samedi, mai 28, 2016

Manuel au pays des Soviets

Il est rarissime que je reprenne in extenso un article du Figaro. Mais celui-ci me paraît si pertinent que je me laisse aller. Je me suis contenté de souligner certaines phrases en bleu.








Manuel au pays des soviets



Manuel Valls, le 23 mai dernier.


LA CHRONIQUE DE PAUL-HENRI DU LIMBERT - Depuis un siècle, les socialistes français auraient pu comprendre que tout ce qui se trouve sur leur gauche est leur ennemi mortel.
La CGT ne fait pas la loi dans ce pays !» C'était mercredi à l'Assemblée nationale. Un cri du cœur, un cri de rage. L'auteur de cette forte phrase? Manuel Valls, qui fut socialiste dès ses premières culottes courtes mais semble découvrir seulement aujourd'hui, pour son malheur, ce que c'est que «la vraie gauche», comme on aime se proclamer avec une inexplicable fierté dans toutes les sections CGT de ce pays. Une exclamation indignée, donc, lâchée par le premier ministre 96 ans après le congrès de Tours et la fameuse scission entre communistes et socialistes. Zinoviev d'un côté et Léon Blum de l'autre. Depuis tout ce temps, c'est-à-dire un siècle, les socialistes français auraient pu comprendre que tout ce qui se trouve sur leur gauche est leur ennemi mortel. Plutôt que de subir l'influence des communistes et de cultiver un «surmoi marxiste» (pour reprendre l'expression préférée du chef du gouvernement), ils auraient dû, de longue date, les combattre et les décrédibiliser. Ils n'ont jamais su le faire. Tant pis pour eux. Et, malheureusement, tant pis pour nous.
Il semble que Manuel Valls ait trouvé en Philippe Martinez, extravagant personnage qui semble se prendre pour le maréchal Joukov, un adversaire tout entier attaché à sa perte. Le moustachu le plus célèbre de France, qui surjoue l'indignation avec des lourdeurs de cabot, a sous ses ordres une petite armée rouge que des décennies d'aphasie ont laissée conquérir tous les points névralgiques du pays. C'est-à-dire, pour résumer, l'énergie et les transports. EDF, la SNCF, la RATP. «Le communisme, c'est les soviets plus l'électricité», avait prévenu Lénine dès avant le congrès de Tours…

François Hollande a jugé utile de ranimer un [...] redoutable malentendu qui persiste depuis trop longtemps entre socialistes et communistes



Si notre intrépide premier ministre en est là, il le doit - entre autres personnages, car l'histoire des errements des socialistes français est très longue - à quelqu'un qu'il connaît bien. Puisque c'est son supérieur hiérarchique et qu'il s'appelle François Hollande. Si le candidat de 2012, mû par un soupçon de salutaire imagination et de courageuse clairvoyance, n'avait pas sacrifié à un détestable rite qui veut qu'un socialiste bascule inévitablement dans la démagogie pour s'attirer les bonnes grâces des gardes rouges, Manuel Valls ne serait pas aujourd'hui ce chef de gouvernement assiégé par la gauche de la gauche et même par une partie du PS. On en revient toujours, finalement, au regrettable «Mon ennemi, c'est la finance!», cette absurde facilité de langage à laquelle s'est laissé aller François Hollande au meeting du Bourget. Lui, l'ancien disciple de Jacques Delors, le social-démocrate bonhomme, a joué la comédie du grand soir.
Lorsque Zinoviev, envoyé par Lénine, présenta aux socialistes français les 21 conditions à remplir pour devenir membres de la IIIe Internationale (la 17e stipulait: «L'Internationale communiste déclare une guerre sans merci au vieux monde bourgeois et aux vieux partis sociaux-démocrates jaunes»), Léon Blum refusa. Et ce fut la scission. Près d'un siècle plus tard, au Bourget, en tendant la main à sa gauche au-delà du raisonnable, François Hollande a jugé utile de ranimer un très vieux et très redoutable malentendu qui persiste depuis trop longtemps entre socialistes et communistes dans notre beau pays de France. On exagère ? À peine ! Comment comprendre autrement les cris de haine que toute cette ultragauche déverse aujourd'hui sur le chef de l'État ? De Jean-Luc Mélenchon à Philippe Martinez, des frondeurs aux trotskistes, tous le traitent de «social traître», tous l'accusent de les avoir trompés, tous lui reprochent d'être le patron des «jaunes», pour reprendre l'expression de 1920. Et comment expliquer qu'une quarantaine de permanences du Parti socialiste aient été saccagées depuis le début de l'année un peu partout en France ?
Depuis cette malencontreuse après-midi de campagne présidentielle, en janvier 2012, François Hollande ne cesse de payer le prix de son égarement. Et la France aussi. Le temps d'une élection, il a voulu charmer Jean-Luc Mélenchon, Philippe Martinez et tous les enragés de la «vraie gauche» pour obtenir leurs voix. Bernés, ceux-ci n'ont plus qu'une obsession, sa disparition. Au Congrès de Tours, Léon Blum avait dit non à Zinoviev. Au Bourget, Hollande, fidèle à sa passion pour le flou, a dit ni oui ni non à Mélenchon et Martinez. Lesquels lui mettent désormais sous le nez la 15e condition de Zinoviev: «Les partis qui conservent jusqu'à ce jour les anciens programmes sociaux-démocrates ont pour devoir de les réviser sans retard...»

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