lundi, septembre 01, 2008

Culture industrielle : tout fout le camp, mon bon monsieur ...

Dialogue entendu ce WE au bar d'un aéroclub. Deux ingénieurs trentenaires discutent à bâtons rompus :

_ Des types comme Dassault, il n'y en a plus.

_ Tu connais Joseph Szydlowski ?

_ Non.

_ C'est le PDG-fondateur de Turboméca. Il pensait turbine, mangeait turbine, rêvait turbine. Ses employés l'avaient surnommé Jojo la turbine.

_ Aujourd'hui, à un type comme ça, dans nos sociétés aéronautiques modernes, on expliquerait qu'il n'y a pas d'avenir dans la technique, qu'il faut qu'il fasse du management ou de la gestion de projet, c'est-à-dire du secrétariat amélioré où on met de belles couleurs dans un tableau Excel. Et si il avait résisté, si il avait persisté à faire de la technique,on l'aurait mis dans un placard.

_ Que peux tu espérer d'un pays qui forme plus de kinés que d'ingénieurs et où la majorité croit que le CO2 est un polluant ?

_ Et après, on s'étonne que l'A380 souffre de «retards», c'est-à-dire, en langage non médiatique, d'erreurs de conception.

7 commentaires:

  1. Il y a 4-5 ans un techos me disait qu'il n'embauchait plus de gardzarts car, contraitement à ce que je pensais, l'intérêt de leur profil avait fortement diminué sachant qu'ils s'étaient mis au management et que leur culture industrielle avait largement diminué.

    RépondreSupprimer
  2. Il est vrai que tous ces génies qui ont écrit l'histoire des techniques passaient tout leur temps à réfléchir à des inventions ou à améliorer des projets existants et déléguaient ensuite la gestion de leurs entreprises.

    En demandant à ces génies de faire autre chose que de la technique (division de travail oblige), j'imagine que c'est pour faire des économies, mais je suis pas sûr que la confusion des genres permette justement de les réaliser.

    Pour le 380, j'ai bossé quelque temps dans l'usine au moment de l'ouverture de la chaîne de production. Il y avait déjà des problèmes de conception. Les ingés se demandaient comment l'avion pouvait peser 14 tonnes de plus que prévu avec toutes les conséquences à envisager, inévitablement des coûts supplémentaires.

    RépondreSupprimer
  3. «En demandant à ces génies de faire autre chose que de la technique (division de travail oblige), j'imagine que c'est pour faire des économies»

    La logique est très simple : les ingés sont au forfait, les heures où ils font du secrétariat ne coutent rien.

    «Il y avait déjà des problèmes de conception.»

    Ne travaillant par sur ce projet, je ne connais que par ouï-dire, mais j'ai suffisamment confiance en mes sources pour ne pas me précipiter pour mon vol inaugural en A380.

    Contrairement à beaucoup, je ne prends pas «logique financière» pour une insulte.

    Cependant, une fois qu'un projet est lancé, les demi-mesures coûtent plus cher qu'un développement bien abouti.

    L'A380 était gros de risques techniques, il n'était pas raisonnable de prendre simultanément des risques planning.

    Le projet A380 a pris des risques techniques+planning parce qu'il était soutenu par un raisonnement financièrement totalement débile, en gros «Peu importent les ennuis au départ, puisque nous conquerrons le créneau des gros porteurs pour décennies, c'est le jackpot».

    Ce raisonnement a tapé dans le mur de deux objections pourtant de bon sens (je ne les ai pas vues au départ du projet, aveuglé comme d'autres par l'orgueil, mais je les ai assez vite comprises) :

    > les ennuis de développement peuvent être tellement importants que la marge de production ne couvrira jamais les frais de la dette de développement, autrement dit, on pourrait produire pendant des siècles que ça ne serait jamais rentable. C'est un raisonnement financier élémentaire.

    > le créneau des gros porteurs n'est peut-être pas si juteux qu'espéré.

    RépondreSupprimer
  4. "Aujourd'hui, à un type comme ça, dans nos sociétés aéronautiques modernes, on expliquerait qu'il n'y a pas d'avenir dans la technique, qu'il faut qu'il fasse du management ou de la gestion de projet, c'est-à-dire du secrétariat amélioré où on met de belles couleurs dans un tableau Excel"

    C'est une question d'époque, de cycles : on a eu une époque ou il fallait produire (l'époque ou les ingénieurs et techniciens étaient importants). Il y a eu ensuite une époque ou l'essentiel était de bien vendre ( les ingénieurs et techniciens devaient s'adapter aux désirs des spécialistes du marketing). On est dans l'époque de la finance ou les ingénieurs et techniciens n'ont plus grand chose d'important (ils ne sont que des centres de couts face à des optimiseurs de "return on capital employed").

    Il y a tellement d'argent a gagner en faisant de la finance, qu'avoir des ingénieurs et techniciens valables aux commandes c'est quelque chose de secondaire (pour l'instant ...).

    Le grand initiateur du mouvement vers la finance depuis 1980 est General Electric avec son légendaire patron Jack Welch ( le "manager du siècle"). Il aura augmenté la valeur capitalistique de sa société de 500 Mds en 20 ans juste en faisant de la finance (il était doué pour, il faut dire ... ), et évidemment tout le monde à suivi ses excellentes idées ...

    Mais tout évolue, et on passera à autre chose quand faire de la finance "pur jus" aura montré certaines limites.

    A mon avis, vu que peu de personnes veulent faire aujourd'hui de la technique, c'est probablement un secteur d'avenir ...

    RépondreSupprimer
  5. La culture industrielle fout aussi le camp aux USA. En témoigne un article intéressant de Henry Mintzberg : "How Productivity Killed American Enterprise", cf. http://www.mintzberg.org/

    RépondreSupprimer