C'est toujours un plaisir de lire Druon. Son style est académique mais point trop pesant.
Baïrou regnante, rappelons au passage sa polémique avec le melon de Pau :
Retour sur la polémique Druon-BayrouLe présent ouvrage est un recueil de réponses à un article de Druon intitulé Une Eglise qui se trompe de siècle.
Mais le plus plus important est la longue introduction de Druon.
Notons qu'à l'époque, le mouvement de vidange des églises n'en était qu'à ses débuts. Le temps écoulé nous permet de mieux juger la prescience de Druon et la légèreté de ses contradicteurs.
Laissons parler Druon :
Les conditions d’une révolution n’étant pas réunies, et les chances semblant maigres, à ceux qui souhaitent une subversion radicale des sociétés, de se saisir du pouvoir soit par l’effet d’un conflit international, soit par le jeu des institutions en place, le seul moyen de transformer le monde consisterait alors à ne pas transmettre l’héritage culturel, en tout cas pas dans sa totalité. Ainsi, travaillant à échéance, formerait-on des générations qui ne pourraient plus penser l’homme, ni le monde, ni Dieu, selon les schémas ancestraux, et dès lors n’offriraient plus aucune résistance à basculer dans un nouveau type de société.
Pour inconscients qu’en soient la plupart de ceux qui y participent, cette conspiration du rejet n’en est pas moins perceptible et inquiétante. Elle pèse sur l’Université où les réformateurs préconisent de donner priorité à la langue parlée sur la langue écrite, donc au tâtonnant et au malléable sur le réfléchi et le durable ; où l’accent est mis sur la libération des facultés de l’enfant – de quoi faut-il donc le libérer avant qu’il ait été opprimé, sinon du patrimoine et des moyens d’en prendre possession ? où l’étude des langues anciennes est décrétée d’inutilité, et la part faite aux œuvres datant de plus d’un siècle constamment réduite, comme si tout cela ne devait plus constituer qu’une sorte de paléontologie de la pensée humaine.
Or l’Église, elle aussi, est enseignante par nature. Elle est héritière, dépositrice, d’un patrimoine culturel qui est antérieur même au message évangélique. Elle transmet une certaine conception du monde d’où découle une certaine morale. Et c’est à partir de cette morale que se fait le droit et que se font les lois. L’Église est donc l’autre pilier qu’il faut faire céder, l’autre racine maîtresse, et la plus ancienne et la plus profonde, qu’il faut, rite par rite, tradition par tradition, dogme par dogme, saper ou scier. Ainsi l’arbre pourra s’abattre à la première tornade, ou simplement se coucher, d’épuisement. Ainsi l’on pourra fabriquer un homme nouveau pour un monde nouveau. »
Chapeau l'artiste !
Comme quoi « Qui aurait pu prévoir ? » n'est qu'un leurre pour demeurés. En réalité, tous les hommes intelligents avaient prévu ce qui nous arrive.
J'ai souvent ce dialogue, soit directement soit après quelques circonvolutions :
_ Tu trouves que la France va mal ?
_ Oui.
_ Tu veux faire quelque chose pour la France, simple et efficace, que tes ancêtres faisaient ?
_ Ah bah oui alors !
_ Va à la messe tous les dimanches.
_ Ah bah nan alors ! J'ai piscine ...
_ Alors, de quoi te plains tu exactement ?
Druon, lui, aurait compris ce que je disais et pourquoi je le disais.
Quelle étrange inconséquence. Voilà des gens qui se plaignent, sincèrement je suppose, de la chute de la France, mais ne font pas la relation avec leur propre responsabilité, avec le fait qu'eux-mêmes rejettent ce qui a fait l'âme de la France pendant vingt siècles.
Et je ne leur demande pas de se mentir, de raconter des histoires. Je leur demande de se soumettre à la Vérité. Dans le Christ, il y a le Chemin, la Vérité et la Vie, c'est le réalisme intégral. La quête de la vérité est est une démarche individuelle.
Mais, bénéfice secondaire, dans l'Eglise, il y a la paroisse. C'est le dernier lieu de sociabilité naturelle des Français, maintenant que le bistro et l'usine ont à peu près disparu. Je suis désolé, mais les autres lieux de sociabilité, comme le club de randonnée des boumeurs, n'ont pas la même charge intemporelle, intellectuelle et spirituelle.
Je crois que le nœud de ce paradoxe est l'orgueil. Le refus orgueilleux de se soumettre à Dieu, le reste est du baratin. Et une soumission réelle, à travers une organisation humaine faillible, qui dit et fait pas mal de conneries.
Druon partage cette faiblesse puisqu'il se dit plus proche de Marc Aurèle que de l'Eglise. C'est ridicule : il fulmine, très justement, contre l'évolution d'une Eglise qu'il ne fréquente pas.
Encore Druon :
« La condition humaine est en vérité intolérable ... à moins, à moins qu'on ne la pense inscrite dans un ordre divin ; à moins que l'homme ne se considère pas comme étant à lui-même sa propre fin, à moins que chacun de nous envisage son existence comme un concours à un concert universel, mystérieux mais indéniable. Alors tout change d'aspect, tout se remet en place, tout devient acceptable ; et même apparaissent dans notre destinée de grandes plages de bonheur. Alors vivre reprend un sens, et notre situation d'êtres conscients redevient un privilège, une dignité. Alors les choses retrouvent saveur ; alors les autres redeviennent des semblables. Alors les actions acquièrent un objet et revêtent une signification, le problème à nous posé étant de reconnaître celles qu'il nous faut accomplir pour nous conduire conformément à l'ordre universel.
Quelle que soit la vision, obscure ou illuminante, que nous nous fassions de la Divinité, que notre pensée l'imagine transcendante au monde, ou immanente, ou à la fois transcendante et immanente, que nous lui prêtions ou non des traits et des attributs extrapolés de nos propres caractéristiques, que nous la concevions organisée en de multiples forces ou enfin que nous la pensions unique et rassemblée dans un seul vouloir, l'important est que nous ne l'ignorions pas.
Et il faut bien parler de « Révélation » pour désigner cette connaissance intuitive donnée à l'homme, en même temps que la conscience des choses, d'un Dieu qui les gouverne.
Le « contentus sua sorte » [content de son sort] du sage antique suppose le principe d'un ordre divin. L'acceptation de l'existence de Dieu est le préalable à l'acceptation de nous-mêmes. C'est la seule attitude à partir de laquelle la vie peut être ressentie comme un bienfait et non comme une succession d'inadmissibles malheurs, la seule aussi à partir de laquelle nous sommes en mesure de porter aux autres un secours réel. Tout le reste est errance de l'orgueil, tout le reste est démence tournant à vide dans la nuit.
Les religions, par leurs dogmes et leurs rites, les Eglises, par leurs structures, leurs liturgies, leurs règles, sont la représentation de l'ordonnance universelle, les médiatrices qui permettent à l'homme de s'intégrer en esprit à cette ordonnance, de se sentir relié à l'essence divine. Et à partir de là, d'observer une morale. L'homme irréligieux est un homme perdu. Une Eglise qui se désorganise, qui étale ses doutes, qui conteste ses rites, qui néglige le permanent au profit du temporel, qui perd son ordonnance et se désacralise, une telle Eglise ne peut pas aider l'homme à se sauver ; mais elle peut l'aider à se perdre. »
Druon est pusillanime en en fréquentant l'Eglise dont il comprend l'importance, mais que dire de ses contradicteurs, amis du désastre, docteurs Tant Mieux du naufrage ? Entre le moment où ils écrivent (1971-1972) et aujourd'hui, la fréquentation des églises de France a été divisée par 20. Par 20 ! Et on peut écrire tous les branlotages d'intello qu'on veut : pas de fréquentation des églises, pas de sacrements, pas d'âmes sauvées.
La seule réponse qui tient l'épreuve du temps, est celle de Jacques Villeminot (je ne sais pas qui c'est, je n'ai trouvé qu'un explorateur de ce nom et je doute que ce soit le bon Villeminot), parce qu'il la construit avec des arguments théologiques, et il va plutôt dans le sens de Druon.
L'esprit de Vatican 2 (j'emploie cette expression pour ne pas restreindre le problème au concile lui-même) n'est pas une réforme comme il y en a déjà eu, mais une révolution parce qu'il introduit une hérésie : le subjectivisme, la « protestantisation » de l'Eglise, dans l'esprit du temps. « L'Eglise a cru ouvrir ses bras au monde, elle lui a ouvert les cuisses ».
Une fois qu'on a compris cela, le « malaise » de l'Eglise s'éclaire. Ce n'est pas un malaise, c'est un renoncement à soi-même, à sa mission. Une perdition satanique.
Mais je crois et j'espère que le pire est derrière nous, que François Zéro était le point bas du modernisme. Nous verrons bien. Ca n'empêche pas de prier et d'aller à la messe.

je sais que ce n'est pas bien de répondre à votre texte par un lien internet, mais celui là me semble en valoir la peine :
RépondreSupprimerhttps://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/5b0390a9b64868131814d372c1f13d71.pdf
Le lien vers "La polémique Druon-Bayrou" ne donne rien.
RépondreSupprimerPourtant , il fonctionne bien sur Firefox .
RépondreSupprimerComme on ne peut pas insérer de PDF entier dans ces commentaires , vous pouvez chercher sur votre navigateur : " andre piettre la revue des deux mondes ce siecle trompe l'eglise" et vous trouverez immédiatement l'article en question. Ma solution n'est pas très élégante certes , mais...