Il est faux qu'il ait dit ou pensé « L'intendance suivra ». Au contraire, la moitié des conseils des ministres sous ses dix ans de présidence furent consacrés aux questions économiques et sociales.
L'économie n'est un but en soi mais le moyen de la puissance.
Quand il revient au pouvoir en 1958, il prend avec réticence, sur le conseil d'Olivier Guichard et de Pierre Lefranc, Antoine Pinay comme ministre des finances. Cela a l'avantage de rassurer les épargnants et d'assurer le court terme : la réussite de l'emprunt dit Pinay.
Mais Antoine Pinay n'est pas le quart assez audacieux pour ce que De Gaulle a en tête.
Ce dialogue (probablement apocryphe, on ne prête qu'aux riches) :
Pinay : Mon général, je crains de ne pas être d'accord.
De Gaulle : Moi, M. le ministre, je crains que vous ne soyez plus ministre.
Une légitimité exceptionnelle
Jamais depuis 1789, un dirigeant français n'a eu la légitimité de De Gaulle en 1959 : les pleins pouvoirs donnés par l'assemblée nationale, la réussite du référendum constituant, l'élection comme président par l'assemblée des notables.
Pourtant, la suite ne sera pas un chemin semé de roses.
Le comité Rueff
Le comité Rueff est bien dans les manières de Gaulle : audacieux avec ruse.
Jacques est un polytechnicien haut fonctionnaire, mais avec un parcours mi-public mi-privé beaucoup plus varié que la norme. Surtout, c'est un libéral aux idées originales.
Dans son comité, Rueff prend des immobilistes, des gens qui pensent que « la France va devenir le Portugal » et que leur devoir est de faire en sorte que cela se passe le moins mal possible en bousculant le moins de monde possible (rengaine connu) : des hauts fonctionnaires, des représentants de la banque et de l'industrie, pas de « partenaires sociaux ».
On voit bien le coup de poker de Rueff : s'il arrive à amener ces gens là de son côté, il aura obtenu une caution incontestable.
Le comité qui n'est pas secret mais discret (d'ailleurs, il y a déjà tant eu de comités vains que personne n'y croit, même pas ses membres. Ils ne comprennent pas le changement d'avoir De Gaulle aux commandes). Il se réunit pour la première fois le 30 septembre 1958 et commence ses auditions.
Rueff, à force de patience et d'écoute, amène les membres à ses raisons. Il rédige lui-même le rapport dans son manoir normand, 18 pages en français limpide, lisible par tous (quand on pense que nos bureaucrates d'aujourd'hui pensent passer pour intelligents en jargonnant et en baragouinant). Il le rend début décembre 1958.
Un train de mesures est pris qui rétablit la situation financière. En gros, ce sont les mesures que tout le monde savait qu'il fallait prendre mais que personne n'osait.
Habilement, un point de fixation, sur lequel le pouvoir est déjà décidé à faire des concessions, est créé sur la retraite des anciens combattants valides. Pendant qu'on discute de cela, le reste passe (presque) comme une lettre à la poste (à cette époque bénie où la poste fonctionnait).
Symboliquement, le nouveau Franc est mis en place.
Le comité Rueff-Armand
On essaie de recommencer la méthode qui assainit les finances avec l'assainissement de l'économie.
Malheureusement, après le coup de tonnerre du premier comité Rueff, le second ne peut pas rester discret, la presse et les « partenaires sociaux » s'en mêlent et tout cela s'enlise.
Confirmation qu'en France, demander l'avis des gens, consulter, c'est le meilleur moyen de ne toucher à rien et de ne rien faire. La seule méthode de réforme qui fonctionne, c'est le coup d'Etat, le coup de Majesté.
Sinon, on n'a que des « réformes » socialistes : soit furtives et vicieuses, soit empruntant la pente de la démagogie.
De Gaulle est trop occupé par l'affaire algérienne pour prendre lui-même le manche et ni Debré ni Pompidou ne sont à la hauteur du défi.
L'usure
En 1962, De Gaulle n'avait déjà plus la toute-puissance politique qui lui avait permis de passer en force avec le premier comité Rueff. Ceux qui font profession d'être des obstacles à tout avaient repris du poil de la bête.
Les leçons
1) Aller vite. Le réformateur dispose de deux ans, grand maximum. Trump semble l'avoir compris. Cela suppose d'être prêt, d'avoir travaillé avant.
2) Travailler avec une petite équipe de cracks, en secret. Ne pas hésiter à passer en force (Trump et Milei). Foin de « l'Etat de droit » (qui est en réalité l'Etat de gauche). Sinon, vous tombez toujours sur des gens, les obstacleurs professionnels, qui ont le chic de tout ralentir pour les « meilleures » raisons du monde.
3) Anticiper les réactions des adversaires. De Gaulle s'est fait avoir par la grève des mineurs, pas Thatcher, qui avait passé des accords pour importer du charbon et avait corrompu les dockers.
De Gaulle a fait de grandes choses en économie, mais la crise algérienne qui l'a propulsé au pouvoir a accaparé sa légitimité. Pendant qu'il usait de son crédit pour faire passer la solution algérienne, il ne pouvait pas faire des réformes économiques conflictuelles.
(Nota : l'évocation de Macron dans le bandeau est du pur tapinage d'éditeur.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire