dimanche, août 10, 2025

Deux bombes sous le Rainbow Warrior (Hervé Gattegno)

Bon, ce livre est écrit par un gauchiste de l'imMonde, donc à prendre avec des pincettes.

La France a bien fait de faire sauter ces connards de Greenpeace à la solde de Moscou (et aussi un peu de Washington, car les deux n'étaient pas toujours en opposition). Si c'était à refaire, il faudrait le refaire. En mieux (plus subtilement que par une action spectaculaire ?).

Une opération très mal préparée

La France savait parfaitement à quoi s'en tenir sur Greenpeace et son hostilité était justifiée.

Elle procédait alors par de discrets et très efficaces sabotages. Les bateaux de Greenpeace avaient une telle propension à tomber en panne qu'on aurait pu les prendre pour des Renault.

Mais voilà : à la va-vite, le pouvoir politique, c'est-à-dire François Mitterrand et Charles Hernu (mais Hernu ignore que Mitterrand est au courant), décide de faire plus spectaculaire.

L'organisation est bâclée et merdique.

Les deux agents principaux, Alain Mafart et Dominique Prieur, les fameux faux époux Turenge, sont expérimentés et ont immédiatement de mauvais pressentiments. Ils protestent contre les faux passeports suisses, si faciles à vérifier (et c'est bien ce qui les perdra). Mais ils exécutent les ordres (Dominique Prieur aurait dit « Je ne reviendrai pas avant trois ans »).

Autre erreur grossière : des numéros de téléphone de secours qui mènent directement au fort de Noisy (le ministère de l'intérieur et les PTT réagiront avec autant de promptitude que DSK saute sur une femme de ménage et ces numéros seront réattribués et antidatés).

Une erreur d'organisation a été de ne pas prendre en compte que les Néo-Zeds étaient des enfoirés d'anglo-saxons, c'est-à-dire des délateurs nés (on l'a bien vu pendant le délire covisiste. Les Anglais cultivent l'excentricité justement parce que leur société est très étouffante). Il fallait organiser la fuite des acteurs beaucoup plus rapidement. Idéalement, ils auraient du être dans l'avion avant les explosions.

Enfin, infraction majeure aux règles, les réunions de préparation des situations dégradées sont court-circuitées.

Le chef direct de Mafart et Prieur, qui ne brille pas par sa finesse, brûle d'en découdre, de se faire un nom (sa carrière ne sera pas vraiment entravée par ce spectaculaire échec) et pousse à la roue.

Par différents canaux, des réticences remontent dans la hiérarchie mais les ordres sont les ordres.

Une trentaine d'agents sont impliqués mais on ne connait encore aujourd'hui qu'une dizaine de noms.

Bref, avec autant de choses qui pouvaient merder, ça a merdé.

Le bateau a bien été coulé.



Mais au prix d'un désastre médiatico-politique :


Mitterrand le menteur

Mitterrand, qui est parfaitement au courant de l'opération puisqu'il l'a ordonnée, ment à son premier ministre, Laurent Fabius, et à son ministre de la défense, Charles Hernu. Fabius s'accusera ultérieurement de naïveté.

On décrit Mitterrand comme florentin, mais c'est pour dire que, comme Machiavel, c'est un enfoiré des coups à la petite semaine, pas un stratège (il est tout juste bon à battre cet imbécile de Chirac, mais, face à Kohl, il s'est fait entuber, et la France avec lui). Mentir à ses ministres n'est pas seulement une faute morale, c'est une faute contre l'intelligence. Ce mensonge empêche toute réplique française organisée.

Heureusement, aux échelons inférieurs, entre gens « des services », on ne se ment pas et les contre-feux s'organisent quand même. Cependant, ce n'est pas la même chose que si l'impulsion venait d'en haut.

Bref, le mensonge mitterrandien fout le bordel : le premier ministre et le ministre de la défense sentent que Mitterrand leur cachent des choses et ne savent pas sur quel pied danser.

Surtout, la police de Joxe et le justice de Badinter collaborent avec les Néo-Zélandais et traquent des militaires français en service commandé (depuis, c'est devenu une habitude).

C'est le bordel en France et, en Nouvelle-Zélande, Prieur et Mafart sont traités très sévèrement. Les militaires font le siège des politiques en demandant une discrète négociation. Hernu se braque, le scandale éclate dans la presse et c'est foutu pour la discrétion.

C'est  le cinéma des révélations et des fuites, avec l'infâme Edwy Plenel. Une bonne partie des fuites vient justement de la confusion : Untel croit protéger le président en révélant ceci, Machin croit protéger la raie-publique en révélant cela, etc.

Hernu est viré et Fabius est en porte-à-faux. Mitterrand est réélu haut la main, ce qui prouve que le problème de la France, ce sont les Français.

Rapatrier les faux époux Turenge

Daniel Soulez-Larivière, avocat de gauche et bon connaisseur du droit anglo-saxon, est choisi par le gouvernement pour défendre Prieur et Mafart.

Il a enfin accès au dossier et découvre qu'il n'est pas très solide (les agents français n'ont pas si mal travaillé, il y a peu de preuves, à part les faux passeports suisses ... et les révélations dans les journaux).

Il conseille donc une négociation : plaider coupable en échange d'une dégradation de l'incrimination en « homicide involontaire » (qui est d'ailleurs juste : il n'y avait pas l'intention de tuer).

Malheureusement, suite à des cocoricos français gênants pour le pouvoir néo-zélandais, Prieur et Mafart sont condamnés à dix ans de prison.

C'est la « cohabitation » (c'est-à-dire la trahison connivente de l'esprit de la constitution). Mitterrand et Chirac sont d'accord pour sortir de prison les agents français le plus vite possible. Une négociation aboutit, déguisée en arbitrage international pour sauver les apparences.

Dominique Prieur tombe réellement enceinte et Alain Mafart réellement malade, ce qui aide à dénouer les choses. Au bout de trois ans. Dominique Prieur et Alain Mafart sont libérés.

En conclusion

Certains acteurs opérationnels expriment aujourd'hui leurs regrets de la mission. Je crois qu'ils ont tort. Le seul regret à avoir est que cette mission ait tourné au fiasco.

En 2015, le colonel Jean-Luc Kister, responsable de l'unité de nageurs de combat chargée de la pose des bombes, avait présenté dans un entretien à Médiapart des excuses à la famille de Fernando Pereira, à Greenpeace et à la Nouvelle-Zélande. « À sa place, je ne l’aurais pas fait. Même si je comprends ses raisons », a réagi Christine Cabon [un des agents qui préparé la mission en allant sur place].

Ces regrets me paraissent déplacés.

Au niveau politique, ce n'est pas du tout la même histoire.

Avant. La nécessité d'une action violente ne saute pas aux yeux.

Mais Charles Hernu, qui buvait beaucoup (du champagne rosé, normal pour un socialiste) et était assez peu sûr de lui, était obsédé par une action spectaculaire et une certaine hiérarchie militaire, pour des questions de prestige de service, rêvait « de chaleur et de lumière ». Les options non-violentes n'ont pas été explorées à fond, alors que la France les pratiquait (les variantes du sucre dans le carburant façon Le corniaud, ça fonctionne très bien).

Mitterrand s'est immiscé sans rien contrôler.

Indépendamment de ses options politiques sataniques, je doute que François Mitterrand fût un très bon dirigeant. Donner des ordres et en contrôler l'exécution, ça ne s'improvise pas, ou alors il y faut un talent naturel que n'a pas tout le monde.

Après. La duplicité de Mitterrand a tout pourri et a empêché de limiter les dégâts.

Bref, une affaire socialiste comme on les aime.

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