jeudi, juillet 23, 2015

Hureaux, Cameron, Valls et les autres

En bleu, c'est moi.

Atlantico : Dans son discours, David Cameron a expliqué que “La pauvreté et les inégalités ne peuvent pas expliquer l'extrémisme violent”. Faisant suite aux attentats de janvier, Manuel Valls notait la présence en France d’"un apartheid territorial, social, ethnique". Il évoquait également "la misère sociale". François Hollande essuie aussi des critiques lorsqu’il parle de fondamentalisme sans prononcer le mot d’islamisme. Pourquoi le gouvernement français ne semble pas vouloir tenir le même discours ?

Roland Hureaux. Il faut distinguer la pauvreté et l'apartheid. Ce sont deux notions différentes.

La "misère sociale" est une expression ambigüe qui signifie la pauvreté réelle ou bien la déchéance, le sentiment d'exclusion.

David Cameron a tout à fait raison de dire que “La pauvreté et les inégalités ne peuvent pas expliquer l'extrémisme violent”. Tout simplement parce que la pauvreté et les inégalités ont toujours existé et que le terrorisme, lui, n'a pas toujours existé. D'autre part les études de Christophe Guilluy ont montré que dans la France d'aujourd'hui il y a plus malheureux que les immigrés. Le 9-3 est, je vous le rappelle, le 5e département de France pour la richesse.

Cameron dit un peu plus loin quelque chose qui ne s'éloigne pas trop de ce que dit Manuel Valls : là où Manuel Valls dénonce les ghettos, Cameron dénonce l'isolement social, l'enfermement communautaire. "Les sciences sociales, dit-il, montrent que des enclaves isolées produisent une "polarisation de groupe". Soit dit en passant, c'est la remise en cause de décennies de pratiques anglaises fondées sur la tolérance des communautés.

Ceci dit, je pense que tant Cameron que Valls ont en partie tort et cela pour plusieurs raison. D'abord parce que les raisons invoquées, communautarisme, pauvreté sociale concernent des millions d'individus alors que les extrémistes ne sont que quelque centaines ou milliers, dont seulement quelques dizaines sont jusqu'ici passés à l'acte.

Ensuite parce que beaucoup de terroristes ou de candidats au jihad viennent de familles très bien intégrées. Coulibaly avait profité d'un parcours d'insertion privilégié. Il y a même de plus en plus parmi eux, hélas, des convertis issus de la petite bourgeoisie française déchristianisée.

Cameron dit aussi que l'islamisme n'est pas le véritable islam, ce que Hollande ne démentirait pas. Qu'en savent-ils l'un et l'autre ? Sont-ils des oulémas de l'Université Al Azhar du Caire pour dire ce qu'est le vrai islam ? Que dirai-je si les docteurs de cette université venaient m'apprendre ce qu'est le vrai catholicisme ?

Fondamentalisme, islamisme ? Ne tombons pas dans une querelle de mots. Pour beaucoup c'est la même chose. Fondamentalisme est d'ailleurs plus englobant qu'islamisme : en mettant en cause le fondamentalisme, Hollande ne pratique-t-il pas l'amalgame entre des terroristes et d'honnêtes musulmans voulant pratiquer leur religion dans une version littérale ? Car tous les fondamentalistes ne sont pas violents. Je ne plaisante qu'à moitié.

Il est de fait que Hollande qui n'aime guère la religion chrétienne englobe sans doute les fondamentalistes chrétiens dans sa dénonciation !

Valls lui, a été plus net : dans son discours du 13 janvier à l'Assemblée nationale, il avait déclaré: « Il faut toujours dire les choses clairement: oui, la France est en guerre contre le terrorisme, le djihadistes et l'islamisme radical.»

Cameron et Hollande ont l'un et l'autre le souci, compréhensible, de ne pas braquer la communauté musulmane dans son ensemble. Est-ce la bonne tactique ? Je ne sais. [Qu'en termes pudiques ces choses là sont dites !]

Quelles sont les représentations mentales, idéologiques, morales, politiques, historiques qui peuvent expliquer ce qui parait être un blocage français ?

Roland Hureaux. Je ne pense pas qu'il y ait un blocage français. D'autant que, comme je vous le disais, à les regarder de près, les propos de Cameron et de Hollande ou Valls ne sont pas si différents.

En revanche, il y a chez le parti socialiste français une préoccupation électoraliste déterminante. Aux élections de 2012, les musulmans on voté pour Hollande à 90 %. Ils ont été très déçus par le "mariage pour tous" qui a entrainé leur abstention massive aux élections municipales de 1994. Depuis, le PS essaye laborieusement de remonter la pente. Cela explique toutes les entorses à la laïcité si choquantes qui se multiplient aujourd'hui au bénéfice des musulmans : inaugurations pompeuses de mosquées, accompagnement public de la fête de l'Aït, déclarations islamophiles insensées. Fabius a , dans le même but, fait voter par l'Assemblée nationale la reconnaissance de la Palestine. Les Républicains sont tombés dans le panneau en votant contre, comme s'il était nécessaire de faire de la surenchère sur le gouvernement actuel dans le soutien à Israël. La droite n'a pas compris que les immigrés musulmans, qui détestent par dessus tout le laïcisme libertaire socialiste sont aujourd'hui prêts à voter pour elle. Pour un musulman ordinaire, les Républicains ne sont suspects ni d'islamophobie comme le FN, ni d'immoralité comme le PS.

Comment traite-t-on le sujet du fondamentalisme islamiste aux Etats-Unis ou en Israël par exemple ?

Roland Hureaux. Aux Etats-Unis, le déni que vous semblez redouter en France est encore pire : John Brennan, directeur de la CIA, qui lui aussi se prend pour un ouléma dit : «Nous ne décrivons pas nos ennemis comme des djihadistes ou des islamistes car le djihad est un combat sacré, un principe légitime de l'islam, qui signifie se purifier ou purifier sa communauté, et il n'y a rien de sacré ou de légitime dans le fait de tuer des hommes, femmes et enfants innocents.»

Obama est sur la même ligne: il dénonce des terroristes sans jamais dire, à dessein, qu'il s'agit de musulmans. D'ailleurs son père était musulman, ses ennemis disent qu'il l'est lui aussi, secrètement.

De fait, la position des Etats-Unis est doublement singulière :

- ils n'ont pas de vraie minorité musulmane sur leur sol; les terroristes islamistes, s'il y en a encore, y sont donc très isolés.

- ils sont alliés avec l'Arabie saoudite qui est un royaume wahhabite, c'est à dire fondamentaliste et qui a longtemps financé le terrorisme - et le finance peut-être encore.

D'autre part l'attitude, des Américains vis à vis de Daesh est loin d'être claire : le combattent-ils vraiment ? [Je crois que la réponse est négative, que les Européens sont les plus menacés, qu'ils sont seuls pour se défendre, ce dont ils ont perdu l'habitude et, pire que cela, la possibilité (sans les ravitailleurs, les transporteurs et les drones américains, notre armée de l'air devient anecdotique, tout juste bonne à défiler les jours pairs, ça tombe bien pour le 14 juillet, et à faire des gesticulations nucléaires aux frontières de l'Allemagne -comme c'est utile !). Je crois même que les USA sont une menace pour la France dans la mesure où ils considèrent aujourd'hui qu'il est dans leur intérêt d'empêcher les Européens de se défendre correctement contre l'EIIL (ils nous aident mais juste ce qu'il faut pour que cela soit trop peu trop tard). Alors, dans ces conditions, les discours atlantistes et européistes sont les paravents du refus de prendre ses responsabilités nationales. La France doit réarmer, pour son compte et dans son intérêt égoïste et sacré, point barre. Si, par la suite, d'autres pays européens veulent se joindre à nous, ils sont les bienvenus, s'ils ferment leur gueule et qu'ils ne font pas chier (j'ai une conception hitlero-gaullo-bonapartiste de la coopération européenne !)]

Pour Israël, leurs adversaires étaient des Palestiniens avant d'être des musulmans fondamentalistes, ce qui est une autre problématique C'est le cas du Hamas.

Pour ceux qui ne connaitraient pas la différence, il sera intéressant de savoir que ces tout derniers jours, un attentat revendiqué par Daesh a été commis à Gaza. Comme quoi l'Orient est compliqué !

Je pense par ailleurs que l'attitude d'Israël est aussi ambigüe que celle des Etats-Unis: en combattant par priorité le régime syrien, le gouvernement de Netanyahou a fait jusqu'ici le lit de l'Etat islamique .La vérité est que la priorité des Américains est la confrontation avec la Russie, la priorité des Israéliens est la confrontation avec l'Iran . Comme la Russie et l'Iran soutiennent le régime syrien et que le régime syrien est aujourd'hui un ennemi de Daesh, leur position est pour le moins complexe. Disons le clairement: il est douteux que la lutte contre le fondamentalisme islamique soit pour eux, à ce jour, la priorité des priorités.

 

 

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