Jean-François Revel a descendu plusieurs crans dans mon estime, qu'il n'a jamais regagnés (1), le jour où j'ai appris qu'il avait publié un article attaquant violemment Saint-Exupéry écrivain, parlant de « crétinisme sous cockpit ».
Car, au-dessus de l'intellect, qui, finalement, est une toute petite chose (même si les intellectuels passent leur temps à se masturber avec), il y a l'homme. Et l'homme Saint-Exupéry était très respectable. Revel avait le droit de penser le plus grand mal des écrits de Saint-Exupéry, mais pas de l'écrire et de le publier en des termes aussi méchants.
Saint Exupéry détestait De Gaulle et les gaullistes. Cette détestation est allée croissant. Il leur reprochait d'être sectaires. Saint-Ex n'était pas sectaire.
Il détestait les gaullistes donnant des leçons alors qu'ils avaient quitté la France. Il oubliait un peu vite, sans doute influencé par les planqués new-yorkais, que plus d'un gaulliste a payé de sa vie son engagement. Il aurait peut-être mieux supporté De Gaulle si celui-ci avait risqué sa vie (il était tout de même condamné à mort par Vichy et, plus tard, au moment de la crise algérienne, il prouvera qu'il ne craignait pas les attentats).
Il aurait pu choisir de voir le donquichottisme et de s'y attacher, il a préféré voir le sectarisme. C'est, à mon sens, une erreur de jugement.
Mais le désaccord est plus fondamental. C'est de la part de Saint-Ex une profonde incompréhension de la politique. La politique est par essence sectaire. Il ne s'agit pas de faire des choix justes, mais de faire les choix nécessaires, ce qui est très rarement la même chose.
Saint-Exupéry porte en lui le potentiel d'abdication et de trahison des modérés. Au nom du juste équilibre, de la justice parfaite, parce que personne n'a jamais totalement tort ni totalement raison, on passe des compromis, qui deviennent vite des compromissions, ou on refuse de choisir, ce qui, à la fin, a le même résultat.
La politique consiste à dire « Tu as tort à 53 %. Hé bien je vais faire comme si tu avais tort à 100 % ». Car, parmi tous les possibles, il faut choisir. On ne peut être à la fois un peu pour De Gaulle et un peu pour Pétain, ou contre l'un et l'autre, car, alors, on ne fait rien. La politique porte en elle l'injustice, elle salit l'âme.
Il est significatif que Saint-Ex ait été révolté par le discours de De Gaulle expliquant que le bombardement de Mers El Kébir était un mal nécessaire.
C'est tout de même étrange que Saint-Ex n'ait pas pensé à Saint-Louis ou à Sainte Jeanne d'Arc. Eux aussi étaient face à des choix politiques : les Bourguignons étaient français et n'étaient pas tous mauvais, pourtant, il fallait en tuer.
Bref, l'analyse politique de Saint Ex était naïve, et je suis gentil.
Heureusement, Saint-Exupéry était un homme de coeur. Il a sublimé son horreur de la politique en exposant sa vie. Mais cela ne suffit pas : les SS de la division Charlemagne exposaient aussi leur vie. Saint Ex a choisi tout de même presque le bon camp (il eut été préférable qu'il volât pour des Français Libres et non pour des Français inféodés aux Américains, mais quand on ne veut pas comprendre ...).
Et la mort est venue tout résoudre.
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(1) : j'ai connu une déception semblable, moins prononcée, quand j'ai lu Simon Leys se moquant d'un homme qui avait fait inscrire sur sa tombe « propriétaire ». C'est aussi un cas d'intellectuel qui rate l'humain.
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