samedi, avril 12, 2008

L'avenir d'EADS en question

Discutant avec un collègue d'un de nos actionnaires, EADS, j'ai été surpris de trouver chez lui une inquiétude égale à la mienne.

J'en résume les causes :

> Une direction discréditée. Je ne sais pas si le délit d'initié est légalement constitué, mais, moralement, je n'ai aucun doute : les rats ont sauvé leurs stocks-options et ce n'est pas reluisant. Autant pour le devoir d'exemplarité des dirigeants.

On sent bien là la différence entre un entrepreneur et un manager. Thomas Enders, Fabrice Brégier, Jean-Paul Gut et et compagnie sont des apparatchiks qui naviguent au gré des luttes d'appareils, ils ne vivent pas EADS avec leurs tripes. Si EADS coule, ils sauront bien se recaser ailleurs (c'est déjà fait pour Gut) sans états d'âme. Dieu pour tous et chacun pour soi.

Une boite comme Boeing est aussi dirigée par des managers, mais les Américains sont cohérents : quand ça ne marche pas, hop, du balai. Ils ont essayé trois PDGs en trois ans avant de trouver le bon.

Même si l'honnêteté de Louis Gallois n'est pas en cause, il n'est pas l'homme de la situation : trop impliqué (compromis ?) depuis trop longtemps dans ces grenouillages pour être l'homme du coup de torchon. De toute façon, ce n'est pas dans son caractère.

> Un actionnariat qui s'en fout. EADS se porterait beaucoup mieux si ses actionnaires lui demandaient tout bêtement de gagner des sous. A long terme, cet actionnariat qui n'aide pas et qui n'exige rien est débilitant.

> Un développement dans la défense insuffisant et qui le restera. Le développement d'un pôle défense se fait sur le marché domestique, c'est-à-dire, pour EADS, l'Europe.

Or, les gouvernements européens cherchent toujours quatre sous pour faire un franc, ils ne sont donc pas près de faire l'investissement dans la défense qui permettrait à EADS de s'y développer.

> Un portefeuille produits d'Airbus très problématique. L'A380 en est à limiter les dégâts : il ne sera jamais rentable, tout juste peut-on espérer qu'il arrive à rembourser une bonne part de ce qu'il a couté. L'A350 est dans les choux, un peu soulagé par les problèmes du Dreamliner, mais, de toute façon, il arrivera trop tard. Le successeur de l'A320 se fait attendre.

L'explication est simple : les moyens employés pour l'A380 auraient été plus utiles ailleurs.

> La rentabilité d'EADS est très largement insuffisante. Or, en économie de marché, tout est simple : une société rentable est pérenne, une société non rentable ne l'est pas. La parité €/$ est l'arbre qui cache la forêt. L'organisation industrielle souffre de graves défauts qui ne sont corrigés pour des raisons politiques.

C'est bien de faire des jolis avions, mais c'est secondaire. Car si ils ne rapportent pas suffisamment d'argent, on ne pourra pas continuer à en faire longtemps.

Bien sûr, face à toutes ces difficultés, EADS a des atouts (carnet de commandes plein, base clients, compétence technique, ticket d'entrée élevé), mais j'ai bien peur qu'ils ne résistent pas à l'usure du temps et à la pression des problèmes non résolus.

Dans mon scénario noir, EADS ne fera pas faillite, il sera juste démantelé progressivement. Premier signal à surveiller, la vente de la part détenue dans Dassault Aviation (tout le contraire d'EADS : une boite d'entrepreneurs gérée avec rigueur. Des erreurs ont été faites, elles ont été corrigées. EADS accumule les erreurs sans rien corriger).

Finalement, j'ai lâché le mot à propos de Dassault : la gestion d'EADS manque de rigueur. La rigueur, ce n'est pas seulement économiser trois gommes et deux crayons. C'est aussi analyser sans tabous les problèmes et agir pour les surmonter.

Les dirigeants d'EADS ne sont pas idiots : ils connaissent, et bien mieux que moi, les problèmes que je viens d'exposer. Mais pour des raisons diverses, ils ne sont pas disposés à en tirer les conséquences, alors ils biaisent, ils temporisent, ils manoeuvrent, ils ne vont pas jusqu'à dire qu'il ne faut pas se laisser aller à «logique purement comptable» (air connu), mais il y a de ça.

Bref, ils manquent de rigueur.

1 commentaire:

  1. Attention, vous idéalisez quelque peu la différence entre managers et entrepreneurs, qui n'est pas aussi manichéenne !
    Un entrepreneur peut tout autant ne pas être attaché au developpement à long terme de son entreprise : combien de boites en croissance, dont les fondateurs ont des $ à la place des yeux, sacrifient tout (qualité, satisfaction client, prix de revient) pour faire grimper 'artificiellement' leur CA et la valeur de leur boite (car les bénéfices ne grimpent pas, eux)... qu'une société londonienne de private equity se fera un plaisir de racheter en y plaçant un cost killer qui n'aura plus qu'à faire de la marge sur la base du CA laissé en héritage par le fondateur qui coule désormais des jours heureux à miami beach !
    les nouveaux entrepreneurs, court termistes, mériteraient un nouveau Schumpeter !!

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