jeudi, mai 21, 2020

L'identitarisme contre le bien commun. Autopsie d'une société sans objet. (Michel Pinton).


Un billet un peu long mais je pense que ce livre et surtout son auteur en valent la peine.

Michel Pinton a un parcours original, c'est un fondateur de l'UDF qui a voté Non aux deux référendums (1992 et 2005) et contre le PACS.

Ce livre de 2018 explique remarquablement la crise du coronavirus !

Vu d'en haut

La « société libérale avancée » giscardienne a triomphé (Macron est un Giscard bis)  (1). Il n'y a plus de bien commun, il n'y a que des intérêts individuels (le vote Macron a ceci de frappant que, comme l'explique C. Guilluy, même au second tour, c'est un vote de classe, un vote égoïste).

Mais au lieu d'apporter la paix imaginée par les giscardiens (2), cette dissolution du bien commun, donc de la politique, a amené la guerre de tous contre tous, par l'intermédiaire des minorités et des groupes de pression. Les politiques, dont la raison d'être est de gouverner le bien commun, sont dépossédés de leur légitimité puisqu'il n'y a plus de bien commun, ils gèrent donc les futilités, comme la sécurité routière.

Les politiques effacés, restent comme arbitres les experts, (faussement) supposés impartiaux et compétents (par vénération scientiste). Or, ils ont deux caractéristiques :

1) Ils ont une vision très étroite, voire franchement bornée. Ils sont aux antipodes de la vision large que nécessite la politique.

2) Ils sont incapables de reconnaitre leurs erreurs.

Ce règne des experts est, pour Michel Pinton, une démission scandaleuse des politiciens et grosse de catastrophes (pas mal vu, non ?). Les princes d'antan seraient scandalisés par cette démission de nos gouvernants face aux experts (Pinton écrit cela avant d'avoir vécu le comportement indigne de Macron et de Johnson pendant l'actuelle épidémie. Il doit être fumasse dans son village creusois en ce moment).

Le portrait qu'il dresse de Jean-Claude Trichet s'adapte remarquablement à Salomon, Delfraissy et Barré-Senoussi !

Bien entendu, cet apolitisme expert cédant tout aux désirs individuels s'articule merveilleusement avec l'européisme.

Le bien commun se définit simplement : sécurité extérieure, sécurité intérieure, justice vis-à-vis des puissances, notamment des puissances d'argent.

Sur ces trois points, les gouvernements depuis 1974 sont défaillants. Pas étonnant que les Français soient bougons. Dès qu'un candidat y revient, Chirac en 1995 avec la fracture sociale, Sarkozy en 2007 avec la sécurité intérieure, il fait un triomphe électoral. Hélas, pas suivi d'effets.

La classe dirigeante passe son temps à insulter les Français (« irrationnels, influençables, puérils, bêtes, racistes, xénophobes etc. ») sans jamais s'interroger sur sa propre défaillance à remplir sa mission, c'est-à-dire à défendre le bien commun.

Après sa défaite, Giscard téléphone à Pierre Juillet pour lui demander pourquoi il a perdu. Celui-ci répond abruptement : « A cause de vos fautes ». Long silence de Giscard, puis : « Je n'ai commis aucune faute ». Et il raccroche.

Je ressens la même impression qu'à la lecture de ce dialogue quand je discute avec des bourgeois  installés qui se disent « forcés » de voter Macron contre Le Pen.

Michel Pinton explique  très bien comment ce régime est devenue une oligarchie tyrannique à force de manipulations des lois électorales : scrutins de liste, financement des partis, 500 signatures, quinquennat etc.


Vu d'en bas.

Pour décrire les effets de la « société libérale avancée » giscardienne vu d'en bas, Michel Pinton prend l'exemple de l'usine de filaments d'Aubusson.

Cette entreprise, d'abord indépendante et prospère, devient, de rachat en rachat, propriété du groupe néerlandais Philips. Elle ferme en 1987 parce qu'elle est moins rentable que l'usine de Taïwan. Comme Philips se veut « sociale », les conditions de licenciement sont avantageuses par rapport au standard. Philips promet aussi d'attirer des usines de remplacement.

Trente ans plus tard, les usines de remplacement ne sont jamais venues, elles sont plutôt en Chine, et les avantages des conditions de licenciement ont été vite épuisés. Aubusson, comme tant de villes françaises, est désindustrialisée et dévastée comme si elle sortait d'une guerre et c'est effectivement une sorte de guerre qui est menée contre cette France moyenne.

Michel Pinton a l'humanité de suivre quelques destins : la chef comptable devenue caissière après des années de chômage, ceux qui ont accepté les mutations de Philips qui se retrouvent dans des usines qui ferment à leur tour ... Finalement, beaucoup ont préféré des retraites anticipées de misère après avoir enchainé des boulots précaires usants. Certains ont sombré dans l'alcool.

Citons l'auteur :

« Vue d'en bas, le libéralisme avancé signifie éclatement des liens sociaux, solitude et précarité. C'est pourquoi il est beaucoup moins populaire qu'on l'imagine en haut. Mais cette vérité simple a beaucoup de mal à faire son chemin dans notre classe dirigeante ».

Nos élites n'ont rien à se reprocher

Les membres de la classe dirigeante ne se sentent aucun remords, aucune culpabilité : ils ont fait de leur mieux. Ils ont fait de leur mieux, certes, mais dans le cadre d'idées et de principes mauvais (c'est marrant comme un pondéré fondateur de l'UDF peut tenir, sans avoir l'air d'y toucher, des propos subversifs). C'est l'éternelle histoire du gentil gardien de camp de concentration : il est gentil, certes, mais il est tout de même gardien de camp de concentration.

Michel Pinton expose avec acidité les mécanismes d'auto-justification de ces élites locales et nationales qui ont failli à leurs devoirs vis-à-vis du peuple et du pays (j'ai l'impression de revivre des conversations familières !) (3).

Société sans objet, communautés sans objet.

Les fêtes communales ou nationales ont encore des spectateurs mais plus d'acteurs, les bénévoles ont disparu, on est obligé de faire appel à des professionnels : les Français n'ont plus de raison de faire des choses ensemble.

Avec audace, Michel Pinton compare une fête de famille chez des cas sociaux et chez un trader richissime multi-expatrié (Singapour, Londres, New-York, ...). Même ennui mortel par absence de liens : multi-divorcé, pas un enfant de la même mère, pas d'enracinement ... des déchets humains. Même le trader fait pitié, on se dit « pauvre type ! », dans les deux sens qu'on peut donner à cette expression. L'argent ne fait donc rien à l'affaire.

Il suffit d’avoir une vague idée des assommantes soirées entre expatriés pour comprendre le point de vue de l’auteur.

Je ne sais pas si Michel Pinton connaît la phrase de Bernanos disant que le crime de la modernité est de produire des hommes de type inférieur mais sa description y fait immédiatement penser.

Pinton est particulièrement inquiet des violences « gratuites » des jeunes, dont il comprend qu’elles n’ont absolument rien de gratuit mais sont au contraire une déclaration de guerre.

Communautarisme et identitarisme

Les droits de l’homme ont gagné : Danielle Mitterrand a ramené de Turquie, aux frais de la république, une centaine de réfugiés kurdes qu’elle a installés, toujours aux frais de la république, dans un village de la Creuse. Elle est partie, la conscience en paix, le sentiment du devoir accompli. Les caméras et les projecteurs aussi.

Et les Kurdes ? Malgré les efforts d’accueil des autochtones, ils se sont avérés inaptes à rien faire. La première génération a vécu des minima sociaux. La deuxième génération a émigré pour la métropole voisine où elle oscille entre délinquance et intégrisme musulman.

Cet exemple illustre à merveille le mélange d’arrogance et de naïveté de notre classe dirigeante.

Ensuite, on passe aux Turcs de Creuse (rien que la notion de Turcs de Creuse dit que nous sommes complètement cinglés). Ils profitent à fond de tous les aspects utilitaires de la France mais ne s’y intègrent absolument pas, en arguant de l’individualisme libéral « Vous me dites de m’épanouir comme individu. Hé bien, mon épanouissement, c’est d’être Turc parmi les Turcs ». Imparable.

Une société multi-culturelle est une société multi-conflictuelle.

Felletin

Suivant un parcours peu commun, Michel Pinton a été élu local après avoir exercé des responsabilités nationales.

La commune creusoise de Felletin compte 2 000 habitants. Mais on y retrouve tous les problèmes d'une société aliénée, notamment une technocratie envahissante puisque n'ayant plus le bien commun pour guide, elle n'a plus comme seul objectif que son propre renforcement.

Après le départ de Michel Pinton, qui ramait à contre-courant, les dépenses et les effectifs d'intercommunalité se sont générés eux-mêmes et ont explosé, avec un résultat minime pour les habitants. Et comme le préfet est désengagé, plus occupé à lutter contre le racisme et « l'égalité femmes-hommes », les choses sont allées jusqu'à la faillite.

Ecologiste et éleveur intensif

Michel Pinton remarque que l'écologiste et l'éleveur intensif, pour ennemis qu'ils se déclarent, ont au fond la même mentalité : celle de l'accomplissement personnel sans souci de s'intégrer dans une communauté humaine, son histoire, ses traditions, ses us et coutumes.

L'écologiste se croit opposant à la « société libérale avancée » alors qu'il en est le pur produit. Son souci abstrait et lointain de « la planète » n'est qu'un alibi, c'est un déraciné comme les autres.

Avenir sombre

Après deux mandats, Michel Pinton est battue par une socialiste qui se livre au clientélisme partisan débridé et, aux bout de deux ans, la commune de Felletin est mise sous tutelle. Je me demande (poser la question, c'est presque y répondre) si Michel Pinton n'est pas un maire trop bien pour les Felletinois.


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(1) : Giscard a perdu les élections mais ses idées ont gagné le pouvoir. C'est un schéma assez fréquent.

(2) : Pinton raconte une conversation avec Giscard où celui-ci semble réellement croire qu'en épanouissant les libertés individuelles, on éteindra les passions collectives et donc les conflits.

(3) : là encore, éternelle histoire humaine : combien de Français sous Vichy ont été des Résistants, actifs ou passifs ? Ce n'est jamais facile d'être un homme libre. Bien peu sont prêts à payer le prix de la liberté.




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