Ce DVD d'un entretien réalisé en 1988 pour Apostrophes est un régal. Etiemble est essayiste, éditeur, poète, etc. mais le titre qu'il préfère est emmerdeur.
Il est surtout connu pour Parlez vous franglais ? , publié en 1966. C'est très réducteur pour cet homme maniant quinze langues (Turc, Chinois, etc.).
En tous les cas, il disait "fin de semaine" et "bonne vente". Cet homme très droit n'hésitait pas à appeler un con par son nom et estimait qu'un écrivain devait savoir mourir pour un imparfait du subjonctif raté.
Je ne dis pas qu'il fût facile à vivre et que j'eusse été d'accord en tout avec lui : je me méfie des idéalistes, je ne suis point si droit. Mais il était doté d'un humour pince-sans-rire et avait le goût de Montaigne, il ne se peut qu'il fût totalement infréquentable.
La droiture n'a pas que des inconvénients : il s'est vite éloigné des séductions communistes et ne se réfugiait pas dans des distinguos d'entomologiste, contrairement à tant d'autres encore aujourd'hui, pour dénoncer une barbarie quand il en voyait une. Il était suffisamment sensible pour saisir l'indécence qu'il y a en de certaines polémiques sur le point de savoir ce qui sépare nazisme et communisme, quand c'est dans le but de "sauver ce qui peut être sauvé" du communisme : si une idéologie aboutit à des dizaines de millions de morts, on ne sauve rien, on jette tout le fourbi et on garde juste une image pour effrayer les petits enfants (je n'ai jamais bien compris au nom de quelle indulgence "communiste" n'est pas une insulte à l'égal de "fasciste".)
Enfin, en nos temps où l'éducation fait débat, il n'est pas inutile de signaler ce qu'Etiemble, né en 1909, raconte : à la sortie du collège, il connaissait par coeur intégralement une dizaine de pièces classiques et était prêt à jurer que c'était le cas pour l'ensemble, ou presque, de ses condisciples.
"Par coeur ? Quelle horreur ! C'est bête !" diront nos modernes. C'est mécanique d'apprendre par coeur, mais est-ce bête ?
Qu'on en juge : cela fait travailler la mémoire et donne le goût de l'effort, ce n'est déjà pas si mal, mais, surtout, ce qui est su à quinze ans est un précieux bagage pour le restant de ses jours, qu'on l'enrichisse au lycée ou qu'on le réveille bien plus tard, ou même qu'on l'oublie (ce n'est pas pareil d'avoir l'outil et de ne pas s'en servir que de ne pas l'avoir). Qui n'a éprouvé satisfaction à tirer de son cerveau la citation appropriée, le vers qui foudroie ? J'en connais qui cite Clausewitz à tout propos, je me demande même si, lui soumettant un problème de mécanique automobile, il ne trouverait pas la citation clauswitzienne adaptée.
mercredi, septembre 20, 2006
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