Mis à part sa prétention ridicule à se faire passer pour Disraeli, j'aime bien les articles d'Edouard Husson.
Il a tout à fait raison : notre classe dirigeante passe son temps à traiter le peuple d'abruti trouillard, à l'accuser de frilosité inadmissible, à lui reprocher d'avoir « des peurs » (sous-entendu, sans fondement -c'est bien connu- le peuple est con tandis que les énarques sont intelligents, peurs avec lesquelles les affreux « populistes » jouent) mais il n'y a pas plus timoré qu'eux.
L'expérience malheureuse d'être dirigés par des énarques depuis des décennies nous a appris qu'il y a plus de bon sens et de courage dans un pilier de bistro que dans un autobus de technocrates.
De nombreuses raisons l'expliquent : la perte générale du sens du devoir, la sécession des élites (pourquoi prendre des risques pour un peuple dont on se sent pas faire partie ?) et, puis, tout simplement, suivant le mot de Soljenitsyne repris par Cynthia Fleury, le déclin du courage.
Les valeurs viriles, honneur, courage, ne sont même plus comprises (l'honneur est confondu avec la vanité et le courage avec la témérité). Or, ces valeurs empêchaient les dirigeants de tomber complètement dans l'égoïsme.
Autrement dit, on en vient toujours au même problème : une société féminisée sombre dans l'anarchie (comme une société trop virilisée tombe dans la stérilité intellectuelle, comme l'islam ou Sparte, mais ce n'est pas d'actualité chez nous ... sauf dans certains quartiers dont il ne faut pas parler).
Mais la classe dirigeante est encore plus timorée que le peuple.
Ce ne sont pas les peuples qui ont peur de la mondialisation: ce sont les dirigeants qui ont peur du réel
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Pour la deuxième année consécutive, le thème des « inégalités
croissantes » était au menu [de Davos]. Cependant, vous remarquerez comme les libéraux résistent au principe de réalité. Ce
n’est pas eux qui n’avaient jamais écouté Donald Trump; c’est le président américain qui est venu faire amende
honorable en leur porposant d’investir aux Etats-Unis. Plus fondamental, ce n’est pas eux qui se sont trompés: ce
sont les peuples, ou du moins une partie d’entre eux (ces « déplorables », comme les appelle Hillary Clinton) qui
ont peur.
Voilà quelque chose que nous avons entendu dans bien des discours - et qui ne va pas disparaître du
jour au lendemain car les libéraux s’accrochent au pouvoir. Pour le réprouver ou pour faire semblant de s’en
apitoyer, ils vont répétant qu’ils ont bien vu qu’il existe des craintes dans les populations, que tout le monde n’est
pas adapté à la mondialisation, qu’il faut bien en tenir compte etc..... C’est insupportable de bonne conscience et
de condescendance. Mais cela vaut la peine d’être décortiqué.
Quelques éléments me viennent immédiatement à
l’esprit en commençant à y réfléchir. D’abord, on ne saurait imaginer « peuple » plus refermé sur soi, plus craintif
que nos milieux dirigeants. Quand ils voient la peur chez les autres, ils parlent en experts. Regardez comme il est
impossible d’y développer une opinion dissidente. Personne n’a le courage de s’y opposer aux autres.
On
pourrait penser qu’il s’agit d’une société où les châtiments encourus pour la pensée dissidente sont terribles ;
quelque chose qui ressemblerait à un pays totalitaire, à l’ancienne Union Soviétique, par exemple. Constatons
surtout que pas grand monde n’ose mettre en question les croyances dominantes. Plutôt que 1984, nous nous
trouvons dans Le discours sur la servitude volontaire.
Rappelez-vous la campagne du référendum sur le Traité de
Maastricht : il y eut bien un héros provisoire, Philippe Séguin, qui prononça quelques discours inoubliables; mais,
alors qu’il restait quelques jours de campagne, il s’effondra psychologiquement devant les flatteries prodiguées
par François Mitterrand qui, bien que malade, eut encore l’énergie de transformer Séguin en « opoosant officiel »;
ce dernier se ridiculisa au point de faire transporter à Epinal, dans sa mairie, la table du studio télévisé où il avait
oublié d’affronter le président français. Puisque nous parlons de Mitterrand, avouons qu’il était lui aussi atteint de
la même couardise - il impressionnait en France mais il se couchait devant les puissants de l’étranger. Mon père
connaissait bien l’ancien président français et j’eus, étudiant, plusieurs occasions d’écouter l’oracle ; je
n’oublierai jamais comment, lors d’une promenade sur les bords de Seine, cet homme que je trouvais très faux,
s’arrêta, me posa la main sur l’épaule et, clignant nerveusement des yeux comme chaque fois qu’il révélait son
double langage, me dit - on était en 1994: « Oui, c’est vrai, Benjamin; vous avez raison ! La France prend un gros
risque à donner son indépendance à la Banque de France. Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne décision ». Une
décision qu’il avait prise !
Vingt-cinq ans plus tard, nous ne pouvons que constater que le mal s’est aggravé. A
force de mimétisme craintif, les milieux dirigeants ont créé une véritable idéologie, celle de la « mondialisation
heureuse ». Et vous remarquerez ce paradoxe: jamais le réel n’avait autant contredit le discours euphorique sur le
monde sans frontières; et jamais il n’y a eu aussi peu d’opposants au sein du système dirigeant. La nature ayant
horreur du vide, il surgit des phénomènes comme Trump; le système déclenche alors contre eux l’artillerie lourde.
Mais c’est surtout la preuve de son incapacité à affronter le réel. Imaginez qu’à force de pilonner ils en viennent à
abattre Trump: d’autres dragons, bien plus terribles encore, se dresseront et viendront les effrayer ou hanter leurs
rêves. Si vous voulez appeler « peur », le rejet de la mondialisation par un ouvrier victime d’une délocalisation
industrielle; ou la hantise de la violence adolescente chez des parents qui n’ont pas la chance ni les moyens de
pouvoir inscrire leur enfant dans les meilleurs établissements scolaires, alors reconnaissez qu’il s’agit d’une
réaction légitime.
Craindre, quand on ne possède pas grand chose, de perdre ce peu dont on dispose, voilà ce que
nos dirigeants appelle peur de l’avenir, peur de l’ouverture, peur de l’adaptation à la mondialisation. Eux qui
n’ont jamais osé s’opposer à la pensée dominante des institutions universitaires qu’ils fréquentaient ; qui n’ont
jamais osé s’opposer aux modes des médias mainstream de peur d’être lynchés ; qui voient partout, comme ces
individus décrits par La Boëtie, des maîtres dont ils exagèrent la puissance (les « marchés financiers ») ou des
ennemis imaginaires (la Russie).
[…]
Et nos peuples ont l’instinct de survie quand ils essaient d’obtenir que les
catastrophes transfrontalières soient contenues. Non seulement les dirigeants d’aujourd’hui sont, sauf exception,
affreux de conformisme et de respect humain; non seulement ils efusent de voir le monde qu’ils ont eux-mêmes
mis en place et ont peur du réel. Mais ils en ont oublié du coup le devoir des élites, ce pour quoi un dirigeant est
jugé apte à diriger. Les peuples respectent ceux qui les protègent.
Et c’est bien la principale caractéristique de
nos adversaires libéraux: ils ont renoncé, complètement, à l’éminente mission de la politique: protéger. Lorsque
vous avez fait de meilleures études, lorsque vous possédez plus de moyens, lorsque vous avez accès à plus
d’informations, vous pouvez à bon droit penser que vous êtes aptes à exercer une responsabilité dans la société.
Mais si vous ne l’exercez pas « au nom du peuple », vous trahissez un pacte de confiance sans lequel il n’y a pas
de société politique. C’est cela qui se joue, actuellement entre les « O,1% » et les « déplorables ».
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mercredi, janvier 31, 2018
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