samedi, mars 25, 2006

Notre nouveau monde

Charles Gave est un financier qui écrit des livres pour son plaisir et pour l'information du public. Il a notamment écrit Des lions menés par des ânes et un article sur Charles Maurras.

Il a mis en ligne le brouillon de son dernier ouvrage Our Brave New World.

Je vous résume pour les non anglophones, les autres ayant intérêt à le lire :

> l'économie change, on l'a souvent annoncé mais cette fois c'est vrai (du moins Charles Gave parie dessus et moi aussi : lui et moi gérons nos placements en fonction de cette analyse).

> Qu'est ce qui change ? les "compagnies plateformes", comme Dell ou Ikea : je conçois et je vends dans les pays avancés mais je produis dans les pays émergents. Or, la production est la partie de l'économie marchande la plus soumise à la cyclicité et à la volatilité. Autrement dit, en produisant à l'étranger, les pays avancés ont exporté leur volatilité, leurs incertitudes. Les meubles se vendent moins, ce sont les travailleurs mexicains d'Ikea qui morflent mais les bureaux d'études suédois sont peu touchés.

> Qu'est ce qui permet les "compagnies plate-formes" ? Le libre-échange, menacé dans les discours, pas (encore) dans les faits ; la surcapacité productive, assurée par la Chine et l'Inde ; l'innovation ; la possibilité de déplacer aisément les biens produits (on remarque qu'Al Quaïda s'attaque plus aux transports, avions, trains, bateaux, qu'aux gouvernements, signe d'une compréhension de notre monde).

> L'inflation globale des pays occidentaux est stable parce que les produits manufacturés baissent tandis que les biens "pour riches" (immobilier londonien, par exemple) augmentent.

> La baisse de volatilité induite par les "plate-formes" favorise une économie de l'endettement dans les pays avancés puisque le risque de défaut diminue. C'est pourquoi l'endettement des ménages américains n'est pas insoutenable contrairement à ce que prétendent beaucoup d'économistes habitués aux mécanismes du passé. C'est l'un des effets positifs de l'exportation de la volatilité.

> Conséquence logique du point précédent, les gens investissent dans le seul bien vraiment solide, qui dure des siècles : la pierre. Il n'y a pas de bulle immobilière mais une adaptation à cette véritable nouvelle économie.

> inversement, les nouveaux producteurs ayant reçu notre volatilité épargnent beaucoup.

> La balance commerciale des USA est certes déséquilibrée mais ce n'est pas grave.

Car, sur un ordinateur Dell conçu aux USA et produit en Chine, l'économie américaine fait 245 $ de profits alors que l'économie chinoise fait 40 $ de profits, et ces 40 $ de profits chinois sont pour partie ré-investis aux USA, justement à cause de la plus grosse part de profits futurs (245 $ contre 40 $) qu'on peut en espérer. Et le système peut s'entretenir très longtemps, beaucoup plus longtemps que ne le prédisent 90 % des économistes.

Le système commencera à se gripper quand le prix de la production augmentera, c'est-à-dire quand le réservoir de main-d'oeuvre bon marché s'épuisera, ce qui n'est pas demain la veille.

Bref, regarder la balance commerciale, c'est très "ancien monde", il faut maintenant regarder la circulation des profits. Le déficit commercial français est grave parce que la France est encore une "ancienne" économie : peu de fluidité, peu d'innovations.

> Des emplois de cols bleus disparaissent chez nous. Et alors ? Si l'économie du pays en est globalement plus riche au point d'offrir sa chance a tout le monde ? Et ça n'a rien d'abstrait, ça se traduit dans la vie des gens : 44 % des Anglais et des Américains se disent très satisfaits de leur sort et confiants dans le futur contre 24 % des Français (Pew Research et Pew Global : je vous encourage à fouiner dans les sondages).

Peut-être que l'idée très française de préserver les emplois de cochers et de porteurs d'eau n'est pas si bonne et ne rend pas les gens si heureux ? (voir alinea suivant).

> Les économie avancées (l'Europe continentale en fait-elle encore partie ?) sont clairement dans une logique schumpeterienne de destruction créative par opposition à la logique ricardienne d'optimisation. Cette logique est économiquement très efficace mais nécessite trois conditions :

1) la possibilité et le droit d'échouer, de façon à ce que les canards boiteux ne mobilisent inutilement des ressources. Il faut donc des OPAs et des faillites faciles, tout le contraire de la tendance actuelle en France.

Pourtant, la comparaison de la Grande-Bretagne et du Japon devrait nous éclairer : le Japon a prolongé sa crise en faisant de gros efforts pour soutenir des industries en perdition, tout le contraire de la politique britannique. Mais les Français, et notamment les politiciens, ont ils encore l'énergie et la volonté de penser le monde et l'avenir ou veulent ils simplement qu'on leur foute la paix dans leur coin ?

L'économie asiatique est encore dans la phase ricardienne d'optimisation, sera-t-elle capable de passer au "schumpeterisme" ? Elle a un désavantage culturelle : sa culture basée sur la honte permet moins que la culture judéo-chrétienne basée sur la culpabilité d'affronter l'échec, nécessité dans une économie schumpeterienne.

2) l'acceptation des inégalités de revenus qui motivent et récompensent les créateurs qui réussissent. Les inégalités de revenus sont le moteur ultime de l'ascenceur social, idéal des classes moyennes, c'est pourquoi la tentative d'égaliser les conditions bloque l'ascenceur social, comme la France en fait, hélas, la démonstration éclatante depuis quelques décennies. Mais j'en reviens à la question qui me tarabuste : est-on encore capable en France de penser l'économie ? (je veux dire au-delà de 1890 et de la mort intellectuelle du marxisme).

3) la protection de la propriété intellectuelle, qui est une protection des créateurs. Certains nous explique l'absence de protection de la propriété intellectuelle en Chine par la culture, mais on peut tout aussi bien proposer une explication par la politique plus dérangeante : le symptôme que le communisme, même abatardi et savamment dissimulé, n'a pas été abondonné.

> dans ce nouveau monde, il y a, dans les pays avancés, de richissimes créateurs et leurs seviteurs, les travailleurs industriels étant dans les pays émergents. De plus, l'Etat-providence, ange maternel de la redistribution, est atteint à mort, car les compagnies plateformes vont vouloir mettre leurs travailleurs intellectuels et leurs activités à haute valeur ajoutée, très mobiles, dans des pays fiscalement intéressants. C'est très perturbant pour les socialistes de tout poil.

Que conclure de tout cela ?

Qu'il faut investir dans les pays émergents (mais risqués) ou dans les compagnies plateformes (ie aux USA).

Quant au reste des conclusions que vous pouvez tirer de ce tour d'horizon, je le laisse à votre réflexion.

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