mercredi, mai 24, 2006

Une classe préparatoire « caillera » au lycée Henri-IV

Je vous commente [] cet article du Monde, dans ma série sur l'éducation.

Une classe préparatoire « caillera » au lycée Henri-IV

Article paru dans l'édition du 19.05.06

Propulser quelques banlieusards brillants dans les rangs de l'élite, riche idée. Et tous les autres ?
Ainsi, le lycée Henri-IV a décidé d'ouvrir à trente élèves-méritants-des-milieux-défavorisés une classe préparatoire... préparant à la poursuite des études en classes préparatoires. Intéressant et savoureux ! [...] un régime culturel (théâtres, musées, expos), complémentaire d'activités plus prosaïquement scolaires, doit permettre à ce petit monde de passer du penser-parler des fins-de-mois-difficiles au penser-parler cossu. Des sponsors désintéressés vont aider au financement de l'accueil en cité universitaire, achevant ainsi de construire le cadre optimal de la transformation annoncée de ces bobos (boursiers bonifiés)... en bobos (bourgeois bohèmes). Joli !

Joli ? Socialement utile ? Cohérent ? Non. Seulement méprisant, insultant pour l'effort pédagogique en zone difficile, élitiste à contre-emploi et, en termes d'impact social, ridicule. Il y aura bien entendu des résultats, mais l'arbre n'en cachera qu'un peu plus la forêt. Quelques acharnés de la réussite individuelle formatée passeront du « z-y-va, keum » au « je-vous-en-prie, monsieur », mais la « caillera » banlieusarde désignera ses traîtres sans en devenir moins « caillera » ni moins banlieusarde.

Il y a, dans nos sociétés, un acharnement étonnant - compréhensible quand on réalise qu'il n'est que la préférence collective pour le moindre effort [étonnant, cette préférence de notre société pour le moindre effort est quasi l'expression employée par Erik Orsenna dans son étude sur la mondialisation à travers la commerce du coton. Par des voies bien différentes, on arrive au même point.]- à substituer à l'amélioration de tous l'éminence de quelques-uns. Nos démocraties relèvent de l'oligarchie larvée [Le pluriel est excessif : il ya un problème spécifiquement français de déficit d'esprit démocratique]. Faute de savoir comment faire souffler l'esprit sur le plus grand nombre, faisons quelques polytechniciens ou énarques de plus, option « 9-3 » [c'est encore un échappatoire pour éviter la réforme de l'ensemble de l'EN ; ainsi va la vie publique française depuis vingt ans : de rustines en pis-allers, de palliatifs en diversions]. L'opération, qui changera la vie de quelques heureux élus, qui donnera des joies pédagogiques vraies et fortes à quelques enseignants, qui sera hélas aussi l'objet de quelques congratulations officielles, n'a aucune portée générale et ne s'attaque à aucun problème d'ensemble.

Le système éducatif est malade et n'ose pas le diagnostic, encore moins le remède, nécessairement de cheval [le diagnostic est connu : l'école doit cesser de se donner des missions sociales ("la réussite pour tous") et revenir à la transmission du savoir. L'effet social qui en résultera sera une conséquence bénéfique du savoir mais ne doit pas être un but. Pour cela, la décentralisation, voire la privatisation, sont d'excellents moyens]. Le système éducatif est malade parce que la société va mal, où toute vertu s'est dissoute [Non : il y a des problèmes spécifiquement scolaires]. La société se soignera par l'école, ou sombrera [oui : la société est en partie malade de l'école, mais je pense qu'arguer de la relation inverse, l'école malade de la société, est une fuite : la difficulté à changer la société est si grande qu'on en conclurait qu'on ne peut pas changer l'école.]. Et l'école doit être rebâtie sur deux mi-temps (au masculin et parallèles, non au féminin et consécutivement : l'école n'est pas le football...).

Un mi-temps furieusement généraliste, à populations et niveaux brassés, à vocation civique [non, comme l'effet social, je pense que l'effet civique ne doit pas être recherché mais doit être accueilli comme une conséquence positive d'une transmission du savoir nécessairement organisée et structurée], voué à la tolérance et à ses valeurs [bof : si on entend par tolérance la définition molle actuelle, qui est relativisme, je suis contre], au dialogue et à l'échange, au vivre ensemble et au respect comme à l'écoute des différences [non, non, j'en ai plus que soupé de cette histoire de respect des différences ; encore une aspersion d'eau tiède pour dire que tout se vaut et que tout est dans tout. Comme le social et le cibvisme, c'est une conséquence du savoir] (et ce pourrait être là, dans l'apport de quelques connaissances de base et environnementales - mieux que ce qu'on nous promet (?) -, le socle commun).

Et un mi-temps furieusement « individué », à niveaux et acquis homogènes, à sélectivité constante et acceptée, à progressions différenciées, à recherche lucide de la meilleure et plus réaliste adéquation entre goûts, capacités, vouloir, utilité sociale, intérêt particulier et intérêt général. [là je suis d'accord, ce n'est pas si loin de ce qui se pratiquait dans les internats du temps où ils existaient]

Le premier mi-temps fait l'homme, le second la société [Non]. Et le tout un tissu social, aux acteurs inégaux dans l'emploi et l'action, mais égaux dans la reconnaissance humaniste comme dans le partage des acquis et des bénéfices. Il faudrait développer...

On est loin d'Henri-IV (le lycée) mais pas si loin à certains égards de Clisthène (la démocratie athénienne). Pour faire un mot et pointer une direction : plutôt le Parthénon que le Panthéon ? De toute façon, on n'en prend pas le chemin.

[Comme je l'ai déjà dit, l'éducation est un sujet archi-rebattu depuis des siècles, il est donc à mes yeux présomptueux d'essayer d'innover radicalement en ces matières]

Christian Jeanbrau

2 commentaires:

  1. Avez-vous eu des echos de la participation au débat sur l'école de J.-P. Brighelli le 24/05 au soir sur Europe 1 ?

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  2. Non, mais je suis en train de lire la suite de La fabrique du crétin

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