vendredi, novembre 09, 2007

La France de Vichy (R. Paxton)

FFF

Il s'agit d'une relecture (j'ai lu en parallèle le Pétain, de Marc Ferro). Ce livre du début des années 70 n'a pas mal vieilli.

Que dit-il ? Essentiellement que Vichy n'a pas agi le couteau sous la gorge, mais, au contraire, a été moteur dans la collaboration avec l'envahisseur pour des raisons idéologiques, celui-ci, dont un des objectifs était de réduire la France à pas grand'chose, n'en avait que foutre d'un partenariat, même si il en a profité pour en retirer des avantages ponctuels.

De plus, si il y a eu des défections à partir de novembre 42 parce que le vent tournait, les vichystes haut placés ont été fidèles pratiquement jusqu'au bout , alors même que les événements invalidaient leurs analyses.

C'est absolument terrible pour les hommes de Vichy, mais ça rejoint ce qu'on sait que des organisations à la fois idéologiques et technocratiques (et Vichy en était le protoype en France) : elles vont jusqu'au bout de l'erreur. A ce compte, la boutade «La différence entre un train et un Polytechnicien, c'est que le train, quand il déraille, s'arrête.» n'est qu'une demi-plaisanterie. Je vous ai déjà cité l'exemple extrême de Jean Bichelonne.

Que reste-t-il de Vichy ? Hélas, beaucoup plus qu'on ne croit.

L'héritage principal, c'est la croyance technocratique. C'est l'idée que des techniciens «apolitiques» (1) brillants, et si possible surdiplomés, aux commandes de l'Etat peuvent ordonner la société et prennent des décisions meilleures que les citoyens laissés à eux-mêmes ou que les politiciens, forcément corrompus.

Cette croyance technocratique est encore très répandue dans les classes dirigeantes, qui n'ont visiblement pas lu Taine (2). Mais qu'ont-ils lu, d'ailleurs, ces gens-là, à part d'autres étatistes ?

Le second héritage, c'est le corporatisme. On ne l'appelle plus vraiment comme cela, sauf pour en dire du mal, mais il est néanmoins très présent. C'est tout ce qui fait qu'un statut, une loi, un réglement, est lié à un métier et non à l'individu.

C'est par exemple le cas des «régimes spéciaux». Notons au passage que la lutte contre les corporations était une obsession de la révolution française. Par un paradoxe de l'histoire, qui ne s'explique que par la déliquescence intellectuelle, la gauche défend aujourd'hui aussi ardemment les corporatismes que la droite. Or, les corporatismes c'est la sclérose de l'économie : si l'on avait écouté les syndicats de cochers, il n'y aurait jamais eu de chemins de fer, ou alors réglementés, taxés, limités.

Enfin, dernier héritage, une importance disproportionnée donnée à la paysannerie, plus mythifiée que réelle.

Si Vichy marque tant notre présent, c'est aussi qu'il n'était pas une rupture complète et a servi de passerelle pour prolonger des tendances déjà présentes. Pour paraphraser Tocqueville, il y a une chose qui met tous les Français d'accord, contre lui, c'est le libéralisme.

Enfin, question primordiale : Vichy a aidé, et même devancé, les exigences alemandes dans la persécution des juifs. Jacques Chirac a officiellement déclaré que, le jour de la rafle du Vel d'Hiv,«la France commettait l'irréparable». C'est aujourd'hui la vulgate politiquement correcte.

La position gaulliste, Vichy est nul et non avenu et ne représentait pas la France, n'aurait été qu'illusionisme, certes compréhensible, mais illusion tout de même.

Je suis absolument opposé à cette vision des choses : la France, les Français, étaient assommés par la défaite, la guerre continuait. Le gouvernement pétainiste n'avait pas accédé au pouvoir de manière normale, il était illégitime, il n'était pas la France, il ne représentait pas la France. La France n'étant pas libre, elle ne pouvait être responsable. Ce n'est pas la France qui commettait l'irréparable, c'était des Français, certes trop nombreux.

Je sais qu'une telle opinion n'est pas à la mode, tant pis : la grande force de l'analyse gaulliste pendant la guerre est sa cohérence, il serait dommage de l'oublier.

S'agissant de Pétain, quand tout est dit, toutes les nuances apportées, la phrase lapidaire de Mandel tient la route : «Le défaististe de 1918 est devenu le traitre de 1940.»

L'atmosphère de Vichy étant à la longue difficilement respirable, je feuillète les Mémoires de guerre de De Gaulle et je lis sa biographie par Lacouture en même temps que La France à l'heure allemande de P. Burrin.

Philippe Burrin définit assez bien le problème des dirigeants de Vichy : pas assez visionnaires et orgueilleux pour suivre De Gaulle, pas assez modestes pour se contenter d'expédier les affaires courantes.

Je trouve que ça se transpose assez bien à nos dirigeants actuels : pas assez visionnaires pour être libéraux, pas assez modestes pour s'empêcher de fourrer leurs pattes partout. Mais je suis méchant.

(1) : sauf que, évidemment, la croyance en la technocratie est déjà en soi une idée politique.

(2) : Extrait des Origines de la France contemporaine

7 commentaires:

  1. J'ai toujours "adoré" cette fameuse phrase de Pétain : La terre ne ment pas !

    Ségolène avait d'ailleurs repris la même forme à propos des enfants (dans le contexte de l'affaire d'Outreau) : l'enfant ne ment pas !

    Je me souviens d'avoir essayer de discuter avec mes deux grands pères de Vichy et de Pétain. Je sentais bien un peu d'incompréhension. Qu'avait-il fait de mal finalement ce valeureux Maréchal....


    De Gaulle toujours aussi futé, l'avait gracié et exporté sur l'Ile d'Yeux. Malin le Grand.

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  2. Pétain fut l'un nos rares généraux compétents pendant la premiére guerre mondiale.
    Son role clé a Verdun nous a évité de perdre la guerre.
    Si il s'est retrouvé a la téte de Vichy c'est d'abord parcque les politiques l'on appellé et ensuite parcque l'assemblée nationale a voté pour lui a une écrasante majorité.
    Sur un plan légal, ca lui donne plus de légitimité que de Gaulle.
    Je crois que tout comme De Gaulle il a fait ce qu'il croyait étre son devoir a son pays.
    L'idée qu'il s'en faisait était totalement différente c'est tout.
    L'idéologue de Vichy c'est Maurras et les idées de Maurras était et sont toujours largement partagé par le peuple Francais qu'il se prétende de gauche ou de droite.
    Votre argumentation comme quoi Vichy serait un ovni imposé ne tient pas et c'est un peu facile de tout mettre sur le dos d'une poignée de responsable.
    la vérité c'est que la plupart des Francais d'alors se reconaissait dans Pétain.
    Je ne me sens pas de les juger, je n'étais pas a leur place et je n'ai pas subis ce qu'ils ont subis.
    Ce que je peux faire, c'est reconnaitre cette part de mon histoire et me demander ce qui est vicié dans l'esprit Francais.
    A l'heure ou la France tente de se reformer, c'est plus qu'utile.
    Quand a Chirac, il a eu raison de s'excuser;pour lui la France c'est l'état Francais, chasse gardée de la techocratie dont Chirac est un des plus beaux exemples et dont vous soulignez fort justement les origines Vichysoises.

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  3. "Si il s'est retrouvé a la tête de Vichy c'est d'abord parce que les politiques l'ont appelé"

    Certes, mais personne ne l'a forcé à profiter de la défaite pour s'emparer du pouvoir.

    "L'idée qu'il s'en faisait était totalement différente c'est tout."

    Je suis d'accord, mais c'est cette idée qui fait toute la différence.

    "la vérité c'est que la plupart des Francais d'alors se reconnaissaient dans Pétain."

    C'est bien ce qui rend Pétain condamnable : c'est d'avoir profiter des circonstances, y compris sa popularité, pour imposer un programme politique très partisan.

    Vous semblez oublier qu'il avait l'option d'expédier les affaires courantes sans s'engager dans la voie de la collaboration.

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  4. C'est bien pour faire oublier qu'elle défend l'héritage pétainiste que la gauche accuse de pétainisme des gens vivant en 2007, ce qui est évidemment absurde.

    C'est selon le même schéma que la gauche accuse ses adversaires d'hitlérisme, pour mieux faire oublier ses acointances avec le communisme, et l'alliance de ce dernier avec Hitler.

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  5. Il m'arrive, avec une mauvaise foi certaine, j'en conviens, de dire que je n'ai jamais entendu parler de "nalis" pour "nationaux-libéraux", mais que j'ai entendu parler de "nazis" pour "nationaux-socialistes".

    Evidemment, je me fais un plaisir d'insister sur le "socialistes".

    Cependant, il faut reconnaître qu'il y a des politiciens libéraux qui ont rallié Vichy, comme il y en a eu des socialistes et des communistes.

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  6. Bonjour à tous

    d'accord sur la parfaite illégitimité de Pétain et de son régime.

    Il est excusable seulement par l'ignorance d'appeler, comme lui, "assemblée nationale" la pétaudière vichyssoise des 9 et 10 juillet 1940, la plus forte raison étant que le pays était militairement écrasé et aux deux tiers occupé, l'occupant ayant à fournir des laissez-passer aux deux tiers (environ) des votants.

    Mais je conviens que cette raison la plus forte, on ne la rappelle pas souvent.

    Pas plus qu'on ne perçoit l'influence quotidienne des nazis sur la politique de cet Etat-croupion, notamment, comme il se doit, en matière de politique "juive".

    Dans ce domaine, Paxton, par ailleurs lucide, fait preuve d'une cécité impressionnante.

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  7. Les historiens ne sont pas des ectoplasmes vivant dans l'éther. Ils sont influencés par leur époque, ils ont leurs biais.

    Il n'est pas trop étonnant que Paxton, conscient de ce que sa thèse avait de révolutionnaire, ait été aveugle à ce qui pouvait l'affaiblir.

    Peut-être que dans un climat moins passionné, il aurait été moins radical. Heureusement, les livres sont faits pour être disséqués, commentés et amendés.

    Je suis abonné à la NRH, que je lis avec plaisir, je suis toujours étonné à quel point leur anti-gaullisme est teinté de passion, on croirait quelquefois lire du Benoist-Méchin. Et nous sommes en 2007.

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