mardi, novembre 25, 2025

Retour au réel (Gustave Thibon)

Ce livre de 1946 (première édition 1943) n'a pas été ouvert depuis 80 ans, je l'ai massicoté. Etrange.

Un réaliste mou du genou 

J'ai toujours du mal avec les gens, comme Thibon, qui se prétendent réalistes et qui ont refusé de rejoindre De Gaulle. C'est comme refuser de rejoindre Jeanne d'arc en 1429 : c'est confondre réalisme et courte vue.

Cela me rappelle Le livre de raison de Glaude Bourguignon : Henri Vincenot écrit que les envahisseurs passent et la terre reste, que le paysan n’a pas à se mêler des choses politiques, comme de se défendre contre l'envahisseur. A un détail près, qui a une certaine importance : Vincenot a eu quelques ennuis avec la Gestapo.

Pendant que Thibon écrivait, inspiré par le christianisme, certains monastères stockaient les armes, et plus.

Les ancêtres de Thibon et de Vincenot, tout paysans qu'ils étaient, sont allés jusqu'à Jerusalem à pinces pour délivrer le tombeau du Christ des infidèles. Lui, non, il n'a même pas pris la croix de Lorraine.

Je comprends mieux son amitié avec Simone Weil : elle avait ce grain de folie qui lui manquait.

Bref, Gustave Thibon est meilleur pour parler de réalisme que pour le pratiquer.

Allons, prenons le comme il est.

Ce préliminaire étant éliminé, attaquons.

« Notre mal le plus profond gît dans l’irréalisme de la pensée et de la conduite. Cet irréalisme procède du relâchement ou de la rupture des liens vitaux. L’homme qui vit en contact avec le réel, qui travaille sur du réel a nécessairement le sens du réel… Ce qu’on appelle le bon sens n’est pas autre chose que cet équilibre que crée dans la pensée et les actes la communion au réel. L’homme de bon sens est toujours un homme relié. L’isolé, le déraciné au contraire, si intelligent qu’il puisse être, n’a pas de bon sens et l’absurdité éclate dans ses propos et dans ses gestes. »

Comme vous voyez, Thibon parle excellemment du réalisme. Il a bien compris le lien entre culture de mort et goût des grandes idées creuses.

J'entends pourquoi beaucoup ont trouvé dans Thibon un réconfort pendant la guerre. C'est intelligent, élevé, bien écrit.

La table des matières

Première partie

Réalisme de la terre
Réalisme civique
Individualisme et dénatalité
Christianisme et mystique démocratique
Surnaturalisme et surnaturel
Dépendance et liberté
Le devoir et l'intérêt
La semence et le terrain
Vie affective et vie sociale
Pharisianisme
Prévision et espérance
L'homme et l'héroïsme

Deuxième partie

Essence de la noblesse
Réalisme social
Réalisme moral
La loi et la vie
Réalisme du savoir
L'idéal et le mensonge

Thibon commence par un constat : les Français délaissent le risque (un souverain prend une décision risquée pour un enjeu qui en vaut la peine) au profit de l'aventure (un enfant qui s'ennuie prend des risques dont l'objectif n'en vaut pas la peine).

Yersin prenant des risques pour découvrir le bacille de la peste, oui. Machin qui prend des risques pour faire le tour du monde en bateau ou pour gravir telle montagne, non.

Une agence de voyage britannique organise des reconstitutions des missions commandos de la seconde guerre mondiale. Quelle mascarade ! Quelle tristesse !

Aujourd'hui, dans notre monde fou, inversé : faire le couillon en sautant d'une montagne, oui. Devenir père, non.

Paysannerie

Thibon explique en quoi la disparition de la paysannerie française (guerre de 14 + machinisme agricole) est une catastrophe anthropologique qui menace l'existence même de la France. Son texte est à mes yeux définitif : on ne pourra pas mieux décrire ce que nous avons perdu en perdant nos paysans et pourquoi cette disparition est une menace existentielle pour la France.

Dénatalité 

Il met la dénatalité sur le compte de l'individualisme (qui va de pair avec l'irreligion). Avoir des enfants suppose le fatalisme, « On prend les enfants comme ils viennent » disait la sagesse populaire. Or, le fatalisme, s'engager sans savoir où on va (le père est le dernier aventurier, Péguy. Aventure au sens de risque chez Thibon) est insupportable à l'individu-roi.

D'où le « projet d'enfant », bien cadré, bien réfléchi dont on nous bassine à longueur de journée (cette expression idiote n'aurait pas surpris Thibon). Le « projet d'enfant » le mieux maitrisé, c'est de ne pas en avoir.

Bin non, un enfant n'est pas un projet, c'est un don de Dieu.

C'est marrant de penser que Thibon écrivait ça au tout début du baby boom, mais l'effondrement de la natalité depuis les années 70 prouve que c'était juste un éclair. Il n'a pas vraiment de solution.

Thibon voit la généralisation du mariage d'amour (fort récente : avant, il suffisait que les époux n'aient pas de répulsion l'un pour l'autre) comme une imbécilité mièvre. Fonder quelque chose d'aussi important que la famille sur les fugaces sentiments n'est pas un sommet d'intelligence. Il anticipait l'explosion du nombre de divorces eyt la destruction de la famille (Chesterton aussi).

Religion démocratique

Simple : Thibon aurait pu faire sien le titre de Hans-Hermann Hoppe Démocratie, le Dieu qui a échoué.

Il écrit ce que je dis souvent. Les Français ont remplacé Dieu par l'Etat pour faire face aux difficultés de la vie et ça se passe mal. Ils n'ont jamais été aussi malheureux et dépressifs malgré l'abondance de biens matériels.

Pour Thibon, religion démocratique et athéisme sont liés. « Un révolutionnaire ne supporte pas d'être éternellement à genoux devant Dieu. »

En effet, la religion démocratique moderne n'a rien à voir avec la démocratie athénienne, régime politique parmi d'autres, dont les Grecs savaient considérer les avantages et les inconvénients.

La religion  démocratique est un culte absolu de l'homme rousseauiste, totalement irréaliste, une contestation de l'ordre naturel voulu par Dieu. Dans l'ordre naturel, il n'y a aucun régime politique parfait, seul Dieu est parfait, mais le péché est en l'homme.

Par une dérive (satanique ?), l'homme est devenu bon par nature (ce qu'il sera au Paradis, mais non en ce monde), seule la société apporte le Mal. La correction de ce Mal est le culte démocratique. Comme, évidemment, ce culte est basé sur une hypothèse fausse (l'homme bon par nature et corrompu par la société), ça merde.

Thibon semble considérer que toute catastrophe humaine trouve son origine dans une erreur philosophique ou théologique, il n'aurait pas renié Tresmontant : « Toutes les grandes catastrophes humaines trouvent leur origine dans une catastrophe intellectuelle ».

Thbon résume donc les choses ainsi : « Je vois une continuité parfaite entre la très légère déviation du christianisme de Fénelon, le théisme de Rouseau, le panthéisme des romantiques et l'athéisme des socialistes du XXème siècle ».

A mon avis, la pierre de touche est toujours le Dieu d'Israël : quand on sépare le Dieu un rien soupe-au-lait de l'Ancien Testament du Dieu d'amour du Nouveau testament, hérésie connue sous le nom de marcionisme et condamnée dès le IIème siècle, les conneries commencent. Sous le sirupeux, l'atrocité sommeille, il n'y a pas plus sentimental qu'un commissaire politique (c'est pourquoi les femmes sont très bonnes dans ce rôle).

Thibon écrit quelque chose que j'aurais pu écrire : la croyance en la politique est un symptôme d'affaiblissement des caractères. On croit à la réforme par la politique parce qu'on n'est plus capable de se réformer soi-même. On n'imagine pas les caractères forts d'antan s'exaltant pour un bout de papier dans une boite. Je ne me vois pas demandant à Cortes « Dis, Hernan, c'est quoi ton opinion sur l'augmentation de 1 % de la CSG ? ». D'ailleurs qu'a fait un soldat espagnol blessé et un peu perdu ? De la politique ? Non, il a fondé un ordre religieux, les jésuites.

Thibon anticipe de manière remarquable le badinterisme (quand on a les bons principes, l'avenir n'est pas si voilé) : les institutions doivent être sévères pour que les hommes puissent être charitables. Quand les hommes renoncent à la vertu, ils demandent aux institutions de montrer les vertus qu'ils n'ont plus, générosité, charité, miséricorde ... et la société se défait dans une inversion des valeurs complète (pas mal vu en 1943, non ?).

La tentative des gauchistes (articles du Monde et de Libé, émissions sur la « justice restaurative » ...) de nous apitoyer sur Salah Abdelslam est tout à fait logique. Des gens sont choqués ? Et alors ? Pourquoi ne vont-ils pas à la messe pour rétablir l'ordre naturel dans sa légitimité ? Ah, ils aiment bien contester l'ordre naturel quand ça leur permet de « jouir sans entraves » (avortement, contraception, divorce, etc) mais pas quand ça réhabilite un terroriste ? Désolé les gars, c'est un paquet cadeau.

Thibon est contre les assurances sociales, qui déresponsabilisent. Il préférait l'ancien système, prévoyance personnelle, famille et charité.

Le suffrage universel est évidemment stupide. Si cette stupidité ne nous saute pas aux yeux, c'est que nous avons transposé « Tout homme est fait pour Dieu » en « Tout homme est fait pour la démocratie ».

Il y a un argument particulièrement con, « Il faut voter parce que des gens sont morts pour que nous ayons le droit de vote ». Bin non. Des gens sont morts pour la France, pour la liberté, certains même pour le communisme universel, mais pour le droit de vote, jamais.

Ca ne me gênerait pas qu'on ne me demande pas mon avis si les gouvernants étaient légitimes.

La triade noire nominaliste

Thibon n'emploie pas le mot « nominalisme », mais c'est bien l'idée tout au long de son livre.

Notre triade noire nominaliste ne l'aurait pas du tout surpris (dans l'ordre chronologique) :

> le féminisme. « Germaine est un homme comme les autres parce qu'elle le veut ». Qui aboutit évidemment à « Robert est une femme comme les autres parce qu'il le veut ».

> l'anti-racisme. « Les races humaines n'existent pas et, d'ailleurs, les blancs doivent être exterminés ». Qui aboutit à « Mouloud et Boubakar sont aussi français que vouzémoi parce que la bureaucratie qui est en France leur a donné un bout de plastique ».

> l'écologisme. « J'ai besoin de croire que "la Planète" souffre de catastrophes imaginaires pour remplir la vacuité de ma vie ».

Ce que nous vivons n'est pas une évolution plus ou moins positive que combattraient quelques nostalgiques arriérés comme moi (thèse des veules amis du désastre). C'est une folie furieuse nihiliste, une maladie collective mortelle, comme on le démontre aisément par la raison.

Le remède est donné par Thibon : le retour au réel. Les choses et les êtres ont une nature, qu'il faut respecter.

Les hommes et les femmes sont ontologiquement différents et c'est une folie de les mettre en concurrence. Les races humaines existent et les hommes n'ont pas vocation à être mélangés L'homme est infiniment supérieur à la Nature, il en est maitre et possesseur et et ne doit pas en faire une idole, non plus qu'une esclave.

Mais le réalisme suppose de revenir à Dieu, car c'est le respect de la transcendance qui rétablit l'ordre naturel. Et, d'après ce que je vois et j'entends des Français, à part un « petit reste », une élite du cœur et de l'intelligence (je suis parfois surpris : je vois de jeunes têtes nouvelles à l'église), ce n'est pas pour tout de suite.

Plus le réel tape fort à leur porte, plus les Français essaient de fuir leurs responsabilités en mettant tout sur le dos des politiciens (qui, certes, ont aussi leurs responsabilités). Mais comment pouvez vous avoir comme idéal de vie les vacances et la retraite et considérer que vous n'avez aucune responsabilité dans le naufrage collectif ?

Alors, comme le peuple d'Israël sur qui s'abattaient des maux quand il oubliait Dieu, le peuple français mérite les malheurs qui lui arrivent.

Il n'y a dans mon jugement ni mépris ni schadenfreude, c'est juste l'application du principe de causalité, les causes ont des conséquences. Quand un peuple se renie, renie Dieu et déserte ses églises, les conséquences ne sont pas bonnes.

Bien sûr, j'émets un jugement moral sur le fait de renier Dieu. Cependant, même sans mon jugement, les conséquences seraient les mêmes : renier la transcendance, c'est condamner l'ordre social à mort.

On me dit : « Tu rêves, tu n'es pas réaliste. Le passé est le passé. La France ne redeviendra jamais catholique ». C'est possible. Dans ce cas, ça ne sera plus la France. Pas plus que la Turquie n'est l'empire byzantin et Istanboul Constantinople. Il n'y a que les crétins, les lâches et les salauds (ça fait déjà du monde) pour prétendre qu'une France colorisée, africanisée et islamisée serait encore la France.

Le peuple français n'est absolument pas défini par le fait d'être universaliste, ou blanc, ou occidental, ou européen, ou païen, ou par aucune de ses régions. Le peuple français est défini par le fait d'être gaulois (depuis 2500 ans) et chrétien (depuis 1500 ans).


Si vous grand-remplacez les Gaulois et si vous persécutez le christianisme, que reste-il du peuple français et de la France ? Rien.

Prions pour la France. Et agissons dans la mesure de nos moyens.


Les héros et les saints

Thibon écrit excellemment de diverses choses très contemporaines (il n'anticipe pas le délire mortifère écologiste et le grand remplacement mais ce qu'il dit permet de les comprendre).

Je passe sur nombre d'idées, vous lirez ce livre si vous voulez. Il a beaucoup de considérations fines sur les modernes et ce qui les rend vides d'humanité, des zombies.

Thibon n'a aucune confiance dans les masses : elles suivent, jusqu'au suicide collectif si tel est le chemin choisi par les dominants.

Je pense qu'il a tant de mépris pour le moderne, dont la bourgeoise gauchiste est l'acme, qu'aucun de nos délires débiles ne l'aurait surpris.

Il pense que nous serons sauvés par les héros et par les saints.

Mais nous sommes dans un tel naufrage anthropologique, nous sommes devenus une telle société de zombies, que faire sa vie comme un père de famille ou une mère de famille de 1700, c'est déjà être un saint et un héros. « Un saint ne fait pas plus d'efforts et de sacrifices pour son dieu qu'un avare pour s'enrichir ou qu'une coquette pour se faire admirer ».

Thibon cite comme guide Saint Thérèse de Lisieux (nommée depuis Docteur de l'Eglise). Je suis épaté par cette petite Normande, morte à 24 ans. Pour le dire vulgairement, elle m'en bouche un coin, comme Jeanne d'Arc. Son Histoire d'une âme (certes corrigée, mais pas tant que ça, par sa sœur Agnès qui était aussi sa mère supérieure) fut un succès d'édition phénoménal (des dizaines de millions d'exemplaires) un peu oublié en notre époque mécréante. Elle était très lue par les Poilus dans les tranchées.

mardi, novembre 11, 2025

1940 La guerre des occasions perdues (Adolphe Goutard)

Publié en 1956, ce livre était novateur parce qu'il contestait que la France avait perdu en 1940 par infériorité matérielle, thèse communément admise à l'époque.

Goutard démontre les fautes du commandement français.

Il se laisse complètement avoir par la comédie hitlérienne, il croit que Hitler a été désagréablement surpris par l'entrée en guerre de l'Angleterre (Adam Tooze a depuis prouvé que l'Allemagne a provoqué la guerre pile-poil au moment optimal du point de vue de la politique d'armement).

Mais son analyse militaire reste juste.

La guerre-éclair a besoin d'ennemis complaisants

La guerre-éclair ne fonctionne que face à des ennemis qui se laissent impressionner par la vitesse et prennent de mauvaises décisions.

Dès que l'ennemi prend les bonnes décisions, les faiblesses de la guerre-éclair, notamment logistiques, deviennent rédhibitoires.

Moscou 1941, Caucase 1942, Koursk 1943, Ardennes 1944 : quand l'ennemi ne se laisse pas gentiment encercler, la guerre-éclair patine.

Au moins deux scénarios auraient pu mettre les Allemands dans une merde noire :

> fermeture de la percée de Sedan envisagée par Gamelin le 15 mai 1940 mais qu'il n'a pas su ordonner.

> la retraite générale au-delà de la Méditerranée, façon Lanrezac en 1914 sauvant l'armée française après le désastre de Charleroi en ordonnant la retraite générale.

Les Allemands seraient vite tombés en panne d'essence et de munitions. Fin mai, leur logistique était au bord de la rupture.

Le refus obstiné, buté, actif, de tirer les leçons de la campagne de Pologne nous a été fatal (« Ce qui s'est passé dans les grandes plaines de l'est n'est pas applicable à la France »). 

À propos d'une éventuelle percée par les Ardennes, Pétain avait dit « Nous les repincerons à la sortie ». Très bien, pourquoi pas ? Encore fallait-il avoir prévu les moyens de les « repincer ».

C'est une faute professionnelle sans excuse de ne pas avoir gardé une réserve, c'est symptomatique de la baisse de qualité du commandement français. Même dans les moments les plus tendus entre 1914 et 1918, l'armée française a eu toujours une armée en réserve. Débarquant au Quai d'Orsay le 16 mai 1940, Churchill demande dans son français pittoresque à Gamelin « Où est la masse de manœuvre ? » et celui-ci répond « Il n'y a en pas ». Churchill écrira que ce fut une des plus grandes surprises de sa vie. A partir de là, la confiance est rompue, à raison, et les Anglais décident de faire cavaliers seuls.

Les pétainistes l'ont beaucoup reproché aux Anglais, mais il faut un sacré culot pour reprocher à des alliés de perdre confiance en un commandement qui se retrouve à poil au bout de 5 jours de bataille, surtout quand les gens qui font le reproche sont ceux-là mêmes qui ont provoqué cette perte de confiance par leur légèreté bornée. 

Par moments, le trou entre les Panzers et l'infanterie qui suivait à pied était de plus en 50 km. Si l'armée française avait occupé cet espace, la situation allemande serait devenue très périlleuse (l'état-major allemand était mort d'inquiétude). Et ce trou était connu du GQG (mais peut-être pas bien appréhendé) : la percée ennemie se déroulait en territoire français, devant le bordel ambiant, les préfets téléphonaient directement à Vincennes pour décrire ce qu'ils voyaient.

Entre le 12 mai (début de la percée allemande à travers les Ardennes) et le 20 mai (Rommel atteint la Manche), les Français (et les Anglais) ont eu chaque jour une occasion de mettre en grande difficulté les Allemands, ils n'ont su en saisir aucune.

Les visiteurs des quartiers-généraux (pour simplifier, il y a trois GQG : c'est très IIIème république, ne faire de peine à personne) décrivent tous la même atmosphère, mélange de fébrilité, d'apathie et de désordre. Le diagnostic n'est pas difficile à poser : il manquait un chef.

Le commandement français de 1940, chaque fois qu'il a eu le choix entre regrouper nos forces et les disperser, a choisi, pour notre malheur, la seconde option. On ne se remet pas d'être dirigé à la guerre par des cons.

Gamelin et Weygand

Les subordonnés de Gamelin l'avaient surnommé « Baudelaire », car on disait que toute sa doctrine se résumait dans le vers : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes ».

Le problème de Gamelin se lit dans son vocabulaire :  « Je regrette », « Je déplore », « Je préconise », « Sans vouloir intervenir dans la conduite de la bataille en cours… ». Imagine-t-on Turenne ou Bonaparte, ou même Foch, parlant ainsi ?

Il a un côté François Hollande ou Emmanuel Macron : commentateur désabusé de catastrophes qui relèvent entièrement de sa responsabilité.

On a opposé le caractère de Gamelin et son intelligence. Mais, s'il avait été si intelligent, il n'aurait pas engagé toutes les réserves de l'armée française en Belgique.

Seulement voilà : il était l'homme qui murmurait à l'oreille des ministres et des parlementaires,  le général de Daladier, un militaire comme la raie-publique radicale et franc-maçonne les aime, faussement martial et vraiment mou.

Son remplacement, le 17 mai, au plus mauvais moment, fait perdre deux jours précieux. Même son limogeage aura porté malheur à la France.

En choisissant de résister sur la Somme, Weygand, lui, rend la défaite inéluctable et il le sait, il le fait exprès, par peur d'une révolution communiste, son obsession de minable petit-bourgeois. C'est une trahison pure et simple qui, dans tout pays qui se respecte, lui aurait valu d'être fusillé séance tenante. Il n'a échappé à un procès  mérité à la Libération que parce qu'il y avait déjà trop de procès. De Gaulle a eu entièrement raison de lui refuser les obsèques nationales.

Comme tous ceux qui ont étudié sérieusement la situation (dont De Gaulle lui-même en 1940), Goutard n'a guère de doutes que la poursuite de la guerre outremer était possible. Il y a eu des livres et des bandes dessinées, fort bien faites, basés sur ce scénario.

La Marine Nationale et la Royal Navy étaient intactes. Les dépôts de matériel regorgeaient d'avions prêts à l'emploi que les Allemands trouveront, à leur grand étonnement, eux aussi intacts. Si l'ordre avait été donné à l'armée française d'organiser la retraite générale, il serait trouvé des bonnes volontés pour s'en occuper. L'opération Dynamo a évacué de Dunkerque plus de 300 000 hommes (sans leur matériel) en 10 jours, il était donc tout à fait possible de transférer la majeure partie de l'armée française en Afrique du Nord si les soldats avaient senti une volonté de fer dans le commandement.

L'élection présidentielle américaine était en septembre, Roosevelt réélu, comme il était prévisible, l'aide aurait afflué (contres espèces sonnantes et trébuchantes).

Bref, si l'analyse de Goutard pèche politiquement, il  démontre que, militairement, le commandement français, entre le 10 mai 1940 et le 10 juin, a laissé échapper de vraies occasions de transformer le coup d'audace allemand en désastreuse aventure.

Notre malheur a voulu que nos plus grands militaires, Pétain et Weygand, fussent des traitres défaitistes qui méritaient 12 balles dans la peau (les nostalgies pétainistes de certains cons en 2025 sont tout à fait ridicules). Ils se sont employés à saper la volonté des politiciens, déjà pas bien vaillante (Reynaud est un faux dur), qui était initialement de continuer le combat .

Imaginez la situation inverse : un commandant en chef qui se bat (donc, ni Gamelin, ni Weygand) et qui dit aux politiciens fin mai : « Il est possible de passer 600 000 hommes en Afrique du Nord avec une partie de leur matériel ». Croyez vous que le gouvernement l'aurait refusé ?

Une des explications possibles à cette nullité crasse de nos généraux est peut-être toute simple (hypothèse à vérifier) : l'armée française de l'entre-deux-guerres n'attirait plus l'élite de la nation (Gamelin était major de Saint-Cyr, mais est-ce un gage de qualité suffisant ?).

Après tout, Leclerc et Juin sauront prouver, par leurs capacités manœuvrières (exceptionnelle chez Leclerc) que toute intelligence n'était pas perdue dans l'armée française.

Concluons sur une note positive qui illustre le fossé entre Juin et Gamelin. Au début de l'attaque du Garigliano, les Français butent très durement sur la défense allemande. Juin hésite à faire cesser l'attaque et à ordonner le repli. Que fait-il ? Il se porte sur le front et discute avec les blessés qui redescendent de première ligne. Et ordonne la continuation de l'attaque.

A Alesia, lorsque les Gaulois ont failli percer, qu'a fait Jules César ? Il est allé en première ligne avec sa cape rouge, que toutes les légionnaires connaissaient, et les Gaulois ne sont pas passés.

Voilà ce que Gamelin n'a pas fait (pas la peine de parler de Weygand, décidé à rendre les armes).

Deux billets sur cette période :

La défaite française, un désastre évitable (J. Belle)

Deux jours en mai


mercredi, septembre 24, 2025

Claude Tresmontant, un ouvrier dans la vigne (Emmanuel Tresmontant).

La personnalité de Claude Tresmontant (1925-1997), même décrite par son fils (qu'il a abandonné à 2 ans pour le retrouver 20 ans après), est peu agréable.

Mais, intellectuellement, chapeau !

Né dans une famille communiste athée dysfonctionnelle (il pense un temps être le fils d'André Malraux), il trouve à 16 ans un Nouveau Testament abandonné sur un banc dans un stade où il joue au football, il lit « Qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera ». Deux ans plus tard, il se fait baptiser.

« Le rabbin Ieschoua n'est pas un professeur de morale mais un professeur de vie ».

Le bon gros Pierre a déjà tout dit :

Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et ils n'allaient plus avec lui. Jésus donc dit aux douze: Et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? Simon Pierre lui répondit: Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.… [Jean 6]

La philosophie de Tresmontant est le « réalisme intégral » : Dieu existe, il a créé le monde, qui est en création permanente par la constante injection d’informations divines.

Les lourds systèmes philosophiques allemands sont mauvais parce qu’ils sont faux, parce qu’ils nient la Création. Jusque dans les années 80, ses cours étaient suivis par les esprits libres.

Et beaucoup d’ingénieurs. C’est un point qui m’a étonné : dans un récent pèlerinage catholique, nous étions un groupe de 19 hommes … dont 18 ingénieurs (dont 7 Polytechniciens .. dont le curé). Les imbéciles croient que la position intelligente, scientifique, est l’athéisme. Visiblement, ce n’est pas l’avis de tout le monde. Toujours le réalisme.

Le monde actuel est incompréhensible si on ne voit pas qu'il est le combat permanent et inexpiable du nominalisme (« Robert est une femme parce qu'il se sent femme », « Un Afghan est un Français comme vouzémoi », « Le climat va nous tomber sur la tête ») contre le réalisme.

Puis, sur la fin de sa vie, ses cours ont été désertés : l’affaissement de l’Université et les « années Mitterrand ».

En 1983, à la sortie du novateur Le Christ hébreu, Tresmontant est accusé par l’extrême-droite d’« enjuiver le christianisme ». A ce niveau de stupidité, la seule réponse possible est le visionnage du sketch des Inconnus, La Secte du grand gourou Skippy, le passage où l’intégriste explique qu’il a commencé par les messes en latin, puis en grec, puis …

La judéophobie autochtone des demi-habiles, des midwits, qui ne cesse de monter en France (essentiellement par dhimmitude, consciente ou non), ne laisse pas de m'inquiéter : je ne suis pas inquiet du sort des juifs en soi, ils peuvent prendre l'avion en dernier ressort, mais la judéophobie est le symptôme d'une société malsaine, qui entre dans le délire collectif, de fantasme paranoïaque, conduisant au suicide sectaire ou au génocide.

Emmanuel Tresmontant raconte aussi un « débat » haineux sur Radio Courtoisie où l’obsession du minable Henry de Lesquen (pas besoin de l’écouter des heures pour comprendre que c’est un homme pétri de ressentiment) était de reprocher à Claude Tresmontant de ne pas être judéophobe. Celui-ci avait pris les choses avec philosophie. Il n’est écrit nulle part que les gens de strême drouâte sont forcément plus intelligents que les gauchistes (Lesquen n'est pas le pingouin qui glisse le plus loin que la banquise. Il manie l'invective et l'insulte avec beaucoup d'énergie, à part ça ...).

La thèse de Tresmontant est triple :

> La rédaction des Evangiles n’est pas du tout tardive, ce sont au contraire des « notes de cours » prises sur le vif ou presque.

> Le grec des Evangiles n’est pas vraiment du grec mais de l’hébreu transcrit mot à mot, à partir du lexique grec-hébreu de la Septante, ce qui permet d’éclaircir les passages obscurs.

> les juifs et les chrétiens ont en commun l'idée tout à fait originale du Dieu créateur (pas le dieu horloger qui lance la machine puis s'absente). Le monde est en création continuelle par injection d'informations divines (Tresmontant se passionnait pour la génétique et pour la cosmologie).

Se détachant de son père, Emmanuel nous fait part d’un épisode traumatique : sa soutenance face à une gauchiste. Il a eu le malheur de citer un excellent extrait de Notre Jeunesse (Péguy), prémonitoire comme souvent, sur les gens qui ne sont dupes de rien, qui ne croient plus à rien, qui se croient supérieurement intelligents, alors qu’ils sont juste vides (c’est toujours la position des faux intelligents : Dieu est un « ami imaginaire » pour les naïfs, ce qui est très réducteur, pour dire le moins. La vanité de ces gens dont Saint Thomas d'Aquin ou Saint Augustin auraient fait du petit bois est infinie). La madame l’a prise pour elle.

Wikipedia nous raconte que les thèses de Tresmontant sont aujourd’hui invalidées. Bien entendu, c’est un des mensonges gauchistes habituels de Wikipedia (on le retrouve dans tous les medias paresseux, c’est-à-dire dans tous les medias. Encore un cas où le ’consensus’ est absolument idiot. C’est de plus en plus fréquent, toujours le refus obstiné du réalisme).

Evidemment, l’enjeu est la fiabilité des Évangiles et donc l’autorité de l’Eglise. Si cette question vous intéresse :

Tresmontant s'est engueulé au restaurant avec un jésuite hégelien (les jésuites sont proches de l'hérésie et pas toujours du bon côté de la frontière, alors que Tresmontant est très orthodoxe sous une expression parfois provocatrice) sur l'humanité du Christ, proches d'en venir aux mains, devant des invités médusés et dépassés par l'altitude  et la violence de la dispute à coups de citations en grec et en hébreu. J'aurais bien aimé voir ça.

L’autorité du Seigneur

Son fils fait remarquer à Tresmontant qu’à mesure qu’il avance dans la traduction des Evangiles, il emploie dans son quotidien de plus en plus souvent l’expression « le Seigneur » à la place de « Jésus » ou de « le Christ ».

Tresmontant l’admet : l’autorité du Christ s’impose à lui (l'hypothèse mythiste, c'est bon pour les gogols et les escrocs à la Onfray. Les gens sensibles, comme Julien Gracq athée - c'est toujours une énigme pour moi les athées et les agnostiques intelligents qui ne vont pas jusqu'au bout du raisonnement, savent que Jésus a une personnalité, et très forte). L’autorité institue (contrairement à l’autoritarisme). Et Jésus a institué l’organisation humaine la plus ancienne : l’Eglise.

« Vous avez entendu qu’il a été dit …, mais moi je vous dis … »

« Vous m’appelez Maitre et Seigneur et vous faites bien, car vraiment je le suis. Si donc moi, le Maitre et le Seigneur, je vous ai lavé les pieds … »

« Jésus referma le livre, le rendit au servant et s’assit. Tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui. Il se mit à leur dire ‘Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre’. »

« Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. »

« Avant qu’Abraham fût, je suis. » (déclaration stupéfiante si on écarte l'hypothèse que l'auteur est fou à lier.)

« Pilate lui dit ‘Alors, tu es roi ?’ Jésus répondit ‘C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né et je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la Vérité. Quiconque appartient à la Vérité écoute ma voix.’ »

Et on sait avec quelle autorité il parle aux démons et fend les foules hostiles.

C'est cette autorité que refuse le monde moderne avec obstination, comme les démons et pour les mêmes raisons.

Nota : dans la Bible, le vin et la vigne sont toujours liés à l'Alliance, à l'Esprit et à l'abondance de celui-ci.

dimanche, septembre 21, 2025

Qui était Jean ? [Enquête sur l'auteur du 4ème Evangile] (Claude Tresmontant)

Tresmontant était « catho de gauche ». Ca fait de la peine chez un homme si intelligent. Mais la gauche est une maladie de l'âme liée à une pathologie de la filiation et de l'éducation : quand on connait le parcours chaotique de Tresmontant, on est moins étonné.

Tout adulte est de droite. Et plus on est adulte, plus on est de droite. (Ce n'est pas de moi, mais j'aime bien.)

En théologie, la gauche est une gnose et, donc, l'ennemie intime du Christ.

Heureusement, le sujet d'étude de Tresmontant est assez éloigné pour n'être pas trop affecté par son navrant positionnement politique (Tresmontant sous-estime la valeur de la Tradition, mais, à part ça, guère de traces).

Ce texte posthume est très court. Le sujet est simple, dans le titre : qui est Saint Jean, le quatrième évangéliste ?

Jean l'évangéliste n'est pas Jean, apôtre, le frère de Jacques, fils de Zébédé

L'identification traditionnelle de Jean l'évangéliste comme l'apôtre Jean frère de Jacques est très probablement fautive (comme quoi la tradition peut se tromper). Elle vient d'Irénée de Lyon, qui semble s'être planté sur ce coup là. On a une lettre d'un certain Polycrate, qui identifie Jean l'évangéliste comme un cohen, un prêtre juif.

En effet, le quatrième évangile (qui est probablement en réalité le premier rédigé) est le plus théologique, la différence frappe tout lecteur, même moyennement attentif. Le rédacteur est un lettré, pas un paysan galiléen.

La question qui est posée est : comment la créature (l'homme) peut avoir part à la vie de son créateur (Dieu) ? C'est le sujet du Cantique des Cantiques (qui n'est pas un recueil de chansons de corps de garde, contrairement à ce qu'a prétendu le stupide XIXème siècle à la suite de Renan).

Par contre, l'identification de Jean l'évangéliste comme « le disciple que le Seigneur aimait » ne pose pas de problème.

Jean est un cohen

Jean est très probablement un cohen, un prêtre-sacrificateur du Temple (Tresmontant se permet une remarque rigolote : les femmes ne peuvent pas exercer cette fonction parce qu'elles ne peuvent pas trimballer des quartiers de bœuf) :

> Il a ses entrées libres au Temple (contrairement à Pierre).

> La servante du Temple lui obéit, quand il lui dit de laisser passer Pierre.

Une preuve presque matérielle : dans l’Evangile selon Saint Jean, le triduum pascal est décalé d’un jour par rapport aux Evangiles synoptiques. Cette différence a toujours perturbé les exégètes.

Or, en 1892, un érudit juif (d’une secte qui ne reconnaît pas le Talmud, ça existe) a prouvé que, jusqu’à la destruction du Temple en l’an 70, les cohen utilisaient un calendrier décalé les années où Pâques tombait pendant le Sabbat.

Dans la liste dressée par Flavius Josèphe des cohen de ces années, il est assez facile d’identifier un neveu du grand prêtre Anne, celui-là même qui a condamné Jésus à mort et dont l’un des fils fera condamner à mort l’apôtre Jacques. On comprend alors pourquoi cet évangéliste préfère garder l’anonymat.

Et qu'il se soit exilé à Patmos pour échapper aux persécutions juives (soit dit en passant : tout cela ne peut se passer qu'avant la catastrophe de l'an 70, la destruction du Temple, donc autant pour la thèse allemande  absurde de la rédaction tardive des Evangiles, thèse protestante anti-catholique, destinée à salir l'Eglise primitive. Décidément, les Allemands sont gens qui pensent compulsivement de travers. Qu'ils se contentent de faire de la physique et de la chimie. Et encore, pas pour fabriquer des armes)

 Voilà, mystère résolu.

dimanche, septembre 14, 2025

L'affaire Galilée : une supercherie du sot XIXe siècle ? (Bernard Plouvier)

Tout est dans le sous-titre : il y a unanimité chez les gens intelligents,  de Léon Daudet à Philippe Muray, à considérer le XIXème siècle comme particulièrement stupide.

En 200 ans, l’intelligence française est passée du génial Pascal au grotesque Comte. Merci Voltaire et son orchestre de détraqués (nos fumeuses « Lumières » ne sont rien d’autre qu’un résidu d’asile psychiatrique).

Il y a trois questions que notre époque qui se croit très intelligente confond allègrement :

1) est-ce que la Terre est ronde ?

2) est-ce que la Terre tourne sur elle-même ?

3) est-ce que la Terre tourne autour du soleil ?

C’est un mythe moderne que nos ancêtres (donc blancs, les croyances des peuplades colorées ne sont pas mon problème) croyaient que la Terre était plate. En réalité, ils ont toujours (à vue humaine) su, à quelques zozos près, que la Terre était ronde.

Galilée n’était pas un génie incompris. Le génie des années 1630 était Kepler, persécuté par les protestants (mais comme on ne peut pas faire d’anti catholicisme sur son dos, ça intéresse moins. Ce qu tendrait à prouver que tout le monde sait que le catholicisme est la vraie foi).

Galilée était avide de publicité et l’Eglise a bien fait de le réduire au silence, en des temps très violents (Guerre de Trente Ans) où il n’était pas avisé de jeter de l’huile sur le feu.

Le vrai apport de Galilée est son utilisation systématique de la lunette astronomique. Ses écrits théoriques sont faibles et, surtout, ne prouvent rien.

Galilée n’a pas été condamné (à une peine symbolique) parce qu’il avait raison mais parce qu’il n’a pas respecté l’injonction qui lui avait été faite de se taire tant qu’il n’avait pas de preuve solide (preuve qui n'est pas si évidente puisqu'elle n'arrivera qu'un siècle plus tard).

S’il était resté dans des communications entre savants (dont beaucoup de religieux), il ne lui serait rien arrivé. Et d'ailleurs, il ne lui est pas arrivé grand'chose.

Son sort n'a ému personne au XVIIème siècle parce qu’il n’avait rien pour émouvoir. C’était tout de même un protégé du pape ! Le mythe de « Galilée martyr de la science » n'a pas pris au XVIIIème non plus, malgré quelques tentatives de Voltaire. Il a fallu attendre le stupide XIXème siècle.

Copernic n’a rien démontré du tout (contrairement à ce qu’écrit Montaigne) mais il a remis à la mode (avec de nombreuses erreurs) le système héliocentrique d’Aristarque. Système qui restait connu de quelques érudits mais ne sortait pas des monastères.

Il est bien dommage qu’Aristote ait préféré le système géocentrique,

Pourquoi l’auteur se croit il obligé de préciser qu’il est athée ? Bon, c’est un boumeur, il ne faut pas trop leur en demander.

Situer le fascisme. L'addition italienne des extrêmes 1914-1945 (Fabrice Bouthillon)

Fabrice Bouthillon poursuit sa réflexion sur le totalitarisme comme extrême-centrisme, fusion de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite.

Le totalitarisme comme extrême-centrisme

La révolution française a créé une coupure irréparable entre la gauche, l’universel, et la droite, le local.

Une fois le contrat social ancien détruit, il n’y a plus de légitimité pour en fonder un nouveau puisque la partie de la population tenant au monde ancien en est exclue.

Un nouveau contrat social ne peut arriver que par une transcendance qui met tout le monde d’accord, comme l’Union Sacrée en 1914, qui ne fut pas baptisée Sacrée par hasard.

La tentative de reconstruction de l’unité perdue peut venir d’un centrisme excluant les extrêmes, c’est la IIIème république.

Mais aussi par une fusion des extrêmes, ce sont les totalitarismes : fascisme, stalinisme, nazisme.

L’empire napoléonien est le prototype de ces tentatives de fusion de la gauche et de la droite. C’est en cela que Napoléon est totalitaire, plus que dans le détail de ses politiques.

Pour le fascisme et le nazisme, c’est évident.

Nota : si, de gauche, vous croyez que le fascisme et le nazisme sont d’extrême-droite ou, de droite, que les gauchistes sont les vrais fascistes, les vrais nazis, passez votre chemin, vous ne n’êtes pas assez intelligent pour comprendre ce billet.

Concernant le stalinisme, « la révolution dans un seul pays » unit l’universel (gauche) et le local (droite). Et l’ennemi absolu en est le juif Trotsky, qui veut la révolution dans le monde entier (universel, gauche) .

Bouthillon ouvre une piste en remarquant que les 4 grands totalitaires sont méridionaux : Napoléon corse,  Mussolini Italien, Staline Géorgien sud de la Russie, Hitler Autrichien sud de l’Allemagne. Bouthillon s’interroge s’il y a là plus qu’une coïncidence mais ne poursuit pas. Il fait remarquer aussi que surnommer le dirigeant « Tonton » (comme Mitterrand, au passage) est une habitude maffieuse.

Le juif

Au premier abord, la judéophobie (tardive) du fascisme italien est étrange. Il n’y a pas d’éléments judéophobes à l’origine, d’ailleurs la maîtresse de Mussolini était juive et, comme d’autres juifs, a joué un rôle dans le mouvement.

Alors pourquoi le fascisme est-il tombé malgré tout dans la judéophobie ?

Parce que le juif est le rival mimétique du totalitaire : à la fois très universel (le juif errant est de partout) et très local (l’attachement du juif à sa nation est l’un des plus forts qui soient).

Bouthillon cite un passage central de Mein Kampf où, si on remplace « le juif Karl Marx » par « Adolf Hitler », on obtient un auto-portrait d’Hitler !

Et, suivant l’analyse de René Girard, le double mimétique est le bouc-émissaire par excellence.

La persécution chrétienne des juifs est forcément limitée par le fait que le juif Jésus est le bouc-émissaire ultime et que sa mort sur la croix met en théorie fin au cycle de la violence mimétique.

Mais la violence totalitaire contre le bouc-émissaire, celui qui empêche la réconciliation du corps social d’avant la déchirure révolutionnaire, est sans auto-limitation.

Il peut être le Vendéen ou le koulak, mais c’est bien plus efficace quand c’est le juif.

Les judéophobes traditionnels les plus intelligents, comme Daudet et Maurras, ont senti ce changement de nature.

Aujourd’hui, sous la pression du Grand Remplacement (quelle idée merveilleuse d’encourager notre colonisation par des millions de judéophobes rabiques), la judéophobie redevient à la mode chez les’midwits’. Je ne compte plus sur Touiteur les gloses idiotes sur « judéo-chrétien » et le « judaïsme talmudique » et le « sionisme nazi ». C'est de la dhimmitude (pas forcément) inconsciente.

Il y a des juifs nocifs parce qu’ils sont juifs : par exemple, la sur-représentation des dirigeants juifs dans l’industrie pornographique témoigne à l’évidence d’une volonté d’avilir les non-juifs des deux côtés de l’écran.

Et il y a des juifs de gouvernement très nocifs dont la méchanceté peut venir de leur judaïsme.

Mais cela condamne-t-il tous les juifs ? Bien sûr que non.

_ À mort les juifs et les cyclistes !

_ Pourquoi les cyclistes ?

Comme d’autres populations ayant des éléments hostiles à l’égard de la France (y compris la population française : Hollande et Macron sont des bons Français de France), c’est la tâche d’une société saine de les tenir en respect, ce dont la démocratie égalitaire se montre complètement incapable.

L’hypnotisé de Pasewalk

Cet épisode est  bien connu des historiens,  amateurs et professionnels.

Il a donné lieu à d’intenses débats mais les preuves indirectes (les preuves directes ont été détruites par les SS) sont suffisamment nombreuses et probantes (y compris le témoignage d’Hitler lui même) pour qu’il n’y ait guère de doutes.

En octobre 1918, le caporal Hitler est atteint de cécité hystérique (on notera que, dans le dernier chapitre de Technique du coup d’Etat, Malaparte écrit « la femme Hitler ») suite à une attaque au gaz anglaise. Il est envoyé se soigner à l’hôpital psychiatrique de Pasewalk.

Le Dr Edmund Foster emploie sa méthode habituelle : l’hypnose. Pour vérifier qu’il a bien son patient sous contrôle, il lui fait … lever le bras.

Il lui fait des suggestions de toute-puissance, mais, rappelé d’urgence à Berlin, il ne sortira jamais Hitler de sa transe hypnotique.

Alors, Hitler, un hypnotisé jamais sorti de sa transe ? Ça paraît gros, mais il y a de nombreux indices en ce sens, à commencer par le changement radical de personnalité d’Hitler en novembre 1918, qui est bien documenté.

Foster, rongé par le remords, car il se croit responsable de la transformation et de la trajectoire d’Hitler, se suicide en 1936.

Au fait, la devise sur les drapeaux du NSDAP est « Erwache, Deutschland » : « Réveiller toi, Allemagne ».

Or, un des symptômes de l’analysé en thérapie est l’incontinence verbale, habitude dont Hitler est atteint au point d’épuiser son entourage de ses logorrhées nocturnes.

Fait-il un transfert psychanalytique de son père sur Mussolini ? Certains le pensent. Bouthillon développe cette thèse avec finesse et humour.

En tout cas, le choix hitlterien de l’alliance italienne est fort étrange. Un allié boulet, à l’importance stratégique secondaire.

Bouthillon rappelle cette maxime de la diplomatie allemande qu’il ne faut jamais faire la guerre contre l’Angleterre et avec l’Italie.

L’Italie perd toutes ses guerres, ce qui l’l’oblige à trahir ses alliances pour limiter les dégâts. Le duc de Savoie a fait le coup à Louis XIV.

Bouthillon en profite pour nous gratifier d’une psychanalyse expresse d’Hitler : « Son père était douanier et il a passé sa vie à renverser des postes frontières ».

Et puis ce livre vaut aussi pour cette phrase ; « On ne redira jamais assez aux enragés du véganisme contemporain que Hitler et Mussolini furent deux des leurs ».

Le boumeurisme autoritaire 

Mienne réflexion : le macronisme est un boumeurisme autoritaire. On est passé, progressivement, en quelques décennies, d’un centrisme par exclusion des extrêmes à un centre totalitaire par addition des extrêmes.

Aujourd’hui, nous sommes pleinement dans le moulag : l’Etat supprime complètement toute vie privée grâce à des dispositifs juridico-techniques.

Comment s’est opéré ce glissement ?

Par la forclusion du Père. Lacan disait déjà aux guignols de Mai 68 « Vous vous cherchez un maître ».

Aujourd’hui, les boumeurs sont au pouvoir et les grands enfants immatures et stupides qu’ils ont toujours été se sont enfin trouvé un maître : l’Etat, en attendant Allah.

dimanche, août 10, 2025

Deux bombes sous le Rainbow Warrior (Hervé Gattegno)

Bon, ce livre est écrit par un gauchiste de l'imMonde, donc à prendre avec des pincettes.

La France a bien fait de faire sauter ces connards de Greenpeace à la solde de Moscou (et aussi un peu de Washington, car les deux n'étaient pas toujours en opposition). Si c'était à refaire, il faudrait le refaire. En mieux (plus subtilement que par une action spectaculaire ?).

Une opération très mal préparée

La France savait parfaitement à quoi s'en tenir sur Greenpeace et son hostilité était justifiée.

Elle procédait alors par de discrets et très efficaces sabotages. Les bateaux de Greenpeace avaient une telle propension à tomber en panne qu'on aurait pu les prendre pour des Renault.

Mais voilà : à la va-vite, le pouvoir politique, c'est-à-dire François Mitterrand et Charles Hernu (mais Hernu ignore que Mitterrand est au courant), décide de faire plus spectaculaire.

L'organisation est bâclée et merdique.

Les deux agents principaux, Alain Mafart et Dominique Prieur, les fameux faux époux Turenge, sont expérimentés et ont immédiatement de mauvais pressentiments. Ils protestent contre les faux passeports suisses, si faciles à vérifier (et c'est bien ce qui les perdra). Mais ils exécutent les ordres (Dominique Prieur aurait dit « Je ne reviendrai pas avant trois ans »).

Autre erreur grossière : des numéros de téléphone de secours qui mènent directement au fort de Noisy (le ministère de l'intérieur et les PTT réagiront avec autant de promptitude que DSK saute sur une femme de ménage et ces numéros seront réattribués et antidatés).

Une erreur d'organisation a été de ne pas prendre en compte que les Néo-Zeds étaient des enfoirés d'anglo-saxons, c'est-à-dire des délateurs nés (on l'a bien vu pendant le délire covisiste. Les Anglais cultivent l'excentricité justement parce que leur société est très étouffante). Il fallait organiser la fuite des acteurs beaucoup plus rapidement. Idéalement, ils auraient du être dans l'avion avant les explosions.

Enfin, infraction majeure aux règles, les réunions de préparation des situations dégradées sont court-circuitées.

Le chef direct de Mafart et Prieur, qui ne brille pas par sa finesse, brûle d'en découdre, de se faire un nom (sa carrière ne sera pas vraiment entravée par ce spectaculaire échec) et pousse à la roue.

Par différents canaux, des réticences remontent dans la hiérarchie mais les ordres sont les ordres.

Une trentaine d'agents sont impliqués mais on ne connait encore aujourd'hui qu'une dizaine de noms.

Bref, avec autant de choses qui pouvaient merder, ça a merdé.

Le bateau a bien été coulé.



Mais au prix d'un désastre médiatico-politique :


Mitterrand le menteur

Mitterrand, qui est parfaitement au courant de l'opération puisqu'il l'a ordonnée, ment à son premier ministre, Laurent Fabius, et à son ministre de la défense, Charles Hernu. Fabius s'accusera ultérieurement de naïveté.

On décrit Mitterrand comme florentin, mais c'est pour dire que, comme Machiavel, c'est un enfoiré des coups à la petite semaine, pas un stratège (il est tout juste bon à battre cet imbécile de Chirac, mais, face à Kohl, il s'est fait entuber, et la France avec lui). Mentir à ses ministres n'est pas seulement une faute morale, c'est une faute contre l'intelligence. Ce mensonge empêche toute réplique française organisée.

Heureusement, aux échelons inférieurs, entre gens « des services », on ne se ment pas et les contre-feux s'organisent quand même. Cependant, ce n'est pas la même chose que si l'impulsion venait d'en haut.

Bref, le mensonge mitterrandien fout le bordel : le premier ministre et le ministre de la défense sentent que Mitterrand leur cachent des choses et ne savent pas sur quel pied danser.

Surtout, la police de Joxe et le justice de Badinter collaborent avec les Néo-Zélandais et traquent des militaires français en service commandé (depuis, c'est devenu une habitude).

C'est le bordel en France et, en Nouvelle-Zélande, Prieur et Mafart sont traités très sévèrement. Les militaires font le siège des politiques en demandant une discrète négociation. Hernu se braque, le scandale éclate dans la presse et c'est foutu pour la discrétion.

C'est  le cinéma des révélations et des fuites, avec l'infâme Edwy Plenel. Une bonne partie des fuites vient justement de la confusion : Untel croit protéger le président en révélant ceci, Machin croit protéger la raie-publique en révélant cela, etc.

Hernu est viré et Fabius est en porte-à-faux. Mitterrand est réélu haut la main, ce qui prouve que le problème de la France, ce sont les Français.

Rapatrier les faux époux Turenge

Daniel Soulez-Larivière, avocat de gauche et bon connaisseur du droit anglo-saxon, est choisi par le gouvernement pour défendre Prieur et Mafart.

Il a enfin accès au dossier et découvre qu'il n'est pas très solide (les agents français n'ont pas si mal travaillé, il y a peu de preuves, à part les faux passeports suisses ... et les révélations dans les journaux).

Il conseille donc une négociation : plaider coupable en échange d'une dégradation de l'incrimination en « homicide involontaire » (qui est d'ailleurs juste : il n'y avait pas l'intention de tuer).

Malheureusement, suite à des cocoricos français gênants pour le pouvoir néo-zélandais, Prieur et Mafart sont condamnés à dix ans de prison.

C'est la « cohabitation » (c'est-à-dire la trahison connivente de l'esprit de la constitution). Mitterrand et Chirac sont d'accord pour sortir de prison les agents français le plus vite possible. Une négociation aboutit, déguisée en arbitrage international pour sauver les apparences.

Dominique Prieur tombe réellement enceinte et Alain Mafart réellement malade, ce qui aide à dénouer les choses. Au bout de trois ans. Dominique Prieur et Alain Mafart sont libérés.

En conclusion

Certains acteurs opérationnels expriment aujourd'hui leurs regrets de la mission. Je crois qu'ils ont tort. Le seul regret à avoir est que cette mission ait tourné au fiasco.

En 2015, le colonel Jean-Luc Kister, responsable de l'unité de nageurs de combat chargée de la pose des bombes, avait présenté dans un entretien à Médiapart des excuses à la famille de Fernando Pereira, à Greenpeace et à la Nouvelle-Zélande. « À sa place, je ne l’aurais pas fait. Même si je comprends ses raisons », a réagi Christine Cabon [un des agents qui préparé la mission en allant sur place].

Ces regrets me paraissent déplacés.

Au niveau politique, ce n'est pas du tout la même histoire.

Avant. La nécessité d'une action violente ne saute pas aux yeux.

Mais Charles Hernu, qui buvait beaucoup (du champagne rosé, normal pour un socialiste) et était assez peu sûr de lui, était obsédé par une action spectaculaire et une certaine hiérarchie militaire, pour des questions de prestige de service, rêvait « de chaleur et de lumière ». Les options non-violentes n'ont pas été explorées à fond, alors que la France les pratiquait (les variantes du sucre dans le carburant façon Le corniaud, ça fonctionne très bien).

Mitterrand s'est immiscé sans rien contrôler.

Indépendamment de ses options politiques sataniques, je doute que François Mitterrand fût un très bon dirigeant. Donner des ordres et en contrôler l'exécution, ça ne s'improvise pas, ou alors il y faut un talent naturel que n'a pas tout le monde.

Après. La duplicité de Mitterrand a tout pourri et a empêché de limiter les dégâts.

Bref, une affaire socialiste comme on les aime.

Essence of decision : explaining the Cuban missile crisis (Graham Allison, Philip Zelikow)

Je relis cet excellent livre, plus que jamais d'actualité (je m'aperçois que je n'en ai pas fait de recension sur ce blog).

Bien sûr, il ne concerne pas la France, puisque la classe dirigeante prétendue française s'étant débarrassé dans l'allégresse du poids de ses responsabilités en bazardant notre souveraineté, nous n'avons plus de décision que de la couleur du papier peint (et encore, à certaines conditions dites écologiques).

Livre passionnant, mais, pour ceux qui n'ont pas le temps, le film Treize jours, même s'il simplifie beaucoup de choses, est très bien.

En résumé :

> Kennedy s'est isolé du bruit médiatique en invoquant une grippe.

> il s'est entouré de fidèles (dont son frère).

> il a tenu les rênes très courtes aux militaires en qui il n'avait, à raison, aucune confiance. Plusieurs fois, la simple application des procédures aurait pu mener à la guerre. Kennedy faisait court-circuiter la hiérarchie militaire pour vérifier au plus bas niveau quels étaient exactement les ordres.

> il a essayé de se garder des options ouvertes et de pas se mettre dans un cul de sac.

> pareil avec les soviétiques : il a essayé de ne pas les acculer.

> il a parlé publiquement de l'affaire quand ce n'était plus possible de garder le secret et quand des contacts étaient déjà noués.

La clé de l'affaire est qu'il a deviné qu'il y avait des tensions dans la direction soviétique et qu'il ne fallait pas donner du grain à moudre aux va-t'en-guerre.

Rappelons la fin de l'histoire : accord secret de retirer les missiles américains de Turquie un an plus tard et, en échange, les Russes ont retiré leurs missiles de Cuba.

(Billet commencé en 2022, terminé ce jour.)

jeudi, août 07, 2025

La guerre de 1870 (François Roth)

C'est une guerre que je connaissais mal. Je n'avais pas perçu à quel point la défaite était due à des fautes de commandement. Je comprends mieux Renan parlant de la nécessité d'une réforme intellectuelle et morale.

Les Allemands étaient supérieurs en artillerie de campagne, mais le fusil Chassepot français était plutôt meilleur. Surtout, nos ennemis étaient mieux organisés et plus entreprenants.

La guerre a commencé par des batailles de rencontre (Reischoffen, Gravelotte, Saint Privat) qui ont surpris les deux adversaires. Les Allemands ont pris des risques, qui ont payé à cause de notre désorganisation et de notre mauvais commandement.

A chaque fois, des réserves qui auraient renversé radicalement le cours de la bataille, transformant des défaites mitigées en victoires  nettes, sont restées inemployées, faute de compréhension de la situation et d'une communication claire.

Certes, dans l'ensemble, les Français étaient inférieurs en nombre, mais pas toujours localement. L'incapacité à équiper les réserves joue beaucoup dans le déficit français. Bref, le bordel.

Le grand n'importe quoi

Pour briser la spirale de la défaite, Napoléon III donna alors un ordre audacieux mais qui ne fut pas exécuté : le repli de l'armée sur Châlons. La retraite sous pression de l'ennemi est toujours un gros risque, mais ça permettait à l'armée de se réorganiser et d'étirer la logistique allemande.

Au lieu de cela, Bazaine, très surévalué (à sa nomination, ceux qui l'ont connu au Mexique ont dit « Nous sommes perdus », mais il était bien vu de la presse et de l'entourage de l'impératrice), s'enferma dans Metz et se défendit en dépit du bon sens. Avec le désastre que nous connaissons.

« Bazaine a capitulé ! » est le cri de désespoir d'un peuple trahi.

Pendant que Bazaine temporisait mortellement à Metz (alors qu'au début du siège, il avait tous les moyens de faire souffrir les Allemands, très aventurés), l'armée de Mac-Mahon, qui se trouvait à Châlons avec l'empereur, qui lui s'était replié, aurait du y rester pour couvrir Paris et recueillir les éléments fuyant depuis l'est. Hé bien, pas du tout ! Mac-Mahon reçut et exécuta l'ordre imbécile, venu du gouvernement maléfique de l'impératrice à Paris, de quitter Châlons et de remonter vers le nord à l'aveuglette, sans savoir où étaient les Allemands. L'empereur, malade, ne s'y opposa pas.

Cet ordre était tellement idiot que les Allemands furent surpris. Mais ils n'eurent aucun mal à coincer les Français à Sedan après quelques jours de poursuite, à la fois parce qu'ils étaient en nette supériorité numérique et parce que les Français étaient si mal renseignés qu'ils ont omis de couper les ponts sur la Meuse.

Avec leur tact habituel, les Allemands laissèrent les prisonniers français mourir de faim et de maladies.

Quand on manque de discernement ...

Voilà une guerre commencée sur une intoxication grossière (la dépêche d'Ems), dans un vide diplomatique abyssal (la France n'a aucun allié), que nous n'aurions jamais du déclarer (tout à perdre, rien à gagner), et qui s'enchaina sur des décisions inadaptées.

Ce n'est pas de la franche bêtise, mais un manque constant de jugement, de discernement : pas la bonne décision, pas au bon moment.

Quand on prend systématiquement de mauvaises décisions pour de mauvaises raisons (un peu comme nommer une femme parce que c'est une femme, si vous voyez ce que je veux dire), ça se termine rarement bien.

Alors que la guerre se déroulait sur le territoire national, donc au milieu de milliers d'informateurs de bonne volonté, le gouvernement et les militaires français étaient étonnamment mal renseignés, la plupart des décisions furent prises à l'aveugle, sur la foi de rumeurs non vérifiées, alors qu'il aurait parfois suffi de lire les journaux étrangers pour avoir une idée plus claire de la situation.

Les lignes télégraphiques étant faciles à couper, les renseignements circulaient mal et, de part et d'autres, des décisions furent prises à l'aveuglette. Mais, côté français, ce comportement revêtait un caractère systématique, sous le gouvernement républicain comme sous le gouvernement impérial, tout à fait étonnant.

Notre marine n'a joué aucun rôle, faute de préparation. Pourtant, elle était très supérieure à la marine allemande, puisque celle-ci était à l'époque quasiment inexistante.

Partout, les Français ont combattu avec un grand courage, donnant des scènes de chromo, comme Les dernières cartouches à Bazeilles.


Mais une défaite courageuse, ce n'est pas une victoire.

Pour le plus grand malheur de l'Europe, les Allemands ont joué un coup de maitre.

Une poursuite de la guerre pour la raie-publique

La suite, le siège de Paris, l'armée de la Loire, le gouvernement de Bordeaux, la Commune, sont des péripéties politiques, mais le sort des armes est scellé.

La guerre est poursuivie pour complaire à la clique de branquignols de Gambetta. Le seul résultat concret en est d'aggraver les souffrances des Français et d'alourdir la défaite de la France. Mais que ne ferait-on pas à la gloire de la raie-publique ? Un raie-publicain, c'est quelqu'un qui est toujours prêt à trahir les intérêts extérieurs de la France pour assoir sa position politique intérieure.

Les armées allemandes assiégeant Paris, étirées et loin de leurs bases, sont vulnérables. Mais, pour exploiter cette situation favorable, il eut fallu une énergie dans le gouvernement, une rigueur dans l'organisation et un talent militaire dont la France de l'époque est totalement dépourvue.

Ah ça, les déclarations ronflantes s'enchainent, le vieux Totor Hugo de retour d'exil, toujours aussi con (on peut être un écrivain de génie et un parfait crétin), en tête. Mais aussi, concrètement, les décisions malencontreuses : le gouvernement qui s'enferme dans Paris, la délégation de Tours mal choisie, les mobilisations brouillonnes, l'absence de travail diplomatique ...

Le peu de chances de rétablissement qui restaient à la France après les désastres d'août 1870 n'ont pas été saisies, même pas approchées.

Alors, certes, il y eut des épisodes admirables de courage et d'abnégation, mais rien qui fût bon pour le pays. La seule chose qui n'a pas manqué aux Français est la bonne volonté patriotique, mais, pour le reste, le jugement, le discernement, la méthode, la vision politique, le talent militaire ... aux abonnés absents.

Qu'est-ce qui différencie la résistance sublime d'un de Gaulle de l'obstination idiote d'un Gambetta ? La situation internationale.

Comme les Français ne sont pas les seuls à faire des conneries, Bismarck commit la faute majeure d'humilier la France et de faire peur à la Grande-Bretagne. L'Allemagne le payera très cher et c'est bien fait pour sa grande gueule.

En 1914, la mobilisation des réserves et le renseignement sont toujours aussi déficients, mais les autres problèmes ont été résolus. La France n'est pas isolée, les armes techniques (train, transmissions, génie) sont plutôt à la hauteur. Même si Joffre est une catastrophe, l'armée a su attirer et promouvoir des talents (je ne suis pas sûr qu'on puisse dire la même chose en 2025), le pays est beaucoup mieux dirigé. En 1914, la guerre commence aussi mal qu'en 1870 mais la suite est très différente.


mercredi, août 06, 2025

Les trois derniers chagrins du général de Gaulle (Anne et Pierre Rouanet)

Le second mandat, interrompu, 1965-1969, de Charles de Gaulle est celui où la bourgeoisie française a pu de nouveau exprimer, sous la caution morale de Georges Pompidou, sa pulsion anti-nationale.

Il est trop incertain de faire la psychanalyse de cette sempiternelle dilection pour la trahison, mais il est aisé de la constater. Elle se scande en dates d'infamies qui ne laissent guère de place au doute : 1815, 1871, 1940, 1946, 1968-69, 1992, 2008, 2017 ...

A chaque fois, compromissions avec les ennemis de la France au nom du raisonnable. Etrange, très étrange, raison qui tombe toujours du côté de la trahison.

S'il faut absolument lui donner une origine, disons 1763, quand cet enculé de Voltaire se réjouit de la défaite française au Canada.

Laissons la parole à Edouard Husson, qui m'a donné envie de lire ce livre, pour poser le décor :

1964-1969: Le Testament du Général

Faisons la liste des décisions et messages du Général de Gaulle, qui enjambent 1965 et qui sont autant d’éléments d’un Testament du Général:

+ le constat d’échec de la coopération franco-allemande en avril 1963.

+ la reconnaissance de la Chine populaire, le 31 janvier 1964.

+la conférence de presse sur la politique monétaire américaine, le 4 février 1965.

+ la politique de la chaise vide au sein des institutions européennes entre le 30 juin 1965 et 1966, pour y affirmer l’autorité de la France.

+ la sortie du commandement intégré de l’OTAN, le 7 mars 1966.

+ du 20 juin au 1er juillet 1966, la visite du Général en URSS

+ le discours de Phnom-Penh, le 1er septembre 1966, dans lequel, depuis le Cambodge, de Gaulle dénonce la guerre du Vietnam et l’impérialisme américain en général.

+ le discours « Vive le Québec Libre » du 24 juillet 1967.

+ la conférence de presse critiquant la Guerre des Six Jours, du 27 novembre 1967.

Limites de la construction européenne, arbitraire du dollar, éveil de la Chine, résurrection de la Russie sous le communisme, échec prévisible des guerres américaines, impasse dans laquelle s’enfonçait Israël….

Il n’est pas un sujet sur lequel le Général ne nous ait livré une clé pour comprendre aujourd’hui. Et pourtant, pendant 60 ans, c’est l’esprit de 1968 qui l’a emporté, avec, au bout du compte, la négation des avertissements ou recommandations du Général dans tous les domaines.

En 1969, la coalition des notables refusa au Général la régionalisation, le renouvellement de la composition du Sénat et la participation des salariés aux résultats de l’entreprise.

Aujourd’hui, la classe dirigeante française ayant accepté la fédéralisation de l’Europe, profitant d’une économie largement dollarisée, incapable de répondre à la main tendue de la Chine pour construire un nouvel ordre international, porteuse de sanctions contre la Russie, incapable de critiquer Israël, cette France-là, conduite par une haute fonction publique obsédée de centralisme et ayant jeté par-dessus bord tout patriotisme, est bien l’héritière de 1968.

Elle est certes en train d’agoniser mais elle refuse de lâcher le gouvernail.

Reprenons avec M. et Mme Rouanet

Vive le Ponpon libre ? (premier chagrin)

Finement, les Rouanet détectent la première fêlure politique entre De Gaulle et Pompidou le 25 juillet 1967, à propos de « Vive le Québec libre ! ».

Nota : quand De Gaulle déclare « J'ai payé la dette de Louis XV » (en fait, c'est le conseiller diplomatique Jean-Daniel Jurgensen qui l'a dit), tout le monde comprend. La classe politique n'est pas encore devenue le ramassis de pithécanthropes et de pouffiasses qu'elle est en 2025. Il n'est pas rare que De Gaulle s'en tire en conseil des ministres par une citation classique, cela lui permet de se faire comprendre sans s'expliquer. Je suppose que, pour obtenir le même effet, Macron cite des séries télévisées américaines.

Pompidou ne s'oppose pas à De Gaulle, il est plus fin que cela, mais on le sent agacé.

Il y a la différence de générations.

De Gaulle est de cette génération d'après la guerre de 1870, si bien décrite par Péguy, qui vit dans l'angoisse permanente de la disparition de la France. Puis il y a eu la défaite de 1940, que De Gaulle a vécu aux premières loges.

Pendant ce temps, Pompidou faisait le dandy littéraire.

On a dit de Giscard d'Estaing qu'il ignorait que l'histoire était tragique. Pompidou, qui est plusieurs classes au dessus, lui, ne l'ignore pas, mais il n'en a pas la sensation intime comme De Gaulle.

Pompidou pense loin, mais De Gaulle pense toujours plus loin. L'un compte en années, l'autre en siècles.

En tout cas, les ministres sont inquiets des réactions anglaises et négligent totalement la joie des Canadiens français. Tout l'inverse de De Gaulle. La fracture ne va cesser de s'élargir. C'est intéressant que cette fracture survienne à propos des intérêts anglo-saxons.

C'est caricatural de faire de Pompidou un pion des Rotschild, l'homme valait mieux que cela. Mais tout de même ...

S'en suit un long développement pour montrer que « Vive le Québec libre ! » n'est absolument pas improvisé mais que De Gaulle, à 77 ans, est pressé par le temps. Les détails me permettent de comprendre mieux comment le Canada est devenu, comme la Belgique, un non-pays, un pays dont l'identité est de n'en avoir aucune et de recueillir toutes les identités étrangères. En dissolvant l'identité québécoise dans l'américanisme, le Canada s'est dissous lui-même.

Le retour à Paris est douloureux.

Le ministre Couve de Murville laisse entendre que le Vieux s'est laissé emporter par l'enthousiasme populaire, alors que les plus fins ont compris. Comme quoi on peut être ministre et manquer singulièrement de finesse.

Son Excellence André François-Poncet commet dans le Figaro (le journal de la trahison de droite, l'imMonde étant le journal de la trahison de gauche) un article assassin évoquant la sénilité.

Pour une fois, De Gaulle se venge (il a le double défaut d'être ingrat et pas assez rancunier : il ne récompense et ne punit pas assez). M. François-Poncet perd sa place de représentant de l'Etat au comité de la Croix-Rouge. L'affaire fait jaser le Tout-Paris bien plus que le destin du Québec. La mystérieuse pulsion anti-nationale de la bourgeoisie française est aussi féroce q'une addiction à la drogue.

Et les auteurs de commenter en citant Stendahl :

Excellent juge des circonstances piquantes d'une intrigue et des petites choses en général, dès que le sujet dont on s'occupe prend des proportion héroïques la société de Paris n'y est plus. L'instrument de son jugement ne peut s'appliquer à ce qui est grand : on dirait un compas qui ne peut s'ouvrir passé un certain angle.

C'est mon quotidien des discussions dans mon entourage parisien !

Le fait est que même les pontes gaullistes étaient gênés par « Vive le Québec libre ! », à part (quelle surprise !) quelques gaullistes historiques.

Grande-Bretagne et Israël

Les deux ennemis de De Gaulle en 1967 sont la Grande-Bretagne, à cause de son son refus de l'entrée des Grands-Bretons dans la marché commun, et Israël à cause de l'embargo sur les armes suite à la guerre des six jours.

Ces deux problèmes intéressent beaucoup plus les milieux autorisés qui s'autorisent à penser que les Français.

Il y a souvent un épisode comique dans ces histoires très sérieuses : l'expression « Israël peuple d'élite sûr de lui et dominateur » que des gens de très mauvaise foi (non, Raymond Aron n'est pas ce parangon de vertu intellectuelle qu'on nous présente toujours) reprochent à De Gaulle est directement tirée de l'Ancien Testament, brûlot judéoophobe comme chacun sait.

En mai fais ce qu'il te plait (deuxième chagrin)

La participation et l'intéressement, entendus dans un sens très large, sont pour De Gaulle une réponse au malaise individualiste moderne, on est donc loin d'un simple complément de revenus.

Pour Pompidou, c'est juste une lubie du Vieux.

Les auteurs, sans avoir l'air d'y toucher, sont impitoyables avec Pompidou : ils écrivent que son défaut fondamental est d'être stérile, qu'« il n'ensemence pas l'avenir », ils expliquent ainsi son non-engagement dans la Résistance (Pompidou avait parfaitement l'âge et la capacité de s'engager dans la Résistance).

Je trouve que c'est très bien vu. Pompidou n'a jamais caché son admiration pour De Gaulle, on sent qu'il s'estime supérieur au sens académique (Normalien contre Saint-Cyrien) mais qu'il a bien compris que De Gaulle avait ce petit truc en plus qui le met « hors de toutes les séries » (l'expression gaullienne pour parler de sa décision du 18 juin). Dire que ce petit truc en plus est que De Gaulle porte des fruits (tout ce qui reste de bien en France vient de lui) alors que Pompidou n'en porte pas (sauf peut-être le programme nucléaire) me semble assez juste.

Durant la foire de Mai 68, c'est la « raison » pompidolienne qui échoue.

De Gaulle dit de Pompidou : « Comme tous les banquiers, il est inflationniste ».

De Gaulle voulait faire tirer dans les jambes des manifestants au début des troubles mais s'oppose à la proposition de Pompidou d'utiliser les chars de la gendarmerie avec la question « Et le jour d'après ? ». On comparera avec Macron n'hésitant pas à faire éborgner les Gilets Jaunes. Je n'ose insister.

Ce n'est pas faute que les notables « gaullistes », inquiets pour leur gamelle, défilent chez Pompidou, qui ne fait rien pour les décourager, en lui conseillant de se débarrasser du Vieux. Et pour la deuxième fois en quelques mois, les ministres trahissent De Gaulle en complotant dans son dos avec le premier d'entre eux.

Pierre Juillet et Marie-France Garaud rêvent de mettre les barons du gaullisme au placard. Leur ignoble créature, Jacques Chirac, y parviendra.

Tout cela, c'est de la tactique à la petite semaine. Quelle allure cela a, de la part de Pompidou, de reprocher à Georges Séguy de mal avoir préparé la salle où il s'est fait huer à Billancourt ?

Mais quand il s'agit de reprendre la main, c'est le Vieux qui est à la hauteur des enjeux. Comme dit un ministre, « On attendait un discours de pré-retraite, on a entendu fulminer Jupiter tonnant ».

Rembobinons la bande.

Le 29 mai au matin, De Gaulle fait mine de partir pour Colombey en prenant bien soin de ne déléguer aucun pouvoir, en convoquant un conseil des ministres pour le lendemain et en ne laissant que quelques instructions à des militaires et surtout pas à des politiques.

Vol en silence radio. Après le ravitaillement des trois hélicoptères à Saint-Dizier (on peut d'ailleurs se demander comment trois hélicoptères qui ne répondent pas à la radio parviennent à se ravitailler sans problème, les voies du gaullisme sont impénétrables), De Gaulle ordonne à l'hélicoptère de la sécurité militaire de s'arrêter là et aux deux autres hélicoptères de continuer, toujours en silence radio, en rase-motte pour échapper aux radars, à 78 ans, vers une destination qu'il indique au pilote sur un bout de papier. Mme De Gaulle serre son sac à main (Pompidou s'est trompé, avec son intelligence des habiles, en croyant  que Mme De Gaulle userait de son influence pour insister son mari à la retraite).

Très vite, Paris apprend que De Gaulle n'est pas arrivé à Colombey. La panique s'installe : le président de la république a disparu.

Ne savent que trois militaires qui gardent le silence : son gendre (le général Alain de Boissieu) qui est allé sonder les armées de l'est, son aide de camp Flohic, qui a organisé une partie du voyage et est dans l'hélicoptère avec De Gaulle, et le général Lalande, son chef de cabinet militaire, qui a organisé le transfert à Baden-Baden de la famille de Philippe De Gaulle, bref des gens qui se feraient découper en tranches plutôt que de trahir un seul mot.

Pompidou commet alors une faute de jugement qu'il remâchera jusqu'à sa mort. Il fait comme si le pouvoir était vacant et s'apprête à parler aux Français dans la soirée. Les anti-gaullistes, souvent d'étiquette gaulliste, se dévoilent dans son sillage. Les auteurs en profitent pour fusiller Jacques Chirac (le livre est de 1980) : il a tout été dans sa vie, sauf gaulliste.

La petite histoire rejoint la grande : De Gaulle a posé à Pompidou la question « Dormez vous ? ». Déjà malade, le premier ministre est dopé par les médecins et enchaine les nuits blanches. Ca peut faire perdre sa lucidité à l'homme le plus intelligent.

Giscard, plus fin, se dit que le vieux a plus d'un tour dans son sac et adresse en privé à l'Elysée une lettre de fidélité (qui n'aura pas de conséquence à cause du filtre du secrétaire général de l'Elysée, Bernard Tricot).

De Gaulle débarque à Bade-Baden à midi et s'enquiert auprès de Massu : « Et les Russes ? » (De Gaulle est De Gaulle : dans le foutoir général, il n'oublie pas d'avoir des vues larges). Le hasard (?) faisant bien les choses, un général soviétique est passé la veille rendre une visite de courtoisie à Massu et lui a dit, de militaire à militaire, que les troupes soviétiques en Allemagne ne bougeront pas quels que soient les troubles en France.


De Gaulle décrypte immédiatement le message politique du gouvernement soviétique : aucune agitation qui pourrait fournir aux Américains un prétexte à accroitre leur emprise sur l'Europe de l'ouest n'est bien vue de Moscou, y compris des manifestations de chevelus crasseux boulevard Saint Germain (n'oublions pas que deux des trois leaders de l'agitation étudiante sont financés par la CIA). Il peut donc faire planer la menace de de rapatrier des troupes d'Allemagne pour rétablir le fonctionnement du pays.

A Paris, les militaires apprennent assez vite où est De Gaulle, mais s'abstiennent d'en informer le gouvernement avant la fin de l'après-midi (pas très mystérieux : les militaires en ont marre de la chienlit politique et De Gaulle leur a envoyé des signaux sur une possible loi d'amnistie des rebelles d'Algérie, alors si le gouvernement Pompidou s'enfonce, ce n'est pas si grave). C'est pendant ces deux ou trois heures de latence que les pseudo-gaullistes et les ambitieux de tout poil se grillent.

La carrière politique de Pierre Mendès-France est terminée et Mitterrand a eu chaud aux fesses.

Pendant ce temps, les vrais gaullistes à croix de Lorraine (la guerre a créé des fidélités à la vie à la mort par delà les partis politiques) organisent, sous la houlette des barons du gaullisme que déteste tant Pierre Juillet, la manifestation monstre du 1er juin. Le gouvernement est tenu l'écart (ça devait rajeunir certains qui avaient passé 4 ans à tenir la Gestapo à l'écart de leurs affaires).

Retour à Colombey, puis à Paris. De Gaulle a préparé son allocution, où il prévoit un référendum. Mais Pompidou lui fait comprendre que, la censure du gouvernement menaçant, seule la dissolution de l'assemblée nationale est appropriée. De Gaulle se rend à ses raisons et modifie son texte une heure avant de s'adresser aux Français. C'est ainsi que ne s'est pas faite la participation.

Ca vaut le coup de ré-écouter, on est loin du verbiage de managers à la Macron :



La participation, piège à cons (troisième chagrin).

Pendant la campagne électorale pour les législatives de juin 1968, après la dissolution, le divorce entre Pompidou et De Gaulle est total. C'est frappant en lisant leurs déclarations.

Mais ni l'opposition, pressée d'unir les deux têtes de l'exécutif dans la même réprobation, ni la majorité, qui parie que Pompidou va être reconduit, ne perçoivent vraiment cette rupture. C'est très étrange.

La victoire de la majorité est écrasante sans emporter l'adhésion, De Gaulle est sans illusions, ce sont « les élections de la peur ».

En tout cas, De Gaulle nomme Couve de Murville premier ministre avec un seul objectif : réussir le référendum sur la participation.

Dès le début, ça merdouille : Couve n'est pas l'homme de la situation. Avec moins d'animosité que Pompidou, il trouve que la participation est une lubie du Vieux. De Gaulle sent bien que la situation lui échappe, tout le monde traine des pieds : il a le temps contre lui, tous les carriéristes savent que dans trois ans au plus tard, il est parti.

A l'automne, la spéculation contre la France reprend comme en mai et les Français devinent d'où le coup vient : l'argent de la relance flambé par Pompidou est utilisé par les patrons pour jouer contre la France. Des ministres pompidolistes favorisent cette spéculation contre la France dont, bien entendu, le dégueulasse Jaques Chirac. L'information remonte à De Gaulle mais il ne peut pas faire grand'chose.

Les notables et les notoires sont pressés de pouvoir recommencer à diner en ville (l'expression de De Gaulle pour Vichy) sans ces pénibles marottes gaulliennes, le destin de la France, le devoir et le patriotisme.

En 2025, la race en est florissante, Macron regnante : l'un d'entre eux m'a déclaré (il y a de la naïveté dans sa franchise) que Macron liquidait la France, que c'était très bien, que la France était déjà morte, trop petite (par rapport à quoi ?), dépassée, que le temps des empires était venue et vive « l'Europe ». Ca ne servait à rien de discuter, de lui rétorquer que Napoléon avait déjà dit le même genre de choses à Talleyrand.

Je lui ai juste promis que, si un jour je parvenais au pouvoir, les gens comme lui seraient fusillés ou envoyés en camp de travail manuel à la campagne. Il a cru que je plaisantais.

Reprenons. De Gaulle maintient le référendum sur la participation : il sait que s'il ne le fait pas lui-même, son successeur, quel qu'il soit, ne le fera pas. De Gaulle est mal secondé, ce n'est pas tout à fait le Roi Lear, mais syndicats, patronat et notables sont d'accord sur un point : pas de démocratie directe en entreprise.

En novembre 1968, De Gaulle réussit son dernier coup de maitre.

Les Allemands, notamment Franz-Josef Strauss, se comportant en laquais des Américains, exigent une dévaluation du Franc et en fixent même le taux. Le représentant de la France à la commission européenne, Raymon Barre, tombe malade d'une telle humiliation.

Le secrétaire d'Etat au budget, Jacques Chirac, marionnette du patronat et de Pompidou, se répand contre le budget dont il a la responsabilité, en arguant qu'il serait irresponsable de ne pas dévaluer.

En coulisses, le téléphone s'active beaucoup autour de Jean-Marcel Jeanneney, ministre d'Etat, entre copains d'université, copains de guerre, pour proposer à De Gaulle une alternative à la dévaluation, Jeanneney présente ce plan à De Gaulle une heure avant le conseil des ministres exceptionnel du samedi matin, dont tout le monde croit qu'il fixe le taux de la dévaluation, l'imMonde du vendredi soir a titré « La dévaluation est acquise, reste à en fixer le taux ».

La voiture de Raymond Barre fait la route Bruxelles-Paris à tombeau ouvert (il y a des choses dont on ne discute pas au téléphone). Il arrive à temps pour voir le président à la sortie du conseil des ministres et examiner les conséquences sur les partenaires européens de la décision française. De Gaulle lui dresse un tableau économique qui l'impressionne, lui, le professeur d'économie.

En fin de matinée, le communiqué officiel tombe, une courte phrase qui fait l'effet d'une bombe : « La parité du Franc reste inchangée ». Panique chez les spéculateurs piégés le week-end, les pompidolistes pris à revers.

Le plan Jeanneney (hausse de la TVA, rigueur budgétaire -bonjour Chirac) est adopté. Bien sûr, Pompidou devenu président fera cette dévaluation mais c'est une autre histoire. De Gaulle, lui a fait son devoir, pas de la lèche aux puissances d'argent.

Le dimanche soir, il fait sa dernière allocution aux Français. Il insiste que la décision de ne pas dévaluer et le plan associé ne sont que des pis-aller, que c'est tout le système monétaire international qu'il faut réformer (sous-entendu, revenir à l'étalon-or ou, mieux, au bimétallisme). Ô combien visionnaire !

Cette histoire donne une éclairage sur la méthode De Gaulle :

> il a une idée héritée d'une ancienne analyse ou de préjugés.

> il actualise ses informations en consultant séparément des experts, si possible variés. Il pose des questions mais ne laisse rien paraitre de ses préférences personnelles.

> il consulte les politiques.

> il dresse un tableau d'ensemble, en général en commençant par le plus noir, devant un interlocuteur privilégié, technicien du domaine concerné (Peyrefitte, Rueff, Massu, Barre, etc), qui en est impressionné. Cela lui permet de récapituler ses idées et vérifier que son raisonnement tient la route.

> il met en place les mesures d'accompagnement et la formulation juridique de la décision. Les ministres concernés sont alors avertis de la décision.

> la décision est rendue publique.

> une allocution ou un communiqué explique aux Français la décision. Les deux dernières étapes peuvent être fusionnées : décision annoncée lors d'une allocution.

Pompidou multiplie, à Rome et à Genève, les appels du pied à ceux qui veulent se débarrasser du Vieux en leur signalant qu'il est disponible pour le remplacer. 

Les auteurs (qui décidément n'aiment pas Pompidou) font deux remarques :

1) un homme d'Etat, à la différence d'un vulgaire politicien, ne parle pas de la politique intérieure depuis l'étranger.

2) parler de politique intérieure depuis l'étranger, c'est toujours prendre l'étranger à témoin, donc y faire allégeance. Le linge sale se lave en famille, c'est donc une manière de dire « Je ne fais pas tout à fait partie de cette famille, mais plutôt de la vôtre, celle de l'étranger ».

Ca doit être une habitude de rotschildien.

Le dernier discours public de De Gaulle est à Quimper. Ce n'est pas un hasard : sa destinée maritime empêche la France d'être prisonnière du cadavre européen. Tous les crétins qui disent « on devrait se débarrasser des DOM-TOM, ils nous coûtent cher » ont des cervelles de moineau ou, pire, ils ont à cœur d'autres intérêts que ceux de la France (ceux de l'Allemagne, de l'Amérique, de l'Angleterre, de l'Australie, de la Chine, au choix), auquel cas ce sont des traitres comme Manuel Valls et Emmanuel Macron.

Il aurait du faire le référendum en juin 1968. En avril 1969, les gens sont passés à autre chose et seuls les opposants (déclarés ou les faux soutiens) sont mobilisés C'est foutu (pas de beaucoup : 47,59 % pour le oui). Les forces de l'anti-France, de « jouir sans entraves », que ce soit une jouissance de consommateur classe moyenne ou de gros financier, ont gagné. Elles n'ont pas quitté le pouvoir depuis.

Le 28 avril 1969, Charles De Gaulle démissionne. L'homme des puissances d'argent le remplace, après un interim de l'homme de la trahison.

A mon sens, les grosses erreurs de De Gaulle sont :

> avoir négligé le sort des Français d'Algérie et des harkis. C'est encore plus une faute morale qu'une erreur politique.

> avoir trop délégué sur les questions éducatives.

> avoir trop délégué à Pompidou en mai 68.

Petit vacherie de Mme De Gaulle : aux obsèques du grand homme, elle serre la main du premier ministre Chaban-Delmas en lui disant « Il vous aimait beaucoup ». Pas un mot pour Pompidou, juste à côté.