnisme, c'est le contraire : ses effets dommageables sont diffus, ses effets bénéfiques sont localisés et se voient. Il n'empêche que la liberté est globalement bénéfique et le protectionnisme dommageable, ne pas le voir est une paresse de l'esprit, refuser de le voir est une malhonnêteté de l'esprit.

(Pour ceux qui apprécient Dalrymple, dans l'article France's new serfdom : Après statism, le déluge, ils dénoncent l'hypocrisie des fonctionnaires et assimilés qui défendent leur privilège sous le masque de la lutte contre la mondialisation et pour les services publics dans les termes suivants : l'hypocrisie économique est aux Français ce que l'hypocrisie sexuelle est aux Anglo-Saxons.)

Volez, ça dégage les bronches

Régression française et désintégration européenne

L'année 2006 débute sous le signe conjoint de l'accélération de la crise nationale de la France et du crépuscule du chiraquisme, apportant une nouvelle démonstration du lien intime entre l'archaïsme de la classe politique et le déclassement de la nation. D'un côté, les manifestations du déclin français s'accumulent : croissance limitée à 1,4 % en 2005 ; dette publique de 67 % du PIB et déficit de 3,5 % hors soulte EDF et manipulation des acomptes de l'impôt sur les sociétés ; déficit record de la balance commerciale à 26,5 milliards d'euros ; panne des créations d'emplois, qui souligne le caractère artificiel d'une baisse du chômage qui n'est due qu'à la création de 300.000 emplois aidés ; montée de la pauvreté qui touche 7 millions de personnes ; krach judiciaire d'Outreau, qui sert de révélateur à la faillite de l'Etat de droit ; odyssée abracadabrantesque du « Clemenceau » qui achève de discréditer l'image et la position internationales de la France. De l'autre, loin de tirer les leçons de ses désastres en chaîne pour engager les réformes nécessaires et lancer un grand débat sur la modernisation du pays dans la perspective de l'élection présidentielle, gouvernement et opposition communient dans le nationalisme et le protectionnisme.

En guise de projet national d'adaptation à la mondialisation et à l'Europe réunifiée du XXIe siècle, le système politique entraîne la France dans un grand bond en arrière vers les années 1960, associant une conception fermée de la souveraineté et de la citoyenneté, une économie et une société administrées, une posture idéologique de guerre froide contre le libéralisme. Force est ainsi de constater que, au terme d'un quart de siècle de mensonge et de démagogie, la France se trouve aspirée par une spirale régressive.

Régression économique avec le rétrécissement de la base productive et le retour en force du dirigisme et du protectionnisme. Au plan intérieur, les mesures de libéralisation de l'économie et le démantèlement du capitalisme d'Etat initiés entre 1983 et 1988 sont remis en question par l'intervention directe et massive de l'Etat dans l'industrie, la recherche (création de l'ANR), le fonctionnement du marché du travail, la gouvernance des entreprises. Au plan extérieur, l'opposition systématique à l'achèvement du grand marché, notamment dans le secteur des services, se double d'une doctrine unilatérale de la guerre préventive en matière d'OPA. Après avoir contraint les entrepreneurs à céder massivement pour des raisons fiscales leurs sociétés à des investisseurs étrangers, après avoir interdit la constitution d'un socle capitalistique solide pour les groupes français en contraignant les fortunes à l'exil et en refusant la création de fonds de pension, l'Etat entend cumuler le soutien déterminé à la croissance externe des groupes français à l'international avec le blocage systématique des projets d'acquisitions majeures en France. Cette conception brejnévienne de la souveraineté limitée appliquée au capitalisme constitue un contresens économique - puisque les quelque 17.900 filiales de groupes étrangers emploient 15 % des salariés français et produisent 17 % de la valeur ajoutée nationale -, un contresens politique puisqu'elle réalise une OPA hostile de la France qui stagne et qui perd sur la France qui se modernise et qui gagne, un contresens diplomatique parce qu'elle engendrera inévitablement des représailles, un contresens historique au moment où la mondia- lisation accélère.

Régression sociale avec l'abaissement des citoyens au rang de clients, la superposition des clivages raciaux aux inégalités sociales, la dissolution de la nation réduite à un conglomérat informe de communautés et de corporations, de bandes et d'individus atomisés.

Régression de l'Etat de droit avec la dilatation du domaine réservé qui voit l'arbitraire contaminer tous les champs de l'action publique, le désarmement des contre-pouvoirs, le mépris affiché du droit et de l'institution judiciaire, la violation de plus en plus fréquente et ouverte de l'ordre public européen.

Régression démocratique avec l'irrépressible poussée des passions extrémistes, soit protectionnistes soit xénophobes et sécuritaires, portées par la paupérisation et la révolte des classes moyennes, les émeutes urbaines et l'enchaînement des faits divers tragiques.

Régression intellectuelle et morale avec la rupture entre la France et la liberté moderne, qui se décline en contestation de la mondialisation et du décollage économique des puissances émergentes du Sud, en culte de la guerre froide et mépris pour les nouvelles démocraties, en vénération d'un passé mythique et d'une mémoire accaparée par les communautarismes, en reniement de l'universalisme des Lumières au profit de la sanctification des origines et des tabous, du renoncement à la défense des libertés fondamentales sous couvert de reconnaissance de la diversité des valeurs (voir le lâche soulagement envers le fanatisme au nom du « principe de responsabilité » lors de la crise dite des caricatures de Mahomet).

La nouveauté tient au fait que, non contente d'être l'homme malade des démocraties développées, la France a entrepris de contaminer l'Europe en exportant la bouffée nationaliste et protectionniste qui l'a saisie, au risque de faire basculer l'Union de la panne à la désintégration. Après avoir ruiné l'Europe politique avec l'échec du référendum sur le projet de Constitution, la France menace aujourd'hui directement le grand marché et la monnaie unique par son accès de protectionnisme, qui fait des émules en Italie, en Espagne, voire en Allemagne. D'un côté, elle interdit tout scénario coopératif de relance de l'Euroland et entrave la consolidation du capitalisme européen, qui comptent parmi les leviers privilégiés pour briser la stagnation du continent. De l'autre, elle amorce une dynamique de réintroduction des frontières économiques, qui revient sur les acquis du marché commun.

La politique économique de la France est désormais authentiquement réactionnaire parce que fondamentalement antilibérale et anti-européenne. Le pseudo-patriotisme économique tient lieu de masque au dirigisme et au protectionnisme, au prix d'un formidable flash-back qui ramène le pays aux pratiques malthusiennes de l'entre-deux guerres, avant la Ceca et le marché commun. Au même moment, les superpuissances émergentes du Sud échappent à la spirale de la stagnation et de la pauvreté en rompant avec les modèles d'économie fermée et administrée qui les avaient condamnées au sous-développement depuis leur indépendance. La France se pousse ainsi en dehors de l'histoire et du monde du XXIe siècle, au risque d'emporter l'Europe dans sa folle régression.

NICOLAS BAVEREZ est avocat et historien.

1 commentaire:

  1. ca ressemble au déclin de rome, investissons en chine ou en inde...pendant notre dérive, ils avancent

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