vendredi, mai 03, 2013

La réaction aristocratique des hauts fonctionnaires

Eric Verhaege, d'Atlantico, argue souvent que la France est victime de la réaction aristocratique des énarques.

Cette réaction se caractérise par la défense des pouvoirs et des privilèges des hauts fonctionnaires, l'entre-soi, la cooptation, l'esprit de caste, le mépris de classe, l'obscurité complice, les cercles restreints, la vénération des diplômes et des classements, la crainte de tout changement, la détestation de la concurrence, la fuite du risque, l'horreur d'être jugé sur le résultat, la vanité sans limite, la cupidité effrénée d'argent public, la confiscation du pouvoir par une coterie.

C'est pourquoi ces gens portent une haine viscérale aux entrepreneurs (et aux entreprises qu'ils n'ont fréquenté vaguement qu'à travers des grands groupes qui sont des quasi-administrations. Martine Aubry croyant connaitre l'entreprise parce qu'elle a pantouflé quelques mois à Péchiney est un exemple).

Car les entrepreneurs sont tout le contraire des hauts fonctionnaires : ils affrontent le marché au grand jour, ils prennent des risques et leur réussite ne dépend ni de leurs diplômes ni de leurs relations.

Les qualités de l'entrepreneur ridiculisent l'énarque réseautant. Insupportable. Crime de lèse-majesté.

Bien entendu, l'apothéose de cette réaction aristocratique des hauts fonctionnaires est l'arrivée au pouvoir de François Hollande (il est haut fonctionnaire et il n'est que cela. Pour le reste, il est l'homme sans qualités (1)). L'ascension concomitante de la promotion Voltaire confirme cette analyse.

On peut faire un parallèle éclairant.

Fait peu connu parce qu'il ne cadre pas avec l'enseignement «républicain» d'une histoire linéaire conduisant mécaniquement à l'heureuse révolution (vous savez, celle de la guillotine pour tous) : les années 1750-1770 furent troublées par la réaction féodale.

Les parlementaires (c'est-à-dire les gens de robe, les magistrats) avaient été ennoblis sous Louis XIV. Ennoblissement consolidé par des mariages et des alliances. Leurs intérêts sociaux, fiscaux et politiques se sont donc mis à coïncider avec ceux de la noblesse d'épée, alors qu'auparavant ils étaient liés à l'administration royale.

Les robins ont commencé à tenir des discours complètement fumeux (une habitude qui perdure) les présentant comme les gardiens de la vieille tradition franque, face à un pouvoir royal usurpé. Tout cela pour justifier le rétablissement à leur profit de droits féodaux archaïques, oubliés depuis des siècles.

Et ils n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère : ils se sont montrés rebelles et maillotiniers, ils ont excité le public contre l'ordre, ils ont trainé la Cour dans la boue, ils ont financé des libelles injurieux.

Leur prétention fut extrêmement grave parce qu'elle délégitimait le pouvoir royal, garant de l'unité du royaume. Autrement dit, les magistrats ont trahi leur mission de gardiens de l'ordre et mis en péril l'unité du pays pour pousser leur idéologie de demi-intellectuels et leurs petits intérêts corporatistes (si cela vous rappelle l'actualité, ce n'est pas un hasard).

L'esprit des lois, de Montesquieu, a été écrit pour justifier cette réaction féodale. Alors, on ferait mieux d'y réfléchir à deux fois avant d'ériger en dogme absolu la séparation des pouvoirs mise à la mode par le baron de La Brède.

Finalement, Louis XV rétablit l'ordre par un coup de force (qu'on nomme, belle expression, un coup de majesté) quatre ans avant sa mort et on peut regretter, même si l'on comprend son scrupule, qu'il n'ait pas, à cette occasion, fait pendre quelques juges séditieux qui le méritaient bien. (2)

Les magistrats français ne sont pas des «traitres génétiques», mais ils se trouvent dans une situation où ils ont plus de pouvoir que de responsabilité, état propice au développement de tous les vices. La théorie de la séparation des pouvoirs justifie cette impunité, c'est pourquoi il faut s'en méfier comme de la peste. Dans les pays anglo-saxons, on a essayé d'instaurer des mécanismes pour éviter l'impunité des magistrats et les obliger à répondre de leurs actes.

En tous les cas, le bordel avait été tel que les intellectuels, y compris les très surfaites Lumières, se rallièrent à la théorie de la monarchie héréditaire comme meilleur système pour garantir la paix civile (3). Rousseau renia même son  Contrat social, expliquant qu'il était adapté à de très petits pays, comme la Suisse, mais pas à de grandes nations.

Pourtant, le pouvoir royal avait été ébranlé, avec les conséquences funestes que l'on vit vingt ans plus tard.

La leçon pour aujourd'hui n'incite pas à l'optimisme.

Le pouvoir n'est pas seulement un hochet pour ambitieux, il a une utilité sociale. Quand les ambitieux amoindrissent ou sapent le pouvoir pour atteindre leurs buts, ils mettent le pays en danger (4).

Cette leçon concerne beaucoup de monde : les juges, les journalistes, les enseignants, et les politiciens eux-mêmes.

De bidouillage constitutionnel en tripatouillage législatif, on n'a cessé d'amoindrir l'autorité suprême au point que le pouvoir est désormais confisqué par de minables hauts fonctionnaires.

«Levez vous, orages tant désirés» ?




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(1) : j'avoue que je me demande encore comment certains esprits égarés ont pu trouver des qualités à François Hollande. Qu'on vote Hollande par haine de Sarkozy, je le comprends mais qu'on trouve des qualités, autres que petites et mesquines, à Hollande, cela me dépasse.

Ce sont quelquefois les jugements des siens qui sont les plus terribles. A un journaliste lui demandant si son fils pouvait sortir la France de l'ornière, M. Hollande père répondit : «Il a beaucoup de diplômes». On a connu compliment paternel plus enthousiaste !

Autre anecdote. Quelqu'un que M. Hollande complimentait sur la réussite de son fils, colonel dans l'armée française, lui répondit : «Et vous ? Votre fils, président de la république». M. Hollande haussa les épaules.

(2) : le roi pouvait ramener les parlementaires rebelles à la raison par un «lit de justice». Deux sont restés célèbres, celui d'Henri IV au parlement de Toulouse pour les obliger à enregistrer l'Edit de Nantes. Il leur parla «avec les grosses dents». Celui où Louis XIV, rentrant de la chasse, se présenta avec un fouet à la main, symbole dépourvu d'ambiguité. Les parlementaires, courageux mais pas téméraires, se soumirent.

(3) : cette théorie dit que le roi est la seule personne du royaume dont l'intérêt personnel et l'intérêt public ne peuvent être séparés. Le roi est par nature incorruptible, puisque tout ce qui porte atteinte au royaume l'atteint en sa personne.

(4) : c'était précisément le but que s'était fixé le KGB que de mettre les pays occidentaux en danger en les sapant de l'intérieur, quand il a répandu dans les milieux intellectuels les idées anti-autorité qui sont encore si courantes.

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