mercredi, janvier 31, 2018

Les frileux ne sont pas où ils le disent

Mis à part sa prétention ridicule à se faire passer pour Disraeli, j'aime bien les articles d'Edouard Husson.

Il a tout à fait raison : notre classe dirigeante passe son temps à traiter le peuple d'abruti trouillard, à l'accuser de frilosité inadmissible, à lui reprocher d'avoir « des peurs » (sous-entendu, sans fondement -c'est bien connu- le peuple est con tandis que les énarques sont intelligents, peurs avec lesquelles les affreux « populistes » jouent) mais il n'y a pas plus timoré qu'eux.

L'expérience malheureuse d'être dirigés par des énarques depuis des décennies nous a appris qu'il y a plus de bon sens et de courage dans un pilier de bistro que dans un autobus de technocrates.

De nombreuses raisons l'expliquent : la perte générale du sens du devoir, la sécession des élites (pourquoi prendre des risques pour un peuple dont on se sent pas faire partie ?) et, puis, tout simplement, suivant le mot de Soljenitsyne repris par Cynthia Fleury, le déclin du courage.

Les valeurs viriles, honneur, courage, ne sont même plus comprises (l'honneur est confondu avec la vanité et le courage avec la témérité). Or, ces valeurs empêchaient les dirigeants de tomber complètement dans l'égoïsme.

Autrement dit, on en vient toujours au même problème : une société féminisée sombre dans l'anarchie (comme une société trop virilisée tombe dans la stérilité intellectuelle, comme l'islam ou Sparte, mais ce n'est pas d'actualité chez nous ... sauf dans certains quartiers dont il ne faut pas parler).

Mais la classe dirigeante est encore plus timorée que le peuple.

Ce ne sont pas les peuples qui ont peur de la mondialisation: ce sont les dirigeants qui ont peur du réel


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Pour la deuxième année consécutive, le thème des « inégalités croissantes » était au menu [de Davos]. Cependant, vous remarquerez comme les libéraux résistent au principe de réalité. Ce n’est pas eux qui n’avaient jamais écouté Donald Trump; c’est le président américain qui est venu faire amende honorable en leur porposant d’investir aux Etats-Unis. Plus fondamental, ce n’est pas eux qui se sont trompés: ce sont les peuples, ou du moins une partie d’entre eux (ces « déplorables », comme les appelle Hillary Clinton) qui ont peur.

Voilà quelque chose que nous avons entendu dans bien des discours - et qui ne va pas disparaître du jour au lendemain car les libéraux s’accrochent au pouvoir. Pour le réprouver ou pour faire semblant de s’en apitoyer, ils vont répétant qu’ils ont bien vu qu’il existe des craintes dans les populations, que tout le monde n’est pas adapté à la mondialisation, qu’il faut bien en tenir compte etc..... C’est insupportable de bonne conscience et de condescendance. Mais cela vaut la peine d’être décortiqué. 

Quelques éléments me viennent immédiatement à l’esprit en commençant à y réfléchir. D’abord, on ne saurait imaginer « peuple » plus refermé sur soi, plus craintif que nos milieux dirigeants. Quand ils voient la peur chez les autres, ils parlent en experts. Regardez comme il est impossible d’y développer une opinion dissidente. Personne n’a le courage de s’y opposer aux autres.

On pourrait penser qu’il s’agit d’une société où les châtiments encourus pour la pensée dissidente sont terribles ; quelque chose qui ressemblerait à un pays totalitaire, à l’ancienne Union Soviétique, par exemple. Constatons surtout que pas grand monde n’ose mettre en question les croyances dominantes. Plutôt que 1984, nous nous trouvons dans Le discours sur la servitude volontaire. 

Rappelez-vous la campagne du référendum sur le Traité de Maastricht : il y eut bien un héros provisoire, Philippe Séguin, qui prononça quelques discours inoubliables;  mais, alors qu’il restait quelques jours de campagne, il s’effondra psychologiquement devant les flatteries prodiguées par François Mitterrand qui, bien que malade, eut encore l’énergie de transformer Séguin en « opoosant officiel »; ce dernier se ridiculisa au point de faire transporter à Epinal, dans sa mairie, la table du studio télévisé où il avait oublié d’affronter le président français. Puisque nous parlons de Mitterrand, avouons qu’il était lui aussi atteint de la même couardise - il impressionnait en France mais il se couchait devant les puissants de l’étranger. Mon père connaissait bien l’ancien président français et j’eus, étudiant, plusieurs occasions d’écouter l’oracle ; je n’oublierai jamais comment, lors d’une promenade sur les bords de Seine, cet homme que je trouvais très faux, s’arrêta, me posa la main sur l’épaule et, clignant nerveusement des yeux comme chaque fois qu’il révélait son double langage, me dit - on était en 1994: « Oui, c’est vrai, Benjamin; vous avez raison ! La France prend un gros risque à donner son indépendance à la Banque de France. Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne décision ». Une décision qu’il avait prise !

Vingt-cinq ans plus tard, nous ne pouvons que constater que le mal s’est aggravé. A force de mimétisme craintif, les milieux dirigeants ont créé une véritable idéologie, celle de la « mondialisation heureuse ». Et vous remarquerez ce paradoxe: jamais le réel n’avait autant contredit le discours euphorique sur le monde sans frontières; et jamais il n’y a eu aussi peu d’opposants au sein du système dirigeant. La nature ayant horreur du vide, il surgit des phénomènes comme Trump; le système déclenche alors contre eux l’artillerie lourde.

Mais c’est surtout la preuve de son incapacité à affronter le réel. Imaginez qu’à force de pilonner ils en viennent à abattre Trump: d’autres dragons, bien plus terribles encore, se dresseront et viendront les effrayer ou hanter leurs rêves. Si vous voulez appeler « peur », le rejet de la mondialisation par un ouvrier victime d’une délocalisation industrielle; ou la hantise de la violence adolescente chez des parents qui n’ont pas la chance ni les moyens de pouvoir inscrire leur enfant dans les meilleurs établissements scolaires, alors reconnaissez qu’il s’agit d’une réaction légitime.

Craindre, quand on ne possède pas grand chose, de perdre ce peu dont on dispose, voilà ce que nos dirigeants appelle peur de l’avenir, peur de l’ouverture, peur de l’adaptation à la mondialisation. Eux qui n’ont jamais osé s’opposer à la pensée dominante des institutions universitaires qu’ils fréquentaient ; qui n’ont jamais osé s’opposer aux modes des médias mainstream de peur d’être lynchés ; qui voient partout, comme ces individus décrits par La Boëtie, des maîtres dont ils exagèrent la puissance (les « marchés financiers ») ou des ennemis imaginaires (la Russie).

[…]

Et nos peuples ont l’instinct de survie quand ils essaient d’obtenir que les catastrophes transfrontalières soient contenues. Non seulement les dirigeants d’aujourd’hui sont, sauf exception, affreux de conformisme et de respect humain; non seulement ils efusent de voir le monde qu’ils ont eux-mêmes mis en place et ont peur du réel. Mais ils en ont oublié du coup le devoir des élites, ce pour quoi un dirigeant est jugé apte à diriger. Les peuples respectent ceux qui les protègent.

Et c’est bien la principale caractéristique de nos adversaires libéraux: ils ont renoncé, complètement, à l’éminente mission de la politique: protéger. Lorsque vous avez fait de meilleures études, lorsque vous possédez plus de moyens, lorsque vous avez accès à plus d’informations, vous pouvez à bon droit penser que vous êtes aptes à exercer une responsabilité dans la société. Mais si vous ne l’exercez pas « au nom du peuple », vous trahissez un pacte de confiance sans lequel il n’y a pas de société politique. C’est cela qui se joue, actuellement entre les « O,1% » et les « déplorables ».
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