mardi, septembre 09, 2008

Subprime : marché accusé, État coupable

Vincent Bénard, président de l'Institut Hayek de Bruxelles, auteur de «Le Logement, crise publique, remèdes privés» (Romillat), revient sur la crise du subprime et se fait l'avocat de l'économie libre alors que Freddie Mac et Fannie Mae, deux organismes de refinancement du crédit hypothécaire, sont mis sous tutelle gouvernementale aux États-Unis.


La cause est entendue pour nombre d'observateurs : la crise financière des subprime est la conséquence de la folie des marchés et montre les limites d'une finance ultralibérale. Et de réclamer d'urgence plus de régulation publique des institutions financières.

Le libéralisme a une fois de plus bon dos, car il n'existe pas de marché plus perverti par les interventions de l'État fédéral que celui du crédit hypothécaire aux États-Unis.

Les deux institutions joliment surnommées Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac (FHLMC) portent une lourde responsabilité dans les dérives financières du système bancaire américain. La première d'entre elles fut tout d'abord une agence gouvernementale, créée en 1938 par l'Administration Roosevelt, pour émettre des obligations à bas taux du fait de leur garantie fédérale, lesquelles alimentaient de liquidités un marché de prêts immobiliers à taux réduits accessibles aux familles les moins aisées.

En 1968, l'Administration Johnson, s'avisant que les engagements de Fannie Mae garantis par l'État prenaient de l'ampleur et obéraient la capacité d'emprunt d'un Trésor empêtré dans le financement de la guerre du Vietnam, organisa sa privatisation, puis le gouvernement Nixon créa en 1970 Freddie Mac, afin d'organiser un semblant de concurrence sur ce marché du refinancement du crédit hypothécaire.

Cette histoire a donné à Fannie Mae et Freddie Mac un statut hybride de Governement Sponsored Enterprise (GSE), privées, mais légalement tenues de s'occuper exclusivement de refinancement de prêts immobiliers sous contrôle de l'État fédéral, en contrepartie d'avantages fiscaux. Pis même, bien qu'étant officiellement privés, les deux établissements ont toujours été considérés, du fait de leur tutelle publique et de leur rôle social, comme bénéficiant d'une garantie implicite du Trésor américain !

Bénéfices privatisés, pertes collectivisées : Un tel cocktail risquait de pousser les dirigeants des GSE à prendre des risques excessifs, si la tutelle de l'État se montrait défaillante. C'est exactement ce qui allait se passer dans les années 1990. Voilà qui rappelle un célèbre scandale bancaire hexagonal…

La tutelle de ces deux entreprises fut transférée au Département américain du logement (HUD) en 1992, car celui-ci voulait agir sur les prêts financés par les GSE pour satisfaire un objectif majeur de tout politicien qui se respecte outre-Atlantique : l'augmentation du taux de propriétaires de logement parmi les populations à faible revenu, et notamment les minorités.

Aussi le HUD a-t-il obligé Fannie Mae et Freddie Mac à augmenter tant le volume que la proportion de crédits subprime (jusqu'à 56 %, en 2004) refinancés. Pire, un des patrons du HUD, craignant que l'affichage des risques pris par les deux GSE pour se conformer à ces règles conduise les marchés à leur retirer leur confiance, résolut le problème en les exemptant en toute légalité de dévoiler trop en détail leurs expositions.

Aussi Fannie Mae et Freddie Mac ont refinancé, à l'aide de produits obligataires de plus en plus complexes, plus de 5 000 milliards de dollars de crédits, soit 40 % des prêts immobiliers américains, dont plus de la moitié de crédits subprime, alors qu'elles ne disposaient pas de fonds propres permettant de s'engager sur de tels montants. Résultat, les banques émettrices de ces crédits ont pu ne pas se montrer trop regardantes sur les prêts qu'elles consentaient, puisqu'il y avait deux refinanceurs à la bourse grande ouverte derrière. La banque Countrywide, dont la politique de prêts aux familles modestes est aujourd'hui vilipendée, était encore il y a trois ans encensée par les dirigeants de Fannie Mae, pour son audace en matière d'octroi de crédits subprime.

Mais le retournement de conjoncture économique a multiplié les défaillances d'emprunteurs, les deux GSE sont donc menacées de ne plus pouvoir servir les intérêts de leurs obligations, ce qui, par contagion, pourrait affecter tous les investisseurs institutionnels. Du coup, l'État organise dans l'urgence leur sauvetage, lequel devrait coûter plusieurs centaines de milliards de dollars aux contribuables.

Une seconde intervention publique a amplifié les excès bancaires dans l'octroi de crédits à des familles insolvables. Dans les années 1990, des études révélèrent que les refus de prêts aux membres des communautés noires et hispaniques étaient un peu plus nombreux que vis-à-vis des Blancs ou des Asiatiques, quand bien même ces refus ne concernaient qu'une demande de prêt sur quatre. Certains lobbies y virent non le reflet logique de la moindre richesse de ces communautés, mais la preuve d'un prétendu racisme du monde financier.

Une loi antidiscriminatoire de 1977, le Community Reinvestment Act (CRA), fut donc renforcée en 1995 pour rendre plus ardu le refus de crédit aux minorités par les banques, sous peine de sanctions renforcées. Celles-ci durent donc abandonner partiellement le rôle prudentiel qu'elles jouent habituellement lorsqu'elles refusent un prêt à une personne objectivement peu solvable. Pas si grave : Fannie Mae et Freddie Mac étaient là pour refinancer ces prêts délicats !

Aujourd'hui, nombre d'experts estiment que sans le CRA, sans les GSE, l'accès à la propriété des minorités se serait tout de même développé, moins rapidement mais plus sainement. En voulant accélérer artificiellement ce que l'économie libre accomplissait à son rythme, c'est l'État, tantôt régulateur, tantôt législateur, qui a poussé à l'irresponsabilité les acteurs de la chaîne du crédit, provoqué une crise financière grave, et acculé à la faillite nombre de familles qu'il prétendait aider.

7 commentaires:

  1. "En voulant accélérer artificiellement ce que l'économie libre accomplissait à son rythme, c'est l'État, tantôt régulateur, tantôt législateur, qui a poussé à l'irresponsabilité les acteurs de la chaîne du crédit, provoqué une crise financière grave, et acculé à la faillite nombre de familles qu'il prétendait aider."

    "L'Etat a poussé à l'irresponsabilité les acteurs de la chaîne du crédit" ! On reste confondu d'une pareille mauvaise foi !
    Mais dans l'effet comique, je crois que rien ne surpassera jamais "ce que l'économie libre accomplissait à son rythme". Il faudrait à l'économie libre l'accélérateur de particules du CERN pour lui faire réaliser ne serait-ce qu'un embryon de politique sociale !
    La faute à l'Etat aux USA et sous les républicains : la crainte panique de vois égratigné le Dogme pousse le libéral vers l'anarchisme le plus débridé !
    Pour plus de sérieux, lire sur le sujet les Echos et La Tribune. De dangereuses revues gauchistes sans doute ?

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  2. Il se trouve que je suis abonné aux Echos. Ce journal n'est pas libéral, il se contente de ne pas être tropsocialiste (ce qui est déjà un petit miracle dans la presse française).

    Si vous voulez un vrai journal libéral, lisez le Wall Street Journal.

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  3. En 2000, les services financiers de l'ambassade de France aux USA, critiquaient déjà la politique américaine qui forçait le marché à prêter à des familles qui n'étaient pas solvables sur des crédit subprimes et avec des courtiers peu regardant sur les règles rendement/risques. L'attribution d'un mortgage se faisait sur des critères socio-éthnique !

    En 2000, nous avions un gouvernement socialistes et une administration démocrates. Mais notons pour être honnêtes que ce processus avait commencé sous Reagan !!! Clinton l'a accentué et Bush l'a fait explosé.

    C'est effectivement l'Etat qui a foutu le bordel en incluant dans le marchés bancaires US qui était concurrentiel des acteurs qui n'avait rien à y faire (courtiers opérant comme des Banques, fannie et Freddy, agence de notation sous un prétexte de principe de précaution :-),....) bref, j'ose l'expression une dérégulation du marché par une réglementation idiote.

    Tous des communistes :-) !

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  4. "la politique américaine qui forçait le marché à prêter à des familles "

    Vous avez décidé de faire de la surenchère ? Après des fleuves d'encre sur les mérites comparés des Usa et de la France sur l'échelle libérale au bénéfice des premiers, voilà l'administration Bush excommuniée !
    Le petit clin d'oeil final montre que vous n'y croyez plus vraiment, ça rassure !

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  5. C'est l'Etat qui m'a incité à voler m'sieur le juge sinon je me serais autorégulé...
    Ces libéraux, de grands comiques !

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  6. Bonjour,

    M. Canut, j'ai du mal à suivre votre critique. Ou plutôt, je ne vois pas dans votre commentaire ce que vous reprochez à l'analyse de M. Bénard.

    Les Américains sont des hommes comme tout le monde, et les hommes politiques américains aussi.
    En conséquence, comme partout ailleurs, le mélange entre objectifs politiques - ici, l'accession à la propriété des plus pauvres ,qui sont souvent numériquement issus des populations noire et hispanique, aussi vite que possible, le refinancement du marché immobilier -, absence du contrôleur étatique - HUD ici - et une certaine insouciance - too big to fail, l'Etat interviendra nécessairement - a conduit à une catastrophe financière.
    Je ne vois pas en quoi cela concerne le libéralisme ? Nous serions plutôt dans une sorte de mic-mac politico-financier.
    Si cela était dans un système libéral, nous aurions plutôt eu un législateur qui aurait laissé les banques et les refinanceurs faire leur travail, sans poser des critères ethniques et/ou quantitatifs d'accès à la propriété, et une obligation de présenter clairement les comptes.

    Vue le système décrit par M. Bénard, on serait plutôt dans un cas qui se rapprocherait du Crédit Lyonnais français que d'un système libéral.

    Comme quoi, il faut se méfier des appréciations englobantes - USA = hyper/ultra libéralisme - pour analyser au cas par cas.

    Cordialement,

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  7. Bush Jr libéral, c'est le scoop de l'année.

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