Contrairement à vous, Macron « n’aime pas lire les mauvais romans »
Emmanuel Macron, le 12 novembre. (LUDOVIC MARIN / AFP)
Pour se détendre, le chef de l’Etat lit des chefs-d’œuvre.
Par David Caviglioli
Publié le 07 février 2020 à 09h42
Le 30 janvier dernier, Emmanuel Macron a déclaré, dans « le Monde » : « Je n’aime pas lire les mauvais romans. » On reconnaît là la supériorité de notre Président, qui n’est certes pas n’importe qui, sans quoi il ne serait évidemment pas notre Président. Les mauvais romans, ajoute-t-il, « ça ne me détend pas du tout ».
L’homme commun, lui, lit des mauvais romans. Les mauvais romans le détendent. La chose se déroule ainsi. L’homme commun, tout le jour, fait du mauvais travail. Le soir, satisfait et épuisé, il rentre chez lui, dans un appartement qu’il a soigneusement mal décoré. Il retire ses chaussures informes et son manteau élimé. Il se prépare un mauvais repas, avec de la viande sèche achetée dans une mauvaise boucherie, et des légumes blets, à peine bouillis et mal assaisonnés, pour mieux conserver leur absence de saveur.
Après avoir mal dîné, il est temps pour lui de s’allonger dans son canapé inconfortable et, enfin, de saisir sur la table basse le mauvais roman qu’il a laissé la veille. Quel plaisir, pour l’homme moyen, que ce mauvais roman. Il goûte tout particulièrement son personnage principal mal caractérisé, la maladresse de la phrase et l’invraisemblance des dialogues. L’intrigue est sans intérêt. « Quelle merde, ce livre », s’exclame-t-il sur un ton admiratif.
L’homme commun, face à un bon roman, serait tendu. La beauté d’une phrase agace l’homme commun. La puissance d’une narration le rend nerveux. L’homme commun, lorsqu’il lit un chef-d’œuvre, gigote et ronge ses ongles mal limés.
Par « bon roman », on entend le genre de roman qu’Emmanuel Macron aime lire. Le Président, il l’a dit à de nombreuses reprises, n’aime pas le « relativisme ». Au début de son quinquennat, il dénonçait « le relativisme absolu dans lequel nous sommes confondus » − phrase admirablement tournée, profonde et saturée de sens, qu’on ne pourrait assurément trouver que dans un excellent roman. Les relativistes, ennemis philosophiques du macronisme, s’imaginent que les croyances et les goûts sont divers. Que, par exemple, le bon roman de l’un est le mauvais roman de l’autre. Billevesée décadente. Crétinisme horizontal. La littérature, et le Président le sait, est verticale. Comme le pouvoir. « J’assume totalement la verticalité du pouvoir », a-t-il déclaré.
Heureux de demeurer dans les bas échelons de cet édifice vertical qu’est le monde, l’homme moyen finit un chapitre ennuyeux, et referme son mauvais roman. Il médite quelques instants sur un poncif qui l’a frappé par sa banalité. Il enfile un pyjama rêche et se couche, près de son épouse. « Tu es plus laide que jamais », lui dit-il. Elle sourit et lui répond : « Mauvaise nuit mon amour. »
L'Obs
David Caviglioli
samedi, février 08, 2020
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