vendredi, juillet 25, 2025

L'abolition de l'homme (CS Lewis)

Cette édition est affublée d'une préface inutile et incertaine, probablement pour faire du volume. Ne la lisez pas, le texte de Lewis se suffit à lui-même.

Texte extraordinaire, issu d'une série de conférences en 1943, qui dit en 56 pages ce que Gunthers Anders exprime en centaines de pages.

La modernité fait disparaitre l'humanité, dont l'honneur est d'assumer le tragique de la condition humaine, remplacée par un troupeau de sous-hommes, incultes, insensibles, abrutis par la technologie, ne se différenciant pas fondamentalement des animaux d'élevage. Lewis n'aurait pas été surpris par les zombies de 2025, masqués, piqués, tatoués, obèses, QR-codés, courbés sur leurs écrans comme devant le Grand Turc.

La voie du Tao

Il prend comme point de départ deux manuels scolaires (de 1943) qui refusent de former les élèves à des jugements esthétiques et parle de men without chest, difficilement traduisible, puisque cela signifie littéralement « hommes sans poitrine » mais avec la nuance qu'on retrouve dans l'expression française « avoir du coffre ».

J'ai déjà dit que la plupart de nos contemporains étaient des sous-hommes ou, si cette expression connotée vous choque, des hommes diminués, amputés de l'esprit. Je parle en connaissance de cause : comme tout le monde, j'en ai dans mon entourage (le tatouage est un indicateur très sûr pour les repérer du premier coup d'œil).

Lewis accuse le relativisme, niant toute valeur morale absolue découlant de la loi naturelle, tentative moderne de bâtir sur du sable.

Aparté : la loi naturelle est toujours le prétexte d'un quiproquo fâcheux. Il ne s'agit pas de la loi de la jungle mais de la la loi découlant de la nature de l'homme, être corporel et spirituel, social et rationnel.

Lewis prend un exemple personnel. Il est mal à l’aise en compagnie de jeunes enfants (donc il n'est ni Jack Lang ni Daniel Cohn-Bendit ni Pierre-Alain Cottineau). Il n’en tire pas (subjectivisme) que les enfants sont inintéressants mais (rationalité loi naturelle) que les enfants sont l’avenir et qu’il a, lui, un problème de sensibilité vis-à-vis des jeunes enfants.

Lewis baptise la voie traditionnelle de construire les valeurs morales sur la loi naturelle, qu'on retrouve dans beaucoup de religions et de cultures, la voie du Tao. En annexe, Lewis a mis une série de préceptes moraux interchangeables issus de différentes cultures (chinoise, indienne, assyrienne, chrétienne, juive, etc.) montrant l'unité des morales fondées sur la loi naturelle.

Les hommes sans poitrine flottent dans le relativisme, sans rien pour connecter la tête, l'intellect, avec les tripes, le sentiment.

La midwiterie

Lewis est décidément remarquable. En 1943, il incrimine dans l’erreur relativiste les midwits (en français les demi-habiles, les Intellectuels-Idiots, les gens qui font des études supérieures sans en avoir les capacités). Le livre de Burnham sur la classe manageriale date de 1941. Lewis l'a-t-il lu ? Toujours est-il qu'il identifie bien le péril de de la midwiterie alors que les rejetons de ce phénomène délétère, la « massification de l'enseignement », ne prendront le pouvoir que 25 ans plus tard (mai 68).

Le « gang des R25 » de 1981 est un sommet de midwiterie. Je pense ne pas leur faire une injustice en disant que Mitterrand, Mauroy, Rocard (dont on a su récemment qu'il était financé par l'Algérie), Bérégovoy, Cresson, ce n'était pas exactement Richelieu et Mazarin.

Les Novateurs (comme ils les appellent) sont incapables de fonder une morale sur ... rien. Ils sont donc obligés de recycler des parties du Tao tout en se fixant pour but de le ruiner. Et, à la fin, il ne reste rien. Il tient un raisonnement très similaire à celui d'Emmanuel Todd expliquant le passage du catholicisme au catholicisme zombie, puis du catholicisme zombie au nihilisme, pulsion de mort. Sauf qu'il le fait avec 80 ans d'avance. Là où Todd observe, Lewis prédit avec une stupéfiante acuité.

Il exécute Nietzsche en une phrase (« Nietzsche est un nutritionniste qui penserait intelligent de nous apprendre à manger des cailloux »), comme il sied à un homme intelligent. J'éprouve de la pitié pour ses petits cons midwits qui ont lu Nietzsche et se prétendent « nietzchéens », sans saisir que c'est une de ces lubies d'adolescent qui ridiculisent un adulte.

Le refus de la vie

Les premiers essais de pilules contraceptives datent des années 20 mais elles ne seront vraiment au point que dans les années 50. Lewis n'en fait pas de mention directe. Quant à l'échographie et au diagnostic prénatal, ils sont encore dans les limbes.

Pourtant, Lewis explique que les progrès de la contraception transformeront la vie de don de Dieu en opération planifiée (ce que, dans notre langage néo-nazi de 2025, on appelle « un projet d'enfant ») et que tout cela finira mécaniquement par un eugénisme admis par tous et, à la fin, par le refus de la vie.

D'accord, c'est plus facile de faire des prédictions justes quand on a les bons principes et qu'on a oublié d'être con, mais, tout de même, je suis impressionné.

Des non-humains

A force de verser dans le relativisme, de combattre la nature, les Novateurs n'ont plus aucune règle et sont soumis à leurs seuls désirs. Ils deviennent inhumains, des zombies.

S'ils sont dirigeants, ils n'ont comme outils que le conditionnement et la manipulation, puisqu'ils nient que la Vérité qui pourrait convaincre de leur obéir existe.

C'est peut-être le passage le plus extraordinaire de ce texte hors du commun : en 1943, Lewis fait une description exacte de la caste macroniste :


Pas mal vu, non ?

Au passage, la question du sexe de Brigitte Macron n'est pas anecdotique, comme le croient les naïfs (« La France a des problèmes plus graves ») : elle est le signe de la caste, de sa transgression institutionnalisée, de son défi à la nature, de son inhumanité, de sa perversité.

L'abolition de l'homme

Plus l'homme maitrise la nature, plus il s'éloigne de sa propre nature, plus il devient artificiel (Ellul disait des choses du même genre). Jusqu'au moment où il pourra se modifier lui-même pour n'avoir plus rien d'humain, n'être qu'un robot, Lewis évoque les manipulations génétiques (oui, en 1943, Lewis annonce le transhumanisme).

Il en profite pour glisser la très aristotélicienne remarque que ce monde est celui des causes efficientes partout et des causes finales nulle part.

Lewis fait donc cette prédiction extraordinaire, pleinement réalisée en 2020 lors du délire covidiste et l'avénement de la médecine vétérinaire à destination des (ex-)humains : un petit groupe d'hommes, rendus inhumains par leur immoralité, maitrisant les techniques de manipulation de masse, fera obéir, sans guère de violence, un immense troupeau d'hommes sans poitrine, de zombies, rendus inhumains par leur vide intérieur.

Et ainsi, se fera l'abolition de l'homme.

En 2025, cette parole prémonitoire est accomplie. Sauf peut-être en Afrique et en Amérique du Sud.

Pour Lewis, l'abolition de l'homme est irréversible. Une fois que des hommes ont appris à manipuler d'autres hommes dans leur être, ce savoir corrode tout.

Je n'en suis pas si sûr. Les zombies sont fondamentalement stériles, même s'ils se mettent un jour à produire des bébés dans des machines.

Il restera bien dans un coin de la Terre quelques hommes qui se soumettront encore joyeusement au Tao et qui survivront.


mercredi, juillet 16, 2025

Une Eglise qui se trompe de siècle (Maurice Druon).

Livre de 1972. Période charnière : le Camp des Saints est publié en 1973. Entre ses deux livres, il y a tous nos malheurs et leur explication.

C'est toujours un plaisir de lire Druon. Son style est académique mais point trop pesant.

Baïrou regnante, rappelons au passage sa polémique avec le melon de Pau :

Retour sur la polémique Druon-Bayrou

Le présent ouvrage est un recueil de réponses à un article de Druon intitulé Une Eglise qui se trompe de siècle.

Mais le plus plus important est la longue introduction de Druon.

Notons qu'à l'époque, le mouvement de vidange des églises n'en était qu'à ses débuts. Le temps écoulé nous permet de mieux juger la prescience de Druon et la légèreté de ses contradicteurs.

Laissons parler Druon :

« À constater l’ampleur de la crise – elle n’est pas seulement française et bien d’autres pays la subissent – qui sévit à la fois dans l’Université et dans l’Église, qui atteint et la langue maternelle et la religion maternelle, on ne peut pas ne pas se demander si l’on ne se trouve pas devant une vaste entreprise, concertée par certains, inconsciemment servie par l’aveuglement de certains autres, favorisée par l’insatisfaction de beaucoup, et qui aurait pour fin de couper les nouvelles générations des acquis ancestraux.

Les conditions d’une révolution n’étant pas réunies, et les chances semblant maigres, à ceux qui souhaitent une subversion radicale des sociétés, de se saisir du pouvoir soit par l’effet d’un conflit international, soit par le jeu des institutions en place, le seul moyen de transformer le monde consisterait alors à ne pas transmettre l’héritage culturel, en tout cas pas dans sa totalité. Ainsi, travaillant à échéance, formerait-on des générations qui ne pourraient plus penser l’homme, ni le monde, ni Dieu, selon les schémas ancestraux, et dès lors n’offriraient plus aucune résistance à basculer dans un nouveau type de société.

Pour inconscients qu’en soient la plupart de ceux qui y participent, cette conspiration du rejet n’en est pas moins perceptible et inquiétante. Elle pèse sur l’Université où les réformateurs préconisent de donner priorité à la langue parlée sur la langue écrite, donc au tâtonnant et au malléable sur le réfléchi et le durable ; où l’accent est mis sur la libération des facultés de l’enfant – de quoi faut-il donc le libérer avant qu’il ait été opprimé, sinon du patrimoine et des moyens d’en prendre possession ? où l’étude des langues anciennes est décrétée d’inutilité, et la part faite aux œuvres datant de plus d’un siècle constamment réduite, comme si tout cela ne devait plus constituer qu’une sorte de paléontologie de la pensée humaine.

Or l’Église, elle aussi, est enseignante par nature. Elle est héritière, dépositrice, d’un patrimoine culturel qui est antérieur même au message évangélique. Elle transmet une certaine conception du monde d’où découle une certaine morale. Et c’est à partir de cette morale que se fait le droit et que se font les lois. L’Église est donc l’autre pilier qu’il faut faire céder, l’autre racine maîtresse, et la plus ancienne et la plus profonde, qu’il faut, rite par rite, tradition par tradition, dogme par dogme, saper ou scier. Ainsi l’arbre pourra s’abattre à la première tornade, ou simplement se coucher, d’épuisement. Ainsi l’on pourra fabriquer un homme nouveau pour un monde nouveau. »

Chapeau l'artiste !

Comme quoi « Qui aurait pu prévoir ? » n'est qu'un leurre pour demeurés. En réalité, tous les hommes intelligents avaient prévu ce qui nous arrive.

J'ai souvent ce dialogue, soit directement soit après quelques circonvolutions :

_ Tu trouves que la France va mal ?

_ Oui.

_ Tu veux faire quelque chose pour la France, simple et efficace, que tes ancêtres faisaient ?

_ Ah bah oui alors !

_ Va à la messe tous les dimanches.

_ Ah bah nan alors ! J'ai piscine ...

_ Alors, de quoi te plains tu exactement ?

Druon, lui, aurait compris ce que je disais et pourquoi je le disais.

Quelle étrange inconséquence. Voilà des gens qui se plaignent, sincèrement je suppose, de la chute de la France, mais ne font pas la relation avec leur propre responsabilité, avec le fait qu'eux-mêmes rejettent ce qui a fait l'âme de la France pendant vingt siècles.

Et je ne leur demande pas de se mentir, de raconter des histoires. Je leur demande de se soumettre à la Vérité. Dans le Christ, il y a le Chemin,  la Vérité et la Vie, c'est le réalisme intégral. La quête de la vérité est est une démarche individuelle.

Mais, bénéfice secondaire, dans l'Eglise, il y a la paroisse. C'est le dernier lieu de sociabilité naturelle des Français, maintenant que le bistro et l'usine ont à peu près disparu. Je suis désolé, mais les autres lieux de sociabilité, comme le club de randonnée des boumeurs, n'ont pas la même charge intemporelle, intellectuelle et spirituelle.

Je crois que le nœud de ce paradoxe est l'orgueil. Le refus orgueilleux de se soumettre à Dieu, le reste est du baratin. Et une soumission réelle, à travers une organisation humaine faillible, qui dit et fait pas mal de conneries.

Druon partage cette faiblesse puisqu'il se dit plus proche de Marc Aurèle que de l'Eglise. C'est ridicule : il fulmine, très justement, contre l'évolution d'une Eglise qu'il ne fréquente pas.

Encore Druon :

« La condition humaine est en vérité intolérable ... à moins, à moins qu'on ne la pense inscrite dans un ordre divin ; à moins que l'homme ne se considère pas comme étant à lui-même sa propre fin, à moins que chacun de nous envisage son existence comme un concours à un concert universel, mystérieux mais indéniable. Alors tout change d'aspect, tout se remet en place, tout devient acceptable ; et même apparaissent dans notre destinée de grandes plages de bonheur. Alors vivre reprend un sens, et notre situation d'êtres conscients redevient un privilège, une dignité. Alors les choses retrouvent saveur ; alors les autres redeviennent des semblables. Alors les actions acquièrent un objet et revêtent une signification, le problème à nous posé étant de reconnaître celles qu'il nous faut accomplir pour nous conduire conformément à l'ordre universel.

Quelle que soit la vision, obscure ou illuminante, que nous nous fassions de la Divinité, que notre pensée l'imagine transcendante au monde, ou immanente, ou à la fois transcendante et immanente, que nous lui prêtions ou non des traits et des attributs extrapolés de nos propres caractéristiques, que nous la concevions organisée en de multiples forces ou enfin que nous la pensions unique et rassemblée dans un seul vouloir, l'important est que nous ne l'ignorions pas.

Et il faut bien parler de « Révélation » pour désigner cette connaissance intuitive donnée à l'homme, en même temps que la conscience des choses, d'un Dieu qui les gouverne.

Le « contentus sua sorte » [content de son sort] du sage antique suppose le principe d'un ordre divin. L'acceptation de l'existence de Dieu est le préalable à l'acceptation de nous-mêmes. C'est la seule attitude à partir de laquelle la vie peut être ressentie comme un bienfait et non comme une succession d'inadmissibles malheurs, la seule aussi à partir de laquelle nous sommes en mesure de porter aux autres un secours réel. Tout le reste est errance de l'orgueil, tout le reste est démence tournant à vide dans la nuit. 

Les religions, par leurs dogmes et leurs rites, les Eglises, par leurs structures, leurs liturgies, leurs règles, sont la représentation de l'ordonnance universelle, les médiatrices qui permettent à l'homme de s'intégrer en esprit à cette ordonnance, de se sentir relié à l'essence divine. Et à partir de là, d'observer une morale. L'homme irréligieux est un homme perdu. Une Eglise qui se désorganise, qui étale ses doutes, qui conteste ses rites, qui néglige le permanent au profit du temporel, qui perd son ordonnance et se désacralise, une telle Eglise ne peut pas aider l'homme à se sauver ; mais elle peut l'aider à se perdre. »

Druon est pusillanime en en fréquentant l'Eglise dont il comprend l'importance, mais que dire de ses contradicteurs, amis du désastre, docteurs Tant Mieux du naufrage ? Entre le moment où ils écrivent (1971-1972) et aujourd'hui, la fréquentation des églises de France a été divisée par 20. Par 20 ! Et on peut écrire tous les branlotages d'intello qu'on veut : pas de fréquentation des églises, pas de sacrements, pas d'âmes sauvées.

La seule réponse qui tient l'épreuve du temps, est celle de Jacques Villeminot (je ne sais pas qui c'est, je n'ai trouvé qu'un explorateur de ce nom et je doute que ce soit le bon Villeminot), parce qu'il la construit avec des arguments théologiques, et il va plutôt dans le sens de Druon.

L'esprit de Vatican 2 (j'emploie cette expression pour ne pas restreindre le problème au concile lui-même)  n'est pas une réforme comme il y  en a déjà eu, mais une révolution parce qu'il introduit une hérésie : le subjectivisme, la « protestantisation » de l'Eglise, dans l'esprit du temps. « L'Eglise a cru ouvrir ses bras au monde, elle lui a ouvert les cuisses ».

Une fois qu'on a compris cela, le « malaise » de l'Eglise s'éclaire. Ce n'est pas un malaise, c'est un renoncement à soi-même, à sa mission. Une perdition satanique.

Mais je crois et j'espère que le pire est derrière nous, que François Zéro était le point bas du modernisme. Nous verrons bien. Ca n'empêche pas de prier et d'aller à la messe.

lundi, juillet 07, 2025

Castelnau, le maréchal escamoté (Jean-Louis Thériot)

 

On connait l'histoire mesquine : Castelnau méritait autant que Foch et Joffre d'être élevé à la dignité de maréchal de France mais comme il était catholique, il a été privé du bâton par la raie publique.

La gueuse étant basse et rancunière, les élèves de Saint-Cyr ont eu du mal à donner à une promotion le nom de cet homme qui a perdu ses trois fils à la guerre (et un petit-fils et deux neveux à la guerre suivante).

L'anecdote est célèbre : apprenant la mort d'un de ses fils en conférence d'état-major, il se retourne quelques secondes pour prier, puis « Messieurs, reprenons ».

Avec Lanrezac à Charleroi et Gallieni à Paris, Castelnau fait partie du trio qui sauve l'armée française par des décisions judicieuses, a contrario des absurdités de Joffre, lors du désastre d'août 14. On notera que, mesquin comme à son habitude (en cela, c'est un excellent raie-publicain) Joffre occulte la victoire de la trouée de Charmes, qui a évité à l'armée française en déroute d'être prise à revers.

Autre particularité de Castelnau : il a refusé d'écrire ses mémoires en disant « Je n'ai rien à me reprocher ». Ca n'aide pas à devenir une vedette.

L'enfance

Hobereau méridional désargenté, il a une enfance heureuse. Son père lui donne le culte du travail ... en plus du culte catholique !

L'année terrible

Saint-Cyrien en 1871, il participe aux combats de l'armée de la Loire. Seuls des grands chefs de la guerre de 14, il a combattu en métropole. Et, on dira ce qu'on voudra, combattre les Prussiens, c'est autre chose que combattre les Malgaches.

Il participe à la répression de la Commune, ce qui fournit prétexte aux gauchistes à profaner régulièrement sa tombe (quand on pense qu'il a un arrière-petit-fils communiste militant !). Thiers avait raison, il fallait réprimer cette racaille, mais les bourgeois comme Flaubert ont eu tort de s'en réjouir ignominieusement.

Il fait un mariage d'amour qui lui donnera 12 enfants. Son épouse est un appui constant. C'est elle qui l'incite à ne pas démissionner dans les moments de découragement. Il dit qu'il est plus fier d'avoir été un bon père que de tous ses exploits guerriers.

N'ayant pas de portrait de Marie de Castelnau, je me suis amusé à en faire faire un par une machine à partir de sa description.

Adjoint au chef d'état-major

Avant guerre, il se fait beaucoup d'ennemis parmi les politiciens, notamment à gauche, en pointant sans ménagement l'absurdité de certaines décisions dans le domaine militaire.

Clemenceau (décidément, plus je le connais, moins je l'aime) mène une campagne insidieuse pour saboter sa carrière. C'est lui qui invente « le capucin botté » et « le général de jésuitière ».

La défaite de Morhange

La défaite de Morhange est entièrement due aux ordres d'attaque criminels du GQG (« Foncez, vous n'avez rien devant vous ») et à l'attaque prématurée de Foch (alors subordonné de Castelnau).

Foch n'aura de cesse de faire porter à Castelnau le chapeau de ses conneries (« Foch est complètement fou » disait Clemenceau), allant même jusqu'à dire « On ne donne pas le bâton de maréchal au vaincu de Morhange », ce qui est absolument scandaleux, sans aucun doute possible, vu tout ce qu'on sait aujourd'hui avec les archives des deux camps.

Mais il faut dire les choses comme elles sont : Joffre, Pétain et Foch étaient des personnages peu ragoûtants. On peut être grand guerrier et très petit homme.

Si Castelnau n'a pas été maréchal, c'est à cause de la coalition des médiocres. Nous y reviendrons.

La défaite de Morhange est suivie la semaine d'après par la victoire de la trouée de Charmes.

La bataille de la trouée de Charmes

Situation générale août 14. L'armée française devrait prendre une position défensive comme l'ont montré les exercices d'avant-guerre, mais cet âne de Joffre (Joffre est un âne, il n'y a pas d'autre mot, mais la gueuse a eu peur de nommer un général plus talentueux) passe à l'offensive. Erreur rendue catastrophique par une évaluation erronée des réserves allemandes.

Les Allemands débordent par la Belgique, Lanrezac ordonne la retraite générale contre les ordres de Joffre, Gallieni à Paris prépare une contre-attaque de flanc dont Joffre ne veut pas. 22 août 14, journée la plus meurtrière de l'histoire de l'armée française : 27 000 morts.

Plus au sud-est, en Lorraine, les troupes de Dubail et de Castelnau se font hacher par l'artillerie allemande et se retirent en désordre (défaite de Morhange). Les Allemands commettent l'erreur de croire à une déroute et poursuivent imprudemment l'offensive.

La trouée entre Nancy et les Vosges a été laissée libre de fortifications pour constituer un piège pour l'ennemi (tous les militaires français ne sont pas idiots). Les collines environnantes sont de bonnes plateformes d'artillerie. De plus, Castelnau connait très bien la région.

Il tire intelligemment les leçons des premières batailles et décide qu'attaquer de front est trop dangereux. L'aviation française (vive la modernité) repère bien l'avance ennemie. Les Allemands commencent déjà à avoir des problèmes logistiques, qui culmineront pendant la bataille de la Marne, deux semaines plus tard.

A Gerbéviller, le 24 août, 60 chasseurs commandés par un adjudant qui connait la région par cœur arrêtent une brigade avant de disparaitre dans les bois. Comme à leur habitude, les Allemands se vengent de leur frustration en massacrant des civils (voir la thèse de Jean Lopez que la doctrine de l'armée allemande la rend génocidaire).

Castelnau laisse les Allemands s'engager dans la trouée (« Quand vous voyez l'ennemi commettre une erreur, ne l'interrompez pas. » Bonaparte). Dans la nuit, aidés par les habitants, cinq groupes d'artillerie français (60 canons) s'installent sur les collines environnantes.

Les Allemands attaquent, les Français reculent. La situation devient confuse, les ordres arrivent mal, quelques officiers subalternes prennent la situation en main et contre-attaquent les Allemands étrillés par l'artillerie. Un aviateur essaie de guider les fantassins par signes (bonjour la communication), la poursuite s'engage.

L'infanterie française descend des collines, les Allemands subissent des pertes terribles, notamment d'officiers (à la guerre, quand les pertes d'officiers augmentent, c'est toujours signe que la situation est critique).

Castelnau donne l'ordre « En avant partout, à fond ! », espérant transformer cette victoire tactique en décision stratégique (stratégie-fiction : si Castelnau avait réussi à remonter vers le nord, les troupes allemandes qui couraient vers Paris auraient été en très fâcheuse posture, Sedan inversé). Mais les hommes sont épuisés et l'artillerie, décisive, a du mal à suivre l'offensive. La situation se fige.

Les Allemands ont environ 20 000 morts, les Français un peu moins (pour une fois).

Cette bataille aboutit à une décision très controversée en Allemagne après la guerre : Moltke prélève des troupes en Belgique, plutôt qu'en Lorraine, pour les envoyer à l'est, assurant ainsi sans le savoir le succès français sur la Marne.

Bizarrement (il faut y avoir l'influence maléfique de Joffre), cette victoire de Castelnau est plus connue en Allemagne qu'en France.

Toujours est-il que cette victoire fait couple avec celle de la Marne, la seconde aurait été impossible sans la première.

En une semaine, il perd trois enfants : deux tués, un disparu (dont on apprendra qu'il est prisonnier). Un quatrième, son préféré, le rebelle, sera tué l'année suivante.

La méthode Castelnau

C'est probablement le meilleur général français de l'époque, c'est en tout cas l'avis des Allemands. Le moins farfelu, le plus professionnel. Il reproche à ses collègues de ne pas être carrés, méthodiques.

A l'époque où Foch dit « L'avion, militairement, c'est zéro, c'est du sport », Castelnau fait des expérimentations d'observations aériennes, il s'intéresse à la TSF et au téléphone.

Marcheur infatigable, il va beaucoup voir par lui-même.

Il est adoré de ses hommes, parce qu'ils le voient souvent près des lignes, mais, surtout, pour la seule raison qui fait vraiment adorer un général par ses hommes : parce qu'ils savent qu'ils ne seront pas sacrifiés inutilement.

Il est l'un des rares (avec Pétain, il faut le reconnaitre), à avoir compris.

Quelques semaines avant la guerre, alors qu'il a un mauvais pressentiment, pendant une manœuvre, il tient un discours qui marque ses subordonnés et qu'ils appellent « l'homélie sur la mort ».

Il demande à un colonel interloqué où il veut être tué et le colonel lui répond qu'il ne veut pas être tué : « C'est très bien, vous ne voulez pas être tué, vous voulez vaincre. Mais il y a un point où un officier ne peut plus reculer et, une fois qu'il a choisi ce point et que des circonstances malheureuses le lui ont fait atteindre, il doit être prêt à y être tué. La mort sauve l'honneur de l'officier, mais c'est la victoire qui sauve le pays. Un officier ne doit pas mourir pour rien, mais parce qu'il défend un point stratégique où il ne doit plus reculer. »

On est loin de l'offensive à outrance.

C’est un des rares généraux qui ont compris qu’on ne traite pas des citoyens-soldats comme de la chair à canon. Un jour, il explose devant la mauvaise organisation du service de santé aux armées, il n’admet pas que des blessés (devenus militairement inutiles) soient « traités comme des chiens » et laissés agoniser sans soins (le témoignage de Genevoix sur sa propre blessure est édifiant). Cette colère, remontant jusqu’au ministère, aura des effets positifs.

Au bon endroit, au bon moment

Au GQG, il est le seul parmi la bande d'ânes de Joffre à s'inquiéter pour Verdun. Dès le début de l'offensive allemande, il prend les mesures décisives : s'accrocher aux deux rives de la Meuse et remplacer son ami Dubail (qui en gardera de l'amertume) par Pétain.

Ensuite, il est expédié à Salonique, où il réorganise l'armée.

Notons que Castelnau a été insulté par Joffre, Foch et leurs entourages, pendant et après la guerre, parce que la stratégie qu'il préconisait était la défensive en France et l'offensive dans les Balkans contre l'Autriche. Ils l'ont traité de mou. Joffre a écrit perfidement que son courage était inférieur à son intelligence (rappelons que c'est le seul général à avoir combattu personnellement des Prussiens).

Or, nous savons aujourd'hui que c'est la défaite de l'Autriche à l'automne 1918, ouvrant la route vers Berlin par le sud (Budapest, Vienne, Prague) qui a forcé les Allemands à demander l'armistice. Certes, la déroute de l'armée allemande sur le front français a joué son rôle, mais il faut avouer que c'était très bien vu de la part de Castelnau.

La pétaudière raie-publicaine

Pendant 3 ans, jusqu'à l'avénement de Clemenceau, le gouvernement de la république française n'a qu'un but et un seul : maintenir au pouvoir le gouvernement de la république française.

D'où des décisions criminelles qui ont coûté des centaines de milliers de vies françaises pour ne pas se dédire ou pour se donner le beau rôle.

Par exemple, Joffre aurait dû être limogé fin aout 14 ou fusillé en décembre. Au lieu de cela, il est laissé libre de faire ses dégâts jusqu'en décembre 1916.

Autre exemple : le général Sarrail. Imprévoyant, brutal, n'ayant aucun coup d'œil, vivant en satrape (on se demande même si sa maitresse n'est pas une espionne), il est toujours surpris par l'ennemi. Mais voilà, franc-maçon, il a des relations à Paris et c'est un « bon républicain ». Dès qu'il est question de le limoger, il trouve des défenseurs à l'aile gauche du gouvernement et ça ne se fait pas.

Il est donc nommé à l'armée d'Orient, théâtre stratégique. Une fois de plus, son incapacité éclate. Mais le gouvernement, biaise, tergiverse. Il faut attendre décembre 1917 pour voir limoger un général dont on savait depuis août 14 qu'il était mauvais comme un cochon.

Il continuera ses conneries en Syrie après la guerre, c'est l'anti-Lyautey. Ca vaut le coup de citer Wikipedia, peu connue pour être une antre de droitards  :

« Ami du vénérable maître de la Grande Loge de France, sa désignation, dont se félicite le Grand Orient de France auprès des loges locales est un signal important pour l'essor de la franc-maçonnerie en Syrie. 

Néanmoins, ce laïc militant débute mal avec les chrétiens du Liban, pourtant francophiles. L'opposition venait surtout des Druzes, exaspérés par les méthodes du général Sarrail, un jacobin laïciste et intransigeant qui pratiquait une administration directe sans discernement ou égard envers les élites et les coutumes locales.

Il est limogé à cause de sa manière violente de redresser la situation lors de la révolte des Druzes. Il est reconnu responsable de la mort de 10 000 Syriens, surtout des civils, et de 2 500 à 6 000 soldats français. ».

Comme tous ceux qui voient de près les politiciens travailler (les témoignages abondent), Castelnau est épouvanté. « Ces gens là travaillent peu et travaillent mal ». Habitués des intrigues parlementaires, ils sont incapables de s'élever aux exigences d'une guerre mondiale.

Certes, il y a toujours des gens au-dessus du lot, comme Paul Doumer, mais ils sont broyés par la machine à mesquineries.

Les mutineries de 17, dont Pétain a l'intelligence de comprendre qu'elles ont des causes militaires, ne sortent pas de nulle part. Les soldats, qui sont devenus par la force des choses des vétérans, sont mal commandés et ils le savent.

La première règle, presque la seule, de promotion d'un général par la gueuse est la docilité, le fait qu'il ne présente aucun danger politique. Aptitude, inaptitude, peu importe. Il y a des généraux grande gueule qui font semblant d'avoir du caractère, mais quand il faut courber l'échine, ils s'arrangent toujours pour le faire.

La limite de Castelnau

Catstelnau ne courtise pas les politiques. Il refuse la brigue et l'intrigue. Il refuse aussi de désobéir pour se mettre en avant. 

C'est d'autant plus dommage qu'il ne s'entend pas si mal avec son vieil adversaire Clemenceau.

A son niveau, c'est une faute : Castelnau commandant suprême aurait épargné des centaines de milliers de vies françaises.

Le non-maréchal et la politique

La loi devant le faire maréchal échoue par des magouilles parlementaires. Un député avait 73 procurations ! Député puis dirigeant de la Fédération National Catholique, il est modéré (même un peu trop à mon goût).

S'il est plutôt franquiste (il n'a pas l'intuition de Bernanos), il déteste immédiatement Hitler et le nazisme.

Il est très proche d'André Pironneau, directeur de L'écho de Paris, qui publie les articles d'un certain Charles de Gaulle.

La fin

De sa retraite toulousaine, il voit venir la défaite. Le positionnement des troupes et l'absence de réserves l'inquiètent terriblement. Il a connu Gamelin quand il était à l'état-major de Joffre et, le moins qu'on puisse dire, est qu'il n'a pas été ébloui.

Mais la raie-publique a, une fois de plus, une fois de trop, choisi un général en chef non pour ses qualités militaires mais parce qu'il était « politiquement correct ».

Castelnau a des analyses très gaulliennes : il envisage que la France pourrait poursuivre la guerre outre-Méditerranée et que, de toute façon, c'est une guerre mondiale qui ne sera pas soldé par la campagne de France. Notamment, il ne condamne pas l'attaque anglaise de Mers El Kebir.

Point intéressant, Castelnau juge que la défaite est avant tout militaire, que l'armée doit capituler et le gouvernement refuser tout armistice. Solution à laquelle cet imbécile et ce traitre de Weygand s'est farouchement opposé (adjoint de Foch que Castelnau ne portait non plus dans cœur).

Connaissant bien Pétain, Castelnau n'est pas du tout tenté par le pétainisme. Déjà, en 1916, il est gêné par son goût pour la « réclame ». Comme tous ceux qui connaissent Pétain, le « don de sa personne à la France », chez ce vieil ambitieux aigri, le fait rire.

Il n'aime pas non plus De Gaulle, qu'il compare ... à son mentor Pétain, hautain, cassant, solitaire et avide gloire personnelle. Il lui reproche aussi de ne pas prendre soin de ses hommes. Il trouve l'exaltation de l'escarmouche de Montcornet à la limite de l'indécent (Castelnau sait que De Gaulle n'a pas brillé à Abbeville).

N'oublions pas que lorsque Castelnau parle de Pétain et de De Gaulle, ce sont des gens qu'il connait personnellement et sur lequel il a des informations fréquentes. Il est même remarquablement informé pour un retraité.

N'aimant pas De Gaulle, Castelnau a d'autant plus de mérite à tenir une ligne politique strictement gaulliste. Il aide la Résistance en stockant des armes. Il pousse ses petits-enfants et ses neveux à rejoindre la France Libre. Son petit-fils préféré, Urbain de la Croix, le paye de sa vie par un geste digne de l'antique : gravement blessé lors de la traversée du Rhin, il continue à diriger les tirs d'artillerie jusqu'à ce que mort s'en suive. Il meurt sur le sol allemand, en vainqueur.

En 1942, à un prêtre venu lui apporter un message du cardinal Pierre Gerlier lui demandant de modérer ses critiques vis-à-vis du maréchal, Castelnau réplique : « Votre cardinal a donc une langue ? Je croyais qu’il l’avait usée à lécher le cul de Pétain ».

Castelnau décède le 18 mars 1944, sans avoir vu la Libération qu'il souhaitait tant. Monseigneur Saliège, futur cardinal et seul évêque Compagnon de la Libération, rendu impotent et quasi muet par une attaque cérébrale, demande à assister à ses obsèques. Il fait lire par un jeune prêtre un message aux sous-entendus transparents.

Dans les conditions difficiles de l'époque, beaucoup d'anciens subordonnés et de simples soldats ont fait le déplacement. C'est tout ce qu'il y a à en dire.