jeudi, avril 16, 2020

Mai 1940

Eric Zemmour dit partout que le COVID-19 est notre « Juin 40 » du XXIème siècle.

Je ne peux, hélas, que lui donner raison : même situation où une classe dirigeante faillie, imprévoyante et paralysée ruine notre pays face à des événements tout à fait prévisibles. Et, comme souvent, les Français se sacrifient pour compenser l'imprévoyance gouvernementale.

L'habitude d'Emmanuel Macron de commenter (à la Holllande) en spectateur désolé et impuissant des événements dont il devrait être le moteur rappelle tout à fait Maurice Gamelin, tout comme son incapacité à faire sortir l'administration de ses routines pour la mettre au tempo des événements.



Juin 40, mois politique, a commencé en mai, par la défaite militaire.

Suivant le précepte de Sun-Tsu, « La défaite dépend de toi, la victoire dépend de l'ennemi » (George Orwell en a fait une variante : « le moyen le plus rapide de mettre fin à une guerre, c'est de la perdre »), les causes de notre défaite sont toutes françaises :

1) l'absence de réserves. Quand, le 16 mai, Gamelin en personne informe Churchill qu'il n'a pas de réserves, Churchill éprouve « la plus grande surprise de ma vie ». C'est une pure question de compétence militaire (en l'occurrence, d'incompétence). Pendant le dramatique printemps 1918, la France a eu en permanence une armée en réserve, ça change tout. Le général Georges a soulevé plusieurs fois ce problème, mais, comme Gamelin ne pouvait pas le blairer, on a l'impression qu'il a pris un malin plaisir à le contrarier (« Gamelin et Georges sont plus occupés à se faire la guerre qu'à la faire aux Allemands », disaient les Anglais). A cause de ces mesquineries d'état-major, la France subit une catastrophe.

2) l'incapacité à s'élever au tempo de l'ennemi. Si le 14 mai au soir, Gamelin avait poussé la contre-attaque en pince qu'il envisageait, on aurait pu se retrouver, mutatis mutandis, dans la situation des Ardennes en 1944, avec une offensive allemande trop aventureuse qui tourne au désastre. Un Panzer en panne d'essence, c'est un pot de fleurs un peu lourd. Mais Gamelin, comme à son habitude, a laissé passer l'occasion.

3) l'incapacité à adapter les plans figés en novembre. Les premiers rapports d'aviateurs faisant état d'une colonne blindée dans les Ardennes datent du 8 mai, quatre jours avant le débouché allemand sur la Meuse. Quatre jours, dans une guerre moderne, ça laisse le temps de faire des choses. Rien. C'est d'autant plus navrant que ce scénario avait été envisagé plusieurs fois et qu'il n'aurait donc du surprendre personne (ce n'est pas compliqué : pour envahir la France, les Allemands n'ont que deux solutions, passer par les plaines de Belgique, plan Schlieffen, passer par les Ardennes).

Mais, comme avec les masques et la chloroquine, on s'était convaincu que, puisqu'on n'avait rien prévu, c'est que ce n'était pas la peine de prévoir, qu'il n'arriverait rien de fâcheux de ce coté là.


Et, ultimement, une cause politique : l'incapacité des gouvernements à bousculer l'armée dont les déficiences étaient de plus en plus criantes. Le 8 mai, le président du conseil Paul Reynaud met en accusation Gamelin devant les ministres pour s'en débarrasser. Le général en chef est défendu par le ministre de la défense, Daladier, le taureau aux cornes d'escargot, dont c'est la créature. Reynaud démissionne, Gamelin aussi.

A la veille de l'offensive ennemie, la France n'a plus ni gouvernement, ni général en chef !

Ces démissions ont été reprises, hélas, tandis que, coté anglais, le même processus portait in extremis Churchill au pouvoir.



On a reproché aux Anglais de reprendre très vite leur autonomie et de se replier sur la Manche, séparation stratégique que les Allemands ont vainement cherché à provoquer en 1918. Mais ils avaient évalué les Français de 1940 et on ne peut dire que la confiance régnait pas très fort, contrairement à 1918.

Contrairement au titre du livre de Marc Bloch (ce n’est pas lui qui l’a choisi), cette défaite n’a rien d’étrange. On l’a bien cherchée.

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