lundi, mars 24, 2025

Dark Sun (Richard Rhodes)

C'est la suite de The making of the atomic bomb. Après la bombe A (à fission), la bombe H (à fusion).

La conception de la bombe H étant complexe, il vaut mieux commencer par la technique pour en comprendre l'histoire.

En effet, cette complexité joue en rôle central dans l'histoire de la bombe H. Elle explique notamment que c'est aussi une histoire d'espionnage soviétique.

La technique d'abord : la configuration Teller-Ulam

En préliminaire, je me permets de copier les explications techniques de wikipedia :

********************

Les réactions impliquant la fusion peuvent être les suivantes (2
1
D
 étant un noyau de deutérium 2H, 3
1
T
 un noyau de tritium 3H, n un neutron et p un proton3
2
He
 et 4
2
He
 indiquant des noyaux d'hélium 3 et d'hélium 4 respectivement) :

1. 2
1
D
 + 3
1
T
 ⟶ 4
2
He
 + 1
0
n
 + 17,6 MeV ;
2. 2
1
D
 + 2
1
D
 ⟶ 3
2
He
 + 1
0
n
 + 3,3 MeV ;
3. 2
1
D
 + 2
1
D
 ⟶ 3
1
T
 + 1
1
p
 + 4,0 MeV ;
4. 3
1
T
 + 3
1
T
 ⟶ 4
2
He
 + 2 1
0
n
 ;
5. 3
2
He
 + 2
1
D
 ⟶ 4
2
He
 + 1
1
p
 ;
6. 6
3
Li
 + 1
0
n
 ⟶ 3
1
T
 + 4
2
He
 ;
7. 7
3
Li
 + 1
0
n
 ⟶ 3
1
T
 + 4
2
He
 + 1
0
n
.

La première de ces réactions (fusion deutérium-tritium) est relativement facile à démarrer, les conditions de température et de compression sont à la portée d'explosifs chimiques de haute performance. Elle est par elle-même insuffisante pour démarrer une explosion thermonucléaire, mais peut être employée pour doper la réaction : quelques grammes de deutérium et de tritium au centre du cœur fissible produiront un flux important de neutrons, qui augmentera significativement le taux de combustion du matériau fissible. Les neutrons produits ont une énergie de 14,1 MeV, ce qui est suffisant pour provoquer la fission de l'U-238, conduisant à une réaction fission-fusion-fission. Les autres réactions ne peuvent se dérouler que lorsqu'une explosion nucléaire primaire a produit les conditions nécessaires de température et de compression.

L'explosion d'une bombe H se déroule sur un intervalle de temps très court : 6 × 10−7 s, soit 600 ns. La réaction de fission réclame 550 ns et celle de fusion 50 ns.

  1. Après l'allumage de l'explosif chimique, la bombe à fission se déclenche.
  2. L'explosion provoque l'apparition de rayons X, qui se réfléchissent sur l'enveloppe et ionisent le polystyrène qui passe à l'état de plasma.
  3. Les rayons X irradient le tampon qui compresse le combustible de fusion (6LiD) et l'amorce en plutonium qui, sous l'effet de cette compression et des neutrons, commence à fissionner.
  4. Comprimé et porté à de très hautes températures, le deutérure de lithium (6LiD) démarre la réaction de fusion. On observe généralement le type de réaction de fusion suivant.
    Lorsque le matériau de fusion fusionne à plus de cent millions de degrés, il libère énormément d'énergie. À température donnée, le nombre de réactions augmente en fonction du carré de la densité : ainsi, une compression mille fois plus élevée conduit à la production d'un million de fois plus de réactions.
  5. La réaction de fusion produit un large flux neutronique qui irradie le tampon, et si celui-ci est composé de matériaux fissibles (comme 238U), une réaction de fission va se produire, provoquant une nouvelle libération d'énergie.




A Bombe avant explosion; étage de la fission en haut (primaire), étage de la fusion en bas (secondaire), toutes suspendues dans une mousse de polystyrène.
B L'explosif haute puissance détonne dans le primaire, comprimant le cœur du plutonium en mode supercritique et démarrant une réaction de fission.
C Le primaire émet des rayons X qui sont réfléchis à l'intérieur de l'enveloppe et irradient la surface du tampon (la mousse de polystyrène est transparente aux rayons X et ne sert que de support).
D Les rayons X vaporisent la surface du tampon, comprimant le secondaire, et le deutheride de lithium-6 entame une réaction de fusion.

E Comprimé et chauffé, le deutheride de lithium-6 entame une réaction de fusion, un flux de neutrons allume la fusion du tampon. Une boule de feu commence à se former.
********************

Tout l'enjeu de cette conception dite Teller-Ulam est de faire en sorte que le déclenchement de la fusion vienne avant que l'énergie ne se soit dissipée ou que le développement de la boule de feu de la fission ait détruit la structure de la bombe.

Les premières conception de bombes H imaginées, qui viennent de suite à l'esprit, répartir la matière fusionnable à l'intérieur ou à l'extérieur de la boule de matière fissile ne fonctionnent pas correctement à cause de ce facteur de dissipation.

Ce sont ce qu'on appelle aujourd'hui des « bombes A dopées ». Celles que le CEA avait proposées à de Gaulle, à sa grande colère, quand nos atomistes n'arrivaient pas à mettre au point une vraie bombe H. C'est un physicien anglais qui a débloqué la situation (il connaissait les bombes américaines) avec l'aval de son gouvernement, en clignant littéralement de l'œil sur la bonne solution parmi les 3 que nos ingénieurs lui proposaient. On pense que la contrepartie était l'acceptation par de Gaulle de l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché Commun (on est dans la  cour des grands, les enjeux ne sont pas un passage supplémentaire chez Hanouna).

Cette conception Teller-Ulam repose sur 3 principes astucieux :

1) Séparer la matière fissile et la matière fusionnable.

2) Utiliser les rayons X.

3) Mettre un allumette fissile au centre du dispositif de fusion.


La différence de performances entre bombe A et bombe H

Une valeur « classique » de l'énergie dégagée par l'explosion d'une bombe à fission est d'environ 14 kT de TNT (soit 14 000 T).

De par leur conception, la valeur maximale ne dépasse guère 700 kt.

En comparaison, les bombes H seraient théoriquement au moins 1 000 fois plus puissantes que Little Boy, la bombe à fission larguée en 1945 sur Hiroshima.

Par exemple, Ivy Mike, la première bombe à fusion américaine, a dégagé une énergie d'environ 10 400 kt (10,4 Mt). L'explosion la plus puissante de l'histoire est celle de la Tsar Bomba (1961) soviétique de 57 Mt de puissance, qui devait servir de test à des bombes de 100 Mt. Ce fut une bombe de type « FFF » (fission-fusion-fission) mais « bridée ». Khrouchtchev expliqua qu'il s'agissait de ne pas « briser tous les miroirs de Moscou » (la Tsar Bomba a tout de même brisé des vitres à 130 km !). L'énergie maximale dégagée par une bombe à fusion peut être augmentée indéfiniment (du moins sur le papier).

Pour fixer les idées :

Une bombe A type Nagasaki détruit le centre de Paris.

Une bombe H classique, deux étages, détruit Paris.

Une Tsar Bomba détruit la région parisienne.

La Tsar Bomba n'a pas d'intérêt militaire : trop grosse, mieux vaut plusieurs bombes H classiques.


Espion, lève-toi !

Il est impossible de surestimer l'importance de l'espionnage dans le programme atomique soviétique. Pas d'espions, pas de bombe nucléaire.

L'URSS a d'excellents physiciens, tout aussi bons qu'à l'ouest, mais ils n'ont pas les moyens matériels d'expérimenter. Et, sans expériences, pas de progrès des connaissances.

Pour progresser, les Soviétiques sont donc obligés de se renseigner sur les expériences des autres et sur leurs résultats, par des sources ouvertes et par des sources beaucoup moins ouvertes. Les physiciens soviétiques font des synthèses remarquables et vont à l'essentiel.

Ils comprennent que les Etats-Unis ont mis en route un programme atomique en voyant disparaitre du jour au lendemain des sources ouvertes tous les atomistes américains.

A partir de 1942, les Russes profitent du pont aérien de matériels de la loi Prêt-Bail pour transférer, dans un sens, les espions (des centaines d'agents soviétiques -au moins 400 !- sont entrés illégalement aux Etats-Unis par cette voie) et pour transférer dans l'autre sens des documents (des dizaines de C47 -au moins 50 !- plein de valises et de cartoons de documents partent vers la Sibérie en passant par l'Alaska). Comment le sait-on ? Parce que des militaires américains voient le manège et font des rapports mais reçoivent l'ordre de ne pas intervenir.

Si les atomistes soviétiques sont abreuvés de nombreuses et excellentes informations, il y a du délai dans l'acheminement, qui se compte en mois.

Klaus Fuchs

Klaus Fuchs est un physicien de talent, juif, allemand, puis anglais. Et arrogant. Et communiste. Et agent soviétique. Pendant 8 ans, comme il est bon, il est au centre de tous les problèmes les plus sensibles et transmet l'information aux soviétiques. Contre lui, le cloisonnement est inefficace.

Kurchatov, le physicien qui dirige l'effort atomique soviétique, utilise les informations de Fuchs astucieusement (encore un qui a oublié d'être con).

Il fait travailler ses chercheurs. Puis, quand un certain degré de maturité de la réflexion a été atteint, il injecte les informations de Fuchs. Ca lui permet de ne pas perdre en compétence en ne donnant pas à ces gens des solutions toutes faites et de vérifier que Fuchs ne fait pas de désinformation.

Fuchs est repéré très tard, en 1949, malgré des soupçons qui trainent sur lui depuis des années. Sa contribution a été décisive dans la bombe A soviétique (qui est une copie conforme de Fat Man, les chercheurs soviétiques avaient une autre proposition, mais les chefs ont préféré jouer la sécurité), Fuchs a évité à l'URSS de tâtonner, économie considérable. Par contre, il travaille peu sur la bombe H, donc peu d'apports.

Après sa sortie de prison, il finira sa vie en Allemagne de l'est.

La morale, le moral et le recrutement

Los Alamos, entre 1943 et 1945, est le plus grand rassemblement de matière grise de l'histoire de l'humanité. On y croise autant de génies et d'esprits brillants que de détraqués pervers et corrompus dans un gouvernement Macron, c'est dire.

La motivation qui tient tout ce monde ensemble est l'anti-nazisme. Avec la paix et le constat des effets terrifiants de la bombe atomique, ce lien est dissous. La communauté de Los Alamos se disperse. Certains sont choqués par les effets de l'arme atomique à laquelle ils ont contribué. En septembre 1945, c'est l'envolée de moineaux, chacun retourne dans son université, travailler sur son sujet de recherche préféré.

Le rassemblement de génies étant dispersé et la motivation bien moindre, le développement de la bombe H va être plus chaotique.

Edward Teller

Teller fait partie de la mafia atomiste hongroise, comme Leo Szilard. Étonnant qu'un si petit pays ait donné naissance au tournant des années 1900 à une poignée d'atomistes majeurs.

Teller est un anti-communiste farouche. je ne peux le lui reprocher : comme Mitterrand (c'est bien la seule chose que nous ayons en commun), je pense qu'on n'est jamais assez anti-communiste.

1946, 1947, 1948, 1949 ... années atomiques

Les velléités de limitation des armements atomiques et de partage des connaissances sont vite étouffées par le début de la guerre froide (qui n'est pas totalement un fantasme américain mais relève tout de même beaucoup de la paranoïa, des deux côtés).

En 1946, quand les Soviétiques se battent pour fabriquer leur première bombe atomique, les Américains industrialisent la fabrication des bombes (40 par an).

Tout fonctionne mieux chez les Américains : l'uranium et le graphite sont plus purs, l'instrumentation plus précise. Cependant, ils ont leurs problèmes : Los Alamos ne renait, après l'envolée de moineaux de 1945, qu'au rythme de la construction de logements salubres.

Jusqu'en 1949, il y a pénurie de bombes atomiques chez les Américains (qui évaluent à 150 leurs besoins) puis ils prennent une habitude qui restera : évaluer leurs besoins en fonction de leurs stocks. Autrement dit, justifier ce qui existe au lieu de réellement définir un besoin. C'est ainsi que le besoin américain, évalué en puissance totale, sera multiplié par plus de 1000 alors que rien n'a changé chez le futur ennemi, l'URSS.

Le blocus de Berlin

Le général Tunner (rappelé de retraite au grand dam des galonnés d'active, c'est l'organisateur du pont aérien pour la Chine à travers l'Himalaya), qui organise le pont aérien pour Berlin en 1948, édicte 3 règles :

1) Les pilotes restent dans leur avion.

2) Vols aux instruments même par beau temps.

3) Approche ratée, retour à la base avec le chargement.

1 avion toutes les 3 minutes par tous les temps. 25 accidents sur 280 000 vols.

Le blocus de Berlin est pour ainsi dire le lancement officiel de la guerre froide, mais aussi la mise en place d'un accord tacite entre Américains et Soviétiques : l'affrontement aura lieu sur des terrains périphériques, pas d'affrontement direct entre Américains et Soviétiques.

C'est le premier effet de la peur atomique.

Paranoïa atomique

Le 29 aout 1949, première explosion atomique soviétique. Les Américains la détecte quelques jours plus tard en analysant l'atmosphère. Ils en évaluent assez bien la puissance à partir des isotopes.

Le président Truman met plusieurs semaines à se décider à rendre la nouvelle publique.

Les Américains se lancent alors vraiment dans le développement de la bombe H, sans évaluations préalables, ni techniques, ni militaires, ni économiques. « Développons la super-bombe et tout ira mieux ». Pourquoi ? Comment ? Mystère.

Une figure classique du management se met en place : la course du poulet sans tête. Cela ne plait pas à tout le monde mais les raisonnables pèsent peu par rapport aux hystériques affolés.

Pendant ce temps, Teller prend très mal les calculs de Stanislaw Ulam qui invalide sa conception (la première. Celle qui va finir par fonctionner est la troisième) de la bombe H.

En effet, il y a, dans l'explosion de la bombe à fusion, une course de vitesse entre la production d'énergie par fusion et la dissipation de cette énergie par divers phénomènes. Si l'énergie est dissipée plus vite qu'elle n'est produite, la réaction s'éteint. Ce calcul fait intervenir la géométrie de la bombe en trois dimensions, c'est impossible à calculer à la main. Il y faut les tout premiers ordinateurs. La puissance de calcul fut un problème récurrent pour les pays qui ont cherché la bombe H.

Von Neumann et Ulam sont les premiers à avoir des ordinateurs permettant de tels calculs.

Pendant ce temps, les physiciens cogitent plus sérieusement que les politiciens et que les bureaucrates, qui paraissent bien légers. Hans Bethe et Enrico Fermi refusent de retourner à Los Alamos travailler sur la bombe H, ils estiment immoral de contribuer à une telle arme.

En octobre 1949, les principaux atomistes, Oppenheimer et compagnie, se réunissent pour conseiller le gouvernement américain. Le conseil qui sort de ces réflexions est clair : les Etats-Unis ne doivent pas se lancer dans l'étude de la bombe H. Cette bombe n'a aucune utilité militaire, elle ne peut que produire des génocides et détruire le monde qu'on prétend sauver.

Pourtant, la course du poulet sans tête est la plus forte. Vite, faire quelque chose, n'importe quoi, mais quelque chose. Les Etats-Unis sont à trois mois du début de la paranoïa maccarthyste. Pour donner un ordre de grandeur de cette paranoïa : quand les Américains (certains) estiment que les Soviétiques auront atteint la parité atomique fin 1951, les vrais chiffres de bombes disponibles sont 298 à 5.

Maintenant, il n'y a plus guère de doutes. Le président Truman n'a jamais sérieusement envisagé de ne pas faire la bombe H, il a juste laissé les physiciens débattre pour donner l'impression d'un semblant de délibération.

C'est au pied du réacteur qu'on voit le physicien

Edward Teller a deux problèmes dans la course à la bombe H :

1) son caractère obtus qui le rend inapte à gérer une grosse équipe.

2) la difficulté à recruter (dont les causes sont plus vastes que le mauvais caractère de Teller : dans l'Amérique des années 50, les physiciens et les ingénieurs de talent ont des projets plus attrayants que de travailler sur une bombe génocidaire).

Pendant ce temps, la guerre de Corée est déclenchée et la paranoïa atomique subit son premier revers. Harry Truman refuse obstinément de vitrifier le Nord, malgré les demandes pressantes de ses généraux (la guerre est une chose trop importante pour leur être abandonnée, et ce n'est pas de moi).

Le chef du SAC, Curtis Le May, qui a rasé les villes japonaises et aurait vitrifié sans hésitation l'URSS et la Chine, est caricaturé (à peine), dans Docteur Folamour :

 

En 1951, déblocage de la situation. Les Américains collent un petit tube de D+T à une bombe atomique pour voir comment cela réagit, ça fonctionne et, de fil en aiguille, ils se disent qu'il faut développer cette idée. Ulam élabore cette configuration et Teller pense à se servir des radiations plutôt que de l'hydrodynamique. Les esprits avaient mûri.

Teller se montre absolument insupportable. Son talent, réel, ne vaut pas la zizanie qu'il sème dans l'équipe. La décision de la direction de Los Alamos de l'écarter est judicieuse, maintenant que la phase de développement commence.

Ivy Mike

Le 7 novembre 1952, les Américains font exploser Ivy Mike, leur première bombe H. 10,4 MT. C'est une preuve de concept : Mike pèse 74 tonnes (il faut réfrigérer le deutérium).

Ca ne se passe pas toujours aussi bien : la deuxième explosion de bombe H, Castle Bravo, en 1954, a été 50 % plus puissante que calculé, parce qu’il y a eu un rebond imprévu de la fusion (des éléments fusionnés ont fusionné entre eux, comme dans une soirée chez Dominique Strauss-Khan). Des spectateurs ont été irradiés. Cela met en perspective, par comparaison, l'excellence de la conception de la bombe A par le projet Manhattan.

Anecdote amusante : c'est en lisant The voice of the dolphins (que j'ai moi-même en cours de lecture) de Leo Szilard , procuré sous le manteau, qu'Andrei Sakharov, père de la bombe H (devant l'échec des conceptions en oignon, il a eu la même idée qu'Ulam sans recevoir d'aide de l'espionnage), conçoit les premiers doutes qui vont le mener à la dissidence.

Course aux armements

En 1951, les stocks de bombes A des deux côtés suffisent à la dissuasion, pas besoin de bombe H. Des déclarations d'Eisenhower et des dirigeants soviétiques vont de sens.

Alors, pourquoi la course aux armements qui a coulé l'URSS et la démocratie américaine ?

Deux raisons : la paranoïa et le complexe militaro-industriel.

Un chercheur des années 90 a fait une étude rétrospective. Les décisions à l'est et à l'ouest étaient liées aux changements internes (élections américaines ou changements ou Politburo) et non aux décisions de l'ennemi potentiel.

Et, dans les deux camps, le complexe militaro-industriel a pesé d'un poids mortel.

Il a fallu quatre guerres (guerre de Sécession, première guerre mondiale, seconde guerre mondiale, guerre froide) pour remplacer la république aristocratique américaine par une pseudo-démocratie impériale, ploutocratique et bureaucratique peuplée d'agences aux pouvoirs cumulés illimités que personne ne contrôle.

La paranoïa atomique y a joué un grand rôle, puisque la raison d'être de l'Etat Profond était de survivre à une guerre nucléaire.

Ainsi, si la bombe H n'a pas détruit physiquement l'Amérique, elle l'a détruite spirituellement. Par la paranoïa, elle l'a transformée en une chose très différente de ce qu'elle était à l'origine.

La guerre, c'est la santé de l'Etat. Quand vous entendez un homme de l'Etat vous parler de guerre, traduisez le : « Je veux accroitre mon pouvoir ».

vendredi, mars 21, 2025

Angle of attack. Harrison Storms and the race to the Moon. (Mike Gray)

Harrison Storms (naturellement surnommé Stormy) était le directeur technique de North American, responsable du module de commande d'Apollo.

Il fut désigné comme le bouc-émissaire, viré comme un malpropre, de l'accident d'Apollo 1. Alors qu'aujourd'hui, il est bien établi que le premier responsable était la NASA. Mais quand une administration mène une enquête sur elle-même, il est rare qu'elle s'accuse.

La féminisation des mentalités n'avait pas encore transformé les hommes en copines qui blablatent sans fin et rendu la vie aussi chiante qu'une agonie en EHPAD.

C'était l'époque des grands directeurs techniques, des hommes de fort caractère. Quand ça merdait (un programme, ça merde toujours à un moment ou un autre), la tempête soufflait dans les bureaux mais ils étaient excellents (les ingénieurs n'avaient pas encore été abêtis par la simulation), ils savaient décider et les projets avançaient vite.

J'ai déjà commis un billet sur la gestion de programmes à l'ancienne, quand les Occidentaux, n'étant pas encore devenus des tapettes craintives, faisaient des trucs qui arrachent.

Seul maître à bord après Dieu, le directeur technique (le chief engineer) a l'oeil à tout, il sent venir l'orage.

Son instinct technique l'avertit de la perfidie de détails apparemment anodins (la peinture, le fil à casser, les joints ...), il anticipe les difficultés, il envoie ses émissaires chez le sous-traitant le plus obscur si son intuition lui dit qu'il y a là un danger qui sautera sur l'ingénieur imprudent, au moment crucial.

Il tranche, il choisit, il décide. Il tient ferme la barre, ses avis tombent comme la foudre (et parfois comme l'oracle de Delphes). C'est un meneur d'hommes, on peste, on le maudit, mais on le respecte et on travaille.

Certains directeurs techniques sont restés célèbres : Henri Deplante chez Dassault, Kelly Johnson chez Lockheed, Roger Robert chez Matra, Lucien Servanty sur Concorde, Roger Béteille sur A300.

Ils avaient en commun, paraît-il, un caractère soupe-au-lait. On ne fait pas Apollo ou Concorde avec une bande de copines.

L'auteur Mike Gray, qui écrit en 1992, sacrifie à la  débilité féminolâtre et regrette (pourquoi ?) qu'il n'y ait eu sur Apollo qu'une seule femme ingénieur (c'est d'ailleurs faux) sans comprendre ce qu'il écrit : s'il y avait eu plus de femmes sur Apollo, ce programme n'aurait pas été le club de mecs fonceurs qu'il était et aurait échoué (bin oui, la vraie vie, ce n'est pas les fantasmes idiots du politiquement correct, c'est même l'exact inverse).

Mettre « des femmes dans la science », c'est le meilleur moyen que la science n'avance pas. Ou, si vous préférez, que la science avance à pas de fourmi plutôt qu'à pas de géant. Les femmes sont besogneuses, plus que les hommes, mais n'ont aucun génie (Marie Curie n'est pas Einstein). Aucune femme ne se fixera comme but dans la vie d'aller sur la Lune ou sur Mars, c'est trop farfelu, déraisonnable, puéril. Wernher von Braun et Elon Musk sont des hommes, et ce n'est pas du au machisme de la société.

Ce n'est pas une opinion misogyne de ma part, ce sont des faits aisément vérifiables. Mais, en nos temps où le réalisme est anathème, où être réaliste est pire que tuer des bébés phoques, en disant la simple réalité, je blasphème plus que si j'avais déclaré que Brizitte Macron était un homme (par exemple, au hasard).

La féminolâtrie est une expression de la pulsion de mort occidentale (comme l'écologisme et l'antiracisme, deux autres idéologies orthogonales à la réalité).

Stormy

Né en 1915, Harrison Storms, comme les grands scientifiques de cette époque, n'était pas un citadin. Elevé à la campagne, il avait comme tous un grand sens pratique. Anecdote significative : les directeurs de missions Apollo (une dizaine d'ingénieurs) faisaient tous leur mécanique automobile eux-mêmes.

Etudiant d'abord moyen, il est motivé quand il rencontre sa future épouse Phyllis, qui tiendra ferme la barre de la famille pendant que son mari affrontera les difficultés (l'esprit de l'époque n'avait pas encore appris aux jeunes femmes que l'idéal féminin consistait à comporter comme des pétasses vaines et capricieuses).

Sous la coupe Von Karman, il gérait la soufflerie de Cal Tech. Puis il choisit d'aller chez North American, la petite boite qui montait (à ce jour, North American détient le record, qui ne sera probablement jamais battu, du nombre d'avions militaires produits).

Il travailla comme un fou pendant la guerre (comme beaucoup de gens restés à l'arrière, il considérait qu'il n'avait pas le droit de prendre une minute de repos tant que des jeunes de son âge mourraient au front). Et après aussi !

Il est le père du XB-70 et duX-15. Scott Locklin considère que cela vaut toutes les créations de Kelly Johnson chez Lockheed, c'est un peu exagéré : il y a tout de même le SR-71 au dessus du lot.

Le premier travail important de jeune ingénieur d'Harrison Storms chez North American fut de calculer le décollage de B25 à partir du porte-avions Hornet (18 avril 1942).

Le X15

Le patron de North American, Dutch Kindelberger, n'était pas chaud quand Storms lui proposa en 1954 de s'engager dans la compétition X15. Il rêvait encore de grosse production, alors 3 prototypes ... Mais il laissa faire.

North American gagna de 1,4 point sur 100.

Premier vol moins de 5 ans après l'appel d'offres. De nos jours, il faut plus de 10 ans pour un missile et 20 ans pour un avion, qui ne sont pas moitié du quart aussi innovants que le X15. Quand je dis que nous sommes devenus des incapables, je ne parle pas en l'air.

Bon, il y avait les moyens financiers : le X15 valait trois fois son poids en or. Mais cela ne va pas dire grand'chose : les programmes actuels coûtent des milliards, étalés sur des décennies, pour des résultats pas forcément mirobolants (voir le F35).



X15, X16, X17 ... et Sputnik

Storms avait une idée rationnelle de la conquête spatiale.

L'avion spatial X15 permet d'étudier la limite de l'espace, puis, un jour, un X16, une navette spatiale, permet d'aller en orbite et d'en redescendre. Ensuite, on construit une station orbitale dans laquelle on peut assembler un vaisseau lunaire. Et, quelque part dans les années 80, on pose un homme sur la Lune. Et c'est en effet l'approche la plus rationnelle, à la fois techniquement économiquement.

Mais Sputnik et la panique qu'il a déclenchée chez les Américains en 1957 bouleversèrent tout cela.

Pourtant, Sputnik était en partie la conséquence du retard des Soviétiques : s'ils avaient besoin de fusées si puissantes, c'était que leurs bombes et leurs systèmes étaient 2 à 3 fois plus lourds que ceux des Américains. Et les décideurs américains en avaient conscience, mais ils ne pouvaient rien contre l'hystérie qui s'empara du public, qui est aussi constitué d'électeurs.

Ca serait donc la fusée.

Le programme Apollo

Au début des années 50, les Américains avaient trois programmes de fusées parallèles : US Air Force, US Navy et US Army.

L'US Navy et l'US Air Force se sont arrangées pour mettre le programme de l'US Army sur la touche alors que c'était le seul qui avait une chance de réussir, parce qu'il employait les Allemands de Wernher von Braun, qui avaient 15 ans d'expérience des fusées.

Von Braun n'était pas très aimé, les souvenirs de la guerre étaient encore frais. Quand il a publié une brochure I reach for the stars (Je cherche à décrocher les étoiles), certains ont ajouté malicieusement But sometimes I hit London (Mais parfois je tape Londres).

La NASA fut fondée sur le squelette de l'ancienne NACA.

Au début des années 60, les Américains prirent une série de décisions dimensionnantes et irréversibles. Elle étaient toutes très audacieuses, obéissant à une logique commune : optimales théoriquement, leur mise en pratique est totalement inconnue au moment où la décision est prise.

Les deux plus importantes :

> LOR : Lunar Orbital Rendez-vous. Le vol vers la Lune et retour se feront en détachant par étape des bouts de vaisseau et cela implique un rendez vous en orbite lunaire, à une époque où il n'y a jamais eu de rendez vous en orbite, lunaire ou pas. Où, d'ailleurs, les Américains ne sont pas allés en orbite de grand'chose.

> le deuxième étage S2 de Saturn V sera hydrogène liquide LH2 (au lieu du kérosène) + oxygène liquide LOX. L'hydrogène étant deux fois plus énergétique que le kérosène, ça se justifie, mais utiliser l'hydrogène liquide est très risqué. Quelques Américains avaient déjà travaillé expérimentalement avec de l'hydrogène, ils étaient moins effrayés que les Allemands. Von Braun s'y opposa,  puis après une nuit de calculs, finit par accepter, emportant le morceau. Sans cette décision, les Américains ne seraient probablement jamais allés sur la Lune. Les Soviétiques n'ont jamais sauté le pas de l'hydrogène et n'ont pas posé d'homme sur la Lune.

Common Bulkhead

Pendant ce temps, Storms bâtissait son équipe de pirates.

Il visait S2, mais surtout le module de commande, le morceau de choix.

Pour S2, il a poussé une décision technique audacieuse.

Pour des questions de tenue à la pression, les fonds de réservoirs d'oxygène liquide et d'hydrogène liquide sont arrondis.

Vous pouvez les empiler comme deux œufs par le cul mais beaucoup de place est perdu. Ou vous retournez l'un des arrondis et vous les empilez comme deux chapeaux melon l'un dans l'autre, zéro place et zéro masse perdues.

Bien évidemment, Storms voulait la seconde solution. Et elle posait des problèmes techniques à rendre fous les ingénieurs. Il fallait concevoir une cloison de séparation commune (common bulkhead) qui soit à la fois fois isolante (70°C entre LH2 et LOX), solide et légère, et qui bien sûr tienne les températures (LH2 : -252 °C).

On estime que cette décision a économisé entre 3 et 4 tonnes de structure (sur 36 tonnes de matériels autres que le carburant). Le S2 était composé de 92,6 % de carburant et de 7,4 % d'autre (structure, moteur, etc).

L'offre Apollo Command and Service Module (CSM)

Stormy convainquit Dutch, déjà très malade, de se lancer dans l'aventure du module de commande.

Autorisé à dépenser 1 million de dollars, il en dépensa 5 en deux mois ! Un ingénieur pointa 250 heures de travail .. en deux semaines. De la folie furieuse. Vous remarquerez que ce genre d'exploit n'est possible que si vous avez une femme dévouée à la maison qui s'occupe de tout le reste (je le répète pour bien que ça rentre : les grands exploits techniques sont impossibles ou très difficiles au temps du féminisme. Quand vous voyez une photo de Space X, il n'y a que des « mâles blancs » et je ne sais pas comment ils se débrouillent avec leurs femmes, s'ils en ont).

Contre toute attente, North American  remporta la compétition.

Ses atouts :

1) Moins disant : 400 millions de dollars. A la fin du programme, cette partie aura en fait coûté 4.4 milliards ! Mais ce n'est sans doute pas le plus important.

2) Une conception (relativement) simple. Ceux qui avaient commencé l'étude 2 ou 3 ans avant se sont retrouvés handicapés : noyés par la masse des problèmes qu'ils avaient identifiés, ils ont proposé des conceptions trop complexes.

3) Une longue habitude de confiance entre North American Aviation et les services officiels. Ils savaient que, quand ça merderait (hélas, ça a merdé encore pire qu'imaginé), NAA n'enverrait pas ses avocats et ses comptables, mais essaierait de résoudre les problèmes.

4) Charlie Feltz. Ingénieur réputé pour son extraordinaire sens pratique, il rassurait la NASA, qui le connaissait bien et qui savait que ça ne partirait pas tous les sens. Il avait supervisé la construction des X15. Un exemple : tout le monde était soucieux des vibrations et s'inquiétait que le pilote ne puisse même pas piloter. Feltz a eu un raisonnement simple : qu'est-ce qui vibre le plus ? Les tracteurs. Il est allé voir un marchand de machines agricoles pour l'aider à concevoir le siège du X15, et ça a fonctionné.


Harrison Storms et Wernher von Braun




Apollo 1

Le 27 janvier 1967, les astronautes Grissom, White et Chaffee moururent dans l’incendie instantané de leur capsule Apollo 1 lors d’essais au sol.

L’analyse de cet accident est simple :

1) Cause technique : la capsule a été étudiée pour une atmosphère 100 % oxygène à un tiers de la pression atmosphérique. Les essais au sol ont eu lieu dans une atmosphère 100 % oxygène à la pression atmosphérique, cette pression d’oxygène pur trois fois plus élevée que la spécification a transformé certains matériaux (les velcros pour empêcher les objets de flotter dans la cabine et le filet de nylon pour recueillir les objets tombés au fond) en bombes.

2) Cause organisationnelle : comme d’habitude, c’est l’implicite qui tue. Les équipes d’essais sont parties dans l’idée que la capsule était étudiée pour une atmosphère 100 % d’oxygène et la question de la pression est restée implicite. Lors de l’enquête la NASA a constaté que cette pratique datait du programme Gemini et que c’était un miracle qu’il n’y ait pas eu ce genre d’accidents avant.

3) Circonstance aggravante : la porte d’entrée n’était pas conçue pour une évacuation d’urgence.

North American avait vivement protesté contre ces deux décisions techniques (oxygène pur et pas de boulons explosifs), la NASA les avait imposées (la NASA craignait les pannes d’un système de renouvellement d’air trop complexe et ne voyait pas la nécessité d’une évacuation dans l’espace).

Lors de l’enquête parlementaire qui a suivi, les politiciens ont été égaux à eux-mêmes : bêtes et méchants (dans une démocratie médiatique, les politiciens de qualité ne peuvent être qu’un malentendu provisoire). 

Un sénateur a reproché au directeur de la NASA « une incompétence comme il n’en avait jamais vue ». Il ne devait pas avoir vu grand-chose dans sa vie : la NASA venait de réussir 16 tirs sur 16 en 6 ans en augmentant à chaque fois la complexité.

La NASA ne pouvait pas être coupable, sinon c’était la fin du programme Apollo. Cette raison explique d’ailleurs pourquoi certains politiques voulaient absolument que la NASA fût coupable, pour récupérer l’argent pour autre chose (guerre, corruption, assistanat. Gravy train comme disent les Américains).

La NASA fit donc comprendre à North American que l’heure des sacrifices humains était venue. Harrison Storms, qui n’avait rien à se reprocher (et tous les acteurs du programme le savaient), sauta. On le remplaça par un ingénieur terne et obéissant de Martin, celui là même qui avait perdu l'appel d'offres. Mais le plus pénible était fait dans la conception du module de commande.

Le problème technique fut résolu sans difficulté : la porte fut simplifié et, au moment du tir, l’atmosphère de la capsule comprenait une proportion d’azote qui était éliminé en cours du de vol.

Cette affaire eut un effet collatéral positif. Les politiques s’étant montré sous leur meilleur jour (antiphrase, évidemment), les gens du programme Apollo adoptèrent une mentalité obsidionale, « nous contre eux ».  Leur solidarité et leur coopération s'en trouvèrent renforcées.

Point intéressant : en 2025, l’Occident est noyé sous les procédures, toutes plus idiotes et paralysantes les unes que les autres (plus personne ne veut prendre de responsabilité, il faut que les procédures prennent les décisions toutes seules, c’est le turbo-sanscouillisme). Lors de l’enquête de 1967, on s’aperçut que, selon la procédure d’appel d’offres, Martin aurait dû gagner de quelques points le contrat du module de commande face à North American. On parla de corruption. En réalité, un décideur avait fait ce pour quoi il était payé : il avait décidé. Entre North American qui fabriquait quelques-uns des meilleurs avions du monde et Martin qui fabriquait quelques-uns des plus mauvais, il n’y avait pas photo dans l’esprit des gens de la NASA, à quelques points près dans l’évaluation de l’appel d’offres, en qui ils avaient le plus confiance.

La fin

Harrisson Storms et North American ont endossé le blâme d'Apollo 1 à la place de la NASA. Stormy a démissionné et s'est établi consultant. 

Les autorités ont forcé North American, excédentaire, à fusionner avec Rockwell International, déficitaire. Rockwell International étant géré par les financiers, le groupe a coulé dans les années 80.

L'esprit étroit, mesquin et cupide des financiers est totalement inadapté à l'industrie aéronautique, risquée et de long terme. Pour couler une boite aéronautique, rien de plus efficace : exiger une rentabilité régulière de cette industrie en dents de scie.

Les dépouilles de Rockwell International ont été rachetées par Boeing, qui a fait ensuite exactement les mêmes erreurs.

Entretemps, la NASA a attribué le contrat de la navette spatiale à Rockwell International. Certains pensent que ce fut une manière implicite de récompenser North American de sa docilité lors de l'affaire Apollo 1.

En fait, North American était foutu quand Dutch est mort. Son successeur, Lee Atwood était considéré comme le chief engineer des chiefs engineers, mais il lui manquait l'entregent politique pour échapper aux requins à grandes dents de Washington.


Documents : X-15 et XB-70

Video du X-15 :

 




 Video du XB-70 :



Lunatisme

Des connards propagent le doute. Voire affirment carrément que les Américains ne sont jamais allés sur la Lune. En anglais Moon Hoax, que je traduis par Lunatisme.

Je refuse de discuter sur le fond. Cette thèse est tellement absurde que discuter est déjà concéder des points à leur logique paranoïaque.

En revanche, ce délire paranoïaque est révélateur.

Qu'est-ce qu'Apollo ? C'est le plus grand exploit des Américains et peut-être de l'humanité.

Donc raconter des craques sur Apollo, c'est à la fois cracher sur les Américains et sur l'humanité. Quel bonheur !

En réalité, ce sont juste des petits mecs de 2025, en panne de tout, d'intelligence, de désir, d'audace, qui, devant leur ordinateur, éprouvent le besoin, pour ne pas regarder leur insupportable médiocrité en face, de souiller les géants des années 60.

Le lunatisme exprime bien la mentalité de notre triste époque.

samedi, mars 15, 2025

De Gaulle, le dernier réformateur (Jean-Louis Thériot)

De Gaulle est un moderniste, il rend l'arriération économique de la France des villages en pente douce responsable de la défaite de 1940.

Il est faux qu'il ait dit ou pensé « L'intendance suivra ». Au contraire, la moitié des conseils des ministres sous ses dix ans de présidence furent consacrés aux questions économiques et sociales.

L'économie n'est un but en soi mais le moyen de la puissance.

Quand il revient au pouvoir en 1958, il prend avec réticence, sur le conseil d'Olivier Guichard et de Pierre Lefranc, Antoine Pinay comme ministre des finances. Cela a l'avantage de rassurer les épargnants et d'assurer le court terme : la réussite de l'emprunt dit Pinay.

Mais Antoine Pinay n'est pas le quart assez audacieux pour ce que De Gaulle a en tête.

Ce dialogue (probablement apocryphe, on ne prête qu'aux riches) :

Pinay : Mon général, je crains de ne pas être d'accord.

De Gaulle : Moi, M. le ministre, je crains que vous ne soyez plus ministre.

Une légitimité exceptionnelle

Jamais depuis 1789, un dirigeant français n'a eu la légitimité de De Gaulle en 1959 : les pleins pouvoirs donnés par l'assemblée nationale, la réussite du référendum constituant, l'élection comme président par l'assemblée des notables.

Pourtant, la suite ne sera pas un chemin semé de roses.

Le comité Rueff

Le comité Rueff est bien dans les manières de Gaulle : audacieux avec ruse.

Jacques est un polytechnicien haut fonctionnaire, mais avec un parcours mi-public mi-privé beaucoup plus varié que la norme. Surtout, c'est un libéral aux idées originales.

Dans son comité, Rueff prend des immobilistes, des gens qui pensent que « la France va devenir le Portugal » et que leur devoir est de faire en sorte que cela se passe le moins mal possible en bousculant le moins de monde possible (rengaine connu) : des hauts fonctionnaires, des représentants de la banque et de l'industrie, pas de « partenaires sociaux ».

On voit bien le coup de poker de Rueff : s'il arrive à amener ces gens là de son côté, il aura obtenu une caution incontestable.

Le comité qui n'est pas secret mais discret (d'ailleurs, il y a déjà tant eu de comités vains que personne n'y croit, même pas ses membres. Ils ne comprennent pas le changement d'avoir De Gaulle aux commandes). Il se réunit pour la première fois le 30 septembre 1958 et commence ses auditions.

Rueff, à force de patience et d'écoute, amène les membres à ses raisons. Il rédige lui-même le rapport dans son manoir normand, 18 pages en français limpide, lisible par tous (quand on pense que nos bureaucrates d'aujourd'hui pensent passer pour intelligents en jargonnant et en baragouinant). Il le rend début décembre 1958.

Un train de mesures est pris qui rétablit la situation financière. En gros, ce sont les mesures que tout le monde savait qu'il fallait prendre mais que personne n'osait.

Habilement, un point de fixation, sur lequel le pouvoir est déjà décidé à faire des concessions, est créé sur la retraite des anciens combattants valides. Pendant qu'on discute de cela, le reste passe (presque) comme une lettre à la poste (à cette époque bénie où la poste fonctionnait).

Symboliquement, le nouveau Franc est mis en place.

Le comité Rueff-Armand

On essaie de recommencer la méthode qui assainit les finances avec l'assainissement de l'économie.

Malheureusement, après le coup de tonnerre du premier comité Rueff, le second ne peut pas rester discret, la presse et les « partenaires sociaux » s'en mêlent et tout cela s'enlise.

Confirmation qu'en France, demander l'avis des gens, consulter, c'est le meilleur moyen de ne toucher à rien et de ne rien faire. La seule méthode de réforme qui fonctionne, c'est le coup d'Etat, le coup de Majesté.

Sinon, on n'a que des « réformes » socialistes : soit furtives et vicieuses, soit empruntant la pente de la démagogie.

De Gaulle est trop occupé par l'affaire algérienne pour prendre lui-même le manche et ni Debré ni Pompidou ne sont à la hauteur du défi.

L'usure

En 1962, De Gaulle n'avait déjà plus la toute-puissance politique qui lui avait permis de passer en force avec le premier comité Rueff. Ceux qui font profession d'être des obstacles à tout avaient repris du poil de la bête.

Les leçons

1) Aller vite. Le réformateur dispose de deux ans, grand maximum. Trump semble l'avoir compris.  Cela suppose d'être prêt, d'avoir travaillé avant.

2) Travailler avec une petite équipe de cracks, en secret. Ne pas hésiter à passer en force (Trump et Milei). Foin de « l'Etat de droit » (qui est en réalité l'Etat de gauche). Sinon, vous tombez toujours sur des gens, les obstacleurs professionnels, qui ont le chic de tout ralentir pour les « meilleures » raisons du monde.

3) Anticiper les réactions des adversaires. De Gaulle s'est fait avoir par la grève des mineurs, pas Thatcher, qui avait passé des accords pour importer du charbon et avait corrompu les dockers.

De Gaulle a fait de grandes choses en économie, mais la crise algérienne qui l'a propulsé au pouvoir a accaparé sa légitimité. Pendant qu'il usait de son crédit pour faire passer la solution algérienne, il ne pouvait pas faire des réformes économiques conflictuelles.

(Nota : l'évocation de Macron dans le bandeau est du pur tapinage d'éditeur.)


mercredi, mars 05, 2025

End the FED (Ron Paul)

Il n'y a que deux problèmes importants en politique : la démographie et la monnaie. Le reste est du commentaire.

Les peuples comprennent très bien. le premier (sauf endoctrinement universaliste « antiraciste ») et absolument rien au second.

Ce livre, publié en 2009 et souvent réédité, parle d'un monde qui n'est déjà plus le nôtre.

En effet, Ron Paul est réaliste (les choses comptent) alors que nous vivons dans un monde complètement irréaliste (seuls les discours sur les choses, les représentations, comptent).

Ainsi, d'un point de vue réaliste, le dollar de 2024 ne vaut plus rien mais, dans notre monde irréaliste, tant que les gens veulent du dollar, no problemo.

Le livre de Ron Paul est tout de même intéressant : il montre comment la FED nous a amenés à ce monde irréaliste (là dessus, Ron Paul est très clair : la banque centrale est le moteur du Mensonge, de l'Illusion, de l'Irréalisme). Et, si un jour nous redevenions réalistes (suite à une guerre perdue par exemple), il serait de nouveau d'actualité.

La nécessité d'un mauvais système

Les banques centrales sont émettrices de monnaie, manipulatrices de taux et sauveuses de banques commerciales faillies. Elles sont intrinsèquement inflationnistes, même (surtout ?) lorsqu'elles prétendent lutter contre l'inflation.

Les fonctions politiques des banques centrales

Les banques centrales sont rendues nécessaires pour deux mauvaises raisons :

> la réserve fractionnelle, le fait que les banques commerciales peuvent prêter beaucoup plus que ce qu'elles ont en caisse. Rappel : le métier d'un banquier est d'emprunter à court terme, ce sont vos dépôts (lorsque vous déposez de l'argent à la banque, il ne vous appartient plus, vous le prêtez à cette banque) et de prêter à long terme. Pas la peine d'avoir fait vingt ans d'études pour comprendre que le fait que les banques puissent prêter 10, 20, 30 fois et plus que ce qu'elles ont est fondamentalement générateur de crises bancaires. Le métier de banquier est donc extrêmement risqué, d'où la recherche d'un prêteur en dernier ressort pour sauver leurs petites fesses.

> la cupidité de l'Etat. Quel délice pour l'Etat de pouvoir « imprimer » de la monnaie en appuyant sur un bouton (dans la réalité, en causant aux copains-coquins banquiers centraux, qui viennent des mêmes milieux, qui ont fait les mêmes études, et avec qui on est à tu et à toi), notamment pour financer les guerres.

L'idée même de banque centrale est belligène, puisqu'on peut financer les boum-boum-pan-pan avec de la fausse monnaie (c'est d'ailleurs pour cela qu'elles ont été inventées).

Les deux guerres mondiales n'auraient pas duré aussi longtemps sans les banques centrales. Vous ne serez pas étonné qu'Hitler fût vivement opposé à l'étalon-or. Les Etats-Unis sont sans cesse en guerre depuis que la FED existe, ce n'est pas un hasard.

L'idée même de banque centrale entraine l'abolition de la démocratie, puisque l'Etat peut acheter l'approbation du peuple avec de l'argent fictif. Comme dit Ron Paul, avec la monnaie de singe des banques centrales, les politiciens peuvent tout promettre à tout le monde.

Vous remarquerez qu'il suffit de supprimer le système fou de la réserve fractionnelle et de mettre un frein à la cupidité de l'Etat (Afuera ! Afuera !) pour que la nécessité de banques centrales disparaisse instantanément.

Une longue histoire

Il y a eu deux premières  tentatives de banques centrales aux Etats-Unis, qui ont pris fin en 1809 et 1836, les mentalités n'étant pas mûres pour l'abolition de la démocratie (c'est bien ainsi que les opposants présentaient l'enjeu à l'époque. Et ils avaient entièrement raison).

La création de la FED est un des rares complots réussis attestés dans l'histoire.

En 1910, les choses sont claires : il y a une majorité au Sénat pour considérer qu'une banque centrale est anti-démocratique et, donc, s'y opposer. Les dirigeants de Wall Street se réunissent secrètement (sous des noms d'emprunts) à Jekyll Island (nom prémonitoire). Ils veulent une banque centrale aux mains d'intérêts privés, exactement pour les mêmes raisons que les opposants : parce que c'est anti-démocratique, mais, pour eux, c'est une qualité. Et aussi, bien entendu, parce qu'ils comptent en tirer d'énormes profits.

Ils mettent au point une stratégie simple et efficace qu'ils appliqueront à la lettre. Ils font campagne (ils ont évidemment la grande majorité de la presse à leurs ordres) pour un système de réserve fédérale absolument inacceptable mais les discussions autour de ce projet acclimatent l'idée de banque centrale, puis, quand le fruit est mûr, ils proposent, en opposition à ce projet inacceptable, un projet plus « modéré », qui a toujours été leur véritable but et qui passe comme une lettre à la poste. Ces gens-là sont vicieux, mais personne n'a jamais dit qu'ils étaient bêtes.

De plus, ils font élire Woodrow Wilson, professeur d'économie à la solde de Wall Street durant toute sa carrière, sur un programme anti-Wall Street (plus c'est gros ...).

« Il est l'or, Monsignor. »



Ce graphique (attention, l'échelle est logarithmique) suffit à illustrer l'admirable dicton « La monnaie, c'est l'or. Le reste c'est du papier. ».

Pour être tout à fait complet, il faudrait y ajouter l'argent, tant le bi-métallisme parait être le système le plus efficace : à la fois souple et rigoureux.

Toujours est-il qu'en tant que réserve de valeur à long terme, l'or bat les monnaies-papiers à plate couture.

Surtout l'étalon-or a une vertu cardinale : il met un frein physique aux délires de puissances des hommes de l'Etat. C'est pourquoi ils le détestent.

Aux Etats-Unis, ce pays de la liberté, il était interdit, entre 1933 et 1975 aux particuliers de détenir de l'or, sous la menace de très lourdes peines.

Le 15 août 1971, la fin de la convertibilité du dollar en or, est donc une date très importante.

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Digression franchouillarde : les imbéciles qui nous tympanisent avec la loi de 1973 « Pompidou-Rotschild » (notez la discrète, si discrète, allusion judéophobe) ne sont que cela, des imbéciles.

Non, il n'y avait pas, au milieu de la cour de la Banque de France, un arbre magique sur lequel poussait l'argent gratuit et qui aurait été coupé par les méchants juifs. La « planche à billets » se payait toujours par l'inflation, qui pénalisait les pauvres, et la loi de 1973 n'a eu aucun effet sur ce processus. Et ce que l'Etat ne payait pas en intérêts, il le payait en dévalorisation de ses actifs. D'ailleurs, pourquoi me préoccupè-je de ces crétins ?

Il faut vraiment être le dernier des cons pour croire qu'il y a eu un jour un moyen facile, indolore et sans conséquences funestes de financer l'Etat de manière illimitée. Croire dans le socialisme, c'est croire au Père Noël pour les adultes.
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La FED et la politique

Congressman expérimenté (3 mandats entre 1976 et 2013), Ron Paul explique :

> Le Congrès se désintéresse totalement des questions monétaire, et même économiques, y compris dans les commissions spécialisées. Paul raconte cette anecdote qu'il apprend à un collègue de la commission monétaire que le dollar est détaché de l'or ! Tout ce qui passionne les congressmen, c'est d'avoir de l'argent à distribuer sans limite.

> il n'y a pas d'administration plus politique que la FED. Pour Paul, toutes ses décisions sont politiques, destinées à influer des élections.

La querelle des universaux toujours recommencée

En 1141, Bernard de Clairvaux atomise de manière fort peu charitable Abélard dans la querelle des universaux (réalisme par opposition au nominalisme), mais il donne ainsi trois siècles de répit à l'Eglise.

La question est toujours la même : les choses ont-elles une existence en dehors des mots que nous employons pour les désigner ?

Le catholicisme est profondément réaliste.

« Ce bout de papier vaut un dollar parce que la FED le dit » est de même nature philosophique nominaliste que « Roger est une femme parce qu'il dit qu'il est une femme ».

Il n'est donc pas étonnant que le règne de la monnaie flottante, totalement désancrée du réel, commence à la fin du bouleversement anthropologique des années 60, quand les églises se vident et le féminisme, ce précurseur du transgenrisme, triomphe.

Les civilisations sont cohérentes, même dans leur décadence.

Sans banque centrale

Ron Paul ne se fait pas d'illusions. Il sait qu'il ne sera pas facile de supprimer les banques centrales. Quand il écrit (2009), il dit même que l'intérêt des banques centrales est de pousser à la guerre. Après qu'elles aient provoqué tant de catastrophes, peut-être aura-t-on la sagesse de les supprimer.

Quand on interroge Ron Paul, « Par quoi remplacerait-on les banques centrales ? », il répond « Est-ce qu'on remplace les tumeurs cancéreuses ? ».

Si on supprimait les banques centrales, que se passerait-il ? Les banques et les Etats mal gérés feraient faillite, les monnaies de singe seraient remplacées par des monnaies plus solides.

Un moment très douloureux, mais l'assainissement moral, politique et financier est à ce prix.

Ensuite ? Très simple, on ferait comme avant les banques centrales.

La Monnaie de Paris existe depuis 864, la Banque de France depuis seulement 1800. Autrement dit, la France a vécu pendant plus de mille ans de banque centrale (baptême de Clovis 496).

L'émission monétaire serait gagée sur l'or (ou l'or et l'argent, encore mieux), on émet autant de monnaie qu'on a d'or. Simple, clair, sans entourloupe (mais pas sans tentative de rognage des monnaies, mais, au moins, c'est au grand jour).

Sans prêteur en dernier ressort, les banques auraient une forte incitation à la bonne gestion et les clients seraient obligés de se renseigner un peu.

Quant aux hommes de l'Etat, la distribution de friandises « gratuites » pour acheter les voix, finito.

Une vie économique et politique plus réaliste, plus saine. Et plus démocratique.

Enfin, je laisse le dernier, profond, à Javier Milei :

« Croire qu'imprimer plus de monnaie crée de la richesse, c'est comme croire qu'imprimer plus de diplômes crée de l'intelligence. »

Je dis que ce mot est profond parce qu'il y a effectivement des gens qui croient (tous les gauchistes par exemple, voir les 80 % d'une classe d'âge au bac de Chevènement) qu'imprimer plus de diplômes crée de l'intelligence.




lundi, février 24, 2025

Problèmes de notre temps (Claude Tresmontant).

Claude Tresmontant a tenu pendant quelques années une chronique de philosophie dans la Voix du Nord. Comme les chroniques d'Alexandre Vialatte dans la Montagne, on n'imagine plus cela aujourd'hui.

Ce recueil commence très mal : dans la préface, Tresmontant dit s'inspirer de cet enculé de Voltaire. Je comprends ce qu'il veut dire : Voltaire avait un talent pédagogique certain, mais l'exemple est tout de même fort mal choisi.

Ce n'est pas la première fois que je fais cette réflexion sur Tresmontant : il écrit des choses très intelligentes et très justes et, de temps en temps, une imbécilité indigne, comme de se dire de gauche, antiraciste ou de prendre comme référence Voltaire. Dans ce que j'ai lu de lui (qui n'est qu'une petite partie de sa grande production), je n'ai pas trouvé trace qu'il ait réfléchi sérieusement à ces sujets sur lesquels il donne un avis stupidement conformiste.

Plus grave. En 1977, Tresmontant fait encore l'éloge des « innovateurs » de Vatican II contre les « fixistes ». Sachant que la fréquentation des églises françaises a baissé de moitié entre 1960 et 1977, ce jugement ne témoigne pas d'un grand sens de l'observation, pour dire le moins.

Mais il se rattrape en faisant l'éloge des philosophes médiévaux et en se foutant de la gueule de ses collègues philosophes qui passent directement de Platon à Descartes.

Bref, j'ai abordé ces chroniques avec appréhension, en me disant que Tresmontant est fantastique pour l'exégèse de l'église primitive et pour la philosophie. Mais que, dès qu'il s'agit d'être réaliste et de parler de l'actualité, c'est un intellectuel crétin comme les autres, lui qui se réclame du réalisme intégral. Un curé de campagne a toujours plus de réalisme qu'un philosophe. Mon mépris des intellectuels de profession ne diminue pas.

Problèmes de Tresmontant

Ca commence fort, par une chronique totalement stupide, défendant l'abolition de la peine de mort (1977) sous le prétexte de la pacification de la société.

D'un point de vue réaliste, on sait que la peine de mort appliquée pendant plusieurs générations pacifie la société en éliminant avant qu'ils aient eu le temps de se reproduire les psychopathes et les caractères les plus violents.

D'un point de vue philosophique, jusqu'à l'hérétique François Zéro, le magistère catholique défendait la légitimité de la peine de mort légale avec des arguments autrement plus forts que « c'est pô gentil ».

J'en tire un théorème : plus Tresmontant s'éloigne de son sujet (l'ontologie chrétienne), plus il est conformiste et donc stupide. Toutes les intelligences ne fonctionnent pas comme cela : Montaigne et Pascal étaient capables d'avoir des avis originaux sur tout.

Je comprends mieux sa publication par la Voix du Nord, elle est sans risques : sur les sujets que les gens comprennent, Tresmontant est conformiste, sans danger. Et les sujets où il est original, les lecteurs s'en foutent.

L'exécution de Heidegger (et de l'université française)

En 1977, quand Tresmontant écrit, Heidegger est à la mode dans l'université français et il y est bien vu de considérer que son nazisme fut superficiel, momentané et carriériste.

En quelques pages, Tresmontant explique que la philosophie de Heidegger est obsessionnellement opposée à la création du monde, telle que la voient les juifs et les chrétiens : sous-entendu, son nazisme n'a rien de superficiel, il est ancré dans sa philosophie. Et que la mode d'Heidegger à l'université française vient justement d'un antijudaïsme/antichristianisme partagé.

Pour Tresmontant, c’est sans ambiguïté : le nazisme vient du fin fond de la philosophie allemande.

« Il est bien naturel qu'Heidegger s'écrie "Heil Hitler !" à la fin de ses discours aux étudiants en philosophie. »

Allez, encore une citation :

« Le vieux fond du paganisme antique, du paganisme de toujours, c'est la pratique des sacrifices humains : les enfants des hommes offerts en sacrifice aux divinités sanguinaires. Il n'y a pas lieu de s'étonner que la résurgence du paganisme germanique avec l'hitlérisme ait abouti lui aussi aux sacrifices humains, cinquante millions de morts »

Très belle exécution.

La publication posthume des carnets d'Heidegger, savamment échelonnée, où les allusions ne laissent aucun doute, donnent raison à Tresmontant a posteriori (donc bravo Tresmontant). La réhabilitation du nazisme, discrète mais tenace, à laquelle nous assistons en Europe à l'occasion de la guerre en Ukraine vient de loin.

Je regrette que Tresmontant ne parle pas d'Hannah Arendt (je suppose que, pour lui, c'est un personnage sans importance philosophique). Son avis m'aurait intéressé.

Une juive étudiante, amante et, surtout, passeuse, légitimatrice, d'un philosophe nazi, ça me chiffonne.

L'idée de banalité du Mal d'Arendt est trompeuse. Certes, le Mal est banal mais tous les hommes ne sont pas également mauvais. Eichmann n'a rien de banal, il a fait carrière dans le Mal.

Gunther Anders, lui aussi juif et étudiant de Heidegger, et ex-mari d'Hannah Arendt (la philosophie est plus souvent une affaire de cul qu'on ne croit) combattait Heidegger sans ambiguïté.

On remarquera (Tresmontant y insiste) qu'Heidegger est, comme l'ignoble Emile Combes, un séminariste défroqué.

La Création

Dans la Bible en version originale hébreu, le verbe « créer » est réservé à Dieu. L'homme « fait », « fabrique », il ne « crée » pas.

Cette idée d'une création du monde et d'un aboutissement du monde (la parousie) est tout à fait singulière par rapport aux philosophes grecs, entre statisme (le monde a toujours été et sera toujours pareil) et cyclisme (l'histoire est faite de cycles éternellement répétés).

Or, toutes les visions statistes ou cycliques supposent nécessairement des sacrifices humains, pour empêcher le monde de s'effondrer ou le cycle de s'arrêter. Ce sont les Aztèques trucidant à la chaine par peur que le soleil arrête de se lever. Il n'y a pas d'exception.

Nous vivons exactement la même chose avec l'absurde et mortifère culte climatique de Gaïa. Pour l'instant, les sacrifices humains consistent à pourrir la vie des gueux avec des obligations, des interdictions et des taxes « climatiques », mais si quelques uns mourraient au passage, ça ne chagrinerait guère les cultistes du climat, qui ne cessent de répéter que « nous sommes trop nombreux sur Terre ». Je suppose que ces très consciencieux écologistes ne s'incluent pas dans le « nous », sinon ils se seraient déjà suicidés.

Quand je vois des crétins qui roulent en enclumes à roulettes électriques, trouvent les éoliennes très bien, font minutieusement leur « bilan carbone » et qui se croient très intelligents, très rationnels et très responsables, ça me fait bien marrer : quiconque a un peu de culture et un peu de recul reconnaît dans l'écologisme le culte primitif de Gaïa et les trouve grotesques (et nocifs). Mais, justement, de culture et de recul, ils n'en ont pas.

Tresmontant est tout à fait à l'aise avec la science actuelle (Big Bang, évolutionnisme, génétique) puisqu'il pense que la Création se fait en continu et que les coups de pouce bénéfiques que les athées appellent le hasard, c'est Dieu.

Un point qui a évolué depuis que Tresmontant écrivait dans les années 70. Aujourd'hui, on ne sait pas faire apparaitre la vie si les constantes de l'univers (constante de gravitation, force faible, force forte, masse de l'électron ...) différent de quelques dixièmes de pour-cents de notre monde. Peut-être est-ce l'insuffisance de nos connaissances. Mais les athées sont obligés de recourir à l'hypothèse (non prouvée) d'une infinité d'univers pour expliquer ce réglage fin qui nous a permis d'exister. Tresmontant s'en serait réjoui.

Pour Tresmontant, la différence fondamentale entre nous et Saint Augustin, Blaise Pascal, Bossuet ... est que nous savons par les découvertes scientifiques (cosmologie, génétique) que la Création n'est pas achevée, qu'elle est un processus qui continue aujourd'hui.

Corps et âme

La séparation platonicienne du corps et de l'âme est erronée. L'âme est ce qui fait qu'un corps est un corps et non un cadavre, un amas de matière sans vie.

Dans la Bible, cette notion de séparation de l'âme et du corps n'existe pas. Depuis que Dieu a donné la vie à Adam, il n'y a pas de corps sans âme.

Cette séparation est gnostique et elle mène à toutes les conneries actuelles (prostitution, tatouages, laideur, dépravation, irréalisme, etc).

Ceci a des conséquences très concrètes : si on peut séparer le corps et l'âme, si le corps n'est qu'une guenille, alors on peut mettre à mort les individus ayant une conscience altérée ou inexistante, plutôt que d'en prendre soin comme c'est en réalité notre devoir. C'est tout le débat autour de l'avortement et de l'euthanasie (dans « euthanasie », il y a « nazi », ce n'est pas qu'un calembour).

Le christianisme est une théorie générale du réel.

Ce que, depuis Descartes et Pascal, nous appelons « foi » au sens de croyance est une erreur gravissime : dans la Bible, le mot hébreu traduit en français par « foi » signifie « connaissance », c'est-à-dire l'exact inverse.

Tresmontant est inflexible. Le christianisme est rationnel, il est possible de démontrer que Dieu existe et que son comportement décrit par le christianisme est le plus rationnel  pour expliquer l'expérience que nous avons du monde. C'est pourquoi, à la suite de Maurice Blondel, il appelle le christianisme « réalisme intégral ».

Ce sujet me tient particulièrement à cœur parce qu'il a des conséquences précises.

Depuis que l'Occident a cessé d'être chrétien, il sombre dans un irréalisme suicidaire : le climat peut et doit être fixé, une femme est un homme comme les autres, un étranger devient un autochtone du fait de poser le pied sur le sol de la patrie, les races n'existent pas, toutes les cultures, toutes les idées, toutes les opinions se valent, on peut changer de sexe, l'endettement n'est pas un problème, deux hommes ou deux femmes peuvent se marier, etc.

Les métaphysiques principales

Ca n'est pas faire injure aux lecteurs de la Voix du Nord de penser qu'ils ont un peu décroché.

Tresmontant pense (il en en a fait un livre intitulé Les métaphysiques principales) que toutes les métaphysiques peuvent se regrouper en 4 catégories :

Le matérialisme

Le monde n'est que matière, le surnaturel n'existe pas, nous n'avons pas d'âme et Dieu non plus n'existe pas. Tout ordre n'est du qu'au hasard.

Problème : le matérialisme est en contradiction avec l'expérience. En effet, puisqu'il n'y a rien en dehors de la matière pour la créer, la matière existe depuis l'éternité et pour l'éternité (tous les philosophes matérialistes en conviennent). Or, le Big Bang et l'expansion de l'univers rendent cette idée très douteuse.

Le monisme acosmique

L'Etre est un et s'instancie dans chaque être particulier. C'est par exemple, le brahmanisme.

Problème : une impossibilité de rendre compte totalement de la diversité des êtres.

Le panthéisme

Comme le matérialisme, tout est dans ce monde ci. Sauf que les choses sont divinisées. Mais toujours le même problème : Aristote pense que le monde est éternel et ne change jamais fondamentalement.

La métaphysique de la Création

C'est notre sujet dans ce billet : l'idée juive reprise par les chrétiens. C'est elle qui justifie l'expression « judéo-christianisme ».

Tous les intellectuels de bas étage (Soral, Hillard, Jovanovic, Durain etc.) qui se moquent de cette expression ont tout lu et rien compris. Rien n'est plus dangereux qu'un crétin besogneux, mieux valent, de très loin, les crétins fainéants.

La métaphysique ne m'intéresse pas

On peut aussi dire « La métaphysique ne m'intéresse pas ». C'est la majorité de la population (« Le drame de l'homme occidental, ce n'est pas qu'il ignore le sens de la vie. C'est qu'il ne se pose même plus la question » Vaclav Havel). Mais ce n'est pas parce que vous refusez de vous poser une question qu'elle cesse de se poser. Autrement dit, être un abruti complet ne fait pas disparaitre les questions que vous êtes incapable de vous poser.

Nos modernes nihilistes prennent le christianisme pour une religion de crédules et de péquenots. Contre-sens absolu : la séduction du christianisme est aussi (pas seulement) intellectuelle. A ses débuts, c'était flagrant.

Saint Ambroise, préfet et gouverneur de Milan, Saint Augustin, un des meilleurs rhéteurs de l'empire, et tant d'autres docteurs de l'Eglise, mangent des Macron, des BHL et des Onfray tous les matins au petit-déjeuner.

Jean-Sol Patre , les philosophes allemands, tout ça ...

Tresmontant fusille tous ces philosophes pour qui il ne s'est rien passé pendant les  2000 ans séparant la mort de Platon de la naissance d'Emmanuel Kant.

Or, pendant ces 2000 ans, il y a eu la philosophie chrétienne qui, contrairement aux lourds systèmes teutons qui vont suivre, s'efforçait de concilier la philosophie et la connaissance du monde (à la lumière de la Bonne Nouvelle, évidemment).

C'est flagrant quand on lit Saint Thomas d'Aquin. Le style est barbant mais il essaie d'être logique, carré, en partant de faits établis.

J'ai bien rigolé en lisant les satyres de la scolastique de Rabelais et de Montaigne, mais ils avaient tort sur le fond.

Antiracisme et antijudaïsme

Tresmontant se dit antiraciste, mais il a une définition très restrictive du racisme, loin de la définition étendue à l'infini utilisée de nos jours. Pour lui, est raciste qui considère que les non-blancs n'appartiennent pas à l'espèce humaine. Il reconnait sans problème qu'il existe des races humaines.

A cette aune, moi aussi, je suis antiraciste.

Tresmontant se moque de l'antijudaïsme (je préfère « judéophobie ») de certains chrétiens. Il ne les traite pas de crétins parce qu'il est poli, mais il dit qu'ils ne comprennent rien à la profonde communauté philosophique, de conception cosmologique et anthropologique, entre juifs et chrétiens.

« La philosophie grecque païenne va s'opposer violemment aux Judéens et aux chrétiens à cause de cela même : ils n'adorent pas pas l'Univers, la Nature divinisée.

Autrement dit, l'exécration que le Peuple hébreu suscite de la part du paganisme, ancien ou contemporain, tient précisément à l'origine du Peuple hébreu et au fait qu'il contient, qu'il porte, une information créatrice nouvelle, qui suscite une réaction d'horreur de la part du vieux paganisme, que l'on retrouve tout entier chez Ernest Renan, chez Nietzsche et bien d'autres.

[...]

Comme le disait un rabbi judéen, autour de l'année 29 de notre ère, à une femme de Samarie : le salut vient des Judéens. Hébreu : Ha-ieschoua min ha-iehoudim.

L'inconvénient d'un tel enseignement, nécessaire pour que les enfants comprennent le fond des choses, c'est qu'il ne serait pas tout à fait laïc. »

La norme, la certitude et la tolérance

Dans une chronique de novembre 1988, il explique que la norme est partout, découle de la nature des choses (un mouton à 4 pattes est normal, un mouton à 5 pattes est anormal). Refuser la norme, contester la notion même, est nihiliste, pathologique.

Il en profite pour glisser un mot sur la prévention du SIDA qui ne laisse aucun doute qu'il considère qu'il y a des pratiques sexuelles normales et des pratiques sexuelles anormales.

Il n'aurait pas été surpris par nos délires woke et transgenre, puisqu'ils découlent mécaniquement des errements philosophiques qu'il dénonçait déjà.

Tresmontant n'est pas pas du tout un relativiste. Toutes les opinions ne se valent pas, la Vérité existe et, non, nous ne vivons pas dans un monde d'incertitude totale.

Il se moque des philosophes à la Sartre Beauvoir. Pour lui, « On ne nait pas femme, on le devient » est un sommet de crétinisme.

La mort

Tresmontant ne s'aventure pas trop sur ce terrain.

Contrairement aux matérialistes, il pense que la mort n'est pas la fin de tout, mais il ne va guère plus loin.

Il a bien raison, parce que les paroles du Christ sur la mort et la vie après la mort sont les plus mystérieuses.

La crise (intellectuelle) de l'Eglise

Si Tresmontant erre à propos de l'esprit Vatican 2, il a bien compris un point important.

La crise de l'Eglise a de nombreux aspects, dont une faute intellectuelle.

Présenter la Foi comme un saut dans l'inconnu totalement irrationnel (position, en pratique, dans la pastorale contemporaine) est faux, et contre-productif face à des populations très rationalistes.

Au contraire, comme déjà évoqué, il est rationnel de croire le message chrétien. Les Pères et les Docteurs de l'Eglise ont toujours insisté sur ce point, même les mystiques. Saint Thomas d'Aquin y a consacré sa vie. Tresmontant aimerait que l'Eglise retrouvât ce chemin de la raison.

Bien sûr, à la fin des fins, la Foi ne vient qu'avec la Grâce. Mais pas en opposition de la raison, en complément.

Je suis d'accord avec lui : je suis toujours irrité par les effusions creuses à la mode.

Tout est simple.

Soit le monde est éternel, il n’a pas été créé, il est Dieu et il faut lui faire des sacrifices humains. C’est ce qui se dissimule derrière les mots bateaux « néo-paganisme » ou « écologisme ». C’est la position commune d’Alain de Benoist, de François Bousquet, de Marine Tondelier, de Sandrine Rousseau, des philosophes grecs, des communistes et des nazis.

Seul petit, minuscule, problème : cette position est infirmée par la cosmologie, le Big Bang et compagnie. 

Sur les intertubes, traine souvent la question « Nos ancêtres les Gaulois pratiquaient-ils les sacrifices humains ? ». Je n'ai pas besoin de preuves archéologiques (qui, de toute façon, vont plutôt dans mon sens), je sais que oui, puisqu'ils étaient païens.

Soit le monde a été créé, il a commencé un jour, il n’est pas Dieu, il n’y a pas besoin de lui faire de sacrifices humains. C’est la position commune des juifs et des chrétiens.

Et la cosmologie va dans ce sens.

A la lumière de ce choix fondamental s’éclaire la phrase de Tresmontant que je cite souvent :

« Toutes les grandes catastrophes humaines commencent par une catastrophe dans l’ordre de la pensée. »

Et cette catastrophe dans l'ordre de la pensée, nous sommes en train de la vivre, en conséquence de la déchristianisation. Je redoute la catastrophe humaine qui vient (déjà bien démarrée).