mercredi, avril 01, 2009

Ceci n'est pas une crise (juste la fin d'un monde) (P. Dessertine)

En préliminaire, précisons que P. Dessertine est de ces économistes qui avaient prévu la crise. Il avait décrit ses causes avant qu'elle ne survienne.

Pour lui, le fondement de la crise, son ultima ratio, est que les pays occidentaux ont essayé d'entretenir des déséquilibres financiers mondiaux pour maintenir artificiellement leur niveau de vie aux dépens des pays montants.

Un Chinois travaille deux fois plus qu'un Français ou qu'un Américain et gagne dix fois moins. A l'ère de la mondialisation, ce n'est pas tenable très longtemps.

Pour vivre au-dessus de leurs moyens, les USA ont utilisé les taux d'intéret bas, le dollar haut et l'endettement privé, les Européens l'endettement public (quand on ne paye pas la médecine ou l'éducation à leurs justes prix grâce aux déficits publics, on vit au-dessus de ses moyens).

Nous sommes tous coupables, même le «baby-boomer» français honnête travailleur qui a profité des taux d'intérêt bas pour s'acheter résidence principale et résidence secondaire, car si il avait vraiment du payer les services publics, il n'aurait pas pu s'offrir tout cela .

Trois remarques intermédiaires iconoclastes (par rapport aux images pieuses des medias) :

> Dessertine renvoie Américains et Européens dos à dos comme fauteurs de la crise, ce qui me semble justifié, et libéraux et socialistes, ce qui me semble nettement moins justifié (il suffit d'écouter les discours de Ron Paul ou de lire les écrits de Pascal Salin d'avant la crise pour s'apercevoir qu'il y avait des libéraux qui criaient aux fous.)

> les banquiers n'ont été que les instruments consentants de cette tentative de maintenir des déséquilibres financiers (1). Ils ne sont pas très reluisants, pas très recommandables, mais en faire les responsables de la crise relève de la myopie.

> le monde a vraiment frôlé la catatrophe en septembre-octobre 2008, après la faillite de Lehman Brothers. On était au bord du précipice. Une destruction du tissu économique, façon Argentine des années 90 ou Amérique des années 30, était possible (pour que cette catastrophe ne vous semble pas abstraite, souvenez vous que le chomage atteint alors un quart à un tiers de la population, que certains meurent de faim et qu'on manque tellement de monnaie que le troc refait son apparition). Dessertine donne acte aux dirigeants d'avoir à peu près réussi à cacher au grand public la panique qui s'est emparée d'eux durant ces folles semaines.

Les plans de relance sont tous condamnés à l'échec car ils prolongent la tentative de maintenir artificiellement le niveau de vie occidental qui est justement la cause de la crise (fidèles lecteurs de mon blog, vous n'êtes pas surpris : cela fait des mois que je répète que guérir le mal, une crise d'endettement, par le mal, encore plus de dette, est parfaitement idiot).

Pour Dessertine, la sortie de crise prendra des décennies de mutation.

Mais nous ne sommes pas encore à l'abri de l'explosion sociale. Certains irresponsables, Besancenot, Fabius, la souhaitent, mais ils se trompent : elle serait si destructrice et nihiliste que personne ne pourrait réellement l'utiliser pour prendre le pouvoir, et tout cas, personne du monde «d'avant».

Elle viendrait des banlieues. Or, on sait bien depuis les dernières émeutes que cette violence est stérile, sans but, qu'on ne peut rien en tirer de positif. Ceux qui croient à un nouveau 1789 ou 1917 se fourvoient : si cette explosion survenait, nous assisterions plutôt à la chute de l'empire romain. Chacun se replie sur soi, sur son quartier son village, avec police privée, éventuellement soumis au tribut d'un seigneur ou d'une mafia locale.

Pour éviter cette explosion, Dessertine conseille un rééquilibrage des termes de l'échange.

Derrière cette expression abstraite, il met plusieurs choses :

> une hausse vertigineuse des impots. Les taux d'imposition restent stables, mais les services publics ne sont plus rendus, ce qui oblige à payer une deuxième fois le privé pour ces services. Ce mouvement est déjà en marche depuis quelques années dans l'instruction : l'EN coûte une fortune, rend un service lamentable, les cours et les écoles privés prolifèrent. C'est une augmentation des impots déguisée mais bien réelle (2).

> sortir de l'assistanat. Une frange de la population est payée pour ne pas en ramer une. Ils devront faire des travaux d'inérêt général.

> aider beaucoup plus les pays du tier-monde et payer les marchandises plus cher.

Toutes ces mesures sont cohérentes avec l'analyse de Dessertine, mettant la crise sur le dos d'un maintien artificiel du niveau de vie occidental : elles ont pour effet d'abaisser le niveau de vie en Europe et aux USA.

Cependant, je ne comprends pas bien en quoi elles évitent une explosion sociale.

L'analyse de P. Dessertine est très partagée en Asie. Je suis enclin à être d'accord.

Cela ne veut pas dire qu'il faut sombrer dans un noir pessimisme. D'une part, chacun est maitre de sa vie, dans un pays en déclin , on peut avoir de très beaux éclairs ; d'autre part, je ne peux pas m'empêcher de me réjouir que des millions d'hommes sortent de la pauvreté, même si c'est à nos dépens.

Enfin, ne croyez pas que cette mutation sera une descente aux enfers ininterrompue, il y aura des moments de rémission. Le dynamisme du privé (3) n'est pas à négliger. Les mentalités peuvent évoluer, le goût du travail revenir. Une des conséquences de la crise des années 30 est l'éclosion de cette génération, que S. Ambrose a baptisé «the greatest generation», d'Américains travailleurs, durs au mal, ne comptant que sur eux-mêmes (4).

(1) : l'auteur reproche aux Américains de laisser leurs décisions de politique économique à une dizaine de personnes qui ont tous fait les mêmes écoles et leurs carrières dans les mêmes banques. Ce reproche s'applique très bien à la France. Plus sur ce sujet dans le prochain billet.

(2) autre exemple tout frais, de dernière minute : des restrictions dans les soins aux personnes âgées, une circulaire modifiant leur financement va contraindre des centaines d'établissements à limiter leur budget.

(3) : le public peut être ponctuellement dynamique, mais pas sur la durée, parce qu'il lui manque un mécanisme d'élimination des pratiques les moins adaptées.

(4) : l'exact opposé de nos «adulescents».

8 commentaires:

  1. "Un Chinois travaille deux fois plus qu'un Français ou qu'un Américain et gagne dix fois moins. A l'ère de la mondialisation, ce n'est pas tenable très longtemps."

    Rappelons que c'est l'intérêt des gauchistes que cette situation se perpétue le plus longtemps possible, pour continuer à asséner leurs théories foireuses. Il suffit de voir comment le sale petit facteur de Bobosie jubile de voir les victimes du capitalisme sauvage se multiplier : la crise sert ses intérêts, non celui des pauvres qu'il prétend défendre.

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  2. "Un Chinois travaille deux fois plus qu'un Français ou qu'un Américain et gagne dix fois moins. A l'ère de la mondialisation,
    ce n'est pas tenable très longtemps."

    Ce n'est effectivement pas tenable très longtemps si on veut se mettre en concurence des chinois pour fabriquer des chaussures
    de manière industrielle. La chine est très forte pour fabriquer pas cher des produits mais au delà de ça c'est une autre histoire.

    Le niveau d'éducation reste très faible ( 26 % des populations rurales seulement on un niveau collège ...). Le système fait que les meilleurs étudiants vont voir ailleurs (de 1978 à 2008, plus de 1,39 million de Chinois ont fait des études à l'étranger, et seulement 390 000 sont rentrés en Chine). La plupart des chinois talentueux partent ailleurs (et ils sont recherchés ...).

    La Chine est certe devenue la 4e puissance économique mondiale sur son PIB brut, mais un taux de croissance de 11 % « enrichit » chaque Chinois de près de 190 dollars par an, alors qu'un taux de croissance de 2 % « enrichit » chaque Français de plus de 600 dollars par an. C'est à mettre en balance.

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  3. Un peu d’histoire, entre asie et occident les problèmes commerciaux remontent à loin. Ainsi pendant l’empire romain il y eut un net déficit commerciale en faveur de l’inde et de la chine. Plus tard la guerre de l’opium est née d’un tel déséquilibre cette constante historique n’est pas du à la faiblesse de l’occident mais à l’approche très mercantiliste des échanges dans la zone inde-chine. Ceci ne fait que me rendre pessimiste pour l’avenir, l’occident doit faire des efforts mais l’entrée de la chine dans OMC a été une erreur faite par les élites âpre aux gains qui nous mènent dans le mur.

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  4. Pour ma part, je pense que notre pays pratique depuis environ 30 ans ce qu'on appelle de la "destruction de valeur". Doucement, insidieusement, notre capital s'amoindrit. Les politiques, de droite (je ris) comme de gauche (je pleure), laissent faire lorsqu'ils ne l'encouragent pas. Les effets visibles se manifestent dans le taux d'équipements des armées (vous me semblez suffisamment au fait des choses aéronautiques pour trouver des exemples) qui a toujours constitué la première variable d'ajustement, dans la paupérisation croissante de la Justice (récemment, le coût des enquêtes sociales a été limité arbitrairement à 500 euros alors que le coût moyen tourne autour de 1500 euros. Conséquence, les organismes chargés par les magistrats de ces enquêtes indispensables pour l'exercice quotidien de la Justice, en particulier en matière de divorce ou de justice des enfants, vont devoir bâcler voire renoncer à faire leur travail. Je ne pense pas que le "service public de la Justice", auquel tiennent tant nos politiques, se voit améliorer. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, j'aurais pu prendre également l'exemple de l'état des prisons) ou le déficit croissant de la Sécu qui rend de moins de moins de service. La liste n'est évidemment pas exhaustive.

    Beaucoup d'entreprises connaissent des difficultés suite à cette "destruction de valeur" qui se manifeste souvent par une stagnation, pour les sociétés cotées, du titre en bourse alors que les bilans annuels font apparaître des bénéfices flatteurs pour les dirigeants (Incompréhension de ces derniers comme quoi, l'inculture économique ne touche pas que les syndicats). Il faut procéder à des analyses poussées pour déceler cette menace avant que le dépôt de bilan ne devienne la seule solution (Pour reprendre l'actualité, je ne serai pas surpris que GM soit dans cette situation). Quant aux dirigeants concernés, ils doivent faire preuve d'une humilité peu commune pour accepter ce jugement lapidaire et mettre en place les solutions qui s'imposent, même si ces dernières s'avèrent douloureuses.

    La lucidité est décidément une qualité qui fait défaut à notre personnel politique. Je ferai cependant une exception (que l'avenir me donne raison) avec notre premier ministre. Ce dernier lâche en effet régulièrement des petites phrases sur "la faillite", annoncée ou en cours, du pays sans que ces propos soient repris. Il me donne le sentiment d'avoir une vision assez juste de l'état de la France. Mais comme dit le proverbe, il n'y a pas de pire sourd que celui qui ne veut rien entendre.

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  5. Bonjour,

    Quelques commentaires en passant.
    Il me semble difficile de comparer simplement le nombre d'heures travaillées sans pondéré ce chiffre avec la productivité. On peut travaillé 2 fois plus, mais avoir une productivité telle qu'au final on sortira dix fois moins que quelqu'un.

    Du temps où il réfléchissait - car j'ai peur qu'il n'ait un peu cessé ces derniers temps - dans Pop internationalism (la mondialisation n'est pas coupable en français) Paul Krugman rappelait cette évidence.

    La question devient alors quid de la différence réelle de productivité entre les USA, les pays européens, la Chine, etc.

    Dans Crash proof, Peter SChiff "démonte", désolé pour l'expression, les chiffres de la productivité US - il est vrai que l'assertion du bureau US des stats un ordinateur deux fois plus puissant double votre productivité fait rire - et fait remarquer qu'une économie soit disant si productive ne saurait avoir de tels déficits commerciaux - affirmation à mon sens en très grande partie vraie -.

    Sans avoir lu le livre - mais bon, je le mets sur ma liste de lecture -, sans doute peut-on généraliser le propos tel que vous le présentez.
    Maintenir les déséquilibres n'a été possible qu'au prix de distorsions des mécanismes de marché, notamment monétaire.
    L'absence de réévaluation de la monnaie chinoise, idem pour le yen, les tripatouillages comptables et autres joyeusetés hypotécaires - Fanny Mae Freddy Mac - sont a rangé dans ce cadre.

    On peut constater que certains pays n'ont pas commis ce genre d'écarts, ou à des niveaux très faibles et localisés - je pense à la Suisse : les déboires d'UBS ou de Crédit Suisse sont à replacer dans le contexte général de la finance helvétique et dans le ménage qui s'y opère (les banquiers suisses peuvent visiblement être très très méchants entre eux, notamment vis à vis de ceux qui ont fauté, jugement opéré par le groupe ).

    M. Dessertine parle de décennies. Si tel est le cas, ce n'est pas une crise - qui implique de manière ontologique un moment cours et crucial -, mais, à mon sens, un changement dans ... je ne sais : l'ordre des puissances, le financement des économies, etc.

    Ce qui me parait très probable, c'est qu'une économie basée sur un tel montant de dette ne peut plus guère être maintenue.
    En ce sens, il risque maintenant de falloir payer pour les services - retour à la réalité des prix - et dans une certaine mesure la puissance publique aura du mal à continuer à financer tout ce qu'elle veut - je rejoins la dessus Loic Abadie de Tropical Bear -.

    Sur votre appréciation du risque social, à mon sens, la question est celle du débouché politique et économique.
    Effectivement, si on continue à corseter les initiatives individuelles par moultes textes et règlements tout en faisant croire que l'état peut tout, alors ça risque de coincer.
    A partir du moment où on laisse les gens - voire on les encourage puis on les laisse tranquille - s'occuper et développer leurs affaires, cela peut être un débouché qui limite la casse.

    Affaire à suivre.
    Cordialement

    PS: rien à voir avec la choucroute, mais au cas où cela aurait échappé aux lecteurs de ce blog, vous trouverez ici un article maintenant publié et peer reviewé qui explique simplement que l'effet de serre par le Co2 ne repose sur aucune base de la physique.

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  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  7. «je pense que notre pays pratique depuis environ 30 ans ce qu'on appelle de la "destruction de valeur"»

    Entièrement d'accord

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  8. Besoin d'un éclaircissement :

    Comment peut-on comparer le salaire d'un américain, d'un français, d'un chinois etc. ?

    En valeur absolue, on peut comparer le nombre d'euros par mois,certes. Mais que peut-on faire dans chaque pays avec ces euros ?

    Un exemple : deux pays ont le même salaire moyen, dans l'un les autoroutes sont gratuites, la TVA n'existe pas, pas de taxe écolo, pétrole...dans l'autre tout est taxé. Si l'on part du principe que les prix HT sont proches, l'un a un pouvoir d'achat beaucoup plus fort que l'autre. Le vrai comparatif serait le pouvoir d'achat, ce mode de comparaison ( euros/personne) reste un simple indicateur. Qu'en pensez-vous ?

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