dimanche, décembre 29, 2024

Le blanc soleil des vaincus (D. Venner)

C'est un conseil de lecture de Jean-Yves le Gallou en réaction à la folie furieuse George Floyd. Je ne pouvais pas refuser (très en retard) !

J'aime bien Venner (c'est le moins arriviste de la bande de la Nouvelle Droite), même si je ne partage pas ses idées et si je trouve son suicide sur le maitre-autel de Notre-Dame puéril.

J'avais déjà lu son Gettysburg.

Plus du tiers de l'ouvrage est consacré aux causes de la guerre.

Il s'étend beaucoup sur la cupidité du Nord.

Certaines déclarations complètement immorales paraissent très actuelles. Les robber-barons, les Carnegie, Gould, Morgan et compagnie, font leurs fortunes en spéculant pendant cette terrible guerre. L'un envoie une lettre d'engueulade à un de ses fils qui vient de s'engager en lui expliquant qu'il est idiot, que le patriotisme guerrier, c'est bon pour les naïfs grouillots, que son patriotisme à lui, d'essence supérieure, doit être financier.

Venner rappelle que la condition d'un esclave virginien de 1840 était meilleure que celle d'un ouvrier français ou new-yorkais : le maitre lui devait assistance dans la maladie et dans la vieillesse.

Mais je trouve qu'il n'insiste pas assez sur le point que Tocqueville avait compris dès 1833 : l'esclavage pourrit toute société qui le pratique (Schiavone a des pages remarquables sur ce sujet à propos de l'empire romain). Le fait que presque toutes les sociétés sauf la nôtre l'ont pratiqué n'enlève rien à ce jugement : aucune de ces sociétés ne s'est développée comme la nôtre.

Cette guerre terrible (elle fait plus de morts que toutes les guerres américaines réunies) est étrange : l'intérêt du Nord à empêcher le Sud de faire sécession n'est pas flagrant. S'il n'y avait eu que la Nouvelle-Angleterre, qui a assez peu de relations avec le Sud, celui-ci serait parti vivre sa vie.

Mais les nouveaux Etats de l'ouest, dont vient Abraham Lincoln, vivent beaucoup d'une sorte de commerce triangulaire (pas celui des esclaves) entre le Nord et le Sud.

Les exaltés du Nord prennent le dessus sur les modérés. En novembre 1860, l'élection d'Abraham Lincoln, dont on a de sérieuses raisons de douter de la santé mentale (un article Wikipedia est consacré au sujet), rend la sécession inévitable, puisque le Sud se sent alors dans une position de colonisé par rapport au Nord (toujours la grande question de la légitimité : qu'est-ce qui justifie qu'on impose à des populations des politiques qu'elles refusent ?).

Même après la sécession, la guerre n'est pas inévitable. Des modérés proposent des solutions qui auraient permis aux deux confédérations d'entretenir des relations normales. Mais les fous furieux, en tête desquels Abraham Lincoln, l'emportent.

Des prophètes et des visionnaires ont beau avertir de la catastrophe que sera la guerre, ils ne sont pas écoutés. Au bout de la route, plus de 800 000 morts. Pour quoi ? Pour pas grand-chose. Les Etats-Unis d'aujourd'hui seraient-ils moins puissants sans les Etats du Sud ? Ca n'est même pas sûr. Et les esclaves auraient de toute façon été libérés par la mécanisation, comme le prévoyaient les Sudistes les plus sages. Le seul résultat tangible, c'est la perte de liberté des Etats du Sud, on peut comprendre l'amertume qui persiste jusque de nos jours.

Le Sud ne peut pas gagner la guerre, pour des raisons démographiques, industrielles et économiques, mais aussi pour une raison politique : la sécession se fait sur la question du droit des Etats, les Etats sudistes sont donc constamment jaloux de leurs prérogatives et il est impossible d'aboutir au gouvernement unifié que nécessite pourtant la conduite de la guerre.

Par politique, le Sud choisit la défensive, même avec des actions offensives. Comme le temps joue contre lui, cela le condamne à la défaite. Chacune des victoires du Sud l'affaiblit, chacune des défaites du Nord le renforce. Les sudistes se sont longtemps faits des illusions sur la bataille décisive qui pousserait le Nord à négocier : vu le fanatisme de Lincoln (il a suspendu l'habeas corpus et emprisonné 38 000 opposants politiques), soutenu par les spéculateurs, seul l'écrasement peut être décisif et il est hors de portée du Sud.

La guerre se joue dans les premiers mois : après la première victoire de Bull Run, le Sud renonce à s'emparer de Washington, sa seule vraie occasion de victoire par KO. Ensuite, avec la perte de la Nouvelle-Orléans et des forts Henry et Donelson, le Sud perd le contrôle du Mississippi. La victoire finale n'est plus possible.

Chacune des rares défaites sudistes est catastrophique. Mais la plus grosse perte est au soir de la plus grande victoire, Chancellorsville : le 3 mai 1863, le général Stonewall Jackson est abattu dans la pénombre par méprise, par ses propres sentinelles. Le Sud perd un très grand général. Il avait le coup d'oeil des capitaines de génie, qui arrivent sur le champ de bataille et comprennent aussitôt la situation. Deux mois plus tard, Lee dira qu'il aurait vaincu à Gettysburg s'il avait eu Jackson et il avait sans doute raison. 

Quand on s'intéresse aux opérations, on est abasourdi par le nombre de morts. Il y a eu deux fois plus de morts par maladie que par action directe, l'hygiène déplorable faisait qu'on mourrait beaucoup de blessures infectées. Au total (récemment révisé à la hausse !), on en est à 700 000-800 000 morts militaires. Sans compter énormément de civils.

La « Reconstruction » est d'une férocité barbare. Ce n'est pas par hasard que le massacre des Indiens commence à ce moment là (et si le dernier général sudiste à se rendre est indien).

Certains, comme Huntington, prévoient une nouvelle guerre de sécession dans les décennies qui viennent. Avec la Californie.

jeudi, décembre 19, 2024

L'été 14 (Adolphe Messimy)

Adolphe Messimy est un saint-cyrien républicain, qui a démissionné de l'armée suite à l'affaire Dreyfus pour s'engager en politique.

Ministre de la guerre (à l'époque, on ne tourne pas autour du pot avec les titres ministériels) en 1911, puis du 13 juin au 27 août 1914. Après quoi, il passe la guerre au front (un ex-ministre en première ligne, ce n'est pas tous les jours. Chez les Anglais, il y eut Churchill).

C'est lui qui, en 1911, nomme Joffre généralissime. Il s'en mordra les doigts dans les tranchées (là encore, c'est rarissime qu'un ministre subisse directement les conséquences de ses décisions). Il a aussi essayé, sans succès, contrecarré par la collusion des industriels et des services de l'armée, de pousser l'artillerie lourde. La pénurie d'appuis lourds sera un drame de l'armée française jusqu'en 1916.

Ses carnets de l'été 1914 ont été publiés après sa mort, mais il en avait préparé l'édition.

Ils sont très intéressants.

La tension de cet été maudit est palpable, insupportable. Messimy est un colérique, instable. En conseil des ministres, il tente d'étrangler son collègue de la Marine (vous imaginez la scène !). Il indispose. Au moins, Messimy a, plus que ses collègues, conscience de la précarité de la situation de l'armée française.

Rappel, la journée la plus meurtrière de l'histoire de l'armée française, le 22 août 1914, 27 000 morts :

22 août 1914 (JM Steg)

Il prend deux bonnes décisions, une excellente et une très mauvaise.

Les deux bonnes décisions :

> pousser les Russes à l'offensive immédiate dès fin juillet (sans cela, pas de victoire de la Marne).

> ordonner, contrairement aux plans, le transfert immédiat des divisions marocaines, elles arriveront juste à temps pour la Marne.

L'excellente :

> virer le général Michel et nommer Gallieni gouverneur militaire de Paris, en brusquant les procédures du temps de paix. Gallieni est un militaire comme on les voudrait tous : décidé, imaginatif, pertinent. Début août, il a imaginé que les Allemands traverseraient la Belgique par Liège et seraient début septembre devant Paris. Il en a discuté avec Messimy. Les événements confirment qu'il est l'homme de la situation.

A noter : en 1913, avait eu lieu un exercice sur table. Gallieni commandait les armées allemandes ! La conclusion était claire. Les armées françaises devaient adopter une stratégie défensive, pour empêcher les armées ennemies, plus nombreuses, de profiter des mouvements pour se déployer et nous déborder. Comme quoi, le désastre d'août n'avait rien d'un coup du sort imprévisible. La seule surprise (de taille) de ce début de guerre est la mobilisation des réserves allemandes, qui renforce l'argument en faveur de la posture défensive. Joffre était un âne (mais il a bien préparé la mobilisation, c'était le genre de travail bureaucratique adapté à ses capacités limitées).

Pendant ce temps, Lanrezac sauve l'armée française de l'encerclement après le désastre de Charleroi (21-23 août) en ordonnant le repli général (en désobéissance des ordres du GQG), puis s'effondre, à bout de nerfs.

La très mauvaise :

> soucieux de ne pas reproduire les fautes de l'impératrice Eugénie s'immisçant dans les opérations militaires, Messimy laisse la bride sur le cou à Joffre, qui est un butor sans imagination et sans honnêteté, qui rejette ses fautes sur ses subordonnés et n'hésite pas à falsifier ou à « perdre » des documents pour aménager sa gloire. Son attitude vis-à-vis de son ancien chef Gallieni (qui a tort d'avoir raison) est indigne.

Situation totalement folle, le GQG de Vitry tient le gouvernement, y compris le ministre de la guerre, dans l'ignorance totale des défaites françaises, que les ministres apprennent par la presse anglaise et la presse suisse, non censurées, et par les préfets, qui signalent l'avance de l'ennemi. Cela aurait du valoir à Joffre d'être fusillé avant la fin de 1914, une fois le danger imminent passé.

Et le débat avec Gallieni n'est guère mieux : Joffre veut une contre-attaque de face, front à front. Gallieni estime que les troupes sont trop épuisées et qu'elles se feront hacher. Il préfère une attaque de flanc. C'est évidemment lui qui a raison.

Le seul ordre direct que Messimy donne à Joffre est de fournir des troupes à Gallieni. Ordre salvateur. Quel dommage que le duo Messimy-Gallieni, qui avait une vision bien plus correcte de la situation, n'ait pas plus pesé.

Le gouvernement va trainer Joffre comme un boulet jusqu'à la fin de 1916, sans oser reprendre la main.

Les munitions

Et puis, il y a, dès août, la crise des munitions : l'état-major avait prévu de consommer 8 000 obus de 75 par jour, la consommation réelle est de 100 000 (et deux ans plus tard, 1 000 000 !). Messimy secoue les industriels et apprend que les composés chimiques pour fabriquer la mélinite venaient ... d'Allemagne !

Les solliciteurs

Le 23 août 1914, la situation des armées françaises est dramatique. Le GQG fait le black out mais les rapports des préfets ne laissent aucun doute sur la débandade des troupes et sur l'avancée de l'ennemi.

Le président du conseil René Viviani sollicite un entretien urgent au ministre de la guerre.

M. Viviani a une maitresse, cette dame a un mari mobilisé et ce monsieur n'aime pas l'ambiance de la chambrée, il préférerait coucher chez lui tous les soirs. Messimy a déjà dit non plusieurs fois à ce passe-droit. C'est pourquoi Viviani revient à la charge. On sent que, vingt ans après, Messimy reste saisi par l'incongruité de la démarche en de telles circonstances. Bien sûr, il refuse.

Il refuse d'ailleurs toutes les demandes de ce genre (il en a une liste longue comme le bras), inflexibilité qui lui fait beaucoup d'ennemis puissants.

Un solliciteur est plus malin que les autres. Devant le refus du ministre, il s'adresse à ses subordonnés (bien entendu, sans préciser que le ministre vient de refuser).

La faute

Messimy commet la faute, à la fois faute de goût et faute politique, de provoquer la « polémique du XVème corps ». Sur la foi de rapports erronés, il accuse, par l'intermédiaire d'un journaliste ami, les méridionaux doivent eu des « défaillances ». Tollé justifié. Au moment où s'engage une bataille dont dépend le salut du pays, c'est vraiment mal venu d'accuser une partie de la population. Messimy « saute ».

La pratique de Joffre de rejeter l'effet de ses propres erreurs sur les « défaillances » de la troupe est absolument ignoble quand on connait les trésors d'héroïsme des soldats français, bien révélatrice de ce petit personnage, pas à la hauteur des hommes qu'il commande.

En réalité, Messimy paye la catastrophe du mois d'août 14 (et encore : les politiciens ne connaissent pas l'ampleur des pertes, que le GQG leur cache soigneusement, ils ne comprendront vraiment, épouvantés, que début 1915. Tout de même, ils se doutent que ça ne va pas bien.) et sa droiture.

Son successeur Millerand aura la responsabilité des catastrophes joffristes et Messimy dit qu'il en est soulagé. Il finira la guerre général de division.

La nomination de Joffre et les drames qui en découlent ne sont pas des accidents mais le résultat logique du manque de légitimité de la raie-publique. Elle se sent si peu sûre de son bon droit qu'elle préfère nommer un crétin dont elle n'a rien à craindre (sauf la défaite).

Compléments :

Les carnets de Gallieni