mardi, novembre 25, 2025

Retour au réel (Gustave Thibon)

Ce livre de 1946 (première édition 1943) n'a pas été ouvert depuis 80 ans, je l'ai massicoté. Etrange.

Un réaliste mou du genou 

J'ai toujours du mal avec les gens, comme Thibon, qui se prétendent réalistes et qui ont refusé de rejoindre De Gaulle. C'est comme refuser de rejoindre Jeanne d'arc en 1429 : c'est confondre réalisme et courte vue.

Cela me rappelle Le livre de raison de Glaude Bourguignon : Henri Vincenot écrit que les envahisseurs passent et la terre reste, que le paysan n’a pas à se mêler des choses politiques, comme de se défendre contre l'envahisseur. A un détail près, qui a une certaine importance : Vincenot a eu quelques ennuis avec la Gestapo.

Pendant que Thibon écrivait, inspiré par le christianisme, certains monastères stockaient les armes, et plus.

Les ancêtres de Thibon et de Vincenot, tout paysans qu'ils étaient, sont allés jusqu'à Jerusalem à pinces pour délivrer le tombeau du Christ des infidèles. Lui, non, il n'a même pas pris la croix de Lorraine.

Je comprends mieux son amitié avec Simone Weil : elle avait ce grain de folie qui lui manquait.

Bref, Gustave Thibon est meilleur pour parler de réalisme que pour le pratiquer.

Allons, prenons le comme il est.

Ce préliminaire étant éliminé, attaquons.

« Notre mal le plus profond gît dans l’irréalisme de la pensée et de la conduite. Cet irréalisme procède du relâchement ou de la rupture des liens vitaux. L’homme qui vit en contact avec le réel, qui travaille sur du réel a nécessairement le sens du réel… Ce qu’on appelle le bon sens n’est pas autre chose que cet équilibre que crée dans la pensée et les actes la communion au réel. L’homme de bon sens est toujours un homme relié. L’isolé, le déraciné au contraire, si intelligent qu’il puisse être, n’a pas de bon sens et l’absurdité éclate dans ses propos et dans ses gestes. »

Comme vous voyez, Thibon parle excellemment du réalisme. Il a bien compris le lien entre culture de mort et goût des grandes idées creuses.

J'entends pourquoi beaucoup ont trouvé dans Thibon un réconfort pendant la guerre. C'est intelligent, élevé, bien écrit.

La table des matières

Première partie

Réalisme de la terre
Réalisme civique
Individualisme et dénatalité
Christianisme et mystique démocratique
Surnaturalisme et surnaturel
Dépendance et liberté
Le devoir et l'intérêt
La semence et le terrain
Vie affective et vie sociale
Pharisianisme
Prévision et espérance
L'homme et l'héroïsme

Deuxième partie

Essence de la noblesse
Réalisme social
Réalisme moral
La loi et la vie
Réalisme du savoir
L'idéal et le mensonge

Thibon commence par un constat : les Français délaissent le risque (un souverain prend une décision risquée pour un enjeu qui en vaut la peine) au profit de l'aventure (un enfant qui s'ennuie prend des risques dont l'objectif n'en vaut pas la peine).

Yersin prenant des risques pour découvrir le bacille de la peste, oui. Machin qui prend des risques pour faire le tour du monde en bateau ou pour gravir telle montagne, non.

Une agence de voyage britannique organise des reconstitutions des missions commandos de la seconde guerre mondiale. Quelle mascarade ! Quelle tristesse !

Aujourd'hui, dans notre monde fou, inversé : faire le couillon en sautant d'une montagne, oui. Devenir père, non.

Paysannerie

Thibon explique en quoi la disparition de la paysannerie française (guerre de 14 + machinisme agricole) est une catastrophe anthropologique qui menace l'existence même de la France. Son texte est à mes yeux définitif : on ne pourra pas mieux décrire ce que nous avons perdu en perdant nos paysans et pourquoi cette disparition est une menace existentielle pour la France.

Dénatalité 

Il met la dénatalité sur le compte de l'individualisme (qui va de pair avec l'irreligion). Avoir des enfants suppose le fatalisme, « On prend les enfants comme ils viennent » disait la sagesse populaire. Or, le fatalisme, s'engager sans savoir où on va (le père est le dernier aventurier, Péguy. Aventure au sens de risque chez Thibon) est insupportable à l'individu-roi.

D'où le « projet d'enfant », bien cadré, bien réfléchi dont on nous bassine à longueur de journée (cette expression idiote n'aurait pas surpris Thibon). Le « projet d'enfant » le mieux maitrisé, c'est de ne pas en avoir.

Bin non, un enfant n'est pas un projet, c'est un don de Dieu.

C'est marrant de penser que Thibon écrivait ça au tout début du baby boom, mais l'effondrement de la natalité depuis les années 70 prouve que c'était juste un éclair. Il n'a pas vraiment de solution.

Thibon voit la généralisation du mariage d'amour (fort récente : avant, il suffisait que les époux n'aient pas de répulsion l'un pour l'autre) comme une imbécilité mièvre. Fonder quelque chose d'aussi important que la famille sur les fugaces sentiments n'est pas un sommet d'intelligence. Il anticipait l'explosion du nombre de divorces eyt la destruction de la famille (Chesterton aussi).

Religion démocratique

Simple : Thibon aurait pu faire sien le titre de Hans-Hermann Hoppe Démocratie, le Dieu qui a échoué.

Il écrit ce que je dis souvent. Les Français ont remplacé Dieu par l'Etat pour faire face aux difficultés de la vie et ça se passe mal. Ils n'ont jamais été aussi malheureux et dépressifs malgré l'abondance de biens matériels.

Pour Thibon, religion démocratique et athéisme sont liés. « Un révolutionnaire ne supporte pas d'être éternellement à genoux devant Dieu. »

En effet, la religion démocratique moderne n'a rien à voir avec la démocratie athénienne, régime politique parmi d'autres, dont les Grecs savaient considérer les avantages et les inconvénients.

La religion  démocratique est un culte absolu de l'homme rousseauiste, totalement irréaliste, une contestation de l'ordre naturel voulu par Dieu. Dans l'ordre naturel, il n'y a aucun régime politique parfait, seul Dieu est parfait, mais le péché est en l'homme.

Par une dérive (satanique ?), l'homme est devenu bon par nature (ce qu'il sera au Paradis, mais non en ce monde), seule la société apporte le Mal. La correction de ce Mal est le culte démocratique. Comme, évidemment, ce culte est basé sur une hypothèse fausse (l'homme bon par nature et corrompu par la société), ça merde.

Thibon semble considérer que toute catastrophe humaine trouve son origine dans une erreur philosophique ou théologique, il n'aurait pas renié Tresmontant : « Toutes les grandes catastrophes humaines trouvent leur origine dans une catastrophe intellectuelle ».

Thbon résume donc les choses ainsi : « Je vois une continuité parfaite entre la très légère déviation du christianisme de Fénelon, le théisme de Rouseau, le panthéisme des romantiques et l'athéisme des socialistes du XXème siècle ».

A mon avis, la pierre de touche est toujours le Dieu d'Israël : quand on sépare le Dieu un rien soupe-au-lait de l'Ancien Testament du Dieu d'amour du Nouveau testament, hérésie connue sous le nom de marcionisme et condamnée dès le IIème siècle, les conneries commencent. Sous le sirupeux, l'atrocité sommeille, il n'y a pas plus sentimental qu'un commissaire politique (c'est pourquoi les femmes sont très bonnes dans ce rôle).

Thibon écrit quelque chose que j'aurais pu écrire : la croyance en la politique est un symptôme d'affaiblissement des caractères. On croit à la réforme par la politique parce qu'on n'est plus capable de se réformer soi-même. On n'imagine pas les caractères forts d'antan s'exaltant pour un bout de papier dans une boite. Je ne me vois pas demandant à Cortes « Dis, Hernan, c'est quoi ton opinion sur l'augmentation de 1 % de la CSG ? ». D'ailleurs qu'a fait un soldat espagnol blessé et un peu perdu ? De la politique ? Non, il a fondé un ordre religieux, les jésuites.

Thibon anticipe de manière remarquable le badinterisme (quand on a les bons principes, l'avenir n'est pas si voilé) : les institutions doivent être sévères pour que les hommes puissent être charitables. Quand les hommes renoncent à la vertu, ils demandent aux institutions de montrer les vertus qu'ils n'ont plus, générosité, charité, miséricorde ... et la société se défait dans une inversion des valeurs complète (pas mal vu en 1943, non ?).

La tentative des gauchistes (articles du Monde et de Libé, émissions sur la « justice restaurative » ...) de nous apitoyer sur Salah Abdelslam est tout à fait logique. Des gens sont choqués ? Et alors ? Pourquoi ne vont-ils pas à la messe pour rétablir l'ordre naturel dans sa légitimité ? Ah, ils aiment bien contester l'ordre naturel quand ça leur permet de « jouir sans entraves » (avortement, contraception, divorce, etc) mais pas quand ça réhabilite un terroriste ? Désolé les gars, c'est un paquet cadeau.

Thibon est contre les assurances sociales, qui déresponsabilisent. Il préférait l'ancien système, prévoyance personnelle, famille et charité.

Le suffrage universel est évidemment stupide. Si cette stupidité ne nous saute pas aux yeux, c'est que nous avons transposé « Tout homme est fait pour Dieu » en « Tout homme est fait pour la démocratie ».

Il y a un argument particulièrement con, « Il faut voter parce que des gens sont morts pour que nous ayons le droit de vote ». Bin non. Des gens sont morts pour la France, pour la liberté, certains même pour le communisme universel, mais pour le droit de vote, jamais.

Ca ne me gênerait pas qu'on ne me demande pas mon avis si les gouvernants étaient légitimes.

La triade noire nominaliste

Thibon n'emploie pas le mot « nominalisme », mais c'est bien l'idée tout au long de son livre.

Notre triade noire nominaliste ne l'aurait pas du tout surpris (dans l'ordre chronologique) :

> le féminisme. « Germaine est un homme comme les autres parce qu'elle le veut ». Qui aboutit évidemment à « Robert est une femme comme les autres parce qu'il le veut ».

> l'anti-racisme. « Les races humaines n'existent pas et, d'ailleurs, les blancs doivent être exterminés ». Qui aboutit à « Mouloud et Boubakar sont aussi français que vouzémoi parce que la bureaucratie qui est en France leur a donné un bout de plastique ».

> l'écologisme. « J'ai besoin de croire que "la Planète" souffre de catastrophes imaginaires pour remplir la vacuité de ma vie ».

Ce que nous vivons n'est pas une évolution plus ou moins positive que combattraient quelques nostalgiques arriérés comme moi (thèse des veules amis du désastre). C'est une folie furieuse nihiliste, une maladie collective mortelle, comme on le démontre aisément par la raison.

Le remède est donné par Thibon : le retour au réel. Les choses et les êtres ont une nature, qu'il faut respecter.

Les hommes et les femmes sont ontologiquement différents et c'est une folie de les mettre en concurrence. Les races humaines existent et les hommes n'ont pas vocation à être mélangés L'homme est infiniment supérieur à la Nature, il en est maitre et possesseur et et ne doit pas en faire une idole, non plus qu'une esclave.

Mais le réalisme suppose de revenir à Dieu, car c'est le respect de la transcendance qui rétablit l'ordre naturel. Et, d'après ce que je vois et j'entends des Français, à part un « petit reste », une élite du cœur et de l'intelligence (je suis parfois surpris : je vois de jeunes têtes nouvelles à l'église), ce n'est pas pour tout de suite.

Plus le réel tape fort à leur porte, plus les Français essaient de fuir leurs responsabilités en mettant tout sur le dos des politiciens (qui, certes, ont aussi leurs responsabilités). Mais comment pouvez vous avoir comme idéal de vie les vacances et la retraite et considérer que vous n'avez aucune responsabilité dans le naufrage collectif ?

Alors, comme le peuple d'Israël sur qui s'abattaient des maux quand il oubliait Dieu, le peuple français mérite les malheurs qui lui arrivent.

Il n'y a dans mon jugement ni mépris ni schadenfreude, c'est juste l'application du principe de causalité, les causes ont des conséquences. Quand un peuple se renie, renie Dieu et déserte ses églises, les conséquences ne sont pas bonnes.

Bien sûr, j'émets un jugement moral sur le fait de renier Dieu. Cependant, même sans mon jugement, les conséquences seraient les mêmes : renier la transcendance, c'est condamner l'ordre social à mort.

On me dit : « Tu rêves, tu n'es pas réaliste. Le passé est le passé. La France ne redeviendra jamais catholique ». C'est possible. Dans ce cas, ça ne sera plus la France. Pas plus que la Turquie n'est l'empire byzantin et Istanboul Constantinople. Il n'y a que les crétins, les lâches et les salauds (ça fait déjà du monde) pour prétendre qu'une France colorisée, africanisée et islamisée serait encore la France.

Le peuple français n'est absolument pas défini par le fait d'être universaliste, ou blanc, ou occidental, ou européen, ou païen, ou par aucune de ses régions. Le peuple français est défini par le fait d'être gaulois (depuis 2500 ans) et chrétien (depuis 1500 ans).


Si vous grand-remplacez les Gaulois et si vous persécutez le christianisme, que reste-il du peuple français et de la France ? Rien.

Prions pour la France. Et agissons dans la mesure de nos moyens.


Les héros et les saints

Thibon écrit excellemment de diverses choses très contemporaines (il n'anticipe pas le délire mortifère écologiste et le grand remplacement mais ce qu'il dit permet de les comprendre).

Je passe sur nombre d'idées, vous lirez ce livre si vous voulez. Il a beaucoup de considérations fines sur les modernes et ce qui les rend vides d'humanité, des zombies.

Thibon n'a aucune confiance dans les masses : elles suivent, jusqu'au suicide collectif si tel est le chemin choisi par les dominants.

Je pense qu'il a tant de mépris pour le moderne, dont la bourgeoise gauchiste est l'acme, qu'aucun de nos délires débiles ne l'aurait surpris.

Il pense que nous serons sauvés par les héros et par les saints.

Mais nous sommes dans un tel naufrage anthropologique, nous sommes devenus une telle société de zombies, que faire sa vie comme un père de famille ou une mère de famille de 1700, c'est déjà être un saint et un héros. « Un saint ne fait pas plus d'efforts et de sacrifices pour son dieu qu'un avare pour s'enrichir ou qu'une coquette pour se faire admirer ».

Thibon cite comme guide Saint Thérèse de Lisieux (nommée depuis Docteur de l'Eglise). Je suis épaté par cette petite Normande, morte à 24 ans. Pour le dire vulgairement, elle m'en bouche un coin, comme Jeanne d'Arc. Son Histoire d'une âme (certes corrigée, mais pas tant que ça, par sa sœur Agnès qui était aussi sa mère supérieure) fut un succès d'édition phénoménal (des dizaines de millions d'exemplaires) un peu oublié en notre époque mécréante. Elle était très lue par les Poilus dans les tranchées.

mardi, novembre 11, 2025

1940 La guerre des occasions perdues (Adolphe Goutard)

Publié en 1956, ce livre était novateur parce qu'il contestait que la France avait perdu en 1940 par infériorité matérielle, thèse communément admise à l'époque.

Goutard démontre les fautes du commandement français.

Il se laisse complètement avoir par la comédie hitlérienne, il croit que Hitler a été désagréablement surpris par l'entrée en guerre de l'Angleterre (Adam Tooze a depuis prouvé que l'Allemagne a provoqué la guerre pile-poil au moment optimal du point de vue de la politique d'armement).

Mais son analyse militaire reste juste.

La guerre-éclair a besoin d'ennemis complaisants

La guerre-éclair ne fonctionne que face à des ennemis qui se laissent impressionner par la vitesse et prennent de mauvaises décisions.

Dès que l'ennemi prend les bonnes décisions, les faiblesses de la guerre-éclair, notamment logistiques, deviennent rédhibitoires.

Moscou 1941, Caucase 1942, Koursk 1943, Ardennes 1944 : quand l'ennemi ne se laisse pas gentiment encercler, la guerre-éclair patine.

Au moins deux scénarios auraient pu mettre les Allemands dans une merde noire :

> fermeture de la percée de Sedan envisagée par Gamelin le 15 mai 1940 mais qu'il n'a pas su ordonner.

> la retraite générale au-delà de la Méditerranée, façon Lanrezac en 1914 sauvant l'armée française après le désastre de Charleroi en ordonnant la retraite générale.

Les Allemands seraient vite tombés en panne d'essence et de munitions. Fin mai, leur logistique était au bord de la rupture.

Le refus obstiné, buté, actif, de tirer les leçons de la campagne de Pologne nous a été fatal (« Ce qui s'est passé dans les grandes plaines de l'est n'est pas applicable à la France »). 

À propos d'une éventuelle percée par les Ardennes, Pétain avait dit « Nous les repincerons à la sortie ». Très bien, pourquoi pas ? Encore fallait-il avoir prévu les moyens de les « repincer ».

C'est une faute professionnelle sans excuse de ne pas avoir gardé une réserve, c'est symptomatique de la baisse de qualité du commandement français. Même dans les moments les plus tendus entre 1914 et 1918, l'armée française a eu toujours une armée en réserve. Débarquant au Quai d'Orsay le 16 mai 1940, Churchill demande dans son français pittoresque à Gamelin « Où est la masse de manœuvre ? » et celui-ci répond « Il n'y a en pas ». Churchill écrira que ce fut une des plus grandes surprises de sa vie. A partir de là, la confiance est rompue, à raison, et les Anglais décident de faire cavaliers seuls.

Les pétainistes l'ont beaucoup reproché aux Anglais, mais il faut un sacré culot pour reprocher à des alliés de perdre confiance en un commandement qui se retrouve à poil au bout de 5 jours de bataille, surtout quand les gens qui font le reproche sont ceux-là mêmes qui ont provoqué cette perte de confiance par leur légèreté bornée. 

Par moments, le trou entre les Panzers et l'infanterie qui suivait à pied était de plus en 50 km. Si l'armée française avait occupé cet espace, la situation allemande serait devenue très périlleuse (l'état-major allemand était mort d'inquiétude). Et ce trou était connu du GQG (mais peut-être pas bien appréhendé) : la percée ennemie se déroulait en territoire français, devant le bordel ambiant, les préfets téléphonaient directement à Vincennes pour décrire ce qu'ils voyaient.

Entre le 12 mai (début de la percée allemande à travers les Ardennes) et le 20 mai (Rommel atteint la Manche), les Français (et les Anglais) ont eu chaque jour une occasion de mettre en grande difficulté les Allemands, ils n'ont su en saisir aucune.

Les visiteurs des quartiers-généraux (pour simplifier, il y a trois GQG : c'est très IIIème république, ne faire de peine à personne) décrivent tous la même atmosphère, mélange de fébrilité, d'apathie et de désordre. Le diagnostic n'est pas difficile à poser : il manquait un chef.

Le commandement français de 1940, chaque fois qu'il a eu le choix entre regrouper nos forces et les disperser, a choisi, pour notre malheur, la seconde option. On ne se remet pas d'être dirigé à la guerre par des cons.

Gamelin et Weygand

Les subordonnés de Gamelin l'avaient surnommé « Baudelaire », car on disait que toute sa doctrine se résumait dans le vers : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes ».

Le problème de Gamelin se lit dans son vocabulaire :  « Je regrette », « Je déplore », « Je préconise », « Sans vouloir intervenir dans la conduite de la bataille en cours… ». Imagine-t-on Turenne ou Bonaparte, ou même Foch, parlant ainsi ?

Il a un côté François Hollande ou Emmanuel Macron : commentateur désabusé de catastrophes qui relèvent entièrement de sa responsabilité.

On a opposé le caractère de Gamelin et son intelligence. Mais, s'il avait été si intelligent, il n'aurait pas engagé toutes les réserves de l'armée française en Belgique.

Seulement voilà : il était l'homme qui murmurait à l'oreille des ministres et des parlementaires,  le général de Daladier, un militaire comme la raie-publique radicale et franc-maçonne les aime, faussement martial et vraiment mou.

Son remplacement, le 17 mai, au plus mauvais moment, fait perdre deux jours précieux. Même son limogeage aura porté malheur à la France.

En choisissant de résister sur la Somme, Weygand, lui, rend la défaite inéluctable et il le sait, il le fait exprès, par peur d'une révolution communiste, son obsession de minable petit-bourgeois. C'est une trahison pure et simple qui, dans tout pays qui se respecte, lui aurait valu d'être fusillé séance tenante. Il n'a échappé à un procès  mérité à la Libération que parce qu'il y avait déjà trop de procès. De Gaulle a eu entièrement raison de lui refuser les obsèques nationales.

Comme tous ceux qui ont étudié sérieusement la situation (dont De Gaulle lui-même en 1940), Goutard n'a guère de doutes que la poursuite de la guerre outremer était possible. Il y a eu des livres et des bandes dessinées, fort bien faites, basés sur ce scénario.

La Marine Nationale et la Royal Navy étaient intactes. Les dépôts de matériel regorgeaient d'avions prêts à l'emploi que les Allemands trouveront, à leur grand étonnement, eux aussi intacts. Si l'ordre avait été donné à l'armée française d'organiser la retraite générale, il serait trouvé des bonnes volontés pour s'en occuper. L'opération Dynamo a évacué de Dunkerque plus de 300 000 hommes (sans leur matériel) en 10 jours, il était donc tout à fait possible de transférer la majeure partie de l'armée française en Afrique du Nord si les soldats avaient senti une volonté de fer dans le commandement.

L'élection présidentielle américaine était en septembre, Roosevelt réélu, comme il était prévisible, l'aide aurait afflué (contres espèces sonnantes et trébuchantes).

Bref, si l'analyse de Goutard pèche politiquement, il  démontre que, militairement, le commandement français, entre le 10 mai 1940 et le 10 juin, a laissé échapper de vraies occasions de transformer le coup d'audace allemand en désastreuse aventure.

Notre malheur a voulu que nos plus grands militaires, Pétain et Weygand, fussent des traitres défaitistes qui méritaient 12 balles dans la peau (les nostalgies pétainistes de certains cons en 2025 sont tout à fait ridicules). Ils se sont employés à saper la volonté des politiciens, déjà pas bien vaillante (Reynaud est un faux dur), qui était initialement de continuer le combat .

Imaginez la situation inverse : un commandant en chef qui se bat (donc, ni Gamelin, ni Weygand) et qui dit aux politiciens fin mai : « Il est possible de passer 600 000 hommes en Afrique du Nord avec une partie de leur matériel ». Croyez vous que le gouvernement l'aurait refusé ?

Une des explications possibles à cette nullité crasse de nos généraux est peut-être toute simple (hypothèse à vérifier) : l'armée française de l'entre-deux-guerres n'attirait plus l'élite de la nation (Gamelin était major de Saint-Cyr, mais est-ce un gage de qualité suffisant ?).

Après tout, Leclerc et Juin sauront prouver, par leurs capacités manœuvrières (exceptionnelle chez Leclerc) que toute intelligence n'était pas perdue dans l'armée française.

Concluons sur une note positive qui illustre le fossé entre Juin et Gamelin. Au début de l'attaque du Garigliano, les Français butent très durement sur la défense allemande. Juin hésite à faire cesser l'attaque et à ordonner le repli. Que fait-il ? Il se porte sur le front et discute avec les blessés qui redescendent de première ligne. Et ordonne la continuation de l'attaque.

A Alesia, lorsque les Gaulois ont failli percer, qu'a fait Jules César ? Il est allé en première ligne avec sa cape rouge, que toutes les légionnaires connaissaient, et les Gaulois ne sont pas passés.

Voilà ce que Gamelin n'a pas fait (pas la peine de parler de Weygand, décidé à rendre les armes).

Deux billets sur cette période :

La défaite française, un désastre évitable (J. Belle)

Deux jours en mai