Les braises de Craonne
FRANÇOIS D'ORCIVAL
Une semaine avant le premier tour de la présidentielle, un mois avant de quitter l’Elysée, François Hollande aura accompli ce dimanche un ultime geste : commémorer le centenaire d’un désastre. Avant d’écouter comme un cantique, La Chanson de Craonne, l’hymne des déserteurs. Célébrer le sacrifice tout en honorant la désobéissance en temps de guerre… La braise des mémoires n’est pas éteinte. Fallait-il la ranimer ? Le Chemin des Dames, ce n’est pas Verdun, cette victoire de la ténacité française, c’est une affreuse défaite militaire et morale. Elle suit la révolution russe de février 1917, l’abdication du tsar, la désintégration de son armée ; elle fabrique les mutineries de deux régiments qui vont contaminer huit divisions, jusqu’à enflammer des humeurs de folie collective à l’Assemblée. Et c’est Pétain qu’on rappelle pour sauver de l’humiliation une armée de 2 millions d’hommes.
Est-ce bien cela que va célébrer le président de la République ? « Infime ou immense, l’humiliation est si douloureuse qu’on la juge pire que la douleur », écrit Michel Zink, le grand médiéviste, dans un beau texte sur l’humiliation dont il cherche les sources jusqu’au Moyen Age *. Dans le prologue de son propos, il cite le cas d’un déserteur de la Grande Guerre condamné à mort. « Le malheureux est une loque, il faut le traîner. Un général croise le sinistre cortège. Il s’arrête, fait venir le condamné et lui dit : le risque de voir l’armée se débander exige que les déserteurs soient exécutés. On vous envoie donc à la mort pour la défense du pays, comme on envoie à la mort les soldats qui sortent de la tranchée. Vous aussi, vous mourrez pour la France. » Alors, dit Michel Zink, le condamné affronta la mort « avec courage et dignité ». Que lui dirait-on aujourd’hui selon les canons de la pensée dominante ? « Mon cher, je vous gracie et je vous félicite » ? C’est cela que l’on fait en écoutant pieusement La Chanson de Craonne. Michel Zink conclut son anecdote en expliquant : « Dans le cadre des valeurs alors admises par tous [en 1914-1918], ce général avait fait pour ce malheureux le plus qu’il pouvait en effaçant l’infamie attachée à sa mort. »
C’est hélas ce dont on n’est plus capable, parce que l’honneur et le courage ne sont plus enseignés comme des vertus cardinales. Si l’armée sacrifiée au Chemin des Dames n’avait pas été finalement sauvée, au prix inhumain des « fusillés pour l’exemple », l’appel à Clemenceau, en novembre 1917, eût été vain.
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