lundi, mai 04, 2009

Un test de gaullisme

Le gaullisme paraît une chose connue, visitée, re-visitée et rabachée.

Ca n'est pas si évident. François Delpla, infâme gauchiste et excellent historien, a raison de s'inquiéter des tonalités de la commémoration du drame de Mers El Kébir en juillet 2010.

Il est hélas presque certain qu'on y décrira le geste d'un Churchill brouillon, fantasque, pris de panique et perdant son sang-froid. On y insistera peut-être sur la folle témérité qu'il y avait à risquer le retournement d'alliance, l'entrée en guerre de la France aux cotés de l'Allemagne hitlérienne.

Et De Gaulle qui a soutenu Churchill dans ce moment difficile se serait également trompé ? D'excellents «gaullistes» soutiendront tacitement cette thèse, par implication.

Je l'ai encore lu dans un livre récent censé expliquer les erreurs stratégiques des acteurs de la seconde guerre mondiale. L'auteur fait lui-même une erreur stratégique majeure en se méprenant sur le sens de Mers El Kébir !

Rappelons quelques données et analyses relativement neuves puisqu'elles ont moins de vingt ans.

Le cabinet britannique était divisé entre «churchilliens» et «halifaxiens».

Lord Halifax considérait que la poursuite de la guerre contre l'Allemagne était une folie hors des moyens de la Grande-Bretagne et que mieux valait une mauvaise paix qu'une bonne guerre. Cette analyse est loin d'être idiote, puisque la Grande-Bretagne, bien que vainqueur, sortit amoindrie et affaiblie de la guerre.

Churchill pensait qu'Hitler n'était pas un politicien comme les autres, qu'il ne respectait pas sa parole, et qu'un traité de paix avec lui serait un moyen de briser la résistance britannique : une fois la paix signée, il serait impossible de reprendre la guerre, même si Hitler entamait des manoeuvres de grignotage.

Hitler, beaucoup mieux renseigné que bien des historiens actuels (!), connaissait cette fragilité du cabinet britannique et espérait le renversement de Churchill. Il faisait ce qu'il fallait pour, en se montrant à la fois puissant, menaçant, et temporisateur, ouvert à la négociation.

La quasi-absence d'opérations offensives contre l'Angleterre au mois de juillet 1940 s'explique aussi par ces raisons politiques, pas seulement par des raisons logistiques.

Il était donc primordial pour Churchill de mettre les «halifaxiens» sur la touche, mais il était dans une position très fragile, même le roi aurait préféré Halifax comme premier ministre.

La première partie de la manoeuvre churchillienne, dans la dernière semaine du mois de mai 1940, est très bien décrite dans Five days in London, de John Lukacs : lui qu'on dit brouillon et exalté temporisa. Il ne rejeta pas l'idée d'une négociation, mais soutint que ce n'était pas le bon moment, qu'il fallait attendre d'être dans une position un peu moins faible. Puis survint le «miracle» de Dunkerque.

Cette semaine là, Churchill n'a pas gagné la guerre, mais il ne l'a pas perdue, «against the odds» (1) comme il aurait dit.

Une fois qu'on a compris cela, on comprend Mers El Kebir : ce n'est pas le geste d'un exalté pris de panique (d'ailleurs les témoins de l'époque décrivent Churchill au mieux de sa forme, faisant à fond ce pour quoi il se croit taillé : la lutte contre le destin).

C'est un geste de radicalisation, il brule ses vaisseaux (en plus de ceux des Français). C'est une manière de dire «I mean it», qu'il n'est pas jusqu'au boutiste en paroles seulement, mais aussi en actes.

D'ailleurs, après Mers El Kebir, Churchill reçoit une ovation au Parlement, la première depuis son arrivée au pouvoir le 10 mai 1940. Bien sûr, la francophobie des Anglais, mais là encore, pas seulement : les Anglais se savaient gouvernés par quelqu'un dont la main ne tremblait pas.

Churchill, dans la perspective d'une lutte sans merci contre l'Allemagne nazie, a eu raison, même d'un point de vue français. Après tout, si les marins de Mers El Kebir ne voulaient pas se rallier, ils pouvaient passer en Amérique.

Et De Gaulle dans tout cela ? Il suffit de lire son discours du 8 juillet 1940 : il avait compris. Il avait compris, je suis prêt à le parier, mieux que beaucoup des commentateurs et des officiels que nous entendrons le 3 juillet 2010.

(1) : contre les probabilités

5 commentaires:

  1. Je partage entièrement votre analyse. Dans une époque où on doit considérer que tout se vaut, il est tentant et facile de réécrire l'histoire afin de la faire correspondre à ses souhaits et ainsi tenter de faire oublier ses propres turpitudes. Plus j'étudie la France dans la WWII, plus je pense que l'accident, c'est "l'aventure de Gaulle". Non pas que cette aventure soit condamnable mais plutôt qu'elle n'a été qu'un retardateur. Près de 70 ans plus tard, j'aurai tendance à penser que nous sommes revenus près du point de départ.

    Sur Winston Churchill, je vous recommande la lecture de sa première autobiographie "Mes jeunes années" dans la collection Texto: une véritable bouffée de joie de vivre rédigée par un homme qui se voyait probablement au crépuscule de sa vie.

    Pour comprendre la réécriture de l'Histoire à laquelle nous assistons quotidiennement, "1984" évidemment et surtout "Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits" de Christian Salmon aux éditions "la Découverte".

    RépondreSupprimer
  2. Par hasard, je relis l'histoire de la France Libre de JL Crémieux-Brilhac.

    Il explique très bien le miracle gaullien : il n'était écrit nulle part que, dans son malheur, la France trouverait un homme ayant non seulement le caractère pour relever le drapeau, mais également les capacités.

    Le gaullisme est très gênant pour nos dirigeants actuels, au point qu'ils ont transformé en volontarisme.

    Or, le volontarisme, malgré des consonances flatteuses avec la volonté, est un défaut puisqu'il consiste à croire qu la volonté peut faire fi de la réalité et pallie le manque d'intelligence.

    De Gaulle n'a pas négligé les réalités, au contraire, il a justifié son action par des réalités supérieures très clairement posées dès l'appel du 18 juin.

    RépondreSupprimer
  3. «Près de 70 ans plus tard, j'aurai tendance à penser que nous sommes revenus près du point de départ.»

    Le siècle de M. Pétain

    RépondreSupprimer
  4. J'ai lu avec intérêt le post sur le livre de Slama (je viens de commander ce dernier). Au moment ou vous l'avez écrit, je ne fréquentai pas encore la blogosphère mais ça me fait plaisir de penser que nous sommes plusieurs à avoir des pensées similaires.

    Deux fois, au cours du XXème siècle, le Gal de Gaulle est intervenu dans l'histoire de notre pays pour l'empêcher, au nom de sa riche histoire, de succomber à ses démons. La deuxième tentative a pris fin avec l'élection de F. Mitterrand en 1981. Ce dernier n'a eu de cesse, tout au long de son règne, de mettre à bas, tout en en profitant au maximum, l'héritage politique du Général. Chapeau bas pour cette réussite dont on voit en ce début de XXI ème siècle les ravages dans notre société. Qu'attendre de plus d'ailleurs d'un individu qui avait choisi comme affiche de campagne une image quasiment identique à celle qu'illustrait, 40 années plus tôt, le profil du maréchal Pétain et dont on a découvert, curieusement sur le tard, ses accointances avec les milieux d'extrême droite avant guerre, sa Francisque et ses amitiés "troubles" avec des gens comme Bousquet.

    Sans être un thuriféraire inconditionnel du Général, je lui reconnais bien volontiers, compte tenu de sa très grande culture historique, une capacité impressionnante à se projeter dans le futur, capacité qui fait cruellement défaut à ses successeurs et à la grande majorité du personnel politique, plus préoccupé d'obtenir des viatiques que de conduire notre pays vers des rivages un peu moins tumultueux, et une volonté politique qui s'appuie avant tout sur l'intelligence et une bonne connaissance du réel. Je ne reprendrais pas votre très bonne synthèse du livre de Slama mais "l'accident de Gaulle" n'a fait, malheureusement, que retarder le naufrage et bientôt, il ne restera plus que l'orchestre, et encore, qui jouera les pieds dans l'eau. H16 a décidément raison: ce pays est foutu.

    RépondreSupprimer
  5. Avant de commenter, il faut que je fasse une déclaration : bien qu'étant étranger, je suis, exactement comme Zemmour (sans son talent, hélas), amoureux de l'histoire, de la culture, de la langue et de la littérature françaises. Tombé dedans qand j'étais petit, j'ai du mal à m'en sortir ;-) Eh oui, ça arrive encore denos jours. Bon , cette déclaration d'amour (assez impudique et très désuète) était nécéssaire car ce que je vais écrire ci-bas pourrait être jugé comme méchamment anti-français :
    A mon avis, Mers-el-Kébir, c'est vraiment pas cher payé pour l'attitude infâme et lâche du gouvernement et d'une grande partie du peuple français en 1940 (et plus tard). En fait , les Français ont eu un bol de cocu, l'avènement de de Gaulle étant un vrai miracle qui leur a évité d'être sous occupation américano-britannique après 1945 (qu'il n'auraient pas volé, entre nous soit dit, au moins pour quelques années, pour des raisons de morale, ce qui était envisagé par Roosevelt et Churchill encore en 1944). Au lieu de ça, ils se sont retrouvés parmi les "quatre grands". Pour ce que de Gaulle a fait et obtenu en 1940-45, ainsi que pour avoir sû lacher l'Algérie quand il êtait encore temps, les Français devrait lui ériger des monuments dans toutes les communes et brûler chaque jour des tonnes d'encens devant.
    Une autre question est la mégalomanie française en politique internationale (la trop fameuse "exception française" dans tous les domaines), complétement déplacée, agaçante et risible, durant toute la période de l'après-guerre. Politique dont le ton fut donné par le Général mais qui trouva de dignes continuateurs, tout aussi superbes que lui mais beaucoup moins grands.

    RépondreSupprimer