Olivier Rey remarque que la quantification du monde, l'avénement des statistiques, précède la modernité, comme une condition nécessaire. Ce n'est pas qu'auparavant, les hommes ne savaient pas compter, c'est qu'il n'en éprouvait pas la nécessité.
Traditionnellement, on part du tout, puis, dans l'analyse, on divise de plus en plus fin : le monde, la civilisation, le pays, la province, le village, la famille. Quand on ne peut plus diviser, on s'arrête, c'est le sens étymologique issu du latin du mot individu (même chose du grec avec atome).
Cela correspond à une vision du développement humain : on naît indifférencié dans une famille, un pays, une civilisation, puis, à force d'apprentissage et de vécu, on devient un individu, ayant sa personnalité, ses opinions, ses qualités, son épaisseur. On est d'autant plus homme qu'on est plus vieux.
La modernité inverse la perspective. Elle part de l'individu et construit de la base au sommet la société (terme apparu avec les Lumières), d'où la nécessité de la statistique. Le développement est inversé : l'homme naît libre, et bon. Il est peu à peu absorbé, et pollué, par le tout.
Seulement, la modernité, en inversant la perspective, a sacrifié une étape : l'apprentissage et le vécu.
C'est pourquoi l'individu moderne est un éternel adolescent, qui ne s'est pas construit une personnalité (gibier idéal pour la société de consommation). En bout de course, on obtient ce que Dalrymple appelle l'individualisme sans individualité : plus on est libre, plus on fait tous pareil (il n'y a qu'à voir la prolifération des bagnoles à gros cons noires, blanches ou grises).
Nos arrières-grands-parents paysans, une fois dégagés de leurs obligations militaires, étaient plus libres que nous ne le sommes. Moins licencieux, mais plus libres. Ils ne passaient pas leur vie encadrés de « Fumer tue », « manger bouger », « cinq fruits et légumes par jour » et tout un tas d'interdictions dont les plus dommageables sont celles qui limitent la liberté d'expression. Autre symptôme : la part de leurs revenus dont ils avaient la libre disposition était plus grande.
Bien entendu, ce léger problème de liberté est passager, pour deux raisons :
1) Les gouvernements s'efforcent, à coups de prévention, de conseils, de sollicitude et d'un peu de punition quand même de nous faire oublier ce que c'est. Bientôt, nous n'aurons plus de repères. La liberté des modernes comme la liberté des anciens nous seront aussi étrangères l'une que l'autre.
2) Notre société d'adolescents ne fait plus assez d'enfants pour se perpétuer, donc le problème devrait disparaître, faute de protagonistes.
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