JF Revel définissait l'idéologie comme l'habitude de nier les faits ou de les tordre pour ne pas avoir à remettre en cause une conception fausse des choses.
L'idéologie est discréditée en politique bien qu'elle y existe encore fortement sous des formes dissimulées (l'étatisme jacobin en est un exemple). Mais dans les questions d'éducation, censées être apolitiques (ce qui est totalement faux), elle se laisse aller à l'exubérance irrationnelle.
J'entendais hier un apparatchik syndical nous expliquer à la radio que le niveau ne baissait pas, que les élèves actuels avaient simplement d'autres savoirs que leurs parents, sans préciser lesquels (je suppose macramé et "comportement citoyen").
Je m'interroge : quels savoirs, autres, forcément autres, peuvent être si importants, si précieux, que la lecture, l'écriture, le calcul, l'histoire, deviennent secondaires et soient négligés ?
Car je l'ai constaté de visu et de auditu, il y a des élèves de terminale , pas de sixième, de terminale, qui ne savent pas lire sans buter sur les mots, qui n'écrivent pas sans une faute par ligne, qui éprouvent les pires difficultés à tenir un raisonnement mathématique notamment par ignorance du sens exact des mots "donc", "or", "car" et qui ne peuvent pas classer Napoléon, Louis XIV et Henri IV dans l'ordre chronologique, quant à Corneille, c'est bien entendu un chanteur à succès.
Seule lueur infime d'espoir : à propos de Napoléon, l'un d'eux a eu le réflexe, certes de fuite, de demander "Lequel ?", signe évident qu'il savait qu'il y en avait eu plusieurs.
Les élèves en question sont-ils de malheureuses exceptions ? C'est possible, mais ça serait bien ma veine, si l'éducation nationale produisait tant de génies que je tombe toujours sur des crétins (1) !
Bien sûr, on peut aussi considérer que toutes ces connaissances que je pense élémentaires et fondamentales sont inutiles. Mais comment pourrais-je admettre un tel nihilisme, une telle haine du savoir et de la culture par les hommes qui ont vocation à enseigner (2) ?
Ajout du 18/03, extrot du blog de Jean-Michel Aphatie :
Au détour de l'un de ses raisonnements, [Claude Allègre] a évalué à 3.000 le nombre des permanents des différents syndicats qui seraient payés par le ministère. Le chiffre est important et les pouvoirs s'abstiennent de faire la moindre publicité là dessus. C'est une forme de tabou, entretenu dans la République par des pouvoirs pusillanimes. Les syndicats, eux, jouent parfaitement de la terreur qu'ils inspirent aux ministres qui se succèdent pour garder entière leur rente de situation qui, sans doute, retarde, freine, empêche peut-être parfois les évolutions nécessaires de la citadelle enseignante.
Claude Allègre a aussi raconté avec une certaine jovialité que quand il était ministre, il essayait de regarder dans les zones d'ombre des non affectations, ou des spécialisations marginales, ou encore de la situation de ces professeurs sans élèves, constatant à chaque fois des résistances dans sa quête d'informations.
En le regardant et en l'écoutant, ce matin, à la table de RTL, je me suis souvenu d'un épisode singulier. C'était en septembre 1997, à Montpellier, lors des journées parlementaires du PS. Je couvrais l'événement pour l'Express. Lionel Jospin s'était installé à l'Hôtel Matignon quelques semaines auparavant, début juin, et lui et son équipe bénéficiaient des faveurs de l'opinion.
L'après-midi du premier jour de de cette réunion des parlementaires socialistes, Claude Allègre, qui avait déjà annoncé son intention de "dégraisser le mammouth", se trouvait à la tribune. Au fil d'un propos comme toujours chez lui à la fois construit et zigzaguant, il s'engagea la tête la première dans le tunnel de l'absentéisme des professeurs. Pédagogue, il choisit l'exemple de stages de poterie qui vidaient malencontreusement les classes et laissaient les élèves en peine d'enseignants. Il voulait, sans diminuer l'importance de la poterie dans les sociétés occidentales de la fin du XX° siècle, que cela cesse et que des professeurs ne soient plus absents pour d'aussi mauvaises raisons.
Dans la salle, l'auditoire se partagea en trois. Certains parlementaires, anciens enseignants ou amis d'enseignants, paraissaient sincèrement offusqués. D'autres, hilares, contemplaient le spectacle en comptant le nombre de feux rouges que le ministre, lancé à vive allure, grillait. Une poignée enfin découvrait que le travestissement de la pensée pouvait par exception céder le pas à une robuste franchise. Les journalistes, eux, s'affairaient. Claude Allègre n'avait pas quitté son estrade que déjà les dépêches d'agence crépitaient de ces formules.
Lionel Jospin était attendu à Montpellier dans la soirée. Une nuée de journalistes s'abbatît sur lui sitôt son arrivée auprès des parlementaires. Informé des propos de son compagnon, il avait eu le temps de préparer sa réponse. Elle fut singulière. Sans vouloir commenter le fond du problème, il parla de l'homme. Il rappela devant les micros et les caméras qu'il était titulaire du prix Crawford, l'équivalent du prix Nobel dans le petit monde des mathématiciens. Il fallait donc, assura-t-il avoir davantage d'égards pour lui que n'en témoignaient les plumitifs avides de polémiques.
Le tout frais premier ministre, un peu nerveux, nous planta avec cela. Au fond, sous couvert d'indulgence, il disait assez nettement qu'il aimait l'ami et détestait le politique chez Allègre. Il mit encore deux ans avant d'en tirer le constat et de le débarquer du ministère de l'Education nationale.
Quelqu'un sait-il si des stages de poterie sont organisés, aujourd'hui encore, pour les enseignants désireux de se familiariser avec cet artisanat?
En lisant les commentaires du blog de JM Aphatie, j'ai l'impression qu'au fond, au delà de toutes les arguties, ce que les profs (au moins ceux qui commentent) ne pardonnent pas à Allègre, c'est d'avoir essayé de les faire bosser plus.
Ca vous étonne ? Moi pas.
(1) : au sens où JP Brighelli l'entend dans La fabrique du crétin : on ne peut pas, ou très peu -car ils peuvent toutefois lire par eux-mêmes, reprocher à ces jeunes gens de ne pas savoir ce que nul n'a jamais tenté de leur apprendre.
(2) : la vocation à enseigner d'un syndicaliste de l'éducation nationale tel que décrit peut être mise en doute.
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