Les exaltés du Nord prennent le dessus sur les modérés. En novembre 1860, l'élection d'Abraham Lincoln, dont on a de sérieuses raisons de douter de la santé mentale (un article Wikipedia est consacré au sujet), rend la sécession inévitable, puisque le Sud se sent alors dans une position de colonisé par rapport au Nord (toujours la grande question de la légitimité : qu'est-ce qui justifie qu'on impose à des populations des politiques qu'elles refusent ?).
dimanche, décembre 29, 2024
Le blanc soleil des vaincus (D. Venner)
Les exaltés du Nord prennent le dessus sur les modérés. En novembre 1860, l'élection d'Abraham Lincoln, dont on a de sérieuses raisons de douter de la santé mentale (un article Wikipedia est consacré au sujet), rend la sécession inévitable, puisque le Sud se sent alors dans une position de colonisé par rapport au Nord (toujours la grande question de la légitimité : qu'est-ce qui justifie qu'on impose à des populations des politiques qu'elles refusent ?).
jeudi, décembre 19, 2024
L'été 14 (Adolphe Messimy)
Ministre de la guerre (à l'époque, on ne tourne pas autour du pot avec les titres ministériels) en 1911, puis du 13 juin au 27 août 1914. Après quoi, il passe la guerre au front (un ex-ministre en première ligne, ce n'est pas tous les jours. Chez les Anglais, il y eut Churchill).
C'est lui qui, en 1911, nomme Joffre généralissime. Il s'en mordra les doigts dans les tranchées (là encore, c'est rarissime qu'un ministre subisse directement les conséquences de ses décisions). Il a aussi essayé, sans succès, contrecarré par la collusion des industriels et des services de l'armée, de pousser l'artillerie lourde. La pénurie d'appuis lourds sera un drame de l'armée française jusqu'en 1916.
Ses carnets de l'été 1914 ont été publiés après sa mort, mais il en avait préparé l'édition.
Ils sont très intéressants.
La tension de cet été maudit est palpable, insupportable. Messimy est un colérique, instable. En conseil des ministres, il tente d'étrangler son collègue de la Marine (vous imaginez la scène !). Il indispose. Au moins, Messimy a, plus que ses collègues, conscience de la précarité de la situation de l'armée française.
Rappel, la journée la plus meurtrière de l'histoire de l'armée française, le 22 août 1914, 27 000 morts :
Il prend deux bonnes décisions, une excellente et une très mauvaise.
Les deux bonnes décisions :
> pousser les Russes à l'offensive immédiate dès fin juillet (sans cela, pas de victoire de la Marne).
> ordonner, contrairement aux plans, le transfert immédiat des divisions marocaines, elles arriveront juste à temps pour la Marne.
L'excellente :
> virer le général Michel et nommer Gallieni gouverneur militaire de Paris, en brusquant les procédures du temps de paix. Gallieni est un militaire comme on les voudrait tous : décidé, imaginatif, pertinent. Début août, il a imaginé que les Allemands traverseraient la Belgique par Liège et seraient début septembre devant Paris. Il en a discuté avec Messimy. Les événements confirment qu'il est l'homme de la situation.
A noter : en 1913, avait eu lieu un exercice sur table. Gallieni commandait les armées allemandes ! La conclusion était claire. Les armées françaises devaient adopter une stratégie défensive, pour empêcher les armées ennemies, plus nombreuses, de profiter des mouvements pour se déployer et nous déborder. Comme quoi, le désastre d'août n'avait rien d'un coup du sort imprévisible. La seule surprise (de taille) de ce début de guerre est la mobilisation des réserves allemandes, qui renforce l'argument en faveur de la posture défensive. Joffre était un âne (mais il a bien préparé la mobilisation, c'était le genre de travail bureaucratique adapté à ses capacités limitées).
Pendant ce temps, Lanrezac sauve l'armée française de l'encerclement après le désastre de Charleroi (21-23 août) en ordonnant le repli général (en désobéissance des ordres du GQG), puis s'effondre, à bout de nerfs.
La très mauvaise :
> soucieux de ne pas reproduire les fautes de l'impératrice Eugénie s'immisçant dans les opérations militaires, Messimy laisse la bride sur le cou à Joffre, qui est un butor sans imagination et sans honnêteté, qui rejette ses fautes sur ses subordonnés et n'hésite pas à falsifier ou à « perdre » des documents pour aménager sa gloire. Son attitude vis-à-vis de son ancien chef Gallieni (qui a tort d'avoir raison) est indigne.
Situation totalement folle, le GQG de Vitry tient le gouvernement, y compris le ministre de la guerre, dans l'ignorance totale des défaites françaises, que les ministres apprennent par la presse anglaise et la presse suisse, non censurées, et par les préfets, qui signalent l'avance de l'ennemi. Cela aurait du valoir à Joffre d'être fusillé avant la fin de 1914, une fois le danger imminent passé.
Et le débat avec Gallieni n'est guère mieux : Joffre veut une contre-attaque de face, front à front. Gallieni estime que les troupes sont trop épuisées et qu'elles se feront hacher. Il préfère une attaque de flanc. C'est évidemment lui qui a raison.
Le seul ordre direct que Messimy donne à Joffre est de fournir des troupes à Gallieni. Ordre salvateur. Quel dommage que le duo Messimy-Gallieni, qui avait une vision bien plus correcte de la situation, n'ait pas plus pesé.
Le gouvernement va trainer Joffre comme un boulet jusqu'à la fin de 1916, sans oser reprendre la main.
Les munitions
Et puis, il y a, dès août, la crise des munitions : l'état-major avait prévu de consommer 8 000 obus de 75 par jour, la consommation réelle est de 100 000 (et deux ans plus tard, 1 000 000 !). Messimy secoue les industriels et apprend que les composés chimiques pour fabriquer la mélinite venaient ... d'Allemagne !
Les solliciteurs
Le 23 août 1914, la situation des armées françaises est dramatique. Le GQG fait le black out mais les rapports des préfets ne laissent aucun doute sur la débandade des troupes et sur l'avancée de l'ennemi.
Le président du conseil René Viviani sollicite un entretien urgent au ministre de la guerre.
M. Viviani a une maitresse, cette dame a un mari mobilisé et ce monsieur n'aime pas l'ambiance de la chambrée, il préférerait coucher chez lui tous les soirs. Messimy a déjà dit non plusieurs fois à ce passe-droit. C'est pourquoi Viviani revient à la charge. On sent que, vingt ans après, Messimy reste saisi par l'incongruité de la démarche en de telles circonstances. Bien sûr, il refuse.
Il refuse d'ailleurs toutes les demandes de ce genre (il en a une liste longue comme le bras), inflexibilité qui lui fait beaucoup d'ennemis puissants.
Un solliciteur est plus malin que les autres. Devant le refus du ministre, il s'adresse à ses subordonnés (bien entendu, sans préciser que le ministre vient de refuser).
La faute
Messimy commet la faute, à la fois faute de goût et faute politique, de provoquer la « polémique du XVème corps ». Sur la foi de rapports erronés, il accuse, par l'intermédiaire d'un journaliste ami, les méridionaux doivent eu des « défaillances ». Tollé justifié. Au moment où s'engage une bataille dont dépend le salut du pays, c'est vraiment mal venu d'accuser une partie de la population. Messimy « saute ».
La pratique de Joffre de rejeter l'effet de ses propres erreurs sur les « défaillances » de la troupe est absolument ignoble quand on connait les trésors d'héroïsme des soldats français, bien révélatrice de ce petit personnage, pas à la hauteur des hommes qu'il commande.
En réalité, Messimy paye la catastrophe du mois d'août 14 (et encore : les politiciens ne connaissent pas l'ampleur des pertes, que le GQG leur cache soigneusement, ils ne comprendront vraiment, épouvantés, que début 1915. Tout de même, ils se doutent que ça ne va pas bien.) et sa droiture.
Son successeur Millerand aura la responsabilité des catastrophes joffristes et Messimy dit qu'il en est soulagé. Il finira la guerre général de division.
La nomination de Joffre et les drames qui en découlent ne sont pas des accidents mais le résultat logique du manque de légitimité de la raie-publique. Elle se sent si peu sûre de son bon droit qu'elle préfère nommer un crétin dont elle n'a rien à craindre (sauf la défaite).
Compléments :
Les carnets de Gallienivendredi, novembre 15, 2024
Charles de Gaulle : L'angoisse et la grandeur (Arnaud Teyssier)
Les anti-gaullistes (il en reste beaucoup) sont des crétins. Mais pourquoi ? Je mets à part les nostalgiques de l’Algérie française incapables de surmonter leur sentimentalisme. Pour moi, c’était simple. Pétain avait exposé une vision politique dans son discours du 17 juin 1940, de Gaulle avait exposé une vision opposée dans son appel du 18 juin 1940. La suite avait donné tort à Pétain et raison à de Gaulle, point par point. Pétain et les anti-gaullistes avaient tort, de Gaulle et les gaullistes avaient raison. Affaire réglée. Alors pourquoi cette persistance des anti-gaullistes ? Je pense que c’est le côté poétique, fou, qui irrite. Les anti-gaullistes prennent cela pour du mensonge, ce n’est pas totalement faux. C’est pourquoi ils traquent minutieusement ce qu’ils considèrent comme les mensonges gaulliens, sans comprendre que l’esprit est juste (la France a été militairement écrasée en 1940 mais c’était faux de croire cet état définitif. Donner aux Français des raisons de croire en eux-mêmes, à la France une motivation pour se redresser). Les anti-gaullistes reprochent à de Gaulle de se prendre pour Jeanne d’Arc alors que les gaullistes s’en félicitent. Quand les anti-gaullistes sont catholiques, ils sont doublement crétins : ne pas croire aux miracles, rejeter notre dirigeant le plus catholique depuis Louis XVI.
Teyssier a bien compris la nature révolutionnaire du gaullisme par rapport à ce qui se pratiquait depuis la chute du second empire, c'est-à-dire un régime bourgeois faussement démocratique (« La démocratie, c’est ce régime où les démocrates décident qui a le droit d'être élu » Charles Maurras).
dimanche, novembre 03, 2024
The second world wars (Victor Davis Hanson)
jeudi, septembre 26, 2024
Masters of the air
Déçu par cette série.
C'est du mauvais cinéma hollywoodien comme Sauver le soldat Ryan : beaucoup de violence et de sang en gros plan, zéro psychologie, personnages sans épaisseur, zéro contexte.
Toujours cette croyance absurde que la technique peut compenser le manque de talent.
Le film de 1949 Twelve o'clock high, avec Gregory Peck, était bien meilleur.
jeudi, août 22, 2024
Le grand rafraichissement (Benoit Duteurtre)
C'est une grande perte mais sa finesse et son intelligence n'étaient plus adaptées à notre époque de grossiers abrutis. Il sera plus utile et mieux reçu là-haut.
Parisien détestant Hidalgo (mais je n'ai pas cru comprendre qu'il appréciait Dati), il était d'une autre époque, son humour pince-sans-rire et cultivé était incompréhensible pour les cyclistes adulescents qui « sauvent la Planète » et se prennent très au sérieux.
Comme Houellebecq, je ne pourrai plus manger d'œufs mayonnaise sans penser à lui (c'était déjà le cas).
Dans cet ultime roman, il imagine que le prétendu réchauffement climatique laisse place à un refroidissement.
Il se permet quelques digressions, comme la loi Justice Equitable, dite loi LJE, qui oblige la police et la justice à condamner par quotas. Il raconte les rafles de bourgeoises blanches dans le XVIème arrondissement, condamnées lourdement pour des peccadilles (évidemment pour équilibrer statistiquement les arrestations de zyvas dans le 9-3). C'est terrifiant parce que le lecteur ne peut s'empêcher de penser que c'est plus une anticipation qu'une fiction.
Il décrit l'acceptation résignée des bourgeoises blanches à leurs injustes condamnations par « souci d'équité ». On s'y croirait.
Petite baisse de régime de Benoît Duteutre : ses amis intellos (de gauche, forcément de gauche) éclatent de rire quand il se prétend de gauche. Il croit qu'il existe une « vraie gauche » (dont il se réclame, évidemment) soucieuse des pauvres et des injustices. Il n'a pas compris que l'essence de la gauche était le nihilisme, la destruction. Oui, il y a bien eu par le passé des gauchistes soucieux des pauvres et des injustices, mais seulement comme des moyens de détruire la société.
La conclusion de ce livre, un peu en baisse par rapport à ses meilleurs, résonne très étrangement : il écrit qu'il ne se voit pas continuer à vivre dans ce monde où touts les plaisirs de vivre ont été stérilisés, aseptisés.
mercredi, août 21, 2024
Chateauvallon
L'avantage de ne pas avoir de télévision, c'est qu'on peut regarder ce qu'on veut à la télévision.
Je regarde Chateauvallon, une série française de 1984, en 26 épisodes, un peu imitée de Dallas, en moins violent et moins sexué.
L'histoire de la famille Berg, notables propriétaires du journal La dépêche républicaine, en 1978 et 1979 dans le val de Loire. Furieusement inspirée de la famille Baylet à Toulouse, propriétaires de La dépêche du Midi.
La série est restée célèbre par l'accident de voiture de sa vedette, Chantal Nobel, qui l'a interrompue.
D'abord, je suis très déçu par les bagnoles : quelques maigrichonnes Alfa, une 205 GTI, des Peugeot 305 et 604, pas de Mercedes pagode ni de Porsche. C'était une série « à la française » dont se moquaient les Inconnus : budget étriqué et ça se voit. Bref, rien d'extraordinaire de ce côté. Il y a quand même un Robin R3000.
Mais, enfin, c'est pas mal.
Mon personnage préféré est Antonin Berg, le patriarche, joué par l'excellent Jean Davy. Ses répliques cinglantes sont un délice. Il est intéressant parce qu'il est une fiction très réaliste : il correspond bien à ses fortes personnalités forgées dans la Résistance et la France Libre (Gaston Defferre prenant le journal Le Provençal le pistolet à main, par exemple. Ou Pierre Messmer, de légionnaire à Bir Hakeim, à premier ministre).
Il tient sa famille et son journal d'une main de fer et sa mort est évidemment le début des vraies emmerdes.
Question gouvernement des hommes, on est à des kilomètres des managers et des Petites Dindes Diplômées style Aurore Bergé, c'est un autre monde. C'est à se demander, comment, en 50 ans, on est passé de ce monde au nôtre.
Hélas, il meurt d'un cancer au 6 ème épisode. Cela a enlevé beaucoup de mon intérêt.
Je note que, quand il décide de se faire incinérer, toute la famille est scandalisée. En 2024, la mode de l'incinération reste pour moi un scandale.
Ensuite, ça se perd un peu. il y a un flic tout à fait marrant qui imite Galabru dans les moments de tension.
Mais ça me permet de revoir toute une époque, celle où pas un Français sur mille avait entendu le mot « hallal » et où un noir dans la classe était une curiosité, où les hommes étaient des hommes et les femmes étaient des femmes.
mercredi, juillet 24, 2024
De sable et d'acier. Nouvelle histoire du débarquement (Peter Caddick-Adams).
samedi, juillet 13, 2024
Un p'tit truc en plus
Comme je dois être un des très rares en France qui n'avaient pas encore vu ce film, je ne vais pas m'éterniser.
Deux braqueurs, père et fils, se réfugient dans une colonie de vacances pour handicapés, afin d'échapper à la police.
C'est bien fait, sans mièvrerie. C'est marrant, on passe un bon moment.
Les fins observateurs auront remarqué la plaque « Simone Veil » à la fin du film. Il est très douteux que ce soit un hommage.
On notera, phénomène désormais habituel, que ce film est boudé par Paris dans les mêmes proportions qu'il est plébiscité par la province (« si l'on examine les chiffres relayés par le site CBO Box-office, les entrées parisiennes du film représentent moins de 10% du total. A la date du 29 mai, les entrées représentaient 345 000 entrées à Paris sur un total de 4,5 millions »). Les Parisiens sont vraiment des connards, des handicapés mentaux dans leur genre, mais ce n'est pas une découverte.
samedi, juillet 06, 2024
Sidney Cotton: The last plane out of Berlin (Jeffrey Watson)
Beaucoup de crétins se sont moqué, pendant le délire covidiste, des excentricités de Raoult. Mais, sans ses excentricités, il n'aurait été qu'un petit prof de médecine de merde, qui aurait pensé toute sa vie comme tout le monde et n'aurait jamais rien découvert.
D'Astier de la Vigerie disait avec coquetterie des premiers Résistants : « Nous étions des ratés ».
Australien né en 1894, Sidney Cotton est l'inventeur de la reconnaissance stratégique moderne, homme à femmes, cycliquement riche et sur la paille, il a inspiré en partie Ian Fleming pour James Bond.
Il est aviateur naval pendant la première guerre mondiale, mais c'est ensuite que sa vie prend un tour intéressant.
En 1938, il se fait payer, en tant que civil, un Lockheed Electra (alors la pointe de la technique) conjointement par le Deuxième Bureau et par le MI6.
L'authentique Electra de Cotton
Il se balade au dessus de l'Allemagne comme homme d'affaires, avec des caméras dernier cri qu'il a installées lui-même, prenant en photos toutes les installations d'intérêt militaire. Son assistante, Pat Martin, est une superbe jeune femme (affectée d'un pied bot, mais parait-il que cela nuisait peu à sa beauté) de 27 ans sa cadette. Inutile de faire le calcul : elle avait 17 ans. Il la libérera ensuite en lui disant d'aller faire sa vie avec un homme de son âge. Elle en gardait un souvenir ému (ça se comprend : faire l'espionne à 17 ans en compagnie d'un homme riche, séduisant et sympathique, une vie de rêve).
Bien sûr, il a fait les premiers voyages à vide, pour laisser aux Allemands le loisir d'inspecter son appareil sous toutes les coutures. Les Allemands ne sont peut-être pas totalement dupes, mais comme ils ont un intérêt politique à faire peur aux Britanniques, ça passe.
Il s'acoquine avec l'entourage de Goering. Comme il ne manque pas de toupet, Cotton emmène des nazis voler en même temps qu'il prend des photos (les appareils sont vraiment bien dissimulés, c'est du travail d'artiste).
En août 1939, Cotton a l'idée saugrenue, qui donne des sueurs froides à ses commanditaires (toute sa vie, il sera un électron libre) de sauver la paix lui-même par l'intermédiaire de Goering. Bien sûr, cela échoue. Mais il a le douteux privilège d'être le dernier pilote étranger à quitter Berlin juste avant le début de la guerre, il a eu chaud aux fesses.
La reconnaissance stratégique
Incorporé dans la Royal Air Force pour des raisons administratives, il est toujours aussi peu militaire.
Il installe son équipe de pirates dans un coin isolé d'un aérodrome civil (Heston).
Il réclame deux Spitfires, à l'époque où ils valent leur poids en or massif. On les lui refuse. Pas grave, il s'arrange avec Supermarine pour aller les chercher à l'usine. Gros bordel administratif et susceptibilités froissées.
Ils les dépouillent de tout leur équipement militaire (blindage, mitrailleuses etc) et les truffent de caméras et de réservoirs. Le RAE (Royal Aircraft Establishment) de Farnborough (la sépulture de Napoléon III est à Farnborough), l'équivalent de notre STAé, lui dit que ça ne marchera jamais, à cause des problèmes de centrage.
Les Spits de Cotton volent plus haut, plus vite et beaucoup plus loin (distance franchissable multipliée par 3) que les Spits ordinaires. Nouvelles susceptibilités froissées.
Il recrute des pilotes un peu particuliers. Le dicton est « Un pilote de grande reconnaissance, c'est un pilote de chasse avec un cerveau », en fait il préfère les pilotes de bombardier, plus posés, plus réfléchis.
Il professionnalise toute la chaine jusqu'à l'interprétation. Il remplace les bonnes vieilles loupes par de l'optique dernier cri.
Il va lui-même présenter ses albums de photos à Churchill, à l'époque premier Lord de l'Amirauté (la Navy aide Cotton pour des questions de rivalités avec la RAF, c'est comme ça que Ian Fleming, officier de marine, a fait sa connaissance). Nouvelles susceptibilités froissées, rengaine connue.
Ah oui, et Cotton se balade dans Londres en respectant très approximativement le code de la route, dans une Hotchkiss rouge, un peu l'équivalent d'une Ferrari. Le truc discret.
Beaucoup de susceptibilités froissées, certes. Mais il est soutenu par quelques pontes, tout simplement à cause de son efficacité. Avec 10 fois moins d'avions que les unités de reconnaissance classiques, il rapporte plus de photos, et meilleures.
Ses Spitfires ont vu la colonne blindée allemande qui traversait les Ardennes.
Un des problèmes de ces reconnaissance à haute altitude est que les vols sont détectables par les trainées de condensation (hello, les crétins qui croient aux chemtrails).
La bureaucratie fait la peau de Cotton
Comment vient à Cotton l'idée, objectivement idiote, d'aller repêcher contre rémunération Marcel Boussac en pleine débâcle de 40 ? Finalement, cela ne s'est pas fait, mais cette histoire a entachée la réputation de Cotton comme si cela s'était fait.
Bien entendu, ses ennemis s'en donnent à cœur joie, mais bon, il a un peu cherché. On lui reproche aussi d'avoir généreusement distribué l'argent de la RAF à des amis. C'est vrai, mais ils avaient des compétences que la RAF n'avait pas. Qu'est-ce qui coûte le plus ? De l'argent jeté par les fenêtres pour un truc qui marche ou entretenir, en comptant chaque shilling conformément aux procédures, une escadrille totalement inefficace ? La réponse des bureaucrates, ces sous-hommes, vous la devinez.
Mais il est vrai qu'il y avait des accusations plus sérieuses : le mélange militaire/civil missions/affaires laisse un goût désagréable, on n'est jamais loin de la concussion. Et puis, il vend des armes américaines pour son propre compte aux Français.
Les Français le détestent. Son côté mythomane nuit à sa crédibilité. Et sa manière de se balader avec une escorte de jolies femmes fait bien peu militaire, et les militaires français sont assez coincés (même si une rumeur, infondée, bien sûr infondée, dit qu'il est allé au bordel avec Vuillemin, le chef d'état-major de l'armée de l'air).
Bref, le proverbial vase et la non moins proverbiale goutte d'eau ...
Il est privé de son unité et restera conseiller technique. Mais les bureaucrates de la RAF ont quand même été assez avisés pour se débarrasser de lui quand son unité était sur les rails. La Bataille d'Angleterre n'est même pas commencée que la carrière de Cotton comme aviateur est finie.
Puis il est emmerdé pour avoir travaillé avec une puissance étrangère ... les Etats-Unis. La bêtise bureaucratique à front de taureau. A l'époque, la politique britannique était de tout faire pour attirer les Américains dans la guerre (on est à quatre mois de Pearl Harbour).
Probablement une dénonciation de la RAF : pour des raisons que j'ai expliquées dans un autre billet, la hiérarchie de la RAF des années 40 était, à quelques brillantes exceptions près qui ont sauvé les meubles, un ramassis de sales cons. La RAF, eu égard aux moyens énormes qui lui étaient alloués, fut plutôt un échec. Les villes allemandes ont été rasées, et alors ? Pour quel impact militaire, économique et politique ? Plus d'officiers aviateurs britanniques sont morts pendant la deuxième guerre mondiale que d'officiers d'infanterie pendant la première guerre mondiale.
On ne sait pas bien ce que Cotton a fait entre 1940 et 1945. Probablement pas grand'chose.
Trafiquant d'armes
Après la deuxième guerre mondiale, il y a : des guerres de décolonisation, des armes et des avions bradés, des pilotes au chômage.
Cotton n'est pas le seul à avoir l'idée d'additionner tout cela. Il gagne des fortunes, qu'il dépense aussitôt en prostituées et en drogue.
Les prostituées, c'est affaire de goût. Mais la drogue à 50 ans, ça fait vraiment minable (à tous les âges, d'ailleurs).
Dans les années 50, alors qu'il aurait pu profiter des quelques millions qu'il lui restait, il s'embarque dans une histoire d'achat de concession de pétrole. Il se fait rouler dans la farine par les Saoudiens (il est bien trop brouillon et impulsif pour l'emporter face à des arabes patients et retors) et sort ruiné de cette aventure.
Une triste fin
Il se remarie en 1951 avec sa secrétaire de trente ans sa cadette (une de ses ex-épouses a fait remarquer qu'il n'aurait pas supporté le choc d'une femme qu'il n'aurait pas dominée). Ils ont deux enfants. La misère après l'affaire saoudienne (qui n'arrête pas les folles dépenses de Sidney) détruit le mariage.
Son épouse, aigrie avec quelque raison, dira toute sa vie qu'un seul mois du temps de leur splendeur leur aurait permis de finir leur vie tranquilles au lieu de quoi Sidney Cotton a fini sa vie en tapant les uns et les autres et n'a laissé que des dettes.
Il meurt en 1969.
Une reconnaissance (!) tardive
Aujourd'hui, Sidney Cotton est considéré comme le père de la reconnaissance stratégique : avions spécialement adaptés, matériel photographique de pointe, notamment la prise de photos déroulante, équipe d'interprétation professionnelle.
Ces éléments existaient plus ou moins dans d'autres forces aériennes, mais jamais systématisés ainsi (Saint-Exupéry était un pilote de « grande reconnaissance », mais c'était le moyen-âge par rapport à ce que faisait Cotton).
C'est avec Cotton qu'ont lieu les reconnaissances systématiques en profondeur, en territoire ennemi.