samedi, août 15, 2015

Les Ferrari gagnaient … quand il n’y avait pas d’opposition

Je sors de la biographie d’Enzo Ferrari par Brock Yates que je vous recommande à l’égal par exemple, de Lee's lieutenants.

Ce livre étant publié en 1991, il parle de l’entreprise Ferrari du temps d’Enzo.

Yates ne se laisse aucunement prendre aux différents mythes Ferrari. Il n’hésite pas à dire que les Ferrari sont loin d’être toutes belles et excellentes, il adore la Dino (j’approuve) mais déteste la 275 GTB, qu’il juge trop massive (alors que c’est ma Ferrari préférée). La célébrissime et très chère 250 GTO a une réputation très surfaite : elle s’est prise des piquettes à répétition par les Cobra de Carroll Shelby.

Il a quelques thèses, certaines connues, d’autres plus originales :

Les trois principales qualités d’Enzo Ferrari étaient :

1) Sa capacité instinctive à manipuler les individus à egos surdimensionnés (champions, ingénieurs de talent, clients fortunés, concurrents). Parmi ses trucs : la légende disant qu ’il ne sortait jamais de Maranello, ce qui obligeait ses interlocuteurs à se déplacer sur son territoire. En réalité, quand il était demandeur, il savait très bien se déplacer. Ferrari avait senti que les Américains se jugeaient rustauds par rapport aux « raffinés » Européens et qu’il fallait les maltraiter pour accroitre ce complexe d’infériorité et leur vendre ses voitures, souvent merdiques comme c’est pas permis (anecdote célèbre : un client américain se plaint que sa Ferrari chauffe. Enzo lui-même prend le volant. Chaque fois que l’aiguille du thermomètre monte, il s’arrête pour faire admirer à son client le paysage italien. Celui-ci, pas fou, a compris mais, conquis par tant de mauvaise foi, ravi que le maestro lui-même se soit occupé de son problème, repart sans moufter. Il n’est pas sûr qu’un client européen fût aussi docile).

2) Sa ténacité. La vraie particularité de l’historique de la Scuderia Ferrari, ce ne sont pas ses victoires (nous y reviendrons), mais son taux de participation. Bon an, mal an, chaque saison voyait revenir en compétition les voitures au cheval cabré.

3) Son bon sens. Par exemple, il avait très bien compris que, malgré tout le barnum qu’on fait autour des champions, les bons pilotes et les bons ingénieurs n’étaient pas des denrées rares, il n’y avait donc pas besoin de les payer une fortune. Il serait estomaqué par les ponts d’or des pilotes actuels, il les jugerait idiots, pensant qu’il n’y a qu’à faire jouer la concurrence pour obtenir des chiffres plus raisonnables. En revanche, il lui est arrivé de faire des exceptions quand il sentait que ses machines étaient inférieures et qu’il avait besoin d’un pilote de génie pour compenser celle-ci.

Les trois principaux défauts de d’Enzo Ferrari étaient :

1) Son conservatisme parfois proche de l’imbécillité pure et simple, comme son célèbre « les chevaux tirent le chariot » pour dénigrer les voitures à moteur arrière. Mais comme l’écrit un historien anglais, «vu que Ferrari n’a jamais, jamais, jamais, innové, il a bien été forcé d’adopter encore et encore les idées des autres et, donc, son conservatisme trouvait là sa limite naturelle, sinon il aurait disparu ». L’entreprise Ferrari a commencé à innover, en course et sur route, après la disparition de son fondateur.

2) Son incapacité technique. Son titre d’Ingegnere était purement honorifique. En réalité, il a prouvé son aptitude à faire de mauvais choix techniques (voir au-dessus le passage sur le conservatisme). Yates reconnaît une seule qualité constante aux Ferrari de course : la solidité du châssis (alors que Lotus étaient souvent fragiles). Il compensait ce défaut de jugement par l’envie délirante de gagner, son bon sens et son exploitation des ingénieurs : il finissait par adopter les idées qu’il jugeait mauvaises mais qu’il voyait gagner chez les autres et dont ses ingénieurs lui disaient qu’elles étaient bonnes.

3) Ses capacités de manipulation pouvaient dégénérer en une politicaillerie assez minable.

Contrairement à ses dires, Ferrari ne semblait avoir un amour particulier des voitures, il n'hésitait pas à les torturer et à les envoyer à la casse. La seule chose qui l'intéressait était de gagner et de voir son nom en haut de l'affiche.

Il méprisait ses clients à un niveau à peine croyable. Il a dit plusieurs fois en privé qu'ils étaient des idiots esclaves de leur statut social. Conséquence directe : il était légitime de leur soutirer le maximum d'argent avec la plus parfaite mauvaise foi. Il en avait une vision, me semble-t-il, assez juste, il les classait en trois catégories : les passionnés qui voulaient avoir une voiture qui ressemblait à celle des champions, les frimeurs et les quinquagénaires réalisant un rêve d'enfant. Notons que cette opinion cruelle mais sans doute exacte sur ses clients a fait son succès commercial.

Pour Yates, les qualités et les défauts de Ferrari ont une conséquence simple : les Ferrari gagnaient … quand il n’y avait pas d’opposition.

La ténacité d’Enzo Ferrari faisait que ses voitures étaient présentes dans les années creuses et gagnaient. Mais, à cause de son conservatisme et de son mauvais jugement technique, elles perdaient dès qu’il y avait une opposition un peu forte : Mercedes, Jaguar, Ford, Lotus, MacLaren. Yates fait un sort au mythe du manque de moyens, du David contre les Goliaths. Ferrari avait beaucoup plus de moyens que Colin Chapman lorsque celui-ci lui foutait des branlées pas possibles.

En conclusion de tout cela (c’est ma conclusion, pas celle de Yates), je vais faire bondir les ferraristes : les Ferrari, de course et de route, n’ont jamais été si bonnes que depuis qu’Enzo Ferrari a disparu. Mais faire de bonnes voitures n'est peut-être pas l'essentiel pour tenir soixante ans en compétition.



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