mardi, août 27, 2019

7 mars 1936, remilitarisation de la Rhénanie

Le 7 mars 1936 (un samedi, on dit qu’Hitler a choisi ce jour parce que le week-end rend plus difficile une riposte coordonnée franco-anglaise), des troupes légères allemandes entrent dans le territoire démilitarisé des deux rives du Rhin, en violation du traité de Versailles.

Le gouvernement français décide de se contenter de protestations symboliques. C’est une défaite catastrophique pour la France, qui prépare et annonce celle de 1940.

Pour bien comprendre l’enjeu, il faut avoir en tête la politique de sécurité française.

En 1919, la France craint (à raison) la renaissance du militarisme allemand (quand Churchill dit en 1945 qu’il bombarde les villes allemandes parce qu’il veut « faire passer à jamais aux Allemands le goût de la guerre », il a probablement ce précédent en tête) . La solution idéale est le démantèlement de l’Allemagne, rejeté par les Américains et par les Anglais (ils seront plus avisés en 1945). Une solution de repli est la création d’un Etat rhénan indépendant, faisant tampon. Rejetée aussi. Il reste donc la démilitarisation des rives allemandes du Rhin.


(les temps d'occupation mentionnés sur cette carte n'ont pas été respectés)

La logique est la suivante : la France s’allie avec les pays de l’est (Pologne, Tchécoslovaquie) afin d'encercler l’Allemagne. Mais, pour éviter que l’Allemagne ne les annexe un par un, il faut que la France puisse les secourir en attaquant à l’ouest sans difficultés. Avec la démilitarisation de la Rhénanie, le Rhin n’est plus un obstacle. La France peut saisir en deux jours la Ruhr, principale région industrielle d’Allemagne. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait entre 1923 et 1925 pour obliger les Allemands à payer les réparations.

Inversement, la remilitarisation de la Rhénanie rend possible le détricotage de toute la politique de sécurité française .

Les responsables de l’époque ont cette logique en tête. Tout le monde sait aussi que la remilitarisation de la Rhénanie est un objectif de Hitler.

En 1936, les signaux inquiétants se multiplient. Le consul de France à Cologne ne cesse d’alerter, notamment sur la construction peu discrète de casernes. Le gouvernement français ne peut prétendre être surpris. D’ailleurs, il fait des sondages en prévision de cet événement :

1) la Grande-Bretagne, remarquablement manipulée par Hitler avec le traité naval négocié en 1935 dans le dos de la France, n’offre aucun soutien à une riposte armée au mouvement allemand.

2) le gouvernement français découvre avec stupéfaction que l’armée commandée par Gamelin n’a aucun plan en prévision de cette action attendue de tous, qui s‘attaque au pivot de la politique de défense nationale ! La posture défensive a été prise au mot jusqu’au ridicule, pas question de traverser le Rhin. Pour se dédouaner, les militaires prétendent qu’ils ne peuvent rien faire à moins d’une mobilisation générale, ce qui est une manière de chantage vis-à-vis des politiques. Ceux-ci auraient dû renvoyer les militaires dans leur 22 avec un grand coup de pied au cul en exigeant une opération limitée (une révérence excessive pour l’expertise des militaires les en a empêchés. Clememenceau n’avait pas ces pudeurs de jeune fille envers les galonnés).

Le gouvernement français, à six semaines des élections, décide donc de ne rien faire, au grand soulagement d’à peu près tout le monde (sauf des lucides et des courageux, qui n’ont jamais fait une majorité).

Les attachés militaires américains félicitent les Allemands ! Autant pour la légende des Américains, vaillants opposants au nazisme. On notera que, au contraire, l’attaché militaire français à Berlin, bien seul de cet avis, pense que la remilitarisation est un motif suffisant de déclaration de guerre.

Hitler dira (mais peut-on se fier à sa parole ?) que c’était la décision la plus importante de sa vie et que, s’il avait échoué, il se serait tiré une balle dans la tête.

Les conséquences pour la France sont nombreuses et toutes néfastes :

1) L'Allemagne et Hitler sont considérablement renforcés. Les généraux allemands commencent à se fier à lui. Hitler est conforté dans son pari sur la veulerie des alliés et dans sa façon de les manipuler.

2) Toute la politique de sécurité de la France est par terre.

3) Il est acté que la France ne prendra plus aucune décision se rapportant à l’Allemagne sans en référer à la Grande-Bretagne. Cette position subordonnée, quand il est question de vie et de mort de la nation, est grosse de catastrophes. C’est pour ne pas voir se répéter cette malheureuse sujétion que la France d’après 1945 fera de grands efforts pour se doter de l’arme atomique.

4) La nullité et la pusillanimité des généraux français éclatent aux yeux du monde entier, spécialement aux yeux des Français eux-mêmes. La perte de confiance du gouvernement dans l’armée est totale. Le médiocre premier ministre Albert Sarraut se dira « étonné du manque de virilité des généraux ». Bref, ils n’ont pas de couilles. C’est une grande faute des politiciens de ne pas avoir tiré les conséquences de ce triste constat en limogeant séance tenante un état-major si peu équipé, au moins cela aurait été un heureux effet de ce désastre. Même pas. Le comportement de Gamelin en 1940 ne pourra donc étonner personne.

5) Le roi des Belges prend, devant l’impéritie française, la décision très stupide (il n’est pas le seul à être très stupide dans cette affaire) de maintenir une stricte neutralité entre la France et l’Allemagne, comme si les deux pays présentaient une menace identique.

6) L’Italie bascule du côté hitlérien.

7) Nos alliés, de l’ouest et de l’est, commencent à se défier de la France, à considérer qu’elle est trop fragile pour pouvoir compter dessus. Un allié potentiel important, la Russie, est aussi pris par le doute.

8) Enfin, dans l’excitation de la campagne électorale en cours, les Français ont été peu nombreux à s’élever à la hauteur de cette affaire. On peut critiquer les politiciens et les militaires mais le peuple n’a pas été fantastique. Il ne s’est pas montré sous son jour le plus flatteur et ça n’a pu que renforcer les préventions des étrangers et les doutes des Français sur eux-mêmes .

Bref, comme on dirait en bowling, c’est un strike. Pour la France, difficile de faire pire. Pour Hitler, difficile de faire mieux.

Les accords de Munich sont devenus emblématiques, mais il était déjà trop tard.

Pire, aucune action fondamentale n'est tirée de ce désastre : ni le régime, ni l'armée ne sont réformés comme ils devraient l'être.

On peut méditer Michel Goya sur les difficultés des organisations à regarder la réalité en face et à se transformer :

« Bien souvent, en fait, il est beaucoup plus simple d’attendre de prendre une claque et d’espérer que l’on soit encore debout après. Le courage physique est plus courant que le courage intellectuel. »

Seulement, une claque à 50 millions de morts pour payer la lâcheté intellectuelle, c'est quand même un peu cher.



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