vendredi, mai 25, 2007

Pourquoi je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet

Pourquoi je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet

Publié par Le Figaro le 19 mai 2007

Michel Ségal, Professeur de collège en ZEP.

Je suis enseignant de collège et je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet à mes élèves.

Je ne leur lirai pas parce qu'ils seraient bien incapables d'en comprendre le sens profond, et même d'en comprendre les mots qui la composent ; parce que notre école demande aux enfants de réinventer eux-mêmes les règles d'écriture ou de syntaxe. Je ne la lirai pas parce que depuis une trentaine d'années, l'école leur apprend le mépris du patrimoine et la méfiance du passé. Je ne la lirai pas parce que cette lettre me fait honte, honte de la maturité d'un adolescent il y a plus de soixante ans face à l'infantilisation construite par notre école de ceux du même âge aujourd'hui. Je ne la lirai pas parce que nos enfants ignorent les événements auxquels elle se réfère ; parce que notre école préfère par exemple demander à des enfants d'analyser des « documents » plutôt que de leur enseigner des dates et des événements. Je ne la lirai pas parce qu'il y a longtemps que l'école refuse de transmettre aucun modèle ; parce que notre école n'envisage plus les textes d'auteurs comme des exemples mais comme des thèmes d'entraînement à la critique. Je ne la lirai pas tout simplement parce que notre école a délibérément détruit l'autorité qui pourrait permettre une lecture et une écoute attentives.

Je ne la lirai pas parce que, même âgés de 16 ans, mes élèves ne sont que de petits enfants bien incapables d'appréhender son contenu et resteront sans doute ainsi toute leur vie : ainsi en a décidé notre école. Peut-être ne me croyez-vous pas car l'école que connaissent vos enfants ne ressemble en rien à celle que j'évoque ? En effet, j'ai peut-être oublié de vous préciser l'essentiel : je travaille dans une ZEP, c'est-à-dire là où peuvent être appliquées à la lettre et sans risque de plainte toutes les directives ministérielles, là où se préfigurent l'horreur et la misère du monde construit par notre école.

Non, Monsieur le Président, je ne lirai pas la lettre de Guy Môquet tant que n'auront pas été engagées les réformes structurelles du ministère de l'Éducation nationale qui mettront fin à la démence toute puissante des instances coupables des mesures les plus destructrices de tout espoir de justice sociale, tant que n'auront pas été engagées les réformes pour que l'école cesse de conforter les enfants dans leur nature d'enfants, pour que l'école accepte enfin de remplir sa seule mission : instruire.

6 commentaires:

  1. Wouahouuuuuuuu ! au moins c'est pas de la langue de bois ! clair net et précis ...et argumenté ! hélas mille fois hélas il y a bien des vérités

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  2. Belle prestation du plus mauvais Franck, le naïf qui gobe tout quand ça va dans son sens.

    Je n'ai pas vu la page en question du Figaro. De deux choses l'une : ou bien ce texte extrême est équilibré par quelque prestation opposée ou du moins nuancée, et il faudrait le dire. Ou bien le Figaro vire à la Pravda.

    Continuez à faire dire par des membres d'une profession autant de mal de leur travail et de leurs collègues (et, par là, de leurs gouvernants de toutes couleurs des 40 dernières années) et vous allez réussir une chose : la masse ne va avoir qu'une envie, laisser passer l'orage, et une fois de plus rien ne va s'améliorer.

    Bref ce Ségal, s'il existe et s'il enseigne, est l'UMP de service, plus amoureux du parti et du chef que du métier et des élèves, et vous donnez à pieds joints dans le panneau.

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  3. Merde ! Moi qui pensais qu'il ne la lirait pas parce qu'elle a été écrite par un garde-chiourme en puissance, un homme de Staline ! Mais bien sûr, il avait 17 ans, il a été flingué par des ordures de son niveau, alors il n'y a rien à redire...

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  4. J'ai une réponse simple qui trancherait nos débats avec FD : que l'on évalue les résultats des élèves et par la même occasion les enseignants.

    Or, aujourd'hui, ça n'est pas fait : on évalue très peu les connaissances des élèves, car, de plus en plus, les examens sont vidés de contenu (17 ans après, sans aucune révision préalable, j'aurais eu le bac S 2005 en maths et en physique, j'ai trouvé l'examen d'une grande pauvreté, j'ai donc essayé de le faire dans les temps impartis et vérifié avec le corrigé. Quant au Français, je n'ai absolument aucun doute. Pour les autres matières, il faudrait voir.)

    Quant aux enseignants, ils ne sont pas évalués sur leurs résultats mais sur la conformité de leurs méthodes aux diktats pédagogistes.

    Ainsi une des mes amies s'est vue reprochée d'enseigner de la grammaire à des élèves de 3ème, qui ne savent ce qu'est le verbe "furent", parce que, d'après l'inspecteur, "un enfant de 4 ans n'a pas besoin de grammaire pour apprendre à parler". La réponse évidente que mon amie a retenu est bien entendu : "C'est pour ça que mes élèves de 3ème parlent comme des enfants de 4 ans."

    De plus, si les enseignants étaient évalués en fonction de leurs résultats, on pourrait même véritablement introduire une part de rémunération au mérite, belle avancée dans la motivation, n'est-ce pas ?

    Au fait, j'ai oublié une hypothèse simple : et si l'auteur de l'article existait vraiment, si il aimait vraiment son métier et si il croyait vraiment ce qu'il écrit ? Incroyable, non ? Ou trop croyable ?

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  5. C'est curieux.
    Je pensais déclencher une levée de boucliers en présentant M. Ségal comme "l'UMP de service", puisque précisément il appelle à désobéir à une consigne présidentielle mise en scène à grands frais le jour même du début du septennat.

    Eh bien non, ce n'est pas là-dessus qu'on me reprend !

    J'ai donc réussi à convaincre les participants de ce forum d'une chose : la géométrie variable du discours néo-présidentiel.

    En effet, il tombe sous le sens qu'un fonctionnaire peut parfaitement s'asseoir sur l'injonction élyséenne de lire un texte signé d'un jeune communiste, et rester un parfait militant UMP.

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  6. "il tombe sous le sens qu'un fonctionnaire peut parfaitement s'asseoir sur l'injonction élyséenne" Mais enfin, François, cela, on le sait depuis longtemps, depuis, par exemple, que les profs s'assoient sur les directives de Robien sur les méthodes de lecture et la grammaire.

    Quel ministre a dit :" Pour les enseignants, l'Etat doit toujours payer et jamais décider." ?

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